dimanche 27 juin 2004

[Aletheia n°59] "Levez-vous! Allons!"

Aletheia n°59 - 27 juin 2004
Un nouveau livre autobiographique du Pape.
Saint Josémaria Escriva.
Revue des revues.


 
“ Levez-vous ! Allons ! ”
Après Ma vocation, don et mystère (1996), publié à l’occasion du 50e anniversaire de son ordination sacerdotale, Jean-Paul II publie un nouveau livre autobiographique consacré, cette fois, à son ministère épiscopal[1]. Il y a du pathétique autant que de l’admirable dans ce Pape dont la santé semble, certains jours, tenir à un fil et qui, pourtant, trouve encore la force non seulement d’accomplir l’essentiel de sa mission pontificale mais aussi de livrer longuement son témoignage sur ses années épiscopales (1958-1978).
Si l’on compare la biographie la plus volumineuse parue à ce jour sur le Pape[2] et le dernier livre publié par Jean-Paul II, on trouve dans celui-ci bien des choses nouvelles et éclairantes, et pas seulement sur les années évoquées. Ainsi sur le sens à donner au premier grand voyage pontifical, au Mexique, en janvier 1979. Ce ne fut pas seulement pour s’opposer à la “ théologie de la Libération ”, mais aussi pour ouvrir d’autres portes : “ Je me rappelle que j’ai interprété ce voyage au Mexique comme une sorte de “laissez-passer“ qui pouvait m’ouvrir la route au pèlerinage en Pologne. J’ai pensé en effet que les communistes de Pologne ne pouvaient me refuser l’autorisation de retourner dans ma patrie après que j’eus été reçu dans un pays à Constitution totalement laïque comme le Mexique d’alors. Je voulais me rendre en Pologne et cela a pu se réaliser au mois de juin de la même année ” (p. 58-59).
Le livre nous apprend aussi ou nous confirme les influences intellectuelles, spirituelles ou pastorales qui ont marqué le futur pape.
Sur le plan intellectuel, il y a eu, fait bien connu, l’influence du personnalisme : “ j’ai beaucoup été aidé par le personnalisme, que j’ai approfondi durant mes études de philosophie ” (p. 69). Il y a aussi l’affirmation suivante : “ Ma position philosophique personnelle se situe, pour ainsi dire, entre deux pôles : le thomisme aristotélicien et la phénoménologie ”[3].
Sur le plan spirituel, il y a eu l’influence de Mgr Pelczar, grande figure d’évêque peu connue encore en France (bien que Jean-Paul II l’ait béatifié puis canonisé). De l’œuvre principale de Mgr Pelczar, L’ascèse sacerdotale, Jean-Paul II écrit : “ Ce livre est le fruit de sa riche vie spirituelle, et il a exercé une profonde influence sur des générations entières de prêtres polonais, spécialement de mon temps. Mon sacerdoce aussi a été modelé d’une certaine façon par cette œuvre ascétique ” (p. 118).
Sur le plan pastoral, Jean-Paul II indique que les Journées Mondiales de la Jeunesse – qui seront un des héritages les plus spectaculaires du pontificat – “ en un sens, sont nées ” du “ Mouvement des oasis ” fondé en Pologne par l’abbé Franciszek Blachniki dans la Pologne communiste. “ J’ai été beaucoup lié à ce mouvement et j’ai essayé de l’aider de toutes manières ” écrit le Pape. On ajoutera que Franciszek Blachniki, qui était d’un an le cadet du pape, est mort en 1987 et dès 1995 son procès de béatification a été ouvert.
On pourrait relever encore l’attention portée à “ la pastorale des familles ” dès les premiers temps du ministère épiscopal ou encore, fait bien connu celui-là, la chapelle non seulement comme lieu de prière et de méditation mais aussi comme lieu de réflexion intellectuelle (dans la chapelle privée de l’archevêché de Cracovie, “ non seulement, écrit le Pape, je priais mais je restais aussi assis et j’écrivais. C’est là que j’ai écrit mes livres, entre autres la monographie Personne et Acte ”, p. 133).
Un “ pape dialectique ” ?
Celui qui signe Joël Prieur, dans le dernier numéro paru de Pacte[4], estime que ce livre “ ne nous apprendra pas grand chose de plus sur ce géant spirituel ”. Le jugement est sévère et, au regard des quelques faits relevés ci-dessus, injuste.
En revanche, celui qui signe Joël Prieur est plus convaincant quand, après avoir cité Jean-Paul II (“ les saines traditions favorisent l’audace commune de l’imagination et de la pensée et une vision ouverte sur l’avenir ” p. 159), il voit la clef du pontificat dans l’ “ idéal d’une tradition revisitée par la modernité ou d’une modernité enfin située dans la Tradition. ”
Tous les historiens s’accordent à estimer qu’avec Jean-Paul II il y a eu un “ recentrage ” du discours pontifical et de la pastorale du Saint-Siège (au sens du Retour au Centre [qui est le Christ] du théologien Hans Urs von Balthasar). Celui qui signe Joël Prieur interprète ainsi la politique pontificale : “ Jean-Paul II est le pape qui, consciemment, choisit de ne pas choisir, parce qu’il choisit tout, certain qu’une dynamique naîtra de la dialectique qu’il instaure savamment entre tradition et modernité. ”
Est frappant aussi le regard optimiste que pose Jean-Paul II sur l’Eglise dans le monde. C’est sans doute parce que son regard ne s’arrête pas à l’Europe occidentale déchristianisée mais est ouvert sur l’universalité que Jean-Paul II a une vision ascendante de l’humanité : “ l’homme s’ouvre sans cesse à l’incessante irruption de Dieu dans le monde des hommes ; c’est la marche de l’homme vers Dieu, un Dieu qui, pour sa part, conduit les hommes les uns vers les autres ” (p. 184).
On en revient à la double question de celui qui signe Joël Prieur : “ Peut-on faire confiance aux lois de la dialectique pour que croisse une tradition vivante ? Peut-on envisager l’histoire de l’Eglise sur le mode d’une “Eglise qui se fait histoire“ (card. Hamao), c’est-à-dire qui vit successivement dans son enveloppe terrestre les phases alternées de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse ? ”.
Saint Josémaria Escriva
Le fondateur de l’Opus Dei, canonisé par Jean-Paul II en 2002, connaît son biographe le plus scrupuleux avec Andrès Vasquez de Prada. C’est une biographie “ autorisée ”, en ce sens que l’auteur, membre de l’Opus Dei et qui a connu Mgr Escriva de Balaguer depuis 1942, a eu accès aux Archives générales de la Prélature, au Summarium de la Cause de béatification et de canonisation, et à d’autres documents inédits.
Après un premier volume paru en 2001, et déjà présenté ici, le second tome, encore plus volumineux,  nous emmène jusqu’en 1946[5]. Un autre tome suivra bientôt qui ira jusqu’à la mort du fondateur (1975).
Ce second volume porte sur la décennie 1936-1946, marquée, en Espagne, par la terrible Guerre civile. C’est une période dramatique pour tous, y compris pour Josémaria Escriva. Pendant cette période, l’œuvre, dont le fondateur dira avoir eu la première inspiration à Madrid le 2 octobre 1928, reçut sa première approbation canonique comme “ pieuse union ” en 1941. Un statut particulier que nécessitait la situation particulière des membres de l’Opus Dei : ses membres prêtres n’étaient pas des religieux et ses membres laïcs  ne constituaient point un tiers-ordre mais étaient, par leurs engagements, beaucoup plus que les membres d’une confrérie.
Andrès Vasquez de Prada ne cache rien des rumeurs, vraies ou fausses, calomnies et campagnes de dénigrement qui ont accompagné l’Opus Dei presque dès ses origines[6]. Josémaria Escriva était persuadé, en 1941, que dans l’entourage du nonce à Madrid, Mgr Cicognani, certains voulaient faire condamner à Rome son livre, Chemin (p. 504).
Il évoque aussi les grâces extraordinaires dont bénéficiait Josémaria Escriva : “ les illuminations, les locutions intérieures, le don des larmes, la capacité de discerner les esprits, le secours de la Sainte Vierge et des anges gardiens ” (p. 328). Le premier volume nous avait déjà appris que depuis l’âge de seize ans et pendant dix ans, jusqu’à la fondation de l’Opus Dei, Josémaria Escriva avait reçu beaucoup de grâces extraordinaires, “ principalement sous la forme d’inspirations et d’illuminations ” (t. I, p. 291). Beaucoup de ces grâces ne seront jamais connues parce que le fondateur, qui les notait sur un cahier, l’a détruit de peur qu’on ne le prenne pour un saint.
Dans les volumes suivants, l’auteur devra évoquer les relations de l’Opus Dei et du régime franquiste. C’était un des reproches faits habituellement à Mgr Escriva de Balaguer par ses adversaires. Dans ce second volume, on relève deux faits qui permettent déjà un premier éclairage sur le sujet : l’hostilité que la Phalange manifeste, au début des années 40, à l’égard de l’Opus Dei, considéré comme une “ société secrète ” d’esprit “ internationaliste ”. Et, a contrario, l’estime, qu’à cette époque, Franco a pour Josémaria Escriva puisqu’il lui demande, en 1946, de venir prêcher une retraite au palais du Pardo, retraite qu’il suit du 7 au 12 avril en compagnie de son épouse.
REVUE DES REVUES
. La Revue de l’Association des Ecrivains catholiques de langue française (82 rue Bonaparte, 75006 Paris), dans son n° 92, de mai 2004, publie deux articles sur le film de Mel Gibson, “ La Passion ”. Le second, dû à André Blanc, dit en neuf points, bien argumentés, sa “ déception ”. C’est, dans les milieux catholiques traditionnels, un des seuls articles parus qui ne se soient pas joints aux dithyrambes inconditionnels, revers des condamnations et désapprobations en provenance d’autres milieux.
. Certitudes, dans son n° 15 (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 8 ¤ le numéro), revient sur la “ nouvelle religion ” de certains évêques qu’ont révélée certains communiqués et certaines réactions face au film de Mel Gibson comme face à l’exégèse post-moderne de Mordillat dans Corpus Christi.
Ce même numéro contient un intéressant article de l’abbé de Tanoüarn sur Bossuet et les quiétistes.
Signalons encore que le prochain numéro de la revue, le n° 16, contiendra une longue réponse argumentée de Paul Sernine aux critiques qu’ont suscitées son livre, La Paille et le Sycomore. À propos de la “ gnose ”.
. Sedes Sapientiae (Société Saint-Thomas-d’Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi, 8 euros le numéro), publie, dans son n° 87, un long article du P. de Blignières intitulé “ Ecclesia Dei, quinze ans après : un bilan contrasté ” (p. 3 à 29).
Après l’évocation des faits marquants de ces dernières années (aussi bien les accords de Campos que la crise au sein de la Fraternité Saint-Pierre et, dans la Fraternité Saint-Pie X, le “ brutal renvoi en 2003 de l’abbé Paul Aulagnier ”), le P. de Blignières relève les faits positifs survenus dans les fraternités et communautés de la mouvance Ecclesia Dei : de nouveaux lieux de culte selon le rite traditionnel s’ouvrent chaque année avec l’accord d’évêques diocésains, “ l’Institut du Christ-Roi est présent dans onze diocèses, la Fraternité Saint-Pierre dans plus d’une vingtaine de diocèses ”. Et encore : “ les camps et pèlerinages trouvent aujourd’hui dans les églises paroissiales, de la part des desservants et des sacristains, voire des évêques, un accueil souvent plus ouvert qu’il y a quelques années. ” Ces faits positifs ne doivent pas masquer les résistances et les refus, auxquels l’auteur ne fait qu’allusion.
Dans cet article intéressant, on relève encore cette remarque avisée sur “ une tendance croissante des théologiens de la Fraternité Saint-Pie X ” : “ déceler en toute évolution – même possiblement homogène – de l’enseignement magistériel, la présence du relativisme ou de l’historicisme […] mettre sur un pied d’égalité toutes les parties des documents magistériels : l’enseignement directement visé sur lequel porte l’assistance, et les considérants ou les instruments d’expression qui peuvent être marqués de défaillances ”[7]. Et encore, la tentation de lire “ les textes du magistériel authentique […] à la lumière de leurs interprétations les plus discutables émanant de théologiens ou de certains évêques ”.
. Dans la dernière Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du District de France de la FSSPX, n° 66 (B.P. 125, 92154 Suresnes Cedex), le Supérieur général, Mgr Bernard Fellay, décrit ainsi les relations actuelles entre la Fraternité sacerdotale fondée par Mgr Lefebvre et le Saint-Siège : “ Rome insiste pour que nous acceptions la proposition d’une “juridiction personnelle“. Le problème n’est pas dans la formule juridique, qui nous semble acceptable dans son principe, quoique nous ne connaissions pas les éléments concrets et les implications d’une telle “formule juridique“. Le problème se situe encore et toujours au niveau de la doctrine, de l’esprit chrétien qui habite ou n’habite pas — et c’est là toute la question — des textes ambigus et des réformes désastreuses pour le bien surnaturel des fidèles. “
Mgr Fellay reconnaît : “ Nous sentons certes de plus en plus de sympathie chez certains évêques, aussi à Rome. Il nous semble que nous avançons, que la Tradition fait des progrès dans le monde catholique. ” Néanmoins, estime Mgr Fellay, “ cela n’est pas encore suffisant. Nous avons récemment demandé officiellement le retrait du décret d’excommunication comme un premier pas concret de la part de Rome. Cela changerait le climat et nous pourrions mieux voir comment les choses se développent. ”
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[1] Jean-Paul II, Levez-vous ! Allons !, Plon/Mame, 2004, 197 pages, 17 euros.
[2] George Weigel, Jean-Paul II. Témoin de l’espérance, JC Lattès,1999.
[3] La phénoménologie, ce fut surtout, chez le futur pape, la lecture d’Husserl, de Scheler et d’Edith Stein.
[4] Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris), n° 86, 2,50 euros le numéro.
[5] Andrés Vazquez de Prada, Le Fondateur de l’Opus Dei. Vie de Josémaria Escriva, vol. II, Paris, Le Laurier/Montréal, Wilson & Lafleur, 2003, 804 pages, 28 euros.
[6] Les rumeurs n’ont pas cessé jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, l’ “ Association pour la famille ” (APF), dont le siège est à Paris et qui a de nombreuses filiales en province, est réputée, dans plusieurs ouvrages et sur internet, être un relais de l’Opus Dei. Interrogé sur le sujet, l’Opus Dei déclare ne pas connaître cette association.
[7] Le P. de Blignières cite, en note, deux Instructions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.



lundi 7 juin 2004

[Aletheia n°58] Vers un Patriarcat ukrainien

Aletheia n°58 - 6 juin 2004
Vers un Patriarcat ukrainien
Mgr Slipyi, archevêque de Lviv, grande figure de l’Eglise catholique ukrainienne du XXe siècle, connut pendant dix-huit années, de 1945 à 1963, les prisons et les camps soviétiques avant d’être libéré au moment du concile Vatican II. Depuis sa libération, il demandait avec insistance que le Saint-Siège reconnaisse l’archevêché majeur de Lviv comme un patriarcat. Le 23 octobre 1971 – une de ses multiples interventions parmi d’autres –, prenant la parole devant le IIe Synode des évêques réuni à Rome par Paul VI, il déclarait avec quelque amertume :
Les communistes ont cruellement détruit l’Eglise ukrainienne en incarcérant toute sa hiérarchie et en l’annexant de force à l’orthodoxie. Cette grave injustice est encore actuelle. Les Ukrainiens catholiques sont encore persécutés sans être défendus par personne… Le régime soviétique nous a obligés à revenir aux catacombes pour célébrer la liturgie… Des milliers de fidèles d’Ukraine sont encore incarcérés ou déportés. Aujourd’hui, pour la diplomatie ecclésiastique, les Ukrainiens catholiques sont considérés comme gênants. Le Vatican est intervenu pour intercéder en faveur des catholiques latins, mais il s’est tu sur les six millions d’Ukrainiens persécutés… La création du patriarcat ukrainien proposée au Concile Vatican II a été refusée.
Il lui semblait que la reconnaissance d’un Patriarcat ukrainien était sacrifiée au nom de l’Ostpolitik.  Aujourd’hui, alors que le cardinal Slipyi est mort en 1984, il pourrait sembler que cette même demande n’aboutit pas, non pour des raisons canoniques ou théologiques, mais pour ne pas contrarier la politique œcuméniste en direction des orthodoxes.
Dans un livre qui vient de paraître, le P. Augustyn Babiak fait le point sur la question[1]. Le P. Babiak, prêtre gréco-catholique né en Pologne d’une famille ukrainienne, exerce son ministère auprès des catholiques ukrainiens en France et en Europe. Docteur en théologie, il a publié ces dernières années deux livres historiques importants. L’un, auprès de l’Université Catholique de Lyon : Le Métropolite André Cheptytskyi et les synodes de 1940 à 1944 (1999, 790 pages) ; l’autre, auprès de l’Université Catholique ukrainienne de Rome, Les Nouveaux martyrs ukrainiens du XXe siècle (2001, 635 pages).
Significativement, son troisième livre, qui est fondé sur des archives inédites d’une grande importance, notamment la correspondance échangée entre le cardinal Slipyi et le Saint-Siège dans les années 1970-1980, n’a pu trouver d’éditeur. Le P. Babiak a dû l’éditer à compte d’auteur.
Il entend montrer la pertinence de l’établissement de l’Eglise d’Ukraine en patriarcat. Il le fait d’un quadruple point de vue : historique, théologique, canonique et pastoral.
Si, avec les premiers conciles œcuméniques, cinq patriarcats ont été définis dans un ordre hiérarchique bien fixé : Rome, Constantinople, Antioche, Jérusalem, Alexandrie, la suite de l’histoire de l’Eglise a vu le titre de patriarche accordé aux chefs de plusieurs Eglises catholiques orientales.
Le P. Babiak montre comment d’Urbain VIII à Léon XIII, en passant par Grégoire XVI et Pie IX, plusieurs papes ont considéré positivement l’élévation du métropolite de Kiev-Halytch à la dignité de patriarche.
Sans faire référence explicitement aux gréco-catholiques, le concile Vatican II, dans le décret sur les Eglises orientales, a admis la légitimité d’instaurer de “ nouveaux patriarcats  (…) lorsque cela est nécessaire ” ; leur institution étant réservée au concile œcuménique ou au Pontife romain. Le même décret définissait un patriarche comme “ un évêque qui a juridiction sur tous les évêques y compris les métropolites, sur le clergé et les fidèles de son territoire ou de son rite, selon les normes du droit et restant sauve la primauté du pontife romain ”.
“ …de son territoire ou de son rite ”, la précision est importante puisqu’elle permettra au cardinal Slipyi de demander l’érection d’un Patriarcat ukrainien qui placerait sous une juridiction unique non seulement les gréco-catholiques d’Ukraine mais aussi les très nombreux gréco-catholiques ukrainiens exilés dans le monde et organisés, déjà, avec des évêques ou exarques à leur tête.
Depuis sa libération du Goulag jusqu’à sa mort, le cardinal Slipyi réclamera avec insistance l’instauration de ce Patriarcat. Auprès de diverses instances (Congrégation pour les Eglises orientales, Secrétairerie d’Etat, et auprès du Pape lui-même), il renouvellera, dans des lettres argumentées, sa demande. Le P. Babiak publie de larges extraits de ces lettres et aussi, ce qui est très intéressant, les réponses reçues.
Si la hiérarchie ukrainienne se montra, parfois, provocatrice – le P. Babiak ne le cache pas –, les autorités romaines, elles aussi, se montrèrent, parfois, maladroites. Ainsi, en 1971 l’Exarchat apostolique pour les fidèles ukrainiens de rite byzantin résidant au Brésil fut transformé, par le Saint-Siège, en un diocèse placé sous la dépendance de la Congrégation pour les Eglises orientales, mais le premier évêque consacré, Mgr Kryvyi, le fut dans le rite latin et le nouveau diocèse était suffragant de l’archevêque (latin) de Curitiba !
À défaut de se voir reconnu le titre et la fonction de Patriarche, Mgr Slipyi avait été nommé “ archevêque majeur ” en 1963 puis créé cardinal en 1965. Paul VI, s’il refusa toujours d’accéder à la demande principale du cardinal, accepta finalement, et non sans réticences, que se réunisse régulièrement le “ synode permanent ” de l’épiscopat ukrainien.
Jean-Paul II fut le premier Pape à rendre un juste hommage à l’Eglise ukrainienne et à ses martyrs : dès 1979, avec en point culminant la béatification solennelle de vingt-huit martyrs ukrainiens en 2001. Il n’a pas encore, à ce jour, satisfait la demande que le successeur du cardinal Slipyi, le cardinal Husar, a réitérée. Celui-ci estime que le patriarcat est une “ forme normale d’existence de la tradition byzantine et orientale ” et serait “ un développement de la structure de l’Eglise  [ukrainienne] ”.
L’ouvrage du P. Babiak a été achevé d’imprimer, en Ukraine, le 11 avril 2004 et commence tout juste à être diffusé. Par une heureuse coïncidence, Jean-Paul II, alors que le synode permanent de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine est réuni à Rome depuis le 1er juin, a semblé faire un pas important vers ce que souhaitent les évêques ukrainiens puisqu’il a dit partager “ par la prière et aussi par la souffrance ” leur aspiration. Il a dit attendre “ le jour fixé par Dieu ” pour confirmer, en tant que Successeur de saint Pierre, le “ développement ecclésial ” que tous les Ukrainiens espèrent et réclament.
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La guerre picrocholine
La controverse suscitée par le livre signé Paul Sernine, paru en novembre dernier[2], n’a guère fait avancer la question sur le fond. Les principaux reproches faits au livre sont d’ordre méthodologique. Dans un article signé Dominicus, la revue Le Sel de la terre, estime qu’il s’agit d’une “ mauvaise querelle ”[3]. Dominicus estime que Paul Sernine “ a falsifié la pensée des autres, n’a pas exprimé sa propre pensée sur ses sujets, a enfermé le débat dans un dilemme absurde et ajouté d’inutiles querelles de personnes (tout en protestant du contraire). Il faudrait repartir sur de meilleures bases. ”
La principale “ falsification ” relevée par Le Sel de la terre est une citation extrapolée. Dans un de ses ouvrages, Etienne Couvert écrit que pour comprendre certaines œuvres de Victor Hugo “ il y a une clé… et c’est la Gnose ”. Paul Sernine a généralisé cette affirmation : “ En toute erreur “ il y a une clé…et c’est la gnose“ ”.  Dominicus estime : “ La phrase en question n’a jamais été prononcée en l’état par M. Couvert et ne correspond même pas à sa pensée. ”
La revue des religieux d’Avrillé estime, à juste titre, que cette controverse sur la gnose ne doit pas devenir “ un véritable affrontement qui distrairait du combat principal ” : “ le combat contre le néo-modernisme qui cherche à détruire l’Eglise de l’intérieur, la formation d’intelligences vraiment catholiques, le soutien spirituel des pères et des mères de famille voulant éduquer chrétiennement leurs enfants nous paraissent beaucoup plus importants. ”
Si la revue Le Sel de la terre se refuse aux querelles de personnes, il n’en est pas de même d’autres publications. Par exemple, depuis quelques semaines se diffuse, sous forme de brochure ou sur internet, un texte anonyme de 53 pages, intitulé Leçon de gnose. L’auteur, courageusement anonyme, de cette brochure publiée sans nom d’éditeur, ni lieu de publication, entend montrer que la gnose est l’ “ ennemi traditionnel de l’Eglise ”. Il prétend aussi dénoncer, “ par les documents ”, dit-il, “ les infiltrations gnostiques actuelles dans la Tradition catholique” . Cette seconde partie nous vaut des chapitres, plus ou moins abondants, intitulés : “ Dom Gérard gnostique ? ”, “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ”, “ L’abbé de Tanoüarn est-il gnostique ? ”, “ L’abbé Célier [sic] est-il gnostique ? ”.
Quel crédit accordé à un auteur, courageusement anonyme (à moins qu’ils ne soient plusieurs), qui croit que le grand Olier est gnostique, qui s’imagine que Pacte est un “ magazine ”, qui s’obstine à écrire “ Etait t’il ” [sic], etc. ?
Quant aux huit pages qui me concernent – “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ” –, je pourrais répondre comme l’avait fait le grand antilibéral, le Père Emmanuel Barbier : “ je fais comme l’honnête homme qui, dédaignant les fausses imputations, trouve plus simple de déployer grand ouvert le livre de sa vie ”[4]. Quand le courageux anonyme – pour éviter les procès en diffamation ? – affirme : “ Monsieur Chiron a des contacts avec les loges maçonniques, au moins les loges féminines ”, je pourrais lui répondre que les seules loges que j’aie jamais fréquentées sont celles des concierges des immeubles parisiens où j’ai habité jadis : rue du Cloître-Notre-Dame, à l’ombre de Notre-Dame, puis rue Cail...
En fait, le véritable cours de ma vie quotidienne, ma supposée “ double vie ”, les lecteurs les moins mal intentionnés savent qu’ils la trouveront dans les quatre petits livres qui me tiennent le plus à cœur : Journal de Saigon et du Mékong (1994), Voyage vers Cyprien (1998), Nos enfants de Lituanie (2002) et Ma Mère (2003). Livres qu’ignorent les courageux anonymes de la guerre picrocholine.
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Avis aux lecteurs
. Cette lettre d’informations n’est pas soumise à abonnement, malgré les instances de certains lecteurs qui souhaiteraient que soit fixé un prix d’abonnement. Parfois, pour les numéros plus volumineux, je donne un coût estimatif, à l’intention de ceux, lecteurs non réguliers, qui voudraient se procurer, exceptionnellement, ce numéro ou en commander plusieurs exemplaires. En revanche, pour satisfaire aux demandes de certains lecteurs, il est fixé désormais qu’Aletheia aura quinze numéros par an ; ce qui permet de prévoir à peu près le rythme des publications (environ toutes les trois semaines).
C’est au lecteur à déterminer lui-même la contribution et la forme de la contribution qu’il veut apporter aux frais d’impression et de diffusion. Certains lecteurs et certaines communautés le font avec une régularité, et parfois une générosité, qui permettent à cette modeste lettre de continuer à paraître.
D’autres lecteurs et d’autres communautés, qui pourtant, un jour, ont demandé à recevoir cette lettre d’information, ne se signalent jamais à l’attention d’Aletheia, sinon parfois pour réclamer un numéro qu’ils croient n’avoir pas reçu !
. Cette lettre d’informations est, bien sûr, libre de droits. Quiconque peut utiliser et reproduire les informations et les textes qu’elle contient. Mais la déontologie journalistique veut que, dans ce cas, on indique ses “ sources ”. Sinon, il arrive que les “ utilisateurs ” s’emmêlent les pinceaux. Deux exemples récents :
1. La revue Lectures françaises, n° 562, en février 2004, a annoncé la parution d’un ouvrage de Robert Faurisson, intitulé, dit-elle, Pie XII, révisionniste ?, et elle en a donné le résumé. Un tel livre n’existe pas. Existe en revanche un livre de Robert Faurisson intitulé Le révisionnisme de Pie XII.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 45, le 8 septembre 2003. L’article qui présentait cet ouvrage était intitulé “ Pie XII, révisionniste ? ”. Le rédacteur, trop pressé, de Lectures Françaises, a cru qu’il s’agissait du titre du livre, donné pourtant dans la suite de l’article qu’il s’est contenté de résumer. Le rédacteur-“ utilisateur ” aurait dû être plus attentif et il aurait mieux fait de mentionner sa source d’informations.
2. L’auteur d’un essai récent, et fort pertinent, sur la laïcité, reproduit, sur une pleine page, un texte d’Alain de Benoist. Il donne comme référence : La “ nouvelle évangélisation ” de l’Europe. La stratégie de Jean-Paul II, Arianna Editrice, p. 100. Le lecteur, curieux, qui voudrait consulter cet ouvrage, aura bien du mal à se le procurer puisqu’il n’existe pas ! Le livre n’existe que dans sa version italienne, publiée, à Casalecchio, près de Bologne,  sous le titre La “ nuova evangelizzazione ” dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 47, le 18 octobre 2003, donnant notamment, en version française, la citation telle que l’a reproduite intégralement notre auteur. Il aurait mieux fait de donner le titre exact de l’ouvrage et de mentionner sa source d’informations.
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[1] Augustyn Babiak, De la légitimité d’un Patriarcat ukrainien, Lyon, avril 2004, 223 pages. Disponible chez l’auteur : Augustyn Babiak, 155 rue de Vendôme, 69003 Lyon.
[2] Paul Sernine, La Paille et la poutre – à propos de la “ gnose ”, éditions Servir (15 rue d’Estrées, 75007 Paris), 219 pages, 15 ¤.
[3] Dominicus, “ La mauvaise querelle de Paul Sernine ”, Le Sel de la terre, n° 48, printemps 2004, p. 215 - p. 242 (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé, 14 euros le numéro).
[4] P. Emmanuel Barbier, Allocutions de collège. Mon crime, Librairie Ch. Poussielgue, 1901, p. 5.