lundi 25 octobre 2004

[Aletheia n°64] Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise - et autres textes

Aletheia n°64 - 25 octobre 2004

Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise

En 1967, Etienne Gilson publiait, aux éditions Vrin, Les Tribulations de Sophie, un ouvrage de 167 pages qui rassemblait diverses études consacrées, entre autres, à l’ “ Actualité de saint Thomas d’Aquin ”, au “ cas Teilhard de Chardin ” et aussi des “ Divagations au milieu des ruines ”, les ruines dont il est question étant “ les ruines que l’après-concile accumule autour de nous ” (p. 162).

Cette même année 1967, Etienne Gilson acceptait que la revue Itinéraires de Jean Madiran publie une nouvelle édition de Christianisme et philosophie, ouvrage paru pour la première fois en 1936[1].Pour cette réédition dans cinq numéros de la revue de Jean Madiran, Etienne Gilson avait rédigé un nouvel “ Avant-propos ” où il expliquait pourquoi lui, chrétien réputé de gauche, il acceptait de paraître dans une revue apparemment éloignée de ses vues temporelles. Etienne Gilson voulait qu’on interprète la publication d’un de ses ouvrages dans la revue de Jean Madiran comme “ une volonté d’union sur l’unique nécessaire en un temps où plusieurs de ceux qui en ont la garde semblent le perdre de vue et paraissent même vouloir nous en détourner. ” Il écrivait aussi : “ On ne peut rien faire d’utile pour l’Eglise à moins de s’établir d’abord dans un climat de foi commune, de grâce et d’amitié. ”

Etienne Gilson a eu un sens aigu de la crise de l’Eglise. Dans la préface aux Tribulations de Sophie, datée du 30 avril 1967, il estimait : “ Le désordre envahit aujourd’hui la chrétienté ; il ne cessera que lorsque la dogmatique aura retrouvé son primat naturel sur la pratique. ”

Deux ans après la parution des Tribulations de Sophie, un prêtre, religieux marianiste, le P. Boulet écrivait à Etienne Gilson pour s’étonner de sa “ modération ” et de son “ indulgence ” à l’égard de Teilhard de Chardin[2]. Le philosophe lui répondit par une lettre, intéressante, que nous publions pour la première fois, avec l’autorisation bienveillante de son destinataire[3].

Etienne Gilson exprime, sans fard, son sentiment sur l’œuvre de Teilhard de Chardin et sur la crise que traverse l’Eglise.

89 – Vermenton
12 mai 1969

Monsieur l’abbé

Votre lettre m’a beaucoup amusé, car je reçois d’ordinaire des protestations indignées contre les mauvais traitements que j’ai fait subir au pauvre P. Teilhard, alors que vous me reprochez le contraire.

Mon excuse pour tant de modération est que je sens pour son œuvre une détestation si profonde, une révulsion si exaspérée que je dois me pencher en sens contraire pour ne pas laisser la violence prendre le dessus.

Une autre raison est que ces détestations totales sont généralement le signe d’une présence réelle, de quelque chose qui est là et demande qu’on lui fasse droit. J’ai remarqué cela dans les arts : Stravinsky et Picasso n’auraient pas provoqué, jadis et naguère, des réactions si violentes si l’un et l’autre n’avaient été quelqu’un. Mon horreur morbide pour Hegel me fait craindre de manquer un bien que je n’ai pas la perspicacité de découvrir. Et justement, Teilhard… que j’abomine, me revenait hier à la mémoire en relisant Darwin, The Descent of Man. Il m’est soudain venu à l’esprit : au moins, Teilhard aurait écrit “The Ascent of Man “. Que l’évolution, si elle est plus que simple changement, soit une montée plutôt qu’une descente, que le singe soit monté vers l’homme plutôt que l’homme ne soit descendu du singe, lui du moins l’aura vu. Il faut lui en savoir gré.

Et puis, j’ai eu des violences, je les ai toutes regrettées tôt ou tard.

Ou simplement, je deviens vieux. Plus exactement, je le suis devenu ; il est très vrai, comme vous le dites, que les esprits qui trouvent dans Teilhard de quoi justifier leur sentiment d’être chrétiens se font illusion. Mais j’en connais personnellement au moins deux. Ce sont des “ scientifiques ” ; hors de leurs spécialités, ils raisonnent comme des enfants, mais j’en suis venu à me demander si ces enfants-là aussi ne sont pas de ceux que Jésus veut qu’on laisse venir à lui ? Je ne sais pas. Aussi suis-je d’autant moins exigeant pour les autres que je le suis plus pour moi-même. On ne peut attendre que l’Eglise ne se compose que de saints Thomas d’Aquin… La contestation actuelle qu’évoque la fin de votre lettre ne me semble pas due à Teilhard, même en partie, car lui fait partie des symptômes de ce cancer généralisé. Des fous demandent aujourd’hui la réhabilitation de Luther, et je ne serais pas autrement surpris qu’on introduisît la cause de sa béatification en Cour de Rome. Alors le pauvre Teilhard, avec son optimisme larmoyant, fera figure d’un petit François d’Assise en comparaison avec l’apôtre du Pecca fortiter. Je crains que nous ne voyions pire à brève échéance.

Mais je vous remercie de votre aimable lettre ; nous ne sommes pas seuls à souffrir de ce qui se passe et je reconnais que des réactions plus violentes que les miennes sont sans doute bienfaisantes, nécessaires même. Il y en a d’ailleurs. Il y en a même de parfaitement objectives et équilibrées, je plaide donc coupable. Teilhard a désormais d’éminents avocats dans la Commission romaine e théologiens : nous n’en sommes pas, nous autres laïcs, à exiger la rigueur théologique, en un temps où notre hiérarchie s’amuse à fronder le pauvre pape Paul VI, qu’ils ont littéralement crucifié.

Et prions Dieu que tous nous veuille absoudre ![4]

Avec mes remerciements, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Etienne Gilson

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La controverse sur l’anaphore de Addaï et Mari

L’anaphore de Addai et Mari, en usage chez les Nestoriens, est une anaphore qui a la particularité de ne pas comporter de récit de l’Institution. Une “ Note ” du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens, publiée le 20 juillet 2001, a autorisé comme “ valide ” l’utilisation d’une telle anaphore dans la liturgie catholique. Cette décision a suscité une controverse publique, en même temps qu’elle rencontrait de vives critiques dans certains milieux romains.

Divinitas, revue internationale de recherche et de critique théologique publiée au Vatican sous la direction de Mgr Gherardini, publie un numéro spécial de 296 pages entièrement consacré à ce sujet[5]. Le fait même est significatif du non-monolithisme qui règne désormais au Vatican.

La perspective des études publiées est scientifique et doctrinale mais les douze articles historiques, théologiques ou liturgiques laissent s’exprimer des avis très divergents sur la question.

Après une traduction intégrale en italien de l’anaphore et la publication de la note du Conseil pour l’Unité des Chrétiens, on trouve les articles suivants :

A. Gurati, A proposito degli “Orientamenti“.

Yves Chiron, La réception de l’Anaphore de Addaï et Mari en France.

Enrico Maza, Che cos’è l’anafora eucaristica ?

Bonifacio Honings, Addai e Mari : l’anaphora della Chiesa d’Oriente.

Robert F. Taft, Messa senza consacrazione ? Lo storico accordo sull’Eucaristia tra la Chiesa cattolica e la Chiesa assira d’Oriente promulgato il 26 ottobre 2001.

Cesare Giraudo, L’anaphora degli apostoli Addai e Mari : la “ gemma orientale ” della Lex orandi.

Enrico Mazza, Le récent accord entre l’Eglise Chaldéenne et l’Eglise Assyrienne d’Orient sur l’Eucharistie.

Brunero Gherardini, Le parole della Consecrazione eucaristica.

David Berger, “Forma huis sacramenti sunt verba Salvatoris ” – DieForm des Sakramentes der

Eucharistie.

Thomas Marschler, Neues und Altes zur Eucharistischen Sakramentenform.

U.M. Lang, Eucharist without Institution Narrative ? The Anaphora of Addai and Mari revisited.

Renzo Lavatori, Il contesto mariologico nella liturgia della Chiesa siro-orientale.

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Vient de paraître

. Michel de Penfentenyo, Turquie : Un national-islamisme au cœur de l’Europe ?, Éditions de L’Homme Nouveau (10 rue de Rosenwald, 75015 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Michel de Penfentenyo, qui a été secrétaire général de la Cité catholique, puis vice-président et directeur de l’Office, publie une brochure pour accomplir, dit-il, un “ double devoir : devoir de mémoire et devoir de lucidité ”. À l’heure où l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne est l’objet d’un large débat public dans différents pays —rappelons, pour mémoire, la position prudente et inquiète de l’épiscopat allemand et celle, négative, du cardinal Ratzinger — , Michel de Penfentenyo apporte, principalement par une évocation très détaillée du génocide arménien de 1915, des réponses aux questions suivantes : “ D’où vient la nation turque ? Quels ont été ses comportements habituels, ses traditions, son atavisme, ses caractères propres en tant que nation ? Quelle est la nature de l’islam turc ? ”.

. Paul Sernine répond à ses lecteurs, Editions du Zébu (J.B. Chaumeil, 16 rue Brézin, 75014 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Le livre de Paul Sernine (abbé Grégoire Celier), La Paille et le sycomore, publié il y a un an, a suscité une vive controverse. Il établissait une critique des thèses d’Etienne Couvert sur la “ gnose ”, thèse diffusée depuis vingt ans maintenant par différents livres : De la gnose à l’œcuménisme (1983), La gnose contre la foi (1989), La gnose universelle (1993), La vérité sur

les manuscrits de la mer Morte (1995), La gnose en question (2002)[6].

Les ouvrages d’Etienne Couvert — et ses thèses nouvelles, sur les origines du bouddhisme, par exemple – n’ont pas retenu l’attention des revues scientifiques ; pareillement, la controverse lancée par Paul Sernine s’est principalement limitée au milieu traditionaliste.

Dans la brochure publiée aujourd’hui, qui se présente comme un entretien avec Philippe Vilgier, Paul Sernine répond aux arguments qui lui ont été opposés par les partisans des thèses d’Etienne Couvert.

Les réponses de Paul Sernine sont d’ordre formel et factuel. Une autre réponse à Etienne Couvert et à ses partisans est parue : signée Anselme Farigoule (Un dossier sur la gnose, 40 pages), elle aborde diverses questions de fond et de méthode. Mais cette étude, pour l’instant, n’est pas diffusée dans le public.

. Bulletin Charles Maurras (16 rue du Berry, 36250 Niherne), n° 24, octobre-décembre 2004, 40 pages, 8 euros.

Ce numéro contient un dossier consacré à “ Pie XI, Maurras et l’Action Française ” dont voici le sommaire :

- Charles Maurras, Le grand deuil de l’Eglise (reproduction de l’article paru dans L’Action française le 11 février 1939).

- Yves Chiron, Pie XI et Maurras.

- Abbé Guillaume de Tanoüarn, La grandeur de Pie XI.

- Théophane Breton, Le “Pie XI“ de Yves Chiron.

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NOTES

[1] Margaret McGrath dans Etienne Gilson.A Bibliography/Une Bibliographie, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies/Institut Pontifical d’Etudes Médiévales, 1982, p. 14, mentionne la réédition du livre en 1946 et les traductions japonaise et polonaise, mais elle ignore cette réédition de 1967 qui comportait un nouvel avant-propos et des “ retouches de détail ”.

[2] Page 97, à propos de Teilhard de Chardin, Gilson avait écrit : “ je ne vois aucun péril en la demeure… ”. Mais il avait commencé par dire : “ La pensée du P. Teilhard de Chardin ne me semble avoir jamais atteint le degré de consistance minimum requis pour qu’on puisse parler à ce propos d’une “doctrine“, c’est pourquoi je parlerai seulement du “cas“ Teilhard de Chardin. ” Il avait écrit aussi : “ …marécage doctrinal où l’on est certain de s’enliser si l’on s’y hasarde, la théologie teilhardienne est une gnose chrétienne de plus, et comme toutes les gnoses, de Marcion à nos jours, c’est une Theology-fiction. ”

[3] Le Père André Boulet est l’auteur de plusieurs études consacrées aux rapports de la science et de la foi. En 1995, il a publié Création et Rédemption, aux éditions C.L.D. ; en 2003, La Genèse au risque de la science, un ouvrage de 76 pages disponible chez l’auteur (Résidence Chaminade, 44 rue de la Santé, 75014 Paris), 5 euros franco de port.

[4] Souligné dans le texte.

[5] Divinitas, anno XLVII, Numero speciale 2004, Palazzo dei Canonici, 00120 Vaticano.

[6] Tous ces ouvrages ont été publiés, à compte d’auteur, par les Editions de Chiré, B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil.

dimanche 3 octobre 2004

[Aletheia n°63] Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud

Aletheia n°63 - 3 octobre 2004
Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud
Il y a dix ans, Jacques Duquesne publiait un Jésus qui balayait nombre de dogmes et de croyances avec un aplomb paré d’un vernis pseudo scientifique. “ Les théologiens se sont gentiment moqués de cette entreprise vulgaire qui ressemblait à une arnaque ” rappelle le R.P. Verdin o.p.[1]. L’ouvrage, servi par un battage médiatique doublé d’une campagne publicitaire, s’était vendu à 400.000 exemplaires.
Aujourd’hui, Jacques Duquesne récidive avec un ouvrage consacré à la Mère de Dieu[2]. Il a l’ambition d’aller “ à l’encontre de ce qui a été présenté des siècles durant comme des vérités absolues ” (p. 13), en l’occurrence : l’Immaculée Conception de Marie, l’Annonciation, la conception virginale de Jésus, l’Assomption. Avec, en point d’orgue, un chapitre 6 intitulé “ Marie, mère de famille nombreuse ”. Jacques Duquesne entend démontrer que Jésus eut des frères et des sœurs. Il affirme : “ Que Marie ait été mère de famille nombreuse, voilà une affirmation qui ne pose plus de problème aux historiens, ni aux exégètes (même si tous ne l’avouent pas nettement) ”[3].
Ce Marie, achevé d’imprimer en juin, a été diffusé cet été pour faire l’objet de recensions et être présent dans toutes les librairies avant la venue du Pape à Lourdes, le 15 août. Jacques Duquesne, homme de presse, savait que le voyage de Jean-Paul II allait susciter, dans tous les journaux et toutes les revues, des articles sur Lourdes et sur la Vierge Marie et que les télévisions et les radios consacreraient des reportages à l’événement. En effet, pas un organe d’informations n’a manqué et presque tous ont signalé ou recensé l’ouvrage de Jacques Duquesne. Cette manœuvre habile et réussie a été prolongée par une campagne de publicité coûteuse (presse et radio) qui dure encore. Jacques Duquesne est en passe de connaître à nouveau un énorme succès de librairie.
Il se défend d’avoir voulu réaliser un “ coup marketing ”. Il affirme avoir travaillé à ce livre depuis trois ans. Pourtant, en bien des endroits, ce livre sent la précipitation. Il a été sinon conçu du moins achevé à la va-vite et très mal relu. On passera sur les nombreuses fautes de frappe : “ Assises ” (p. 132), “ Nicolas de Talentino ” pour Tolentino (p. 141),  “ 1975 ” pour 1935, date d’un message de Pie XI (p. 163), “ Cenetto ” pour Ceretto, lieu d’apparition de la Vierge (p. 220), d’autres encore.
Moins excusables sont les bourdes ou erreurs de copie qui témoignent d’un savoir approximatif. Comment Jacques Duquesne peut-il écrire “ hécharitomène ” (p. 33) pour le célèbre “ kecharitômêne ” de l’Annonciation ? N’est-ce pas une lecture trop rapide qui lui fait appeler “ Gui François ” (p. 139) le languedocien Gui Foucois  (le pape Clément IV) ? Et que dire de ce “ Paul Newman, le célèbre théologien catholique britannique ” (p. 212).
Outre ces erreurs factuelles, on reste ébahi par l’embrouillamini des références (par exemple, page 221, sur la question des révélations privées, Jacques Duquesne cite de seconde main, sans le dire). Pour détruire toutes les croyances et dogmes relatifs à Marie, il n’hésite pas à faire flèche de tout bois. Il utilise et cite les travaux dévastateurs des historiens juifs récents de Jésus. Il cite Pères de l’Eglise et théologiens. Mais les a-t-il bien lus et compris ? Par exemple, il cite saint Thomas d’Aquin de la manière suivante : “ l’Esprit-Saint n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à propos de sa propre substance ” (p. 57), il faut lire, bien sûr : “ à partir de sa propre substance… ”.
Ailleurs, il fait référence à un sermon de saint Augustin (Sermo de tempore XXII) pour se moquer de l’explication de la conception virginale qui y est donnée : “ la fécondation se serait faite par l’oreille ” (p. 55) commente-t-il. Voltaire déjà s’était saisi de ce texte y trouvant du “ ridicule divin ”. Or, c’est un sermon apocryphe. On le sait depuis longtemps[4].
Au-delà de la “ bêtise ergotante ” de Jacques Duquesne[5], ce livre est révélateur de la vulgarisation (au sens littéral comme au sens figuré) d’une certaine exégèse critique. À plusieurs reprises dans son livre, Jacques Duquesne dénonce la “ surenchère ” qui se serait fait jour dans le domaine de la mariologie à partir du concile d’Ephèse (celui où a été donné à Marie le titre de “ Mère de Dieu ”).
La même idée a été exprimée, il y a un an, de manière plus savante et moins provocatrice, par un théologien dominicain, le R.P. Dominique Cerbelaud. Il parlait, lui, d’ “ inflation dogmatique ” et d’ “ inflation mariale ”[6]. Son ouvrage a été largement utilisé et cité par Jacques Duquesne.
Le théologien dominicain, professeur à l’université catholique de Lyon, n’a pas la brutalité du journaliste, mais son travail, articulé en douze thèses, tend à montrer que toute la dogmatique mariale repose sur l’affirmation de la conception virginale et que c’est “ l’article qui fait tenir ou tomber toute la mariologie ” (p. 293). Sous couvert de questions, le théologien dominicain en arrive à remettre en cause tout l’édifice doctrinal sur la Vierge Marie : “ la relativisation de l’aspect physiologique de la virginité in partu, fréquente chez les théologiens catholiques contemporains, peut conduire à se poser des questions analogues sur la virginité ante partum, c’est-à-dire sur la conception virginale : ne convient-il pas de l’entendre, elle aussi, au sens “symbolique“ ? Mais dans ce cas, c’est tout l’ensemble du réseau dogmatique qui va subir les contrecoups d’une telle “relecture“.
Dans l’élaboration plus récente, les incertitudes concernant le dogme du péché originel retentissent directement sur celui de l’Immaculée Conception. Quelle signification ce dernier peut-il conserver, si la notion même de péché originel se dilue ? ” (p. 298).
Entre le R.P. Cerbelaud et Jacques Duquesne, il y a la différence entre un théologien érudit et un journaliste vulgarisateur, mais il y a une identité dans la volonté de “ déconstruire ” la dogmatique mariale.
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De l’affaire Laguérie à l’affaire Sernine : allers et retours
. Mascaret (19 avenue de Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 ¤ le numéro), le “ Bulletin mensuel des catholiques girondins ”, consacre les seize pages de son numéro 265, septembre-octobre 2004, à ce qu’il est convenu d’appeler désormais “ l’affaire Laguérie ”. L’abbé Laguérie, directeur du bulletin, y signe l’éditorial et un “ Ephéméride de l’été 2004 ”, tandis que d’autres collaborateurs abordent la question sous d’autres aspects (juridique mais aussi humoristique). On lira ces pages comme un plaidoyer pro domo de l’abbé Laguérie, sûr de son droit : “ rien ne sera comme avant, les remises en question vont bon train. (…) Saint-Eloi vit, prospère, et la Fraternité peut et doit suivre. ”
. Dans ce numéro de Mascaret, de façon incidente, l’abbé Laguérie dit de l’abbé Celier : “ [sa] tête est réclamée par Chiré-en-Montreuil, ce qui explique son zèle soudain à me pourfendre… ”. Jean Auguy, directeur de la S.A. D.P.F. sise à Chiré-en-Montreuil, a fait paraître aussitôt un communiqué où il affirme notamment : “ Nous posons ici publiquement une question précise à M. l’abbé Laguérie : où, quand, à qui, sous quelle forme et de quelle manière aurions-nous “réclamé la tête“ de M. l’abbé Celier ? Nous attendons une réponse explicite et étayée de preuves… lesquelles seront d’ailleurs difficiles à fournir, car cette accusation —est-il besoin de le préciser ? —relève de la plus haute fantaisie.  […] M. l’abbé Laguérie a peut-être été abusé par une rumeur calomnieuse qui circule en ce moment à Paris dans les milieux de la Tradition, rumeur selon laquelle Jean Auguy et Etienne Couvert seraient récemment allés voir Mgr Fellay pour lui “réclamer“ la tête de M. l’abbé Celier. Cette rumeur est absolument fausse et aussi absurde que fausse, mais il serait intéressant de savoir qui l’a lancée, qui la fait circuler et dans quel but ! ”
. Jean Auguy a raison de démentir cette rumeur qui le concerne, lui et son équipe. La “ tête ” de l’abbé Celier n’a été réclamée, publiquement, que par des feuilles comme celles de Louis-Hubert Rémy et de Philippe Ploncard d’Assac, et aussi par un nouveau site internet qui réclame la “ purification ” de la FSSPX. La “ tête ” de Celier/Sernine est réclamée en même temps que celle de l’abbé de Tanoüarn, le directeur de Pacte et de Certitudes et l’éditeur de Celier/Sernine. Bien que l’affaire Laguérie ait dissocié les deux accusés de l’affaire Sernine, la controverse a rebondi sous des oripeaux nouveaux.
. Plus qu’à ce nouvel épisode de ce que j’ai appelé la guerre picrocholine, on sera attentif au dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro).Ce numéro daté du 15 septembre 2004 était attendu. L’abbé de Tanoüarn n’avait pas, à ce jour, exprimé de position publique sur l’affaire Laguérie, bien qu’il ait soutenu son confrère dès le départ.
L’abbé de Tanoüarn estime que “ la Fraternité Saint-Pie X se trouve déchirée par une des crises les plus graves de son histoire ”. Il estime aussi que les enjeux sont doctrinaux  et que deux “ questions gravissimes ” sont posées par l’affaire Laguérie.
La première est celle de la formation des séminaristes dans la FSSPX et des critères de la vocation. Le directeur de Pacte estime que de “ nouveaux critères ” de discernement de la vocation ont été introduits dans la FSSPX : “ les directeurs demandent aux candidats d’autres aptitudes, non révélées, malgré les demandes faites par différents prieurs ou directeurs d’école, qui ont besoin de connaître ces critères pour orienter les jeunes ”. Ces “ nouveaux critères ” expliqueraient des renvois incompréhensibles des séminaires de la FSSPX et des “ départs mal gérés ”.
La deuxième question de fond, selon l’abbé de Tanoüarn, est celle de l’exercice de l’autorité dans la FSSPX. L’abbé Laguérie n’a pas obtenu, dit-il, le droit de faire appel de la mutation/sanction qui l’envoyait de Bordeaux au Mexique. “ Une deuxième instance, ajoute-t-il, pourrait donner du poids aux sentences du supérieur ”.
Les deux questions — critères de la vocation sacerdotale et exercice de l’autorité — seraient donc révélatrices d’une crise d’identité qui frappe la FSSPX. Une crise de la maturité estime Maxence Hecquard dans ce même numéro de Pacte, qui souhaite aussi qu’ “ un débat serein peut et doit s’instaurer ”[7].
. Les fines analyses de l’abbé de Tanoüarn ont le mérite de vouloir dépassionner le débat et de ne pas le réduire à une querelle de personnes. Mais on ne saurait minimiser, dans les décisions prises par les autorités de la FSSPX, la question de Saint-Eloi, l’église acquise à Bordeaux par l’abbé Laguérie, et sa situation juridique (l’abbé Laguérie étant président de l’association propriétaire des lieux, ce qu’ignoraient ses supérieurs).
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Courrier des lecteurs
Un éminent lecteur de mon Pie XI (Perrin, 2004) m’écrit à propos de l’Action Catholique :
“ Pie XI ne reprend pas la distinction pourtant si indispensable de saint Pie X dans Il fermo proposito (11 juin 1905) entre deux types d’action catholique (en minuscules) : d’une part l’action des laïcs catholiques dans la cité pour en convertir les institutions au règne social du Christ, d’autre part l’apostolat au sens propre (même si le 1er type est un “apostolat“ au sens large) pour convertir les âmes. Et le saint pape précisait les différents degrés de dépendance de ces deux types d’action à l’égard de la hiérarchie.
L’absence de cette distinction chez Pie XI a causé les désastres bien connus, après la guerre. ”
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Annonce
L’Ecole Saint-Louis, à Nantes (8, rue de la Sirène), organise le samedi 16 octobre, de 14 à 19 h, sa IVe Journée du Livre. Yves Amiot, Jean-Luc Cherrier, Yves Chiron, Daniel Hamiche, Claude Mahy, Jean-Louis Picoche, Philippe Prévost et Henri Servien y signeront leurs ouvrages. Le rédacteur d’Aletheia sera heureux d’y rencontrer ses lecteurs de la région nantaise.
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[1] Père Philippe Verdin o.p., “ Notre-Dame des Poncifs ”, Le Figaro, 12 août 2004.
[2] Marie, Plon, 230 pages, 18,50 euros.
[3] Cette pseudo démonstration de l’existence de “ frères et de sœurs ” de Jésus était déjà au centre de son précédent livre. L’épiscopat français avait fait rédiger une réponse, en forme de mise au point, par l’exégète Pierre Grelot : “ La conception virginale de Jésus et sa famille ”, Esprit et Vie, 104/46, 1996, p. 629-631.
[4] Goulven Madec, “ Marie, Vierge et Mère, selon saint Ambroise et saint Augustin ”, in La Virginité de Marie, 53e session de la Société Française d’Etudes Mariales, Médiaspaul, 1998, p. 71-83.
[5] L’expression est du R.P. Verdin, art. cité.
[6] Dominique Cerbelaud o.p., Marie un parcours dogmatique, Editions du Cerf, 2003.
[7] On retrouve aussi, sous la plume de Maxence Hecquard, la vieille prétention de la FSSPX à représenter à elle seule “ la Tradition catholique ”. Quand il évoque “ les diverses tendances de la Tradition ” et  “ les congrégations amies ”, il limite le périmètre de la Tradition à ceux qui reconnaissent la légitimité des sacres de 1988.