mardi 19 décembre 2000

[Aletheia n°6] Les jubilés de la Fraternité Saint-Pie X - Les prières de guérison : un avertissement de Rome - Disparitions - Nouvelles

Yves Chiron - Aletheia n° 6 - 19 décembre 2000
Sommaire :
  • Les Jubilés de la Fraternité Saint-Pie X.
  • Les prières de guérison : un avertissement de Rome.
  • Disparitions.
  • Nouvelles.

I. Les jubilés de la Fraternité Saint-Pie X
On sait que la basilique Saint-Pierre a ouvert ses portes à la Fraternité Saint-Pie X venue en pèlerinage jubilaire à Rome. D’autres basiliques romaines se sont ouvertes pour les mêmes pèlerins, jusqu’à Sainte-Marie-Majeure où Mgr Fellay a pu célébrer la messe le 15 août.
C’est assurément un geste de grande charité à l’égard d’évêques et de prêtres que le Saint-Siège avait excommuniés. Il est moins connu, peut-être, que des marques de charité analogues ont été prodiguées dans plusieurs diocèses de France. Monsieur l’abbé Laurençon, supérieur pour la France de la Fraternité Saint-Pie X, a remercié “ pour leur bon accueil ” les évêques et prêtres de France.
Il l’a fait dans la très intéressante lettre trimestrielle de liaison de la FSPX avec le clergé de France (Lettre à nos frères prêtres, n° 8, décembre 2000, 15 F le numéro, à la Maison Lacordaire, 21150 Flavigny) :
“ Depuis le début de l’année, écrit M. l’abbé Laurençon, maintes cérémonies se sont organisées de-ci de-là en France, grâce à la bienveillance épiscopale et à la nombreuse participation des fidèles. Il m’est impossible de toutes les citer. Je pense bien sûr à cet après-midi d’Ascension où M. l’abbé Bouchacourt (Saint-Nicolas-du-Chardonnet) emmenait 3000 de ses fidèles à Saint-Sulpice, après permission cardinalice. Peu après (dimanche 18 juin), 1300 fidèles se retrouvaient dans la collégiale de Mantes-la-Jolie pour assister à une messe solennelle célébrée par un prêtre de la fraternité Saint-Pie X. Il faudrait également citer les 3500 pèlerins de Lisieux qui, le 14 octobre, remplirent la basilique. A Lourdes, la direction du sanctuaire accordait à nos 2500 laïcs réunis la basilique Sainte-Bernadette pour la messe dominicale. C’était le 29 octobre, à l’occasion de la fête du Christ-Roi. En sortant les ornements - offerts par Léon XIII s’il vous plaît ! - le sacristain, aimable et malicieux, déclara : “cela leur fera du bien de prendre l’air, ils n’ont pas servi depuis le concile“ ! A Nantes, Mgr Soubrier laissait sa cathédrale à la disposition de nos 1000 fidèles désireux d’y prier aux intentions de l’Eglise.
Enfin, un merci tout particulier à Mgr Billé, qui ouvrait Notre-Dame de Fourvière à nos fidèles lyonnais le premier dimanche de l’Avent.
(...) Arrêtons-nous là : mon but n’est pas d’être exhaustif, mais bien de remercier les évêques et prêtres qui, à chaque fois - sauf quelque part dans l’ouest bordelais ... -, se sont montrés bienveillants, accueillants, compréhensifs. Qu’ils en soient assurés : en ces jours, nous priâmes aussi afin que porte toujours plus grande soit ouverte au Christ. ”
Ainsi donc, en cette année jubilaire, les évêques de France et les autorités romaines ont pu faire droit, ponctuellement, aux fidèles et aux prêtres attachés à la Tradition. Ces petites hirondelles jubilaires ne font certes pas le printemps d’une restauration complète et durable. Mais le voeu de Mgr Lefebvre exprimé à Paul VI - Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition - est toujours un peu plus exaucé. Historiquement, c’est Jean-Paul II qui, par l’indult de 1984, aura ouvert la voie. Beaucoup, certes, reste à faire. Les catholiques fidèles au motu proprio Ecclesia Dei regrettent que les recommandations de Rome ne soient pas assez suivies d’effet ; les catholiques restés fidèles au choix de Mgr Lefebvre en 1988 jugent que les différends doctrinaux restent plus importants que les concessions liturgiques ponctuelles.
Mais il devient, de jour en plus, plus ridicule d’agir et de penser comme si, depuis la mort de Paul VI (1978), la Tradition n’avait pas reconquis des droits, que ce soit dans le domaine liturgique ou dans le domaine doctrinal.
On relèvera encore, dans le dernier numéro paru en français - de la revue italienne 30 Jours (n° 9, 2000) - ou, du moins, dans le français souvent approximatif, de la traduction - , un long entretien avec Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X. Il s’interroge sur l’opportunité de demander une audience au Pape mais déclare aussi : “ S’il m’appelle, je vais. Tout de suite. Ou plutôt, je cours. C’est certain. par obéissance. Par obéissance filiale à l’égard du chef de l’Eglise. ” Il estime encore : “ La situation [au Vatican] est telle que l’on peut imaginer que la recomposition de l’unité [avec la FSPX] se fera en un an, mais aussi en vingt. ”

II. Les prières de guérison : un avertissement de Rome.
Le 23 novembre dernier, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié une Instruction sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison. Curieusement, à ce jour, la Documentation catholique ne l’a pas encore publiée et la presse, d’habitude si prompte à s’emparer de toutes les déclarations et instructions romaines, s’est montrée très discrète.
Cette instruction vise, en fait, les multiples séances de prières de guérison qui se multiplient dans les communautés charismatiques. Et plus particulièrement les grandes assemblées de prières organisées régulièrement, dans le monde entier, autour de prêtres ou de religieuses qui prétendent exercer un “ ministère de guérison ” (cf. Yves Chiron, Enquête sur les miracles de Lourdes, Perrin, 2000, p. 191-200). Les plus célèbres “ guérisseurs ” des milieux charismatiques sont le père Tardif, décédé il y a quelque temps, soeur Briege Mc Kenna et le père Raymond Halter ; sans parler des milliers de charismatiques qui, dans leurs réunions de prière locales, prétendent exercer un charisme de guérison.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sans nommer les personnes, s’inquiète de ce “phénomène nouveau ”, du conditionnement psychologique qui s’y révèle, de “ l’attente ” que les responsables de ces réunions de prière s’efforcent de susciter artificiellement et de l’exaltation sans discernement d’“ un prétendu charisme de guérison ”.
Cette instruction, organisée en cinq parties doctrinales, se termine par des dispositions disciplinaires en dix articles.

III. Disparitions
Le père Michel André est décédé le 17 novembre dernier à Angers. Ses obsèques ont été célébrées par Mgr Fellay le 21 novembre.
Sa grande modestie a fait que sa vie restait peu connue, y compris des fidèles qui lui étaient attachés.
Il était né le 13 mars 1915 à Angers. Il fit d’abord des études de droit et de commerce (licence en droit à la Faculté Catholique d’Angers et Ecole Supérieure de Commerce d’Angers). Il fut aussi le créateur de deux troupes scoutes et accomplit une P.M.S. (Préparation Militaire Supérieure) qui lui permit de sortir de son service militaire avec le grade de lieutenant.
En 1937, il entra au noviciat des Pères du Saint-Esprit (spiritains) à Orly. Ordonné prêtre en 1944, il fut envoyé l’année suivante en Martinique. De 1947 à 1956, il fut professeur dans divers institutions spiritaines en métropole, avant de repartir en mission en Guinée, de 1956 à 1958, et en Argentine, de 1962 à 1971.
Face à la crise de l’Eglise, et sur les conseils de Mgr Lefebvre, il quitta l’Argentine et revint en France en 1971. En 1972, il créa, à Angers, l’Association Noël Pinot (A.N.P.), pour la défense de la messe traditionnelle et pour l’aide aux prêtres fidèles à cette messe.
Depuis sa création, plus de 2.000 prêtres ont appartenu à l’A.N.P. ; aujourd’hui ils sont quelque 735 adhérents ou sympathisants, en France et à l’étranger (notamment en Amérique du sud).
Cette même année 1972, il fondait un bulletin trimestriel, Introïbo. Ce bulletin de doctrine et d’informations connaîtra une grande diffusion puisque son tirage a atteint 6.000 exemplaires. On peut encore se procurer la collection complète d’Introïbo (de 1972 à 1999, soit 106 numéros, pour 200 F) au siège de l’A.N.P., 54 rue Delaâge, 49100 Angers.
Claude Mouton, bien connu pour ses travaux sur Claire Ferchaud et le général de Sonis, prépare une biographie du père André.
• Dom Guy Marie Oury est décédé à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes le 12 novembre dernier, à l’âge de 71 ans. Né à Tours en 1929, entré à l’abbaye de Solesmes alors qu’il n’avait pas encore dix-huit ans, il avait prononcé ses voeux solennels en 1952 et avait été ordonné prêtre en 1954.
Il occupa, au long de sa vie monastique, des charges très variées : cérémoniaire, lecteur de liturgie et de droit canonique, chapelain du monastère de bénédictines de Westfield (aux Etats-Unis), enfin, maître des novices.
Ce sont ses travaux historiques très nombreux (près de 80 livres et plus de 200 articles scientifiques) qui l’ont fait connaître d’un large public et reconnaître, par le milieu universitaire, comme un spécialiste de l’histoire de la spiritualité, notamment au XVIIe siècle. Il publia aussi, pendant quarante ans, de très nombreuses recensions dans l’Ami du clergé (devenu Esprit et Vie).
Dom Oury était devenu postulateur de la cause de béatification de dom Guéranger. Il avait achevé une biographie du grand restaurateur de la vie monastique et de la liturgie qui va paraître prochainement aux Editions de Solesmes (Abbaye Saint-Pierre, 72300 Sablé-sur-Sarthe).
On signalera encore que Dom Oury avait publié en 1975 La Messe de s. Pie V à Paul VI (éditions de Solesmes, 127 pages) pour répondre, expressément, aux livres de Louis Salleron et de da Silveira. Il voulait y montrer que le nouvel Ordo Missae “ s’insère sans véritable rupture dans la tradition liturgique de l’Eglise romaine ” et, pour ce, il apportait des réponses d’ordre canonique, théologique et liturgique.
On sait que la Congrégation de Solesmes, depuis la réforme liturgique, utilise le missel latin promulgué par Paul VI en 1969 ; à l’exception de l’abbaye de Fontgombault et de ses “ filles ” (les abbayes de Randol et de Triors et le prieuré de Gaussan) qui, elles, après 1988, ont pu revenir à l’usage du missel traditionnel.

IV. Nouvelles
A l’occasion du 25e anniversaire de la mort d’Henri Charlier (décédé le 24 décembre 1975), le peintre Albert Gérard, fondateur de l’Atelier de la Sainte-Espérance, organise au village du Barroux (rue de la Pératoure), une exposition. Y seront présentées, du 26 décembre au 6 janvier, puis de juillet à septembre 2001, des oeuvres d’Henri Charlier qui, avant d’être un écrivain, fut d’abord un sculpteur et un peintre de grand talent. Ses réflexions sur l’art ont été publiées, notamment, dans Le martyre de l’art, ou l’art livré aux bêtes (1957) et L’Art et la pensée (1972).
• Quinze ans après la parution en italien de l’ouvrage de Romano Amerio, Iota unum. Studio delle variazoni della Chiesa cattolica nel secolo XX, Enrico Maria Radaelli publie une très utile Introduzione a Iota unum (121 pages, 25.000 Lires, chez l’auteur : Via San Sisto 3, 20123 Milano).
En fait, l’ouvrage est autant une introduction au grand livre de R. Amerio (avec notamment un glossaire en vingt pages) qu’un recueil de documents et de notes inédites. Il comprend aussi une bibliographie complète de Romano Amerio.
On relève notamment un chapitre sur les rapports entre R. Amerio et Mgr Lefebvre et la publication de plusieurs recensions significatives parues en 1986 (dans la Civiltà cattolica, dans Jesus et aussi publication de la recension qui avait été demandée par l’Osservatore romano à don Angelo Paredi et qui n’a jamais été publiée...).
• Le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le Clergé et, depuis le 13 avril dernier, président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, a accordé un long et intéressant entretien à la Nef (n° 111, décembre 2000, 40 F le numéro, B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury). Il y évoque divers sujets : la crise des vocations dans le monde, la célébration de la messe dans l’ancien rite, la possible “ réforme de la réforme liturgique de 1969 ” et la crise de la Fraternité saint-Pierre.
Parmi ses propos, on relèvera une analyse statistique, très précise, sur le nombre des entrées au séminaire et le nombre des ordinations depuis 1975 : une tendance, mondiale, à la hausse, sauf en Europe : “ ce dernier continent est atypique, avec une forte chute jusqu’en 1975, une reprise tout aussi rapide jusqu’en 1986, et un nouveau fléchissement en certaines zones depuis 1991, qui est préoccupant pour ce qu’il peut signifier de perception du prêtre dans le peuple chrétien. ”
A propos de la “ réforme de la réforme liturgique de 1969 ”, le cardinal affirme : “ Rien ne s’oppose à ce que l’on puisse discuter certains aspects pratiques et certains choix concrets qui ont été faits, lors de l’élaboration de la réforme liturgique actuelle. En outre, la réalisation de la réforme, avec les années, réclamera certainement une oeuvre de révision. ”
• En août 1941, après l’adoption d’une nouvelle loi portant statut des Juifs, le Maréchal Pétain a demandé à son ambassadeur au Vatican, Léon Bérard, de consulter les autorités romaines.
Le 2 septembre suivant, Léon Bérard adressait un long rapport au Maréchal Pétain. Le Saint-Siège ne condamnait pas la législation adoptée par l’Etat Français mais regrettait seulement que le législateur se soit référé explicitement à la notion de “ race ”.
Ce rapport, souvent évoqué dans des polémiques récentes relatives à l’attitude de Pie XII pendant la IIe Guerre Mondiale, est très peu connu, même des historiens de la période, sans doute parce qu’il est quasiment introuvable depuis sa publication en octobre 1946 par la revue du C.D.J.C., Le Monde Juif. Je l’ai donc réédité intégralement, avec une présentation historique. Le Vatican et la question juive en 1941. Publication du rapport Bérard (25 pages, 35 F franco de port) est disponible auprès d’Alètheia.

lundi 20 novembre 2000

[Aletheia n°5] Rome condamne les apparitions de Sabana Grande - Medjugorje - Soeur Lucie témoigne - Nouvelles

Yves Chiron - Aletheia n° 5 - 20 novembre 2000
Sommaire :
I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande.
II. Medjugorje.
III. Soeur Lucie témoigne.
IV. Nouvelles.

I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande
En 1953, à Sabana Grande (Porto Rico), la Sainte Vierge serait apparue à trois enfants dans un lieu appelé “ El Pozo ” (le puits). Elle se serait révélée sous le vocable de “ La Vierge du Rosaire ” et serait apparue 33 fois. La dernière apparition aurait eu lieu le 25 mai 1953, accompagnée d’un prodige solaire qui rappelle la “danse du soleil” à Fatima. Des guérisons auraient eu lieu ensuite. Les messages délivrés à Sabana Grande connurent et connaissent encore une grande diffusion non seulement à Porto Rico mais aussi aux Etats-Unis, au Mexique, en République dominicaine et jusqu’en Espagne. A partir de 1978, le voyant principal de 1953, Juan Angel Callado, aurait reçu à nouveau sept messages de la Vierge. Cela relança, semble-t-il, la dévotion envers la “ Vierge du Rosaire ”. Une association de fidèles fut constituée sous le nom d’“ Association pour la dévotion à la Vierge du Rosaire ”. Elle fut approuvée par la Conférence Épiscopale Portoricaine le 28 mai 1986 ( “ sin pasar juicio alguno ” sur les supposées apparitions). L’Association se montra dès lors très active par des réunions de prières, l’édition de brochures et d’un bulletin.
L’abbé René Laurentin, dans son ouvrage classique Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui (Fayard, février 1991, 3e édition mise à jour) évoque les faits de Sabana Grande (p. 179-180) mais il ignore les mises en garde et les jugements de l’Eglise sur le sujet.
Mgr Fernando Felices Sanchez, chancelier de l’archevêché de San Juan (Porto Rico), m’a envoyé copie de tous les documents officiels sur le sujet, jusqu’à la récente condamnation romaine :
- le 3 avril 1989, au terme d’une enquête canonique sur les faits de Sabana Grande, situé dans son diocèse, Mgr Ulises Casiano Vargas, évêque de Mayagüez, publiait un décret affirmant que les faits étudiés ne répondaient pas “ aux critères établis par la Congrégation pour le foi en matière d’apparitions de la Vierge ” et ne permettaient pas d’“ établir leur origine surnaturelle ”.
- le 7 octobre 1989, les évêques de la Province Ecclésiastique de Porto-Rico (PEPC), publiaient un très long décret. Ils déclaraient que les supposées apparitions n’avaient aucune origine surnaturelle et ils retiraient l’approbation canonique qui avait été donnée jadis à l’Association. Les fidèles avaient désormais interdiction d’y adhérer et de se rendre au “ sanctuaire ” établi sur le lieu des prétendues apparitions.
- le 6 avril 1991, la PEPC réitérait son décret du 7 octobre 1989.
- le 3 octobre 1995, le Conseil Pontifical pour les Laïcs, saisi d’un recours par l’Association pour la Dévotion à la Vierge du Rosaire, confirmait que la Conférence Épiscopale Portoricaine avait respecté le droit en révoquant la reconnaissance canonique accordée jadis à la dite-Association.
- le 17 mars 1997, par une triple déclaration (“ A tous les prêtres de Porto Rico ”, “ Aux dévots de la Vierge du Rosaire du Puits ”, “ A tous les fidèles de l’Eglise catholique à Porto Rico ”), la Conférence Épiscopale Portoricaine renouvelait sa condamnation et ses interdictions.
Ces différents actes de l’Eglise enseignante n’ont pas suffi à faire cesser la dévotion à la Vierge du Rosaire de Sabana Grande, les pèlerinages sur les lieux et la diffusion des messages. Aussi, lors de leur visite ad limina à Rome, les évêques de Porto Rico ont-ils demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de se prononcer sur les prétendues apparitions. Le 25 août 2000, après étude du dossier, Mgr Bertone, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a adressé une lettre à Mgr Casiano Vargas, évêque de Mayagüez. La Congrégation romaine fait sien le jugement prononcé le 3 avril 1989 et estime, à son tour, que la surnaturalité des faits n’a pas été établie ( “ no consta la sobrenaturalidad de las presuntas “apariciones” de la Ssma. Virgen Maria en el Pozo de Sabana Grande ”).

II. Medjugorje
Cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les faits de Sabana Grande est une nouvelle illustration de l’attitude de l’Eglise en matière d’apparitions et révélations privées. De manière habituelle, et comme le prévoit le Droit canon (l’ancien comme le nouveau), c’est à l’évêque du diocèse où se déroulent les faits que revient la responsabilité d’enquêter et de porter un jugement. La Conférence Épiscopale peut être appelée à se prononcer à son tour. Mais, à l’encontre de ce qu’affirment certains auteurs, le Saint-Siège peut être amené aussi à intervenir en dernière instance, à la demande de l’ordinaire du diocèse. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1934, la Congrégation du Saint-Office a jugé que les apparitions et révélations d’Ezquioga (en Espagne) étaient “ dépourvues de tout caractère surnaturel ”.
Peut-être un jour - et c’est à souhaiter - la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se prononcera-t-elle de manière définitive sur les prétendues apparitions de Medjugorje, dans le diocèse de Mostar, comme elle l’a fait sur celles de Sabana Grande. Pour le moment, la Congrégation s’est contentée de rappeler, par une lettre en date du 26 mai 1998, la déclaration de la Conférence Épiscopale de l’ex-Yougoslavie, en 1991 ( “ Sur la base des investigations jusqu’ici conduites, il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelles ”) et d’estimer que la position de l’évêque de Mostar, Mgr Peric - “ constat de non supernaturalitate ” - était l’ “ expression d’une conviction personnelle ” La même Congrégation estime que les faits de Medjugorje “ demandent encore un examen par l’Eglise ”.
En 1998, après avoir publié plusieurs dizaines d’ouvrages sur Medjugorje et avoir mis au service de cette cause sa réputation de théologien et de mariologue, l’abbé René Laurentin avait annoncé, qu’à la demande de Mgr Peric, il cessait de publier sur le sujet. L’annonce était faite dans le volume 17 années d’apparitions à Medjugorje. Testament (éditions F.-X. de Guibert, 1998).
L’abbé Laurentin a changé d’avis. Il fait paraître un nouveau volume : Medjugorje. 18 années d’apparitions (F.-X. de Guibert, 148 pages). Le titre du livre, sa présentation, sa composition sont exactement à l’identique des dix-sept volumes précédemment parus. La seule différence est que l’abbé Laurentin n’en est plus officiellement l’auteur, il en est seulement le préfacier, son nom apparaît en gros caractères sur la couverture ...
Les ouvrages relatifs à Medjugorje et les bulletins qui diffusent les messages que la Vierge continuerait à y délivrer chaque mois sont innombrables, en toutes langues. Les études qui contestent l’authenticité des apparitions sont moins nombreuses et moins connues. Il n’est peut-être pas inutile de donner la liste des principales d’entre elles :
- Ivo Sivric, o.f.m., La Face cachée de Medjugorje, Editions Psilog, Saint-François-du-Lac (Canada), 1988, 399 pages.
- E. Michael Jones, Medjugorje : the untold story, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1988, 144 pages.
- frère Michel de la Sainte Trinité, Medjugorje en toute vérité, Editions de la Contre-Réforme Catholique, Saint-Parres-lès-Vaudes, 1991, 519 pages.
- Michael Davies, Medjugorje after fifteen years : the message and the meaning, The Remnant Press, St. Paul (Etats-Unis), 1997, 79 pages.
- E. Michael Jones, The Medjugorje Deception. Queen of Peace, ethnic cleansing, ruined lives, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1998, 385 pages.
- Joachim Bouflet, Medjugorje ou la fabrication du surnaturel, Editions Salvator, Paris, 1999, 243 pages.
Dans mon Enquête sur les apparitions de la Vierge (Perrin/Mame, 1995), j’ai évoqué les faits de Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Apparitions controversées ” et dans l’Enquête sur les miracles de Lourdes (Perrin, 2000) j’ai évoqué les supposées guérisons survenues à Medjugorje ou en lien avec Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Des miracles dans d’autres sanctuaires ”.
Ajoutons que le père Ivo Sivric, franciscain, natif de Medjugorje, longtemps professeur à l’université Duquesne, de Pittsburgh, va publier en 2001, avec Louis Bélanger, une nouvelle étude critique sur les “ apparitions yougoslaves ”, celles de Medjugorje mais aussi celles qui ont fleuri aux alentours, avant et après 1981, et qui n’ont pas eu le retentissement de celles de Medjugorje.

III. Soeur Lucie témoigne
Les entretiens accordés par soeur Lucie, en octobre 1992, au cardinal Padiyara et, en octobre 1993, au cardinal Vidal, sont contestés par certains (cf. les précédents numéros d’Alètheia) parce que la voyante de Fatima y exprime sa conviction que la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 a enfin correspondu à ce que la Vierge avait demandé.
Certains estiment que ces entretiens (dont la retranscription est parue en français sous le titre Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, 117 pages) sont emplis d’affirmations que, selon eux, soeur Lucie n’aurait jamais pu faire. D’autres vont jusqu’à mettre en doute l’existence-même de ces entretiens.
J’ai déjà cité une lettre du cardinal Vidal, archevêque de Cebu (Philippines), confirmant qu’il existait bien un enregistrement vidéo de l’entretien qu’il avait eu en 1993 avec soeur Lucie. On peut ajouter que Carlos Evaristo, présent aux deux entretiens comme interprète, possède cet enregistrement (dans le système vidéo américain NTSC) et qu’il possède aussi un enregistrement audio de trois heures (les deux heures de l’entretien de 1992 et l’heure de l’entretien de 1993).
Le débat - si débat il y a - ne devrait donc pas porter sur l’authenticité des entretiens et de leur retranscription mais sur les arguments avancés par soeur Lucie. Aucun de ceux qui contestent ces entretiens de 1992 et 1993 ne s’est livré à une analyse détaillée des raisons données par soeur Lucie.

IV. Nouvelles
Une commission d’enquête sur les apparitions de la Vierge à l’Ile-Bouchard, en 1947, a été instituée par le nouvel archevêque de Tours, Mgr Vingt-Trois.
• Le Bureau Médical de Lourdes (65108 Lourdes) a élaboré un nouveau document de référence pour définir sa mission : le discernement des guérisons . Ce document de quatre pages, intitulé “ De la guérison au miracle ”, a été approuvé par le recteur des sanctuaires et par l’évêque de Tarbes-Lourdes. Il a été publié par le Bulletin du Bureau Médical (n° 272, octobre 2000). Il est disponible aussi en tiré à part, en cinq langues, et sur le site internet de Lourdes.
Yves Nicolazic, mort en 1645, a été le bénéficiaire d’une apparition de sainte Anne, à l’origine du grand sanctuaire breton d’Auray. Son procès de béatification avait été ouvert en 1937 puis avait été plus ou moins délaissé. Il a été réouvert par l’évêque de Vannes. Une commission diocésaine a été créée et les premiers résultats de ses travaux ont été déposés à la Congrégation pour les causes des saints.
• Du vivant de Paul VI, et après sa mort pendant plusieurs années, des écrits ont circulé qui affirmaient que le “ vrai ” Paul VI était séquestré et qu’il avait été remplacé par un sosie. Ces affirmations rocambolesques se fondaient sur de supposées apparitions de la Vierge, sur de prétendus exorcismes, sur des photographies et sur des sonogrammes. Cette rumeur, répandue dans certains milieux traditionalistes, permettait, semble-t-il, de faire porter la responsabilité de la crise de l’Eglise non au pape légitime mais à son sosie, manoeuvré par les francs-maçons.
Une rumeur proche commence à se répandre à propos de Jean-Paul II. Alain Kérizo et Louis Long, dans L’Eglise à l’aube du IIIe millénaire. Apostasie ou résurrection (Editions Sainte-Jeanne d’Arc, Villegenon, 1999, 52 pages), dressent une liste des “ anomalies certaines ” qui, selon eux, attestent de la manifestation “ du Mystère d’Iniquité à l’oeuvre sous les voûtes du Vatican ”. Dans cette liste, on trouve : “ le triple assassinat probable du colonel des gardes suisses, de son épouse et de son ordonnance en mai 1998 ; il est confirmé que ce colonel avait été le sosie de Jean-Paul II, qu’il semble avoir remplacé dans certains déplacements jusque dans le début des années 1990” (p. 37).
La même élucubration est reprise à la page 26 d’un roman à clefs, publié par deux auteurs qui signent du pseudonyme Napoléon et Lafayette : Opération M.S.H., la dernière croisade humanitaire (Editions Sainte Jeanne d’Arc, Villegenon, 2000, 234 pages).

mercredi 18 octobre 2000

[Aletheia n°4] Le Syllabus de Pie IX - Fallait-il béatifier Jean XXIII? - A propos de Dominus Jesus - Trois livres sur le Troisième secret de Fatima

Aletheia n° 4 - 18 octobre 2000

Sommaire :
I. Le Syllabus de Pie IX.
II. Fallait-il béatifier Jean XXIII ?
III. A propos de Dominus Jesus.
IV. Trois livres sur le Troisième secret de Fatima.
V. Nouvelles.

I. Le Syllabus de Pie IX
En 1967, l’éditeur anticonformiste Jean-Jacques Pauvert avait réédité, dans la collection “Libertés”, l’encyclique Quanta Cura et son complément le Syllabus. Ces deux actes, que Pie IX avait promulgués en 1864, étaient réédités par l’abbé Armogathe en même temps que d’autres documents d’époque : la lettre du cardinal Antonelli, Secrétaire d’Etat de Pie IX, qui accompagnait l’envoi officiel des documents aux évêques du monde entier ; et, en annexes, la reproduction intégrale de la grande encyclique antilibérale de Grégoire XVI, Mirari Vos ; des extraits de la brochure de Mgr Dupanloup, La Convention du 15 septembre et l’Encyclique, où le célèbre évêque d’Orléans interprétait à sa manière, réductionniste, les deux actes pontificaux ; deux articles du libéral Forcade, dans la Revue des Deux-Mondes, très critiques envers “ce pénible document” ; enfin des extraits du féroce livre de Louis Veuillot, L’Illusion libérale.
A l’occasion de la récente béatification de Pie IX, une nouvelle édition du Syllabus est parue, mais sans l’encyclique Quanta cura dont elle était le complément. Dans Le Syllabus de Pie IX (éditions du Cerf, 109 pages, 75 F), publié par Paul Christophe et Roland Minnerath, on trouve donc le texte latin intégral du document et, en regard, sa traduction française. Le document est précédé d’une longue présentation historique par l’abbé Paul Christophe et il est suivi d’un commentaire théologique dû à Mgr Roland Minnerath, professeur à la faculté de théologie catholique de Strasbourg et membre de la Commission théologique internationale.
Ce dernier juge nécessaire de distinguer, dans le Syllabus,
les affirmations qui relèvent des principes immuables de la foi, et celles qui sont relatives aux conditions spécifiques de la vie de l’Eglise dans la deuxième moitié du XIXe siècle. A cet égard, il est apparu que nombre de considérations étaient devenues obsolètes et ne présentaient plus qu’un intérêt historique, comme les sections consacrées aux relents de régalisme et de jurisdictionnalisme d’Ancien Régime, aux immunités et autres dispositions du droit public de l’Eglise qui avaient alors cours. Bien des questions comme l’angoisse de la papauté de perdre son autonomie avec la perte de ses états ont été réglées. D’autres ont changé de paramètres avec l’évolution même des Etats modernes et de leur attitude envers les religions.
Cependant, les affirmations du Syllabus concernant la doctrine de la foi s’inscrivent dans la tradition constante de l’Eglise (...) Ainsi le rationalisme et l’indifférentisme sont-ils toujours plus d’actualité. Ils ne sont plus une nouveauté qui choque, ils sont devenus des caractéristiques de la culture contemporaine, imperméable à l’affirmation centrale de la vision chrétienne de la société, à savoir que le Dieu révélé de la Bible est aussi le créateur de la raison humaine.”
Dans un long article paru dans La Croix, le 2 octobre, Emile Poulat, avec sa rigueur questionnante habituelle, estime :
“Le Syllabus ne nous est plus immédiatement compréhensible : qui peut encore deviner à qui et à quoi pensait Pie IX ? Il nous manque encore un grand commentaire à la façon du P. Lagrange pour les Évangiles. Sa rédaction et son intelligence soulèvent bien des questions. Paul Viollet, membre de l’Institut, professeur d’histoire du droit civil et du droit canonique à l’Ecole nationale des Chartes, catholique dreyfusard, les avaient posées en 1904. La revue jésuite Etudes l’avait aussitôt traité de “ théologien improvisé ”. Elles attendent toujours leur réponse.
(...) Tout a changé depuis Pie IX - situations, problèmes, langages, sensibilités, attitudes -, tout sauf les enseignements fondamentaux de l’Eglise, et sauf le conflit fondamental générateur de ce monde nouveau qui est le nôtre, et de son humanisme séculier “ dans sa terrible stature ”, selon les propres paroles de Paul VI à la clôture de Vatican II.”

II. Fallait-il béatifier Jean XXIII ?
Comme en écho à l’article de Jean Madiran sur Jean XXIII, daté de 1963, que je citais dans le numéro 3 (daté du 5 septembre), Présent, à son tour, dans son numéro du 9 septembre, en cite de courts extraits assortis d’un commentaire, non signé, qui dit notamment :
“L’insistance obsessionnelle et déformante des médias à dominante maçonnico-marxiste a réussi, semble-t-il, à faire croire à beaucoup de “ traditionalistes ” qu’ils étaient les ennemis de Jean XXIII et que Jean XXIII était leur ennemi ; et à faire croire aux “ progressistes ” que Jean XXIII a désiré toutes les démolitions liturgiques et morales qu’en réalité il voulut empêcher, mais il n’y est pas arrivé, le déferlement étant quasiment irrésistible.”
Ces lignes, anonymes, surprennent par leur faiblesse d’argumentation. Quelques jours plus tard, toujours dans Présent (16.9.2000), Jeanne Smits et Olivier Mirande ont publié un reportage sur les béatifications du 3 septembre. L’essentiel de leur article est constitué de notices biographiques sur les cinq nouveaux bienheureux, notices inspirées pour la plus grande part du livret distribué ce jour-là, Place Saint-Pierre, aux pèlerins et fidèles venus assister à la béatification. La notice de Jean XXIII a été enrichie, néanmoins, par les deux journalistes, de remarques visant à faire de ce pape “un garant des traditions”. Et les deux auteurs de rappeler Veterum sapientia où Jean XXIII “défendant l’usage du latin et des autres langues sacrées contre l’emploi du vernaculaire, non seulement en recommande l’étude et l’emploi, mais demande qu’il soit restauré là où il a été abandonné.”
Sur Veterum sapientia, il y a intérêt à lire ce qu’en dit Peter Hebblethwaite dans sa biographie de Jean XXIII (Le Centurion, 1988, p. 445-446) : un texte de circonstance, une concession, qui s’avèrera incompatible avec d’autres actes du même pape. Il y a lieu, aussi, de se souvenir de la réponse de Jean XXIII à Mgr Lefebvre qui le félicitait de Veterum sapienta :
- Oh, les encycliques... Il faut en prendre et en laisser.
Plus satisfaisant que les maigres défenses de Jean XXIII parues dans Présent les 9 et 16 septembre, on se reportera au texte publié entre temps par Jean Madiran (13.9.2000). Ses lignes accompagnaient une large reproduction de son éditorial paru dans Itinéraires en 1963. Jean Madiran écrit aujourd’hui :
“Si j’avais dû, ce qu’à Dieu ne plaise, donner un avis sur la béatification du pape Jean XXIII, ou si je devais le faire à son (prochain ?) procès de canonisation, j’avoue que j’aurais fortement tendance à remettre en cause l’ “ l’héroïcité des vertus ”, et leur “ connexion ”, qui lui ont été reconnues. J’invoquerais là-contre sa manière de pratiquer la vertu cardinale de prudence dans le gouvernement de l’Eglise.
Ce que le P. Congar, avec une gourmandise ravie, appelait “ la révolution d’Octobre dans l’Eglise”, par une singulière référence à l’octobre 1917 de Lénine, a bien commencé sous le pontificat de Jean XXIII, et à l’occasion du concile Vatican II dont il a pris l’initiative. Mais ce n’est pas Jean XXIII qui a conduit la suite et la fin du concile ni l’après-concile, et le parti progressiste lui a fait gloire d’une révolution qu’en réalité il ne voulait pas et qu’il n’a pas su empêcher.
Mais j’aurais sans doute eu tort. Le jugement porté là-dessus par la béatification, qui n’est pas infaillible, mas dont il y aurait “ témérité coupable ” à ne tenir aucun compte, signifie peut-être que cette révolution dans l’Eglise était une déferlante diabolique telle que rien, sur le moment, n’aurait pu l’arrêter.”
Enfin, pour nourrir le dossier et la réflexion, on doit signaler les nombreux documents que la revue Sel de la Terre (Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé) publie, dans son n° 34, sous le titre : “Bienheureux Jean XXIII ?” (p. 221-237).

III. A propos de Dominus Iesus
Le 5 septembre dernier, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Ratzinger, a présenté une déclaration, Dominus Iesus, “Sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise”.
On doit remarquer d’abord que cette déclaration, datée du 6 août, n’a été rendue publique que le mardi 5 septembre, soit deux jours après la béatification de Pie IX. Ce n’est sans doute pas une coïncidence. Certains commentateurs, hostiles, ne s’y sont pas trompés qui y ont vu un “nouveau Syllabus”. L’abbé Claude Barthe, lui, dans un long commentaire paru dans le n° 69 de la revue Catholica (B.P. 246, 91162 Longjumeau Cedex), relève une autre coïncidence : le cinquantenaire de la grande encyclique Humani generis (12 août 1950).
L’encyclique de Pie XII était toute dirigée, sans les nommer, contre les tenants de la “nouvelle théologie” et certaines de leur doctrine. Domini Iesus est dirigé contre les thèses aventurées en matière de théologie des religions et les affirmations intempestives qui entourent le dialogue interreligieux et le dialogue oecuménique. Semble être particulièrement visé, quoique non nommé, l’ouvrage qui fait référence en la matière : Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux du père Jacques Dupuis, jésuite.
Sans entrer dans une analyse complète du document, on doit relever son intention formelle : “remédier à [une] mentalité relativiste toujours plus répandue”. Sans reprendre l’antique formule anathema sit, le Préfet de la Congrégation procède par affirmations claires, avec des formules qui ne le sont pas moins : “Est donc contraire à la foi de l’Eglise la thèse ....”, “Il est donc contraire à la foi catholique de ...”, “Elle n’est donc pas compatible avec la doctrine de l’Eglise la théorie...”, etc.
La Croix a engagé, dès le document connu, une véritable campagne d’opposition. Michel Kubler, rédacteur en chef du seul quotidien catholique reconnu comme tel par l’épiscopat français, publiait dès le 6 septembre, à la une, un éditorial furieux contre “des anathèmes dignes du Syllabus” et “des catégories qui relèvent de la préhistoire en matière d’oecuménisme catholique”. Le 18 septembre, c’était un des théologiens collaborateurs réguliers du journal, le père Bruno Chenu, qui estimait : “le cardinal Ratzinger se livre à une lecture réductrice de Vatican II, au point de mettre en péril l’intention même du concile.” Lui aussi établissait un parallèle entre Dominus Iesus et le Syllabus : “Dans son dernier texte, la Congrégation offre surtout un catalogue de citations de documents récents, conciliaires ou pontificaux, avec une pratique pas toujours très judicieuse du “ copier-coller ”.” Et de s’inquiéter : “Serions-nous revenus en-deçà de Vatican II ?”.
Le 19 septembre, la Croix poursuivait sa campagne en publiant une interview de Mgr Fitzgerald, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. En termes clairs, celui-ci déclarait : “Dominus Iesus ne change rien à notre attitude envers eux [les représentants des autres religions], qui reste fondée sur la déclaration Nostra aetate de Vatican II.” Le 25 septembre encore, le journal publiait un entretien avec l’historien Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de sant’Egidio et organisateur de rencontres interreligieuses dans la suite du rassemblement de prière d’Assise (le 27 octobre 1986). Andrea Riccardi, lui aussi, semble vouloir passer outre au document romain : “Notre travail doit continuer dans l’esprit qui fut celui d’Assise et qui est aussi celui de Redemptoris missio, l’encyclique missionnaire de Jean-Paul II.”
Cette façon d’opposer le cardinal Ratzinger à Jean-Paul II était déjà celle de Michel Kubler, dans l’éditorial cité. Il y revenait en présentant un “Forum” - deux pleines pages - consacré au document romain. Pourtant, Jean Madiran l’avait souligné dans Présent , dès la parution du document, Jean-Paul II n’a pas seulement approuvé le document publié par le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il l’a revêtu d’une autorité particulière. Le document se termine par une déclaration solennelle :
“Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, au cours de l’audience accordée le 16 juin 2000 au soussigné cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avec science certaine et son autorité apostolique a approuvé la présente Déclaration, décidée en session plénière, l’a confirmé et en ordonné la publication.”
On peut donc lire cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi non comme la manifestation de “clivages entre sphères du Vatican” (M. Kubler), mais comme une manifestation de plus d’une des tendances majeures du pontificat, sous-estimée par certains. Dominus Iesus est, après le Catéchisme de l’Eglise Catholique, Donum vitae, Ordinatio sacerdotalis, Fides et ratio, un acte restaurateur et clarificateur.
On peut aussi, peut-être, le lire à la lumière du motu proprio Ecclesia Dei Afflicta (2 juillet 1988) où Jean-Paul II exhortait à “un effort renouvelé d’approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du concile avec la Tradition.” A cet égard, il semble que l’on puisse s’attendre, à l’avenir, à une déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la liberté religieuse.

IV. Trois livres sur le secret de Fatima
Dans le prolongement de la béatification de deux des voyants de Fatima et de la révélation du “troisième secret”, trois livres méritent d’être signalés :
• Aura Miguel, Le Secret de Jean-Paul II, Mame-Plon, juillet 2000, 255 pages, 118 F.
Aura Miguel est la seule journaliste portugaise accréditée au Vatican. A ce titre, elle a suivi le pape dans nombre de ses voyages, notamment ceux effectués au Portugal. Son livre a été publié en portugais avant la béatification du 13 mai dernier et la révélation du “troisième secret”. La traduction française, en revanche, contient un complément où tous les documents officiels relatifs à ce dernier événement sont publiés, suivis d’un commentaire d’Aura Miguel.
Son livre ne raconte pas une énième fois les apparitions de la Sainte Vierge à Fatima. Il s’agit d’un récit, très circonstancié, du lien privilégié de Jean-Paul II avec Notre-Dame de Fatima, depuis l’attentat dont il a été victime le 13 mai 1981. Comment Jean-Paul II a littéralement découvert le message de Fatima et les demandes de la Vierge à partir de cette date et comment il a essayé, pas à pas, d’y répondre. Un livre convaincant, très bien informé, avec nombre de détails significatifs. Telle cette déclaration, oubliée, du cardinal Ottaviani, en 1967, à propos du “troisième secret” qu’il avait lu:
“Le secret n’intéresse que le Saint-Père, à qui il était destiné. Il en était le destinataire. Et tant que le destinataire ne décide pas de dire “ c’est maintenant le moment de le faire connaître au monde ”, nous devons faire confiance à sa sagesse et le conserver secret.”
Soeur Lucie, en 1992, avait dit la même chose au cardinal Padiyara (Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, p. 64).
• Andrea Tornielli, Fatima. Il segreto svelato, Piero Gribaudi Editore, Milan, juillet 2000, 144 pages, 15.000 L.
Andrea Tornielli, vaticaniste du grand quotidien de droite italien Il Giornale, publie un livre où, à côté de choses bien connues, on en trouve d’autres, curieuses, parfois stupéfiantes. L’approbation tacite, silencieuse, donnée par soeur Lucie à un prêtre italien, don Luigi Bianchi, spécialiste de Fatima, qui lui exposait, en 1991, une interprétation du 3e secret en lien avec la crise doctrinale de l’Eglise (p. 78). Les confidences du cardinal Luciani - le futur Jean-Paul Ier - après le long entretien qu’il eut avec soeur Lucie, en juillet 1977, entretien au cours duquel la religieuse carmélitaine annonça au pape qu’il serait pape et d’autres événements, sans doute (p. 95-99). On relèvera encore (p. 102-104), à propos de Jean-Paul Ier, la vision de sa mort qu’a eue une mystique allemande, soeur Erika Holzach. Cette vision est rapportée dans un ouvrage qu’a édité en 1988 le grand théologien Hans Urs von Balthasar, créé cardinal par Jean-Paul II justement cette année-là (un mois avant sa mort). Pour ne pas ajouter une traduction à la traduction, je cite ici la version italienne de la vision :
Ieri sera, quasi alla fine della preghiera ... mi è stato dato di conoscere qualcosa in modo molto chiaro : nella notte in cui fu ucciso due uomini entrarano nella stanza da letto del Papa. Il primo aveva une siringa, l’altro doveva solo fare la guardia. Ma il Santo Padre si è svegliato e ha capito subito che lo volevano uccidere. Ha visto anche il secondo uomo, non poteva e non voleva difendersi. Ho accettato volontariamente di morire per amore. Tutto è successo molto velocemente. La cara Madre di Dio mi ha rivelato che il Santo Padre si è consegnato totalmente nell’ultimo instante, raccomandando a lei anche la Chiesa e il futuro Papa.”
Voilà qui semblerait pouvoir renforcer la thèse de ceux qui identifient le pontife de la vision de Fatima avec Jean-Paul Ier (à nouveau, dans le dernier numéro de la Contre-Réforme Catholique au XXe siècle, septembre 2000, Maison Saint-Joseph, 10260 Saint-Parres-lès-Vaudes). Encore faudrait-il savoir quel crédit accorder à la mystique Rika Holzach, décédée en 1987.
• Laurent Touchagues et Thierry Boutet, Fatima. trois secrets, un message, Edifa (15-27 rue Moussorgski, 75895 Paris cedex 18), 96 pages, 75 F.
C’est, à ce jour, l’ouvrage le plus complet, le plus précis et le plus agréable consacré à Fatima dans la perspective du 3e secret. Sur deux points controversés - la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 correspond-elle bien à ce qu’a demandé la Vierge et soeur Lucie a-t-elle approuvé formellement cette consécration ? - on appréciera les réponses nuancées des deux auteurs (p. 32 et 33). On relèvera notamment cette appréciation, empreinte non d’une mentalité mécaniste, positiviste mais d’un esprit spirituel et surnaturel :
“Il est donc probable que les actes de 1982 et 1984, même s’ils n’ont pas été faits exactement comme Notre-Dame de Fatima le souhaitait, ont été entendus du Ciel et ont mérité à la Terre des adoucissements. Ceux-ci se sont traduits en particulier par des changements intervenus à l’Est.”
On doit même remonter à Pie XII et, comme l’a rappelé Jean Madiran dans un grand article du journal Présent (2.9.2000), rendre justice à ce pape qui, le premier, a fait apparaître le nom de Fatima dans un document pontifical et qui, le premier, “avait confié l’Eglise, le monde et la Russie au Coeur Immaculé de Marie”. “Si Pie XII n’a pas tout fait, comme l’écrit Jean Madiran, du moins a-t-il fait beaucoup ; et beaucoup enseigné. Cela ne sera pas oublié.” Et cela ne fut pas sans effet surnaturel.

V. Nouvelles
• Cette année, l’abbaye Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux) fête le 30e anniversaire de sa fondation. Dom Gérard décrit comment “un certain 25 août 1970, un petit moine débarquait en mobylette avec ses maigres bagages pour commencer l’étrange aventure”, dans un prieuré du XIe siècle, à Bédoin. Le dimanche 21 mai, 1.500 fidèles purent visiter le monastère qui ouvrait ses portes, exceptionnellement clôture comprise. Le 1er octobre dernier, c’est une cérémonie solennelle qui a vu le cardinal Medina célébrer la messe dans l’église de l’abbaye. Le cardinal Medina, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline ecclésiastique, est le cinquième cardinal à célébrer la messe traditionnelle au Barroux.
L’abbaye compte aujourd’hui 65 moines. Quelque 300 oblats lui sont liés. L’abbaye publie régulièrement un bulletin (Les Amis du monastère, 95 numéros parus à ce jour) et des livres. Parmi les derniers parus, une nouvelle traduction des Homélies sur les Évangiles de saint Grégoire le Grand (620 pages, 190 F).
• Giuseppe Alberigo, directeur de l’Institut pour les sciences religieuses de Bologne, est le maître d’oeuvre d’une “Histoire du concile Vatican II”, rédigée par des historiens de différents pays et dont les volumes sont traduits simultanément en plusieurs langues. Le IVe volume, portant sur la période septembre 1964-1965, est paru en Italie mais n’est pas encore traduit en français. Il a fait l’objet d’un grand article - une pleine page sur quatre colonnes - de L’Osservatore Romano (31.1/1.2.2000). L’article, très critique, est dû à Mgr Agostino Marchetto, de la Secrétairerie d’Etat. Il estime que l’ouvrage est empreint “d’une animosité non scientifique” à l’encontre de la “minorité” et qu’il offre une lecture “idéologique” de l’événement et des débats qui ont eu lieu, particulièrement, au cours de la IIIe session.

mardi 5 septembre 2000

[Aletheia n°3] La double béatification

Aletheia n°3 - 5 septembre 2000

1. Les raisons d’une double béatification

Si l’on se réfère à l’Annuario Pontificio qui, en tête de chacun de ses volumes, publie la liste chronologique de tous les Souverains Pontifes, 78 papes ont été canonisés et 8 ont été béatifiés. La béatification de Pie IX et de Jean XXIII, le 3 septembre dernier,vient donc porter à 10 le nombre des papes béatifiés. Un pape sur trois qu’a comptés l’Eglise a donc, à ce jour, été canonisé ou béatifié.
La béatification de Pie IX et de Jean XXIII a ceci de particulier qu’elle intervient le même jour. C’est la première fois que deux papes sont béatifiés en même temps. Il ne s’agit pas là, on s’en doute, d’un hasard du calendrier. Guillaume Goubert, dans la Croix (31.8.2000), croit avoir découvert une des “clés romaines de la double béatification” : on a dû “relancer la béatification de Pie IX afin d’éviter une trop grande personnalisation de Jean XXIII”.
Selon nos sources d’information, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Jean-Paul II voulait béatifier un pape dans cette année du Jubilé pour honorer aussi, à côté des martyrs et des autres saints, un successeur de saint Pierre. La cause de Pie IX était, de loin, la plus avancée puisque le décret sur l’héroïcité des vertus était promulgué depuis 1985. A cette époque, les oppositions à une future béatification avaient été vives, quoique assez feutrées. Jean-Paul II crut nécessaire, en 1987, d’instituer une commission spéciale chargée de se prononcer sur l’ “opportunité” de cette béatification. Deux des sept membres de cette commission jugèrent la béatification inopportune (le père Giacomo Martina, jésuite, et le chanoine Roger Aubert, tous deux éminemment historiens de Pie IX). Pendant plusieurs années, Jean-Paul II sembla donc se ranger à l’avis de cette minorité.
Quand et pourquoi a-t-il changé s’est-il finalement résolu à passer outre à ces avis négatifs ? Quelques hypothèses peuvent être avancées. En tout cas, c’est bien la béatification de Pie IX qui a été décidée la première en vue du Jubilé. C’est alors que certains cardinaux progressistes ont fait part, avec insistance, de leur crainte de voir la béatification du pape du Syllabus mal comprise et de la nécessité de la contre-balancer par celle de Jean XXIII.
La cause de celui-ci fut donc accélérée. Cela apparaît clairement si l’on examine la chronologie de la procédure (dates relevées dans les deux dernières éditions de l’Index ac Status Causarum, 1988 et 1999) :
- ouverture du procès ordinaire le 21 décembre 1974 ;
- décret sur la validité des procès le 6 mai 1988 ;
- nomination d’un rapporteur en 1990 ;
- dépôt de la “Positio super Virtutibus” le 15 juillet 1997.
Quand la Congrégation des Causes des Saints a publié sa dernière édition de l’Index ac Status Causarum, en novembre 1999, aucune étape nouvelle n’avait été franchie. Elles le furent à un rythme accéléré. Le 20 décembre 1999, fut promulgué le “Decretum super virtutibus”. Ce qui signifie que les pièces du procès de béatification ont été examinées en un an et demi, soit une procédure menée dans un temps record, même si on la compare à celle des causes proches qui ont abouti rapidement (celle de Mgr Escriva de Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei, mort en 1975 et béatifié en 1992 et celle de Padre Pio, mort en 1968 et béatifié en 1999).
S’il y a eu accélération de la cause de Jean XXIII, il est évident que cela n’a été possible que parce que Jean-Paul II l’a voulue ou, du moins, l’a acceptée. C’est, peut-être, une des clefs du pontificat que cette double béatification pontificale. Il serait réducteur, et presque injurieux pour l’ardeur apostolique qui anime Jean-Paul II, que de réduire cette double béatification, apparemment contradictoire, à un délicat exercice d’équilibre ou d’y voir l’illustration d’une habile politique pontificale.
Dès les premières années de son pontificat, Jean-Paul II a voulu faire “retour au centre” (selon l’expression du théologien Hans Urs von Balthasar, que Jean-Paul II, justement, a créé cardinal) ; le “retour au centre” étant entendu comme un retour au Christ. “Nous proposons le repli, écrivait Balthasar, le retour au centre. Non par résignation, mais pour regagner l’origine. Nous avons échoué sur les bancs de sable du rationalisme ; faisons marche arrière pour toucher le rocher abrupt du mystère”1 . Le “centre” c’est aussi, dans cette vision théologique, la volonté de ne pas opposer et de dépasser par le haut Dans l’homélie qu’il a prononcée lors de la cérémonie de béatification du 3 septembre, Jean-Paul II a exalté l’un et l’autre de ses prédécesseurs.
De Pie IX, à propos duquel il a remarqué, très justement, “il fut très aimé, mais aussi haï et calomnié”, le pape a loué l’”adhésion inconditionnelle au dépôt immuable de la vérité révélée”. De Jean XXIII, il a loué “la simplicité de son âme, conjuguée à une ample expérience des hommes et des choses !”. Et aussi, il a souligné l’aspect novateur, la rupture pourrait-on dire, qu’il a introduite : “La vague de nouveauté qu’il a apportée ne concernait certes pas la doctrine, mais plutôt la manière de l’exposer.”

2. La béatification de Pie IX dans la presse italienne
La béatification de Pie IX a été l’objet de controverses qui ont été grandissantes. Le Monde a été, sans doute, le journal qui, le premier et de manière la plus répétée, a dénoncé cette béatification. Dès le 13 mars 2000, le professeur Jean Delumeau, professeur honoraire au Collège de France, honoré jadis du Grand Prix Catholique de Littérature pour ses travaux historiques, avait envoyé, par l’intermédiaire du journal, une sorte de sommation au Vatican : “Si le Vatican béatifie Pie IX, il lui faut, pour rester crédible, accompagner cette “ promotion ” d’une mise au point doctrinale. L’Eglise romaine doit préciser qu’elle désavoue la condamnation par Pie IX de la liberté de conscience”.
Puis, le 22 août, dans l’éditorial, non signé, du journal, étaient dénoncées “L’illusion des JMJ” et, en même temps, la béatification du “pape le plus réactionnaire de l’histoire”, “auteur d’une répression féroce contre les patriotes italiens et du Syllabus”. Avant la béatification encore, le 25 août, en première page, Henri Tincq, revenant sur l’affaire Mortara, jugeait : “La béatification de Pie IX, archétype du pape antilibéral, prévue le 3 septembre au Vatican, soulève déjà l’indignation de la communauté juive italienne. Elle est contradictoire avec l’esprit de repentance développé par Jean-Paul II. A Rome, ses avocats mettent en avant la dévotion de Pie IX, sa piété mariale et sa fidélité à un message chrétien qui doit résister à l’esprit du siècle. Mais la rigidité de ce pape, père du dogme de l’ “ l’infaillibilité ” pontificale, est-elle une vertu chrétienne ?”
En Italie, la veille de la béatification, un seul journal mettait le portrait de Pie IX à la une, c’était le quotidien communiste Il Manifesto (2.9.2000). La belle photographie occupait près de la moitié de la page mais elle était agrémentée d’un refus en forme de jeu de mots : “Pio no”. Non au “pontife de l’absolutisme et de l’antisémitisme, le pape-roi des décapitations en place publique”. Et le journal communiste publiait intégralement, en sa deuxième page, la prise de position de la revue de théologie Concilium - revue publiée en plusieurs langues - , contre un pape qui a imposé à l’Eglise “un système paternaliste”, qui “a cherché à empêcher de nombreux théologiens la sincère recherche de la vérité” et contre un pape “connu pour ses actions antisémites”.
A contrario, ce même jour, le quotidien catholique Avvenire s’attachait à montrer “il volto nascosto di papa Mastai”. Les analyses du postulateur de la cause de Pie IX, Mgr Gherardini, étaient rapportées fidèlement. Mgr Gherardini a estimé que le pontificat de Pie IX a été placé “sous le signe de la fidélité à la tradition de l’Eglise contre la séduction du temps”. Il a aussi , à la suite de nombreux historiens, démontré l’erreur historique d’opposer un pape libéral (celui de l’élection, en 1846) au pape réactionnaire que Pie IX serait devenu après la révolution de 1848 : “Il suffit de voir comment l’encyclique Qui pluribus, publiée en 1846, contient en germe toute la thématique du Syllabus de 1864”.
La Nazione de ce même 2 septembre croyait utile, et intelligent, dans un éditorial signé Arrigo Petacco, d’ironiser sur l’élection de Pie IX. Et ce, en ressortant des ragots sans fondements historiques. Avant de devenir séminariste, le futur Pie IX aurait été “un playboy de province” (sic) et “il se murmurait qu’il avait fait partie de la Charbonnerie”. La Charbonnerie ayant été étroitement liée à la franc-maçonnerie, c’est l’ancienne rumeur, sans aucun fondement historique, qui réapparaît opportunément pour jeter davantage de trouble sur une béatification contestée2 .
Le quotidien Il Tempo du 2 septembre, lui, face à une pleine page consacrée à Jean XXIII, consacrait une pleine page à Pie IX pour redécouvrir “un pontificat trop longtemps ignoré”. Et de souligner les aspects modernes et réformateurs de son pontificat.
Le jour de la béatification, le 3 septembre, le communiste Il Manifesto a fustigé, en première page, “La garde noire de Pie IX” : le terme visait la messe à la mémoire de Pie IX célébrée la veille, comme chaque année, en la Basilique Saint-Laurent. Tandis que dans Avvenire, l’historien Andrea Riccardi saluait la double béatification du jour comme “la grandeur de tenir ensemble les extrêmes”.
Dans le grand hebdomadaire Famiglia Cristiana , daté du 3 septembre, un autre historien, Maurilio Guasco, spécialiste du modernisme, racontait en deux pages “La véritable histoire de Pie IX”. Il concluait son évocation de la vie et du pontificat de Pie IX en estimant que c’est “la sainteté intérieure” de Pie IX qui est offerte en modèle aux fidèles mais que le futur bienheureux peut “avoir commis des erreurs dans la façon de lire les temps dans lesquels il lui est donné de vivre”.
Il Giornale de ce même jour rapportait, en première page, les jugements de Giovanni Spadolini sur Pie IX. Spadolini, mort en 1994, fut membre du Parti Républicain Italien, plusieurs fois ministre et chef du gouvernement italien. Il était aussi un historien éminent du Risorgimento (le long processus de l’unification italienne qui a abouti à la disparition des Etats Pontificaux). Le journal révélait qu’au milieu des années 80, Giovanni Spadolini fut contacté en secret, par celui qui était alors le postulateur de la cause de Pie IX, Mgr Piolanti. Celui-ci voulait savoir comment serait considérée par les historiens du Risorgimento une éventuelle béatification de Pie IX. La réponse de Spadolini fut d’une grande honnêteté intellectuelle. Il estimait que “l’historiographie laïque, sérieuse” n’aurait “rien à craindre de la béatification de Mastai Ferretti”. Spadolini portait aussi ce jugement historique sur Pie IX :
“Dans l’esprit de Pie IX, un des papes les moins politiques que l’Eglise a eus dans les temps modernes, la préoccupation religieuse prévalait de loin sur les considérations diplomatiques .. Son souci principal était de fortifier la foi catholique, de sauvegarder l’intégrité du magistère pontifical des pièges et des menaces des courants révisionnistes hérétiques et libéraux...”.
Le journal révèle aussi que Spadolini a eu un entretien sur Pie IX avec Jean-Paul II. Sans avoir encore tous les éléments qui permettent de retracer l’histoire complète de la béatification de Pie IX, on peut penser que ce jugement d’un historien républicain sur Pie IX a pu amener Jean-Paul II à considérer que finalement sa béatification n’était pas aussi “inopportune” que certains le disaient.
On signalera encore un livre que Giulio Andreotti, l’ancien ministre et chef de gouvernement démocrate-chrétien, vient de publier : Sotto il segno di Pio IX (éditions Rizzoli, Milan, août 2000, 146 pages). Cet ouvrage, de circonstance, n’apprend, au long de la plupart de ses courts chapitres, rien de nouveau sur le nouveau bienheureux et son pontificat. En revanche, le premier et le dernier chapitres sont de très opportunes réponses à certaines accusations portées contre Pie IX.
Pie IX aurait fait exécuter des “patriotes” italiens : l’accusation, que l’on trouve dans une certaine presse italienne, a été reprise en France. Giulio Andreotti rétablit les faits : deux terroristes, seulement, furent exécutés, Giuseppe Monti et Gaetano Tognetti, coupables d’avoir placé une bombe dans une caserne proche du Vatican. L’attentat causa la mort de 35 soldats et d’une femme qui passait par là avec son enfant. Pie IX ne crut pas devoir accorder la grâce à ces assassins fussent-ils animés de sentiments “patriotiques”.
Quant à l’antisémitisme supposé de Pie IX, avant d’expliquer clairement l’affaire Mortara, Andreotti rappelle avec précision, pages 140 à 143, les actes et décisions du pape en faveur des Juifs de Rome.

3. Jean XXIII, une béatification contestée
Au lendemain de la mort de Jean XXIII, Jean Madiran publiait un très bel éditorial dans Itinéraires (n° 75, juillet-août 1963, p. 3-12). Intitulé “Jean XXIII, le Pape de l’Agonie”, l’éditorial soulignait les grandes vertus de piété, naturelle et surnaturelle, du pape défunt. Jean Madiran écrivait notamment :
“Le Pape Jean XXIII donnait l’exemple simple et spontané de la vertu la plus oubliée par le monde moderne, la piété. Il manifestait une grande piété naturelle envers ses parents, le village de son enfance, le diocèse de sa jeunesse, ses maîtres et ses supérieurs d’autrefois. Il manifestait une grande piété surnaturelle s’exprimant par les prières et les dévotions les plus traditionnelles. Le langage usé d’un monde vieilli n’emploie plus guère les mots de “ piété ” et de “ bonté ” qu’avec un accent péjoratif ou ironique. Le Pape Jean XXIII leur a rendu une vie nouvelle. Le monde contemporain n’a probablement pas bien compris ce que disait et ce que voulait ce Pape, mais le monde entier sentit qu’il était un pape pieux et bon, et c’est pourquoi Jean XXIII fit une impression si grande sur ceux qui le virent prier et sur ceux qui le virent sourire.”
Cette présentation de Jean XXIII n’a pas perdu de sa valeur et si les médias ont évoqué à satiété la “bonté” de Jean XXIII, bien peu ont mis en valeur sa piété. Jean Madiran, dans l’éditorial cité, rappelait que le pape avait publié, en 1961, une Lettre apostolique sur la récitation et la méditation du Rosaire. Mais Jean Madiran a été attentif à d’autres aspects de la personnalité de Jean XXIII. En une autre occasion, faisant une “Intéressante révélation concernant Jean XXIII” (Itinéraires, n° 247, novembre 1980, p. 152-155), il citait le “mot terrible” de l’abbé Berto sur Jean XXIII :
- C’est un sceptique.
Et il le commentait ainsi :
“Un sceptique, oui ; mais non point, pour autant, impartial entre les doctrines, ou indifférent devant elles. Comme tous les sceptiques de tempérament, il inclinait activement du côté des anti-dogmatiques ; des modernistes ; des sillonistes.”
La piété, indéniable, de Jean XXIII suffit-elle donc à en faire un bienheureux ? Les vertus examinées dans un procès de béatification sont les vertus cardinales de foi, d’espérance et de charité (envers Dieu et envers le prochain) et les vertus cardinales de prudence, de justice, de tempérance et de force. Peut-on dire que Jean XXIII a pratiqué toutes ces vertus “in gradu heroico” ? Et aussi, Jean XXIII n’a-t-il eu aucune responsabilité dans la crise qui a ravagé l’Eglise ? Même s’il est vrai qu’elle avait commencé avant son pontificat .
Ces questions, ou cette contestation d’une béatification qui, rappelons-le, n’est pas un acte infaillible du Magistère, ont été apportées par certains :
• Bien avant que la béatification de Jean XXIII ne soit annoncée, ni même envisagée, l’abbé Francesco Ricossa, directeur de l’Institut Mater Boni Consilii, avait commencé la publication d’une longue série d’articles, très critiques, intitulée “Le Pape du Concile”. La position ecclésiologique de l’Institut Mater Boni Consilii s’appuie sur les thèses soutenues jadis par le père Guérard des Lauriers : en considérant la grave situation que connaît l’Eglise, les fidèles sont en droit d’estimer que le Saint-Siège est “formellement vacant” et qu’il est légitime de consacrer des évêques sans mandat pontifical.
Sans partager ces thèses de l’Institut, on lira avec profit la série d’articles publiée par l’abbé Ricossa dans la revue de son Institut, Sodalitium (Località Carbignano 36, 10020 Verrua Savoia, Italie). La revue a une édition italienne et une édition française, qui est envoyée gratuitement à ceux qui en font la demande. A partir du n° 22 de l’édition française (nov.-déc. 1990), vingt-deux articles sont parus et la série n’est pas terminée. On y trouve une grande richesse d’information historique même si on peut ne pas être d’accord avec certaines analyses. Il est à souhaiter que ces articles soient réunis un jour en volume.
• C’est en prévision, cette fois, de la béatification de Jean XXIII que l’abbé Simoulin, supérieur du district italien de la Fraternité Saint-Pie X, a publié un épais dossier de contestation intitulé : “Il
“ papa buono ” : un buon papa ?”. Ce dossier, d’une cinquantaine de pages, fait l’objet d’un numéro spécial de la revue La Tradizione Cattolica (Priorato Madonna di Loreto, Via Mavoncello 25, 47828 Rimini, Italie). Dans une étude plus doctrinale qu’historique, avec de nombreuses citations de textes de Jean XXIII mis en opposition avec les actes magistériels de ses prédécesseurs, l’abbé Simoulin met en cause quatre “sophismes” du “bon pape Jean” : instaurer “un nouvel ordre des rapports humains”, “chercher ce qui unit et mettre de côté ce qui divise”, “il faut se mettre à jour [ le fameux aggiornamento ] et exprimer la doctrine dans les formules de la pensée moderne” et “il convient d’user de miséricorde plutôt que de sévérité et condamner”.
Pour ceux qui ne lisent pas l’italien, signalons que l’abbé Simoulin a publié un résumé de son étude dans la revue Fideliter 3 (n° 136, juillet-août 2000, p. 46-51) : “La bonté du pape Jean ?”.
• La revue Certitudes 4 , dans son numéro 3, publie elle aussi un dossier pour contester cette béatification. On y trouve d’abord un longue étude, d’ordre historique, intitulée “Jean XXIII, regard critique sur une béatification” (p. 6 à 42), étude qui considère toute la vie d’Angelo Roncalli devenu Jean XXIII. Puis l’abbé de Tanoüarn publie une étude doctrinale du discours d’ouverture du concile Vatican II, Gaudet Mater Ecclesiae, un discours de rupture.

4. Des livres sur Jean XXIII
Si les ouvrages consacrés à Pie IX sont peu nombreux en français, en revanche, de nombreux ouvrages de Jean XXIII ou consacrés à Jean XXIII sont parus. Je n’en signalerai que trois :
- Peter Hebblethwaite, Jean XXIII, le pape du Concile, Bayard éditions, 608 pages, 170 F. C’est la réimpression, sans changement, d’un ouvrage paru en 1988 aux éditions du Centurion. L’ouvrage est assez anticonformiste quoique empli d’admirations pour Jean XXIII. La bibliographie est très ample et approfondie. L’auteur souligne notamment, pour plusieurs discours ou documents du pontificaux, l’écart entre la version officielle, promulguée, et la version primitive, réellement prononcée par Jean XXIII et parue dans la presse. On “corrigeait” le pape, dans un sens traditionnel.
- Paul Dreyfus, Jean XXIII, Le Sarment/Fayard, 486 pages, 140 F. Là aussi, il s’agit d’une réédition. L’ouvrage était paru aux éditions Fayard en 1979. La nouveauté réside dans la préface de huit pages que Mgr Capovilla, ancien secrétaire particulier de Jean XXII, a donnée pour cette réédition. Mgr Capovilla aura beaucoup fait pour la cause du nouveau bienheureux mais on peut se demander s’il n’en a pas fait “trop”. Par exemple, l’édition du Journal de l’âme qu’il a établie en 1964 et qui a aussitôt été traduite en plusieurs langues (aux éditions du Cerf pour la traduction française), est une édition expurgée, tronquée, sans que cela apparaisse clairement. C’est depuis qu’une édition critique est parue en Italie qu’une comparaison a pu être faite.
- Mario Benigni et Goffredo Zanchi, Le Bon Pape Jean, Albin Michel, 382 pages, 145 F. Il s’agit de la traduction d’un ouvrage italien, adaptation devrait-on dire puisque la plupart des nombreuses notes de l’édition italienne et certains passages ont été supprimés. Mgr Mario Benigni, décédé le 12 mai dernier, était le vice-postulateur de la cause de béatification de Jean XXIII. Pour achever son travail, il fit appel à Goffredo Zanchi. C’est la “biographie officielle” de la postulation qui est ainsi publiée.
- enfin, on signalera que l’article, célèbre, du père Rouquette s.j., “Le Mystère Roncalli”, publié en juillet 1963 dans la revue Etudes 5 , a été réimprimé dans la même revue (numéro de juillet-août 2000, p. 109-123). Le père Robert Rouquette y présentait la “personnalité extrêmement riche, multiple par là même et parfois déconcertante” de Jean XXIII. L’article vaut d’être lu ou relu. Nonce à Paris, où le père Rouquette l’a bien connu, beaucoup croyaient qu’il “penchait vers l’intégrisme”. “Nous n’avons rien compris alors” reconnaîtra le père Rouquette.