lundi 24 décembre 2007

[Aletheia n°117] Le Cardinal Mystérieux - et son réseau - par Yves Chiron

Aletheia n°117 - 24 décembre 2007
LE CARDINAL MYSTRIEUX - et son réseau - par Yves Chiron
Un cardinal, qui a voulu garder l’anonymat, se serait confié au journaliste français et écrivain religieux Olivier Le Gendre. De leurs conversations a résulté un livre, au titre attirant : Confession d’un cardinal[1]. Le mystérieux cardinal livre ses Mémoires et porte des jugements « sans langue de bois » sur l’Eglise d’aujourd’hui nous dit la 4e de couverture.
Avant de considérer le contenu du livre, on s’interroge sur l’identité de ce mystérieux cardinal qui a pris le temps de longues conversations à Rome, en Avignon et dans un pays d’Asie (il s’agit, vraisemblablement, de la Thaïlande).
On apprend seulement, au fil des pages, qu’il a fait, en partie, ses études à Paris, mais qu’il n’est pas français ; qu’il avait 37 ans au moment de l’ouverture du concile Vatican (p. 247), qu’il a dirigé en tant que Préfet une Congrégation romaine ; qu’il a été créé cardinal en 1988, qu’il a pris « sa retraite » en 2000 (p. 31 et 277) et qu’atteint atteint par la limite d’âge (80 ans), à sept mois près, il n’a pas pu prendre part au dernier conclave (p. 81).
Muni de ces informations, on peut essayer de deviner quel est le prélat qui serait né en septembre 1924, qui aurait été créé cardinal en 1988 et qui aurait été chef de dicastère à Rome jusqu’en 2000. On n’en trouve aucun.
Qui a cherché à brouiller les pistes ? Le journaliste ou son interlocuteur ?
Certains ont cru pouvoir identifier le cardinal Silvestrini derrière le mystérieux interlocuteur d’Olivier Le Gendre. Certains éléments biographiques concordent : Silvestrini a bien été créé cardinal en 1988 et, de 1991 à 2000, il a dirigé la Congrégation pour les Eglises Orientales. D’autres, non : il est né en octobre 1923, il avait donc plus de 81 ans lors du conclave qui a élu Benoît XVI.
On peut émettre l’hypothèse que le mystérieux cardinal n’existe pas en tant que personne et que le livre qui paraît est l’expression d’un courant d’opinion présent dans le Sacré-Collège ; il serait donc l’écho de plusieurs voix cardinalices, dont celle du libéral Silvestrini.
Avant cet ouvrage, un autre livra anonyme était sorti des murs du Vatican : Le Vatican mis à nu par le groupe « Les Millénaires » (Robert Laffont, 2000). C’était la dénonciation, par un groupe subalterne de la Curie, de diverses affaires de mœurs et d’argent qui ont agité le Vatican ces dernières décennies. L’un des rédacteurs de ce livre a été identifié et sanctionné.
D’un niveau nettement plus relevé, cette Confession d’un cardinal n’en est pas moins l’expression, développée et argumentée, d’une opposition à Benoît XVI.
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Sur le plan factuel, on relèvera quelques étrangetés dans ce livre. Il s’ouvre sur un mystérieux personnage, Mgr Mijlk, dont on apprendra qu’il aurait joué un rôle d’intermédiaire financier entre le Saint-Siège et le syndicat polonais Solidarité. Or le nom de ce prélat n’apparaît dans aucune édition de l’Annuario Pontificio.
Autre scorie : on nous parle de Mgr Del Tron (p. 126), appelé ailleurs Mgr Tron (p. 127) ; il s’agit en fait de Mgr Giuseppe Del Ton, qui fut au Secrétariat aux Lettres latines sous Pie XII et Jean XXIII.
Certains ont pris comme des révélations les pages consacrées au financement de Solidarité par le Saint-Siège (qui, lui-même, s’alimentait à d’autres sources). L’information n’est pas nouvelle. Il y a eu de nombreux articles de presse sur le sujet, dans plusieurs pays, et, en France, un livre a évoqué le fait, de manière assez brouillonne il est vrai (Constance Colonna-Cesari, Urbi et Orbi. Enquête sur la géopolitique vaticane, La Découverte, 1992).
Le rôle de l’Eglise dans la fin du régime Marcos, aux Philippines, en 1986, est présenté encore comme une illustration de l’ « influence politique de l’Eglise ». Le fait est, lui aussi, bien connu. L’évêque auxiliaire de Manille, Mgr Bacani, en a fait un récit, très circonstancié et documenté, qui a été traduit en plusieurs langues (Eglise et politique aux Philippines, Cerf, 1987).
Benoît XVI, pape « par défaut »
En revanche, un des points saillants du livre du mystérieux cardinal tient dans la sévérité de son jugement sur Benoît XVI. Le cardinal, qui n’a pu prendre part au conclave à cause de la limite d’âge des 80 ans, a participé aux réunions préparatoires.
Il explique : « Cela faisait des mois et des mois que, nous, les cardinaux, nous nous attendions au décès de Jean-Paul II. Forcément, nous nous préparions à entrer en conclave » (p. 135). Au lendemain de la mort du pape, trois ou quatre noms ont émergé : « Nous évoquions la possibilité d’un pape d’Amérique latine aux racines européennes. Et nous pensions au cardinal Bergoglio […] et dont l’ascendance est italienne. Ou au cardinal Hummes de Sao Paulo qui est d’ascendance allemande. L’avantage de ces cardinaux était que leur origine et leur culture permettaient une sorte de transition entre l’Europe et l’Amérique latine. ».
Nombre des cardinaux jugés papabile par l’opinion ne l’étaient pas ; le cardinal anonyme le dit sans fard : Tettamanzi, de Milan, manquait « d’envergure intellectuelle », Scola, de Venise, « nous semblait un peu jeune », quant à Martini, l’ancien archevêque de Milan,  la maladie de Parkinson « le mettait hors course ».
Puis, explique le mystérieux cardinal, « tout est balayé » lors de la messe de funérailles de Jean-Paul II : « les analyses subtiles, les pondérations de critères, le choix d’une nationalité, la question de l’âge, le problème de l’expérience pastorale sur le terrain. Tout disparaît d’un seul coup au profit de la réponse à cette seule question : qui a les épaules assez solides et suffisamment d’autorité pour succéder à ce géant que nous sommes en train de mettre en terre ? » (p. 141-142).
Le nom de Ratzinger s’est alors imposé comme « candidat par défaut […] comme s’il n’y avait plus eu soudain d’autres candidats envisageables ! » Ce mouvement de beaucoup de cardinaux n’a pas échappé à l’intéressé : « Je sais que Ratzinger a souffert de devenir Benoît XVI. Je sais, parce que cela se lisait dans ses yeux, qu’il a vu venir l’inéluctable pendant la vacance du siège, et qu’il en a tremblé. Je crois qu’il a forcé ses discours durant cette période pour que chacun comprenne bien quelles étaient ses convictions, qu’il soit clair pour tous ceux qui commençaient à se tourner vers lui qu’il marcherait dans une direction précise. Que si on voulait de lui, il fallait le prendre comme il était. Il voulait que ce soit clair, qu’il n’y ait pas d’erreur sur la personne » (p. 82).
Le mystérieux cardinal regrette, à mi-voix, l’élection de Benoît XVI. Il espère qu’il ne s’agira que d’un pontificat de transition. Au passage, sans en faire l’essentiel de sa critique, il juge inopportune la restauration liturgique engagée par Benoît XVI : « Je crois qu’il ne sert à rien de renforcer artificiellement les expressions du sacré. […] Je crois qu’il est inutile, voire dommageable, de vouloir restaurer des attitudes et des habitudes » (p. 256).
Le mystérieux cardinal est critique aussi envers les « nouveaux mouvements » qui se sont développés dans l’Eglise ces dernières années (Opus dei, Focolari, Chemin Néocatéchuménal, Légionnaires du Christ) : « leur point commun est une fidélité proclamée au pape, au besoin en se libérant de l’autorité des évêques dans les diocèses où ils se trouvent. Leur pensée est conservatrice et leur théologie parfois approximative. Leur but proclamé est la nouvelle évangélisation, leur intention plus discrète est de peser dans l’Eglise et la société où ils se trouvent. À côté de leur agenda religieux coexiste un agenda politique déterminé » (p. 269).
Le réseau international Sarepta
C’est dans la dernière partie du livre, constituée des conversations qu’Olivier Le Gendre a eues avec le mystérieux cardinal en Thaïlande, que se révèle le véritable objectif poursuivi par cette étrange publication. « En Europe, lit-on, quand on réfléchit sur l’Eglise, on privilégie un point de vue très particulier, trop particulier. Celui de la crise, du divorce entre la culture dite postmoderne et la culture chrétienne, de la baisse d’influence du magistère, toutes ces choses qui empoisonnent la vie et font bien dans les conversations. L’Eglise en Europe est encore sous le choc du traumatisme subi à la suite de l’effondrement de la société chrétienne. Elle n’arrive pas à s’en remettre. Du coup, bon nombre de responsables s’accrochent à l’idée et au projet de recréer une société chrétienne comme elle existait auparavant » (p. 313).
Le mystérieux cardinal non seulement ne croit pas possible une telle restauration, mais il juge nécessaire de proposer une nouvelle « alternative » et de « renouveler la façon d’être chrétien ».
Il évoque un réseau, déjà existant, qui partage le même projet  : « Nous sommes un certain nombre de personnes un peu partout dans le monde qui avons appris à nous connaître et qui pensons que des questions doivent être posées et des réponses apportées. Nous jugeons que ces questions n’ont pas été vraiment posées dans l’atmosphère très particulière du dernier conclave et des dernières années de la vie du pape Jean Paul. Nous voulons que ces questions soient entendues. »
Le cardinal se défend d’être partie prenante d’un « complot », d’un « réseau secret », de « consignes », de « stratégies souterraines », mais il convient qu’un certain nombre d’hommes d’Eglise, de responsables de mouvements religieux et d’associations se rencontrent discrètement, échangent des expériences et prennent des « initiatives ».
En note, discrètement, est donné le nom du site qui, depuis quelques mois, fait le lien entre ces hommes d’Eglise et ces chrétiens : sarepta-org.net. Si on consulte ce site, on constate qu’il n’est accessible qu’aux membres du « réseau », et l’on y trouve un exposé succinct des « convictions » de ses membres :
«• la « crise » de l’Eglise n’est pas due à des causes récentes, objets des querelles stériles entre progressistes et traditionalistes,
• le message chrétien sera à nouveau audible si des personnes de foi ont le souci d’incarner, là où elles vivent et au service du monde, la tendresse de Dieu,
• une myriade d’initiatives individuelles ou collectives sont menées dans cet esprit ,
• ces initiatives sont discrètes, vécues dans la prière, l’ouverture aux plus pauvres, le souci de donner à la foi chrétienne une expression aussi proche que possible de l’Evangile.»
Ce langage minimaliste, qui rappelle celui de Taizé ou de l’Arche de Jean Vanier, se double d’une volonté déterminée : « Nous nous connaissons, nous nous reconnaissons, dit le mystérieux cardinal. Nous parlons, nous collaborons, nous essayons de convaincre. Nous agissons sous des formes multiples. Nous pesons autant que nous pouvons sur le déroulement des événements. »
Cette Confession d’un cardinal est visiblement une des « initiatives » du réseau Sarepta.
Yves Chiron
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L’auteur du « Discours du Latran »
Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le jeudi 20 décembre à Rome, dans la basilique du Latran, a suscité des controverses parce que le Président de la République a affirmé : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » et « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses origines chrétiennes ». Faisant référence à l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, le Président de la République a aussi longuement évoqué la nécessité d’une espérance qui ne soit pas que temporelle.
On s’en doute, ce long discours du Latran n’a pas été rédigé, pour l’essentiel, par Nicolas Sarkozy, mais il l’a fait sien en le prononçant[2].
En 2004, Nicolas Sarkozy a publié un livre, La République, les religions, l’espérance (Cerf, 2004), livre d’entretiens avec Thibaud Collin et le P. Philippe Verdin, dominicain.
On retrouve le P. Verdin parmi la délégation qui a accompagné Nicolas Sarkozy au Vatican, on retrouve l’espérance, et d’autres thèmes du livre, dans le discours du Latran. Le P. Verdin ne serait-il pas l’auteur principal du discours du Latran comme Henri Guaino est l’auteur principal du discours de Dakar, qui, lui aussi, a fait controverse ?
Y.C.
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Réabonnement 2008    
Avec ce numéro 117, s’achève la septième année de parution d’Aletheia ; année qui aura été marquée par l’événement du 07.07.07, comme dit Jean Madiran.
Aletheia a rempli, une fois encore, son contrat : donner, quinze fois par an, librement, sans souci de plaire ni crainte de déplaire, des informations et analyses au service de la Vérité et de l’Eglise. Et ce, dans un format plus que modeste.
Je remercie les journaux et revues qui font honnêtement référence à Aletheia lorsqu’ils y puisent quelque information ou analyse qu’ils ne trouvent pas ailleurs ; je ne remercie pas ceux qui – tel Golias – y pillent un document inédit sans citer le lieu de leur découverte…
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[1] Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal, JC Lattès, 2007, 413 pages.
[2] On peut obtenir le texte intégral du « Discours du Latran » (4 pages) auprès d’Aletheia.

samedi 1 décembre 2007

[Aletheia n°116] Une encyclique dur l'Espérance - par Yves Chiron

Aletheia n°116 - 30 novembre 2007
UNE ENCYCLIQUE SUR L’ESPERANCE - par Yves Chiron 

Ce 30 novembre paraît la deuxième encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi (« Sauvés dans l’espérance »). Après la Charité (Deus Caritas, 2006), c’est la seconde vertu théologale, l’Espérance, qui fait l’objet d’une encyclique. Viendra, plus tard, une troisième encyclique, consacrée à la Foi. Mais, déjà, dans cette encyclique sur l’Espérance, la Foi est centrale.
Le Souverain Pontife se souvient qu’il a été professeur et ce sont de denses « réflexions » (§ 30) qu’il livre aux chrétiens, plutôt qu’une simple méditation spirituelle. Il cite souvent l’Ecriture et, longuement, à plusieurs reprises, saint Augustin. Son encyclique est aussi une encyclique de combat contre le nominalisme de Luther, le subjectivisme de Kant, le matérialisme de Marx et la « dialectique négative » de l’Ecole de Francfort (Horkheimer et Adorno). Ernst Bloch et son « principe espérance » ne sont pas cités, mais, en creux, il est visé lui aussi par la réfutation menée par le pape.
La démonstration de Benoît XVI prend, dans sa première partie, le chemin d’une histoire intellectuelle, mais elle est vivifiée par la nouveauté de l’Evangile, qui n’est pas « uniquement une communication d’éléments que l’on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. »
Dans l’Antiquité, écrit le Pape, les dieux des païens « s’étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanait aucune espérance » (§ 2). L’Evangile, par la Parole de Dieu et la vie du Christ, vient apporter l’Espérance radicale que la « vie ne finit pas dans le néant ».
L’Espérance chrétienne n’est pas « un message social révolutionnaire » (§ 4), elle est en liens étroits avec la Foi. Dans une page très forte, le Pape réaffirme le sens objectif de la foi. S’arrêtant sur la définition donnée dans la Lettre aux Hébreux (11,1) – « La foi est la substance [hypostasis en grec] des réalités à espérer ; la preuve [elenchos en grec] des réalités qu’on ne voit pas » – , et se référant à saint Thomas d’Aquin, Benoît XVI montre comment Luther est à l’origine d’une déviance essentielle dans la conception de ce qu’est la foi. Elle n’a plus un « sens objectif » (une « réalité présente en nous ») mais un « sens subjectif » (« une disposition du sujet »).
Au passage, le Pape épingle, poliment, la traduction œcuménique du Nouveau Testament en allemand qui traduit ainsi le passage en question de la Lettre aux Hébreux : « la foi consiste à être ferme en ce que l’on espère, à être convaincu de ce que l’on ne voit pas ». « En soi, cela n’est pas faux, écrit le pape, mais ce n’est pas cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos) n’a pas la valeur subjective de ”conviction”, mais la valeur objective de ”preuve”. »
Ce n’est pas une querelle sémantique mais un point nodal : « la foi est la substance de l’espérance » réaffirme le Pape (§ 10). Si elle ne s’appuie pas sur la foi, l’espérance prend des formes nouvelles, qui s’éloignent toujours plus du sens chrétien et qui, aussi, éloignent du mystère chrétien.
Avec Francis Bacon, à l’aube de l’époque moderne, la science devient porteuse de toutes les potentialités : « grâce à la synergie des sciences et des pratiques, s’ensuivront des découvertes totalement nouvelles et émergera un monde totalement nouveau, le règne de l’homme. ». Avec les Lumières, « raison et liberté semblent garantir par elles-mêmes, en vertu de leur unité intrinsèque, une nouvelle communauté humaine parfaite. » Au XIXe siècle, la foi dans le progrès devient la forme commune de l’espérance humaine, y compris dans ses aspects les plus naïfs.
De façon plus théorique, Karl Marx prétendra apporter « une politique pensée scientifiquement, qui sait reconnaître la structure de l’histoire et de la société » et promet une sorte de messianisme sécularisé. Benoît XVI montre l’ « erreur » la plus profonde  de Marx : « Il a oublié que l’homme demeure toujours homme. Il a oublié l’homme et il a oublié sa liberté. Il a oublié que la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal. Il croyait que, une fois mis en place l’économie, tout aurait été mis en place. Sa véritable erreur est le matérialisme : en effet, l’homme n’est pas seulement le produit de conditions économiques, et il n’est pas possible de le guérir uniquement de l’extérieur, créant des conditions économiques favorables. »

Pour « une autocritique du christianisme moderne »

Benoît XVI n’est pas un subjectiviste kantien – comme l’en accuse une communication de colloque que, par charité et par respect, nous ne nommerons pas – , il n’est pas non plus « progressiste ». Pour lui, le progrès n’existe pas dans le domaine moral : « dans la connaissance croissante des structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une maîtrise toujours plus grande de la nature. À l’inverse, dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n’y a pas de possibilité équivalente d’additionner, pour la simple raison que la liberté de l’homme est toujours nouvelle et qu’elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions. »
Le Pape n’exempt pas le christianisme moderne d’errements au sujet de l’espérance. Les chrétiens, dit-il, « doivent apprendre de manière renouvelée en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu’ils ont à offrir au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir. Il convient que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres racines. »
Ni la science, ni la raison, ni le progrès n’apportent de réponse satisfaisante à l’interrogation et à l’attente des hommes. Dire que le christianisme, seul, apporte des réponses satisfaisantes ne suffit pas. Benoît XVI rappelle que la foi n’est pas seulement une connaissance du salut mais « produit des faits et « change la vie ».
La deuxième partie de l’encyclique montre donc quels sont, aujourd’hui, les « lieux d’apprentissage et d’exercice de l’espérance ». Le premier est la prière. Benoît XVI évoque longuement le témoignage du cardinal Nguyên Van Thuan, qui a passé treize ans dans les prisons communistes vietnamiennes,  et qui a trouvé dans la prière la force d’espérer. Non pas seulement d’attendre sa libération, mais de se mettre à « l’écoute de Dieu ».
L’autre « lieu d’apprentissage et d’exercice de l’espérance » est l’acceptation de la souffrance. « Comme l’agir, la souffrance fait aussi partie de l’existence humaine. » Parce que, dit le Pape, dans une considération très traditionnelle qui risque de passer inaperçue : « Elle découle, d’une part, de notre finitude et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire, s’est accumulée et qui encore aujourd’hui grandit sans cesse. »
Face à sa propre souffrance, le chrétien doit entrer dans une démarche d’acceptation et, face à la souffrance des autres, entrer dans une démarche de consolation, au sens étymologique latin (con-solatio) : « un être-avec dans la solitude, qui alors n’est plus solitude » dit bellement le pape (§ 38).
Le témoignage des martyrs est une autre forme d’espérance chrétienne : le don de soi-même est justifié par la « promesse » qui dépasse l’horizon terrestre. À l’exemple de Dieu, Vérité et amour, qui « a voulu souffrir pour nous et avec nous », le croyant peut être amené à placer « la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession ».
Dans une dernière partie, Benoît XVI traite des fins dernières (le Christ comme Juge, le Purgatoire, l’Enfer), qui ont tant disparu de la prédication catholique. Je ne prétendrai pas résumer ici l’enseignement du Pape sur le sujet. Je citerai simplement ce fort passage : « Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n’exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. […] À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé. »

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Notes de lecture - par Yves Chiron
Max Barret, Mgr Lefebvre tout simplement…, La Taillanderie (384 rue des Frères-Lumière, 01400 Châtillon-sur-Chalaronne), 144 pages, 10 euros.
Le chauffeur de Jacques Chirac, Jean-Claude Laumond, a publié ses souvenirs sous le titre Vingt-cinq ans avec Lui (Ramsay, 2001). Après un quart de siècle au service du futur Président de la République, il avait été remercié de son poste en 1997 et il réglait ses comptes dans un livre où alternaient « petite et grande histoire, galipette et galéjades, vie privée et vie publique ».
Max Barret a été, sur une durée à peu près équivalente, avec d’autres, le chauffeur de Mgr Lefebvre. Il publie, lui aussi, les souvenirs, intimes, qu’il garde du fondateur d’Ecône. Loin du règlement de comptes, son livre relève plutôt de l’hagiographie, ou plutôt de ces fioretti qui, mis bout à bout, ne font pas un portrait mais qui ajoutent des touches d’humanité aux livres historiques déjà existants.
De nombreuses photographies et la reproduction de lettres manuscrites de Mgr Lefebvre viennent marquer du signe de l’authenticité ces souvenirs sans prétention et déférents.
L’évocation du P. Eugène de Villeurbanne, le courageux fondateur des « Capucins de tradition », ajoute à l’intérêt du livre.
 

Joachim Bouflet, Ces dix jours qui ont fait Medj’, Editions CLD (31 rue Mirabeau, 37000 Tours), 347 pages, 21 euros.
Joachim Bouflet, qui est un bon spécialiste des phénomènes extraordinaires de la vie mystique, consacre aux origines de Medjugorje un livre pointilleux et ravageur. Il établit, d’après des sources diverses, ce qui s’est vraiment passé à Medjugorje entre le mercredi 24 juin 1981, jour de la première manifestation supposée surnaturelle, et le vendredi 3 juillet 1981, jour annoncé, à l’époque, comme étant celui de la dernière apparition.
Pourquoi les supposées apparitions ont-elle duré ensuite, et jusqu’à aujourd’hui ? Pourquoi aussi, des six voyants du 1er jour, deux n’ont plus « vu » ensuite, tandis que deux autres n’ont « vu » qu’à partir du 2e jour ?
On sera d’accord avec le jugement final de l’auteur :
…les adolescents et l’enfant ont-ils vraiment vu quelque chose ? Et, dans l’affirmative, qu’ont-ils vu ? Etait-ce réellement la Vierge Marie ? Au terme d’enquêtes rigoureuses, les évêques successifs de Mostar ont exclu cette éventualité. Il est vrai qu’ils ont eu à se prononcer sur un ensemble qui dépasse largement ces dix jours puisque, contre toute vraisemblance, la Vierge Marie aurait continué d’apparaître après avoir annoncé la fin des apparitions pour le 3 juillet et, qu’à partir de cette date, les événements ont basculé dans un registre visionnaire fort suspect auquel tous les voyants ont adhéré ; ces apparitions après les apparitions orchestrées par les Franciscains de Medjugorje, sont émaillées d’invraisemblances et de mensonges qui rendent difficilement crédible l’hypothèse d’une authentique mariophanie dans les dix premiers jours, encore qu’il puisse s’agir de réelles apparitions mariales parasitées dès le début par un (une, des) faux voyants et totalement déviés par la suite. Peut-être sommes-nous là en présence d’un véritable gâchis imputable surtout à des intérêts personnels très terre à terre…