dimanche 20 novembre 2005

[Aletheia n°83] L’“ insolence ” de l’abbé Pierre - L’abbé Pierre instrumentalisé

Yves Chiron - Aletheia n°83 - 20 novembre 2005
L’“ insolence ” de l’abbé Pierre
Le dernier livre de l’abbé Pierre, en librairie le 27 octobre dernier[1], a déchaîné, avant même sa parution, une nouvelle campagne médiatique marquée du signe de la “ christianophobie ”, pour reprendre l’expression de Michel De Jaeghere.
Pour ce livre, l’abbé Pierre revendique le droit à l’ “ insolence ”[2]. Une insolence qui lui fait mêler aveux intimes et “ semences d’interrogation ” sur plusieurs points de la doctrine catholique.
L’insolence est aussi celle d’un prêtre qui, pour admirables qu’aient été certains de ses engagements et son œuvre en faveur des plus démunis, semble se servir de cette notoriété pour répandre des idées toutes personnelles en matière doctrinale : “ de la part des évêques comme de la part du Saint-Siège je n’ai jamais trouvé de contradiction ” fanfaronne-t-il[3].
On laissera de côté les confidences intimes sur le “ désir sexuel ” : “il m’est arrivé d’y céder de manière passagère. Mais je n’ai jamais eu de liaison régulière car je n’ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m’aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme, ce qui était contraire à mon choix de vie” (page 26). Comme l’a dit Mgr Simon, archevêque de Clermont : “ Depuis l’épisode évangélique dit ”de la femme adultère”, nous sommes, et heureusement pour nous, délivrés d’avoir à jeter la première pierre. ” L’aveu n’aurait pas dû sortir du confessionnal et de la direction spirituelle.
On passera aussi sur des spéculations plus qu’hasardeuses : “ Je ne serais pas étonné qu’au cours de son pontificat Benoît XVI prenne deux mesures jugées libérales : permettre aux divorcés remariés de communier, et ordonner prêtre des ”anciens”, des hommes mariés qui ont déjà élevé leurs enfants… ” (p. 35).
En revanche, on peut bien interpeller l’abbé Pierre, et Frédéric Lenoir qui a recueilli et mis en forme ses propos, le poussant, reconnaît-il, “ dans ses retranchements ” :
• l’abbé Pierre se déclare favorable à la reconnaissance légale (et religieuse ?) des “ couples homosexuels ”, préférant cependant le mot “ alliance ” à celui de mariage (p. 38) ;
• il milite pour l’ordination sacerdotale des femmes ; estimant, avec un bel aplomb, que Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger “ n’ont jamais avancé un seul argument théologique décisif qui démontre que l’accès des femmes au sacerdoce serait contraire à la foi ” (p. 42).
L’abbé Pierre, et son interlocuteur Frédéric Lenoir, ne se souviennent-ils pas de la Lettre apostolique Sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, signée par Jean-Paul II le 22 mai 1994 ? Ce rappel doctrinal était d’autant plus important qu’il comportait, au jugement de beaucoup de théologiens, une note d’infaillibilité, le pape affirmant : “ afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Eglise, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22, 32), que l’Eglise n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Eglise. ” ;
• dans une veine qui se rattache aux plus mauvais romans ésotérico-religieux à la mode (Da Vinci Code), l’abbé Pierre répond à la question : “ Jésus avait-il une relation charnelle avec Marie-Madeleine ? ”. Il y répond, cette fois encore, avec le mélange de candeur et de suffisance qui marque nombre des pages de son livre : “ je ne vois aucun argument théologique majeur qui interdirait à Jésus, le Verbe incarné, de connaître une expérience sexuelle ” (p. 51) ;
• deux pages plus loin, reprenant les arguments du P. Cerbelaud (sans le citer), il s’inquiète de “ l’accumulation récente des dogmes concernant Marie ” (p. 53). Il se refuse “ à croire tel quel au péché originel ” et repousse les deux derniers dogmes mariaux proclamés par l’Eglise : l’Immaculée Conception (1854) et l’Assomption (1950).
Plus largement, l’abbé Pierre se refuse à rendre un culte à la Vierge Marie : “ je ne peux concevoir qu’on lui voue un véritable culte, lequel finit chez certains par prendre plus de place que l’adoration envers le Créateur ” (p. 55) ;
• plus loin encore, il dénie tout “ caractère historique ” aux premiers chapitres de la Genèse et n’y voit qu’un “ récit mythique ” (p. 67) ;
• sur l’Eucharistie, il dit vouloir tenir “ une voie médiane ” en refusant tout à la fois la doctrine de la transsubstantiation et la réduction de l’Eucharistie à un symbole (p. 76) ;
• autre affirmation péremptoire : “ rien ne permet d’affirmer que l’enfer existe, ou bien, ce qui revient au même, qu’il y ait un seul damné dedans ” (p. 95). C’est un article du Credo que l’abbé Pierre récuse.
• enfin, dernière opinion toute personnelle de l’abbé Pierre : “ Pour un chrétien, il y a donc nécessairement deux Révélations. Une Révélation visible, explicite, celle de la Bible et de Jésus-Christ ” et une “ révélation invisible – celle de l’Esprit Saint ? – [qui] a inspiré les autres religions et le cœur des hommes sans religion ” (p. 98-99). On en arrive, ici, à la vulgarisation la plus simplificatrice, et plus qu’erronée, d’une certaine théologie des religions qui s’est développée ces dernières années.

L’abbé Pierre instrumentalisé
D.I.C.I., le bulletin d’informations de la FSSPX, souvent bien informé, affirme dans son numéro du 12 novembre que “ face aux déclarations contraires à la foi catholique ” de l’abbé Pierre, “ l’épiscopat français n’a émis aucune protestation solennelle. […] Seul le supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X, l’abbé Régis de Cacqueray, a émis une protestation énergique sur le site officiel du district, La Porte Latine[4] ”.
Cette affirmation est fausse. Les réactions épiscopales n’ont pas tardé.
Le livre était disponible en librairie le 27 octobre. Le 1er novembre, interrogé sur la radio Europe 1, Mgr Lalanne, porte-parole de l’épiscopat a estimé : “ J’ai un peu peur qu’on l’ait instrumentalisé et qu’on se soit servi de lui pour faire avancer certaines thèses ”.
Le lendemain, 2 novembre, dans une tribune libre parue dans Le Monde, Mgr Simon, archevêque de Clermont, se disait scandalisé que l’abbé Pierre et son livre aient servi de “ caution à l’exhibitionnisme et au voyeurisme médiatiques ”. Et il dénonçait aussi l’alibi du débat : “ on habille ces révélations d’un prétendu débat autour de l’ordination d’hommes mariés ou de femmes. Mais, s’il s’agissait vraiment de ces débats, ils pouvaient être menés pour eux-mêmes. Et je n’aurais pas été scandalisé par le fait qu’un journaliste sollicite et utilise les idées bien connues de l’abbé Pierre sur ces points. Après tout, c’est de bonne guerre et l’on aurait pu, en effet, en discuter. Pour ma part je ne refuse pas d’en parler, mais sur le fond. Simplement, je croirais davantage à la bonne foi de ceux qui prétendent en débattre s’ils prenaient la peine de signaler un point de vue différent du leur. Je constate qu’il est impossible de faire entendre un avis divergent. Alors qu’on ne vienne pas me dire que les prétendues ”révélations” de l’abbé Pierre sont là pour faire avancer le dossier. ”
Deux jours plus tard, Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, intervenait solennellement. Le 4 novembre, en ouvrant l'Assemblée plénière de l'épiscopat qui se tenait à Lourdes, Mgr Ricard prononçait un éloquent plaidoyer en faveur du célibat sacerdotal : “ Une Eglise qui se sent appelée, comme chez nous en France, à devenir de plus en plus une Eglise de la première évangélisation, implique tout particulièrement cette forme de disponibilité et de consécration totale à la mission qui reproduit le mode d'existence du Christ lui-même pour l'annonce du règne de Dieu. Il est important de promouvoir et de défendre ce choix du célibat sacerdotal. ”
Ce choix – cet engagement – se heurte, a poursuivi Mgr Ricard, à “ un environnement qui lui est hostile, y compris dans certains secteurs de notre Eglise ”. Faisant référence au récent ouvrage de l’abbé Pierre et à son “ exploitation médiatique ”, Mgr Ricard a clairement dénoncé une manœuvre : “ Son propos est instrumentalisé pour alimenter le procès contre l'Eglise et en faire une arme de plus contre le célibat des prêtres. Tout est bon pour nourrir un tel combat, que ce soit un scandale, des cas de pédophilie, des prêtres qui ont des enfants ou qui se marient. ”
Le milieu culturel et médiatique dominant – héritier de mai 68 et de la “ libération sexuelle ” – ne supporte pas la consécration totale, y compris physique, à Dieu. Mgr Ricard relève justement que si le célibat ecclésiastique est tant brocardé et critiqué, c'est parce qu' “ il vient dire qu'il n'y a pas seulement l'usage du sexe dans la vie et que l'homme est appelé à savoir maîtriser ses propres pulsions. Or, il y a là une interpellation que notre société aujourd'hui a du mal à entendre et à accepter. ”
L’abbé Pierre est donc, finalement, victime de sa propre “ insolence ” revendiquée.

Diffusion

Ouvrages de Jean Madiran

  • La Trahison des commissaires, Consep, 2004, 65 pages, 10 euros.


  • Maurras toujours là, Consep, 2004, 104 pages, 15 euros.


  • La Laïcité dans l’Eglise, Consep, 2005, 153 pages, 18 euros.

Ouvrages d’Yves Chiron

  • Pie IX, pape moderne, Clovis, 1995, 524 pages, 18 euros.


  • Pie IX et la franc-maçonnerie, Editions BCM, 2000, 22 pages, 4 euros.


  • Saint Pie X, pape réformateur, Publications du Courrier de Rome, 1999, 365 pages, 18 euros.


  • Pie XI, Perrin, 2004, 416 pages, 22 euros.


  • Le Vatican et la question juive en 1941. Publication du rapport Bérard, Editions Nivoit, 2000, 25 pages, 5 euros.


  • Padre Pio le stigmatisé, Perrin, 2002 (3e édition augmentée et mise à jour), 346 pages, 19 euros.


  • Veilleur avant l’aube. Le Père Eugène de Villeurbanne, Clovis, 1997, 510 pages, 19 euros.


  • Enquête sur les miracles de Lourdes, Perrin, 2000, 215 pages, 17 euros.


  • La véritable histoire de sainte Rita, Perrin, 2003, 248 pages, 15 euros.


  • “ Diviniser l’humanité ”. Anthologie sur la communion fréquente, Préface du cardinal Medina Estevez, Editions de La Nef, 2005, 135 pages, 13 euros.

Commandes, franco de port, à adresser à :
ALETHEIA - 16, rue du Berry - F36250 NIHERNE
Paiement à l’ordre de l’ “ Association Nivoit ”
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NOTES
[1] Mon Dieu…pourquoi ?, ouvrage écrit en collaboration avec Frédéric Lenoir, Plon, 108 pages, 13 euros.
[2] Il a employé cette expression lors d’un entretien “ exclusif ” accordé à Marc-Olivier Fogiel dans l’émission de France 3 On ne peut pas plaire à tout le monde, le 30 octobre dernier.
[3] Idem.
[4] D.I.C.I., n° 124, 12 novembre 2005 (Etoile du Matin, 57230 Eguelshardt, 2 euros le numéro), p. 6.