samedi 4 août 2018

[Aletheia n°261] Le Luther du cardinal Kasper + Maria Valtorta et l'Eglise

Le 500e anniversaire de la Réforme est l’occasion, en Allemagne d’abord, en France, et dans de nombreux autres pays, de multiples ouvrages, de numéros spéciaux de revues, de dossiers [1], de colloques, d’expositions et de diverses cérémonies ou célébrations œcuméniques.
 
En français, le  (Fayard, mars 2017, 686 pages) publié par Matthieu Arnold, professeur à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, est appelé, malgré ses défauts et malgré ses faiblesses, à devenir un ouvrage de référence parmi les nombreuses biographies consacrées au père de la Réforme protestante [2].
   
Le Luther que publie le cardinal Kasper deviendra, lui aussi, un ouvrage de référence. Non pas par sa valeur historique – là n’était pas l’objet de son étude –, mais par l’éminente personnalité de son auteur et par ce que son livre révèle, 500 ans après la Réforme, du regard catholique sur Luther. Le cardinal Kasper fut un théologien renommé avant de devenir évêque de Rottenbourg-Stuttgart en 1989 et d’être créé cardinal en 2001. Il fut, de 2001 à 2010, président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens.
 
Le Luther qu’il publie n’est pas à proprement parler un ouvrage. C’était à l’origine une conférence prononcée en janvier 2016 à l’université de Berlin. Elle est publiée ici dans une version revue et augmentée. Il a fallu tout le talent de l’éditeur français pour en faire – par différentes astuces : petit format, typographie en gros caractères et nombreuses pages blanches entre les parties – un livre [3]. Malgré ce tour de passe-passe commercial, le texte présente un grand intérêt, parce que son éminent auteur a le sens de la synthèse et n’est pas adepte, comme certaine autre éminence française, du copier-coller et des autocitations continuelles.
 
Le cardinal Kasper souligne à juste titre, dès les premières lignes, combien Luther est une de « ces personnalités historiques qui provoquent une sorte d’attraction magnétique aussi bien chez leurs amis que chez leurs ennemis, même 500 ans après leur mort. »
 
On relève aussi sous la plume de l’ancien président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, des notations d’une grande honnêteté intellectuelle qui tranchent avec les lignes sirupeuses que l’on a trop lu sur Luther depuis des décennies : « Luther lui-même n’était pas un œcuméniste. À la fin de sa vie, il considérait qu’une réunion avec Rome n’était plus possible » (p. 13). Sur les Juifs, Luther s’est « exprimé avec mépris », « d’une manière si regrettable pour nous » ajoute celui qui fut aussi président de la Commission pour les relations avec le judaïsme de 2001 à 2010.
   
Le cardinal Kasper rappelle également avec raison que le désir de réforme de l’Église qui anima Luther n’était ni nouveau ni original : « dès avant la Réforme, l’Église connut une réforme catholique. En Espagne, par exemple, le concile national de Séville (1478) supprima certains abus, notamment le trafic des indulgences. C’est en Espagne aussi que parut la célèbre Bible polyglotte d’Alcala. En Italie, certains ordres religieux se réformèrent. » Luther lui-même « n’est pas entré dans un ordre décadent, mais dans l’ordre réformé des Ermites de Saint-Augustin d’Erfurt».
   
« D’une certaine manière, écrit encore le cardinal Kasper, on pourrait décrire le jeune Luther comme un catholique réformé » (p. 22). Le tout est de savoir quand, comment et pourquoi Luther s’est écarté de cette voie catholique.
 
Nombre d’historiens et de théologiens situent cette rupture en 1515, deux ans avant la publication des 95 thèses contre les Indulgences, considérées comme le début de la Réforme protestante.
 
Curieusement, le cardinal Kasper juge que ces thèses « restent dans le cadre de ce qui était acceptable pour la théologie de l’époque », qu’elles n’étaient pas « conçues comme un document révolutionnaire, mais comme une invitation à une discussion académique qui, en réalité, ne se produisit jamais » (p. 30-31). L’affichage de thèses (d’affirmations) théologiques mises en débat était, de fait, en usage dans les universités de l’époque. Luther n’a donc pas fait acte de provocation en affichant ses thèses. Mais il est faux de dire que la « discussion académique » n’eut pas lieu. Le grand prédicateur des indulgences en Allemagne, à cette époque, le dominicain Tetzel, mis en accusation par Luther, lui a répondu par d’autres thèses. Le cardinal Cajetan à Augsbourg en 1518, puis le théologien Jean Eck à Leipzig en 1519, lors des grands débats qu’ils ont eus avec Luther, ont évoqué, bien sûr, entre autres sujets, la question des indulgences.
 
Quand le cardinal Kasper nous dit que Luther « était un réformiste, pas un réformateur. Il ne songeait pas à devenir le fondateur d’une Église réformée séparée » (p. 32), il a une vision bien irénique de la situation. La rupture avec Rome, et avec « l’Antéchrist » qu’est le pape, est revendiquée par Luther avant même son excommunication. Ce qu’on appelle les « grands écrits réformateurs » de 1520 en témoignent.
 
Dans la dernière partie de son livre, « L’Ère œcuménique comme redécouverte de la catholicité », le cardinal Kasper développe une vision de l’Église et de l’œcuménisme qui va bien au-delà de ses analyses sur Luther. Le cardinal renvoie dos à dos catholicisme et protestantisme, « tous deux réduits à un confessionnalisme » (p. 64), et voit dans l’œcuménisme un dépassement de cet « autoréférencement confessionnel » (p. 65). Le cardinal nous explique aussi que le pape François aurait abandonné l’idée du « dialogue » avec les autres confessions chrétiennes, telle que l’avaient développée les papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI (« l’image de cercles concentriques autour du point focal de Rome »). Désormais l’unité œcuménique serait conçue comme un « polyèdre, c’est-à-dire une structure à plusieurs faces qui n’est pas un puzzle assemblé de l’extérieur, mais un tout ; et il s’agit d’un diamant, la lumière qui l’atteint se réfracte d’une manière merveilleusement variée » (p. 78).
 
Les théologiens compétents pourraient, à partir des textes du Magistère actuel, confirmer ou démentir cette vision que le cardinal Kasper a de l’enseignement du pape François [4].

MARIA VALTORTA ET L’ÉGLISE 
Mon précédent article, « Le lobby valtortiste », a déclenché des controverses sur certains blogs et autres « forum », puis m’a valu de nombreux courriels. FrançoisMichel Debroise, ancien consultant en développement économique local pour des organismes publics, animateur d’un site valtortiste, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à Maria Valtorta (dont deux écrits en collaboration avec l’abbé Laurentin), a, sur le Salon Beige, ironisé et mis en doute l’authenticité de la réponse du cardinal Ratzinger, en date du 9 septembre 1988, que j’ai publiée : « Voilà que le cardinal Ratzinger exprimerait, selon ses sources, l’opinion de l’Église dans quelques ”cartes postales” personnelles envoyées aux quatre coins du monde par son secrétaire, Mgr Clemens. Je l’ai connu différemment, le faisant toujours, et exclusivement, par la voie hiérarchique des évêques locaux et jamais directement à des particuliers… ».
   
Il ne s’agissait pas, en l’espèce, d’une « carte postale », mais d’une lettre. Par ailleurs, contrairement à ce que croit F-M. Debroise, le cardinal Ratzinger, quand il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a répondu à plusieurs reprises, personnellement et directement, ou par l’intermédiaire de son secrétaire, à des particuliers, sans passer « exclusivement, par la voie hiérarchique des évêques locaux ». Sa lettre à un ami et correspondant allemand, le 22 juillet 1998, sur les « pures inventions » relatives à Medjugorje, est restée célèbre. D’autres préfets de dicastère, pour diverses raisons, ont agi et agissent ainsi. En matière liturgique, par exemple, nombre de prêtres ou de simples fidèles pourraient exhiber d’une réponse reçue directement du dicastère compétent.
   
Donc la lettre de 1988 ne constitue ni un hapax ni un hoax…[5] 
   
Par ailleurs, un moine bénédictin [6] a jugé que le décret de la congrégation du Saint-Office du 16 décembre 1959, « venant après les autorisations du Souverain Pontife », constitue « un abus de pouvoir qui invalide cet acte, canoniquement parlant ».
 
Il y a là deux extravagances. Il n’y a jamais eu d’ « autorisations » données par Pie XII pour publier les écrits de Maria Valtorta. On voit mal le sage et prudent Pie XII passer outre les imprimatur et nihil obstat qui devaient être accordés par les autorités compétentes, surtout en une matière aussi sensible.
 
Deuxième extravagance : la mise à l’Index de 1959 serait un « abus de pouvoir » et cet abus rendrait « invalide » le décret lui-même. Ce n’est pas à un pauvre laïc à apprendre à un pieux moine qu’un décret de mise à l’Index n’était pris, promulgué et publié qu’après approbation pontificale. On voit mal en quoi la congrégation du Saint-Office aurait commis « un abus de pouvoir » puisque saint Jean XXIII a approuvé formellement le 18 décembre 1959 le décret qui lui était soumis et qui a été publié le 5 janvier 1960.  
    
Sans développer une controverse sur le « lobby valtortiste », qui existe bel et bien, qui fleurit sous différents labels sur internet, et dont je n’ai évoqué que la partie visible de l’iceberg, je citerai encore deux documents officiels qui permettent de connaître avec exactitude et certitude le jugement de l’Église sur les écrits de Marie Valtorta : 
   
• Le 31 janvier 1985, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, adresse une lettre officielle (Prot. N° 144/58) au cardinal Siri, archevêque de Gênes, pour lui communiquer à propos des écrits de Maria Valtorta : 
Certains ont considéré qu’après l’abrogation de l’Index […] il était permis d’éditer et de diffuser l’Œuvre en question […] bien qu’aboli l’Index conserve ”toute sa valeur morale”, aussi ne peuvent être considérées comme opportunes la diffusion et la recommandation d’une œuvre dont la condamnation ne fut pas faite à la légère mais après une réflexion approfondie et dans le but de neutraliser les dommages qu’une telle publication peut provoquer chez les fidèles les plus naïfs. 
• Le 6 mai 1992, Mgr Dionigi Tettamanzi, secrétaire général de la Conférence épiscopale italienne, à la demande du cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, adresse une lettre à l’éditeur italien de Maria Valtorta – qui est aussi l’éditeur des écrits de Valtorta en diverses langues – lui demandant de faire figurer en tête des prochaines éditions un avertissement : 
… pour le vrai bien des lecteurs, et dans l’esprit d’un service authentique de la foi de l’Église, je vous demande qu’à l’occasion d’une éventuelle réimpression des volumes, il soit clairement dit, dans les premières pages, que les "visions" et "dictées" qu’ils relatent ne peuvent pas être considérées comme d’origine surnaturelle, mais doivent être considérées simplement comme les formes littéraires dont s’est servi l’auteur pour raconter, à sa manière, la vie de Jésus. 
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi procédera de la même manière à l’égard des écrits d’une autre âme mystique, Don Gobbi [1930-2011]. Ce pieux prêtre italien avait reçu à Fatima, en 1972, l’ « inspiration » de fonder le Mouvement sacerdotal marial (MSM). À partir de 1973 il avait reçu, disait-il, des « messages » de la Vierge Marie. Il a commencé à les publier sous le titre Messages de la Vierge Marie à ses fils de prédilection les prêtres.
 
Le volume, publié d’année en année, avait un nombre de pages toujours plus élevé, la Vierge Marie ne cessant de confier de nouveaux « messages » à Don Gobbi. Des traductions ont paru en différentes langues. Les « cénacles » organisés par le MSM réunissaient des centaines de prêtres, et plusieurs évêques et cardinaux.
   
En 1998 la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a demandé à Don Gobbi d’ajouter en tête de ses futures éditions des Messages, qu’il s’agissait non de révélations surnaturelles ou de locutions intérieures mais de « méditations personnelles ».
   
Yves Chiron

  1. Est à signaler le dossier qui paraît dans le numéro de septembre de La Nef (CS 10501 Feucherolles, 78592 Noisy-le-Roi Cedex, n° 295, 8 €) : . Luther, une vie tourmentée, par Yves Chiron . Luther dans son époque, par Michel Toda . La doctrine luthérienne de la justification, par l’abbé Christian Gouyaud . Comprendre la Réforme avec Louis Bouyer, par l’abbé Hervé Benoît . Petite bibliographie sur Luther, par Yves Chiron . Cinq siècles plus tard, le protestantisme, par Yves Chiron . Un regard luthérien : entretien avec le pasteur Alain Joly, par Christophe Geffroy.
  2. Je me permets de renvoyer à la lecture critique que j’ai consacrée à cet ouvrage, à paraître dans le numéro de septembre de Sedes Sapientiae (Société Saint-Thomas-d’Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi, n° 141, 12 € port compris).
  3. Cardinal Walter Kasper, Luther. Une perspective œcuménique, Cerf, 110 pages, 12 € (en librairie le 25 août).
  4. Il n’est pas besoin d’être théologien, en revanche, pour relever – avec stupéfaction – que le cardinal Kasper considère que messe catholique et cène protestante n’ont fondamentalement plus de différence : « Au XVIe siècle, la controverse avec la position catholique se rapportait davantage au caractère sacrificiel de la messe, sur lequel des doutes subsistaient à l’époque du côté catholique ; aujourd’hui, du fait de la nouvelle théorie de l’anamnèse, elle peut être considérée comme réduite, pour ne pas dire complétement surmontée » (p. 105, note 6). 
  5. En revanche, c’est bien une très imprudente affirmation que d’écrire comme le fait F.-M. Debroise sur le Salon Beige que je n’aurai pas « lu l’œuvre » de Maria Valtorta. Je la connais depuis la première traduction. Et ce que j’ai lu de la 2e traduction ne m’a pas fait changer d’avis. J’en reste aux jugements de l’Index et du cardinal Ratzinger.
  6. Par charité, je ne le nommerai pas. Il ne s’agit ni d’un moine de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, ni d’un moine du prieuré Sainte-Marie de la Garde, ni d’un moine d’une des abbayes de la congrégation de Solesmes.

lundi 12 octobre 2015

[Aletheia n°237] La France catholique

Aletheia n°237 au format PDF

Si l’on se réfère à la plus récente enquête sur le catholicisme en France1, 56 % seulement des personnes interrogées se déclarent catholiques. Elles étaient encore 81 % en 1986. Dans le même temps, le nombre des personnes se déclarant « sans religion » a fortement augmenté, passant de 15,5 % en 1986 à 32 % aujourd’hui. Si cette tendance se poursuit, les deux courbes vont se croiser. Le CSA note : « Il est probable que les ”sans religion” constitueront d’ici 20 à 30 ans le principal groupe au sein de la population française. »

La même note d’analyse du CSA, extrapolant les chiffres de l’enquête, souligne « une baisse significative du nombre de catholiques pratiquants en France […] ils seraient en effet passés de 4,4 millions en 2001 à 3,2 millions en 2012, soit une perte de plus d’un million de pratiquants réguliers. » Étant entendu que désormais les statistiques appellent « pratiquants réguliers » les personnes se rendant au moins une fois par mois à un office religieux…

Aussi, le titre du beau livre que publie Jean Sévillia, La France catholique2, peut paraître provocateur ou témoigner d’une douce illusion. Sévillia ne méconnaît pas les chiffres cités plus haut, même s’il préfère mettre l’accent sur les 44 millions de baptisés que compte la France (deux Français sur trois) et les 13 millions de catholiques pratiquants (réguliers et occasionnels).

Son livre n’est pas une histoire du catholicisme contemporain, c’est plutôt un état des lieux, un vaste panorama qui passe en revue et montre, par de très belles et très nombreuses photographies, les paroisses de France, les prêtres et les fidèles, les mouvements catholiques, la presse et l’édition catholiques, les écoles et les institutions universitaires catholiques, les pèlerinages, les communautés, les monastères.

Il a le sens de la nuance. Ainsi à propos de l’enseignement catholique sous contrat : « à la fois parce que des établissements ont élargi leur recrutement afin d’assurer leur équilibre financier et parce que certains parents se satisfont d’écoles religieuses sans religion, maints établissements catholiques n’ont plus de catholique que le nom. Ce constat, cependant, ne peut être généralisé. On assiste d’ailleurs à l’émergence d’une nouvelle génération de directeurs, de responsables administratifs et pédagogiques et de professeurs qui, allant parfois jusqu’à bousculer les directions diocésaines de l’enseignement catholique, tiennent avant tout au caractère propre des établissements dont ils ont la charge. » Jean Sévillia relève aussi la floraison des écoles privées hors-contrat : « Il existe aujourd’hui 700 établissements hors-contrat qui scolarisent 60 000 élèves. Beaucoup de ces écoles sont catholiques. […] La plus grande réussite, dans ce domaine, est le groupe scolaire Saint-Dominique, au Pecq, dans les Yvelines. Créé avec 35 enfants en 1992, il compte 800 élèves en 2015. En 2012, trois bacheliers sortis de Saint-Dominique ont été admis à Polytechnique. »

Le tableau qu’il brosse des paroisses françaises est contrasté. D’une part, surtout dans les zones rurales, une pénurie effrayante de prêtres : 42 000 prêtres en 1960, un peu plus de 5 800 en activité aujourd’hui, « avec moins de 100 ordinations par an, le clergé n’assure pas son renouvellement : pour un prêtre ordonné, il en meurt sept. Dans les zones rurales, un prêtre peut administrer jusqu’à 30 clochers. » D’autre part, on assiste à un renouveau dans certaines paroisses de grandes villes. Par exemple, à Saint-Léon dans le XVe arrondissement de Paris : « trois messes quotidiennes sont célébrées en semaine et quatre le dimanche pour plusieurs milliers de fidèles. La paroisse est desservie par le curé, deux vicaires, deux prêtres retraités, deux prêtres étudiants (africains) et deux diacres. Adoration trois fois par semaine, confession cinq fois par semaine, chorales, groupes de réflexion et de formation, conférences, scouts, foyer de jeunes, salle de théâtre : la baisse de la pratique, ici, on ne connaît pas. »

Le portrait que Jean Sévillia dresse des « nouveaux prêtres » (p. 216) est l’exact contraire de celui que Michel de Saint-Pierre faisait des prêtres progressistes dans son roman Les Nouveaux Prêtres en 1964, il y a cinquante ans déjà…

Sévillia consacre de nombreuses pages à la « nouvelle génération catholique » que la grande presse a découverte avec stupéfaction dans la rue à l’occasion des manifestations contre le mariage des homosexuels. Le philosophe et sociologue Marcel Gauchet notait à l’époque des grands rassemblements de la Manif’ pour tous : « Il y a effectivement une montée identitaire du catholicisme français. C’est une mutation historique majeure, portée par une jeunesse à la fois conservatrice et moderne qui fait l’effet d’un continent exotique »3.

Mais ce n’est pas toute la jeunesse française, ni numériquement bien sûr, ni sociologiquement4. Ces jeunes qu’on voit en nombre dans les grandes rassemblements unanimistes (JMJ et autres) sont actifs aussi, pour un certain nombre d’entre eux, dans une multitude de mouvements, d’organisations, de groupements, liés ou pas à des paroisses, indépendants des structures plus anciennes implantées dans les diocèses. Ce foisonnement est peut-être prometteur, « la déchristianisation n’est pas fatale » estime Jean Sévillia (p. 198) qui relève « une soif de formation chez les jeunes cathos » (p. 201) et voit « une génération nourrie par la prière » – du moins, la jeunesse de certains milieux : « Depuis le début des années 2000, le groupe Abba réunit 200 à 300 jeunes dans l’église Saint-Etienne-du-Mont, à Paris, pour une soirée d’adoration hebdomadaire. Un rendez-vous impensable il y a trente ou quarante ans » (p. 207).

Mais Sévillia note aussi : « Des écueils guettent néanmoins cette nouvelle génération. Son homogénéité sociale, d’une part, qui peut être une force, deux jeunes sur trois appartenant aux classes moyennes et supérieures, mais qui crée le risque de l’entre-soi. Sa difficulté à se fixer, d’autre part, qui peut être un atout quand il s’agit d’éviter la routine, mais qui peut avoir l’inconvénient du saupoudrage quand ces jeunes surfent d’un mouvement à l’autre, d’un rassemblement à l’autre, d’un style à l’autre. La Pentecôte à Chartres avec Notre-Dame de Chrétienté, l’été au Forum des jeunes de Paray-le-Monial, la Toussaint en session à Taizé : si cet éclectisme a l’avantage de faire sauter les barrières au sein de l’Église, il peut s’avérer incohérent dans la durée et empêcher les engagements stables. »

Le livre-album de Jean Sévillia ne se résume pas. C’est un voyage par l’image, et aussi par les chiffres, dans la réalité multiple du catholicisme français d’aujourd’hui. Parmi les données qu’on trouve dans ce livre, on citera encore les 1 600 prêtres étrangers qui exercent leur ministère en France, (p. 61) suppléant ainsi, très partiellement, à la baisse des vocations sacerdotales en France (p. 61) ; les 150 prêtres qui, depuis sa fondation, ont quitté la Fraternité Saint-Pie X pour rejoindre les diocèses (p. 224) ; les 4 900 personnes, jeunes ou adultes, baptisées lors de la nuit de Pâques 2015 (« chiffre de 30 % supérieur à celui d’il y a dix ans », p. 234).

Jean Sévillia, qui est journaliste (il est rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine et chroniqueur à L’Homme Nouveau) et historien, donne des informations et des analyses intéressantes et pertinentes5. Il aurait pu faire sienne cette remarque de Louis Veuilllot en 1871 : « Vous voyez ce qui meurt, vous ne voyez pas ce qui naît ». Émile Poulat, qui citait ce propos, notait aussi en 2008 : « le catholicisme ne me paraît pas au bout de ressources que nous ne connaissons pas, et qui transformeront profondément sa figure, dans un environnement des plus variés, rarement porteur et syntonique » et aussi : « Les catholiques français ne sont désormais ni une minorité, ni encore la majorité, mais ils restent, de loin, de très loin, la plus importante des communautés religieuses en France, par le nombre comme par les ressources dont ils disposent, qui peuvent faire rêver toute autre organisation politique, syndicale ou associative »6.

1 Le catholicisme en France, enquête réalisée par l’Institut CSA, en mars 2013, sur un échantillon de 22.101 personnes.

2 Jean Sévillia, La France catholique, Michel Lafon, octobre 2015, album relié de 240 pages, 29,95 €.

3 Le Nouvel Observateur, 3 mai 2013, cité p. 207.

4 La remarque vaut aussi pour les paroisses les plus vivantes et les plus actives. Ce sont dans les quartiers bourgeois ou CSP + des grandes villes qu’on les trouve. Cf. Jérôme Fourquet et Hervé Le Bras, La religion dévoilée. Nouvelle géographie du catholicisme, Fondation Jean-Jaurès, 2014 et Yann Raison du Cleuziou, Qui sont les cathos d’aujourd’hui ? Sociologie d’un monde divisé, DDB, 2014.

5 Une affirmation contestable néanmoins : « En 1979, une enquête montre que la majorité des évêques français est favorable à une collaboration avec le Parti communiste. 66 % d’entre eux acceptant le bien-fondé des analyses marxistes » (p. 48). Chiffres surprenants. Quelle est la source ? Et une erreur : Hans Urs von Balthasar est nommé parmi les « grands théologiens classiques de Vatican II » (p. 125). Balthasar n’a pas participé à Vatican II, ni comme consulteur dans une des commissions officielles, ni comme peritus attaché à quelque évêque.

6 Émile Poulat, France chrétienne, France laïque. Entretiens avec Danièle Masson, DDB, 2008, p. 270-271 et p. 13

lundi 20 juillet 2015

[Aletheia n°234] André Lesage, dit "Marquis de la Franquerie" / Les exaltations de Sœur de la Nativité


André Lesage [1901-1992], qui signait ses livres « Marquis de la Franquerie », aura influencé plusieurs générations de catholiques par ses écrits à la tonalité providentialiste, pour ne pas dire apocalyptique. Certains de ses livres sont régulièrement réédités. J’évoquerai plus loin ses deux ouvrages les plus connus, mais il faut commencer par dire un mot du personnage.
Un pseudonyme littéraire
André-Henri-Jean Lesage est né le 15 juin 1901 à Paris, fils de Henri-Jean Lesage, docteur en droit, et de Louise-Alexandrine-Eugénie Martin1. André Lesage a fait des études de droit, était diplômé de l’École des Sciences politiques et de l’École du Louvre. Il fut un moment rédacteur en chef de la Revue internationale des sociétés secrètes, fondée en 1912 par Mgr Ernest Jouin [1844-1932] et qui parut jusqu’en 1939. Il a collaboré aussi, dans les années 1920 et au début des années 1930, à la Gazette française, organe royaliste indépendant de l’Action française, et au Bloc Anti-révolutionnaire. Il s’est surtout fait connaître comme conférencier et écrivain.
Le spécialiste de la noblesse et de la fausse noblesse Pierre-Marie Dioudonnat note : « Après la première guerre mondiale, [il] s’établit dans le département du Gers, au château de Villeneuve, à Bétous, puis au château de la Tourre, à Condom. André Lesage prit l’habitude d’ajouter à son patronyme le nom de La Franquerie et y joignit encore celui de La Tourre »2. Quelques recherches permettent d’aller plus loin.
En 1926, André Lesage signera son premier livre : « A. L. de la Franquerie » (L. pour Lesage). Puis il usera habituellement du nom de « Marquis de la Franquerie ». Ce patronyme « de la Franquerie » n’était-il qu’un pseudonyme ? A sa mort, le 8 août 1992, sa famille fera publier un faire-part annonçant le décès du « marquis Le Sage de la Franquerie, camérier secret du Pape ». Mais la mairie de la commune où est décédé l’auteur, La Chapelle-Hermier, en Vendée, ne reconnaîtra pas ce patronyme et enregistrera le décès de « LESAGE André, Henri, Jean ».4
C’est André Lesage, après son mariage avec Renée-Yvonne de Boisé de Courcenay le 18 octobre 1926, qui avait ajouté « de la Franquerie de Beslon » à son patronyme de naissance. Dès 1930, un ouvrage consacré aux « anciennes familles de France » indiquait que la famille Lesage avait été autorisée « à relever les noms et titre de la maison » de La Franquerie de Beslon : « Au XIXe siècle, la dernière héritière des La Franquerie de Beslon épousa un Havard. À la suite d’un accord intervenu entre leurs descendants, MM. Havard ont renoncé à relever les nom et titre de la maison en faveur de leur cousin, M. Henri-Jean Lesage, qui occupe une situation en vue dans la grande industrie française, et a épousé Mlle Martin-Havard »5.
Cette explication présente deux difficultés. L’état civil, nous l’avons vu, n’a jamais reconnu à André Lesage cet ajout patronymique. Qui plus est, on ne trouve aucune trace de cet « accord » survenu entre les Havard et les Lesage. Le musicographe et biographe Denis Havard de la Montagne relève : « je puis affirmer, sans possibilité d’erreur, que parmi les ancêtres d’André Lesage et de ses cousins Havard il n’y a jamais eu un quelconque mariage entre un Havard et une de la Franquerie. Je connais en effet leur ascendance Havard jusqu'au XVIe siècle ! Je vous avoue que cette histoire des Havard qui auraient renoncé à relever les nom et titre de la maison de La Franquerie de Beslon me laisse plus que perplexe, d’autant plus que cette famille de la Franquerie de Beslon est totalement inconnue des ouvrages spécialisés.6»
Le patronyme et le titre de marquis de la Franquerie doivent donc être considérés comme un pseudonyme littéraire et non comme une appartenance de l’auteur à l’ancienne noblesse française.

C’est abusivement aussi qu’André Lesage s’est présenté comme un « ami » du pape Pie XII, arguant de son appartenance « à la Cour pontificale comme Camérier Secret et Gentilhomme de Sa Sainteté ». A lire le petit livre qu’il a publié sur Pie XII – texte d’une conférence faite en 1972 –, le lecteur pourrait croire qu’André Lesage a fréquenté de manière habituelle le Vatican durant le pontificat de Pie XII et qu’il avait un accès presque familier au Pape. « Je considère, écrit-il, comme l’un des honneurs de ma vie et l’une des plus grandes grâces que Dieu m’ait accordées de l’avoir approché si souvent.7 »
Le titre de « camérier secret » ne doit pas faire illusion. Il ne signifie rien s’il n’est pas plus précisément qualifié. En effet, à l’époque de Pie XII (et jusqu’à la réforme introduite par Paul VI), il y avait trois types de camériers secrets :
. les camériers secrets participants, au nombre de 6 à 9 selon les époques. Il s’agissait exclusivement de prélats, au service direct du pape, qui formaient un collège présidé par un cardinal ;
. les camériers secrets surnuméraires de Sa Sainteté, tous prélats également. Ils étaient plusieurs centaines. La fonction était honorifique et les titulaires n’exerçaient pas habituellement un service direct auprès du pape ;
. les camériers secrets de cape et d’épée de Sa Sainteté. Cette fois il s’agissait uniquement de laïcs. C’est ce titre qui a été attribué à André Lesage à partir de 1939. Ce titre aussi était honorifique et n’impliquait pas un service régulier au Vatican, et encore moins une proximité avec le pape. Les camériers secrets de cape et d’épée étaient plusieurs centaines – la liste était publiée chaque année dans l’Annuario Pontificio – et bien peu étaient appelés à faire quelques jours de service au Vatican. Ces camériers secrets de cape et d’épée ne doivent pas être confondus avec les Gardes Nobles qui, eux, accomplissaient à tour de rôle un service plus immédiat auprès du Pape.
On ajoutera que dans sa conférence de 1972 sur Pie XII, devenue le petit livre déjà cité, André Lesage n’apportait guère d’informations nouvelles, citant abondamment l’ouvrage de Mgr Georges Roche et de Philippe Saint-Germain qui venait de paraître (Pie XII devant l’histoire, R. Laffont, 1972). Et il ne rapportait aucun entretien significatif avec ce Pape qu’il disait « avoir approché si souvent ».
La Mission divine de la France
Son premier ouvrage, La Mission divine de la France (1926, 232 p.), reste son livre le plus connu, régulièrement réédité.
L’ouvrage était préfacé par Mgr Jouin qui saluait le « jeune écrivain » – André Lesage avait 25 ans. Mais il notait aussi, comme un discret reproche : « il ne se pique, dans le choix de ses documents ni de sévérité critique ni d’érudition oiseuse ». Cette rigueur insuffisante restera une des caractéristiques des écrits du « marquis de la Franquerie ».
Par exemple, il évoquait à l’appui de ses thèses le supposé « testament de saint Rémi » ; tandis que Mgr Jouin, dans la préface citée, en relevait le caractère « légendaire » (p. 7).
Le « marquis de la Franquerie » exposait dans ce livre une thèse qu’il ne cessera de développer par la suite : la France a une mission particulière, une « mission divine » prouvée notamment par le pacte de Tolbiac, la  sainte Ampoule, le testament de saint Rémi, les « miracles des rois de France ». Les « fautes » des rois de France, expliquait aussi La Franquerie, ont toujours été suivies de « châtiments » et, comme le dit le dernier chapitre, « le plus grand châtiment [est] la République ».
Cette conviction que la France a une « mission divine » trouvera un développement qui n’avait rien d’historique. La Franquerie affirmera en effet, dans un autre ouvrage : « Cette mission avait été dévolue au peuple Juif de l’ancien Testament ; mais à partir du déicide, ce peuple fut maudit et son caractère de nation élue de Dieu fut reporté sur la France avec toutes les grâces et toutes les faveurs qu’entraîne une telle prérogative.8 »
Le marquis de La Franquerie donnera un autre clef explicatrice de son affirmation d’une mission divine de la France : les rois de France seraient les descendants des rois de Juda, ils ont donc une « parenté » avec la Vierge Marie et Jésus. Il a exposé cette thèse dans diverses conférences et dans deux ouvrages : Le Caractère sacré et divin de la royauté en France (Éditions de Chiré, 1978, 202 p. ; 2e édition, Éditions Saint-Remi, 2015) et Ascendances davidiques des rois de France et leur parenté avec Notre Seigneur Jésus-Christ, la très sainte Vierge Marie et saint Joseph (Éditions Sainte-Jeanne d’Arc, Villegenon, 1984, 79 p.).
Cette thèse avait été soutenue par certains auteurs aux XVIe et XVIIe siècle puis reprise à la période contemporaine par le comte de Place dans ses Problèmes héraldiques (Bourges, 1900). Il est à noter que le même auteur avait publié précédemment un volume sur la fin des temps : Prophétie de saint Malachie. Les dix derniers papes. L'Antéchrist (Paris, Vic et Amat, 1894, 28 p.). Double thématique que reprendra celui qui signait marquis de la Franquerie.
Cette affirmation d’un lien généalogique entre les rois de Juda et les rois de France ne repose sur aucune démonstration historique probante. Elle suppose une continuité qu’aucun historien n’oserait soutenir aujourd’hui : rois de Juda – rois de Troie – Mérovingiens – Capétiens. La Franquerie, pour convaincre ses lecteurs, s’appuyait sur les révélations faites par « plusieurs âmes privilégiées ».
Divers témoignages historiques – le cérémonial du sacre du roi de France, la galerie des 28 rois de Juda qui se trouvait au-dessus des portails de Notre-Dame de Paris9, une abondante littérature – montrent que les rois de France « se sentaient enracinés dans la Bible et qu’ils se voulaient continuateurs des rois de Juda »10. Mais c’était une continuité spirituelle et une analogie, certainement pas une continuité par le sang.
Hervé Pinoteau, éminent spécialiste d’héraldique, de vexillologie et de phaléristique, avait consacré une note très sévère aux Ascendances davidiques du marquis de la Franquerie. Il déplorait notamment : « Tout un pieux public accepte sans doute ces crétineries bien inutiles pour la foi, et qui sont accompagnées d’un texte rempli d’erreurs historiques grossières, ainsi que de citations fausses. Le plus beau est que le ”marquis” utilise un ouvrage britannique du même tonneau, destiné à glorifier outre-mesure la Grande-Bretagne et ses rois issus de la maison de Juda... »11.
Le Saint Pape et le Grand Monarque
André Lesage a attaché aussi une grande importance aux textes prophétiques et aux « révélations » reçues par des « âmes privilégiées ». Il en a tiré la conviction que la France et l’Église seront sauvées par un « Saint Pape » et un « Grand Monarque ». « Nous avons une certitude, écrivait-il : celle de la venue imminente du Saint Pape et du Grand Monarque qui sauveront le monde du désastre irrémédiable et le replaceront dans l’ordre voulu par Dieu ».
Cette « certitude », qu’il fondait sur « plus de cent prophéties », il l’a exposée en 1980 dans une conférence dont il a tiré une brochure : Le Saint Pape et le Grand Monarque d’après les prophéties. Cette brochure, rééditée en 2005, vient de faire l’objet d’une 3e édition12.
En 1980, le marquis de la Franquerie affirmait que « ces deux personnages à venir » sont « déjà vivants quoiqu’encore inconnus » (p. 6). Le Saint Pape s’appellera « Grégoire XVII », sera « français de naissance » et « pourrait descendre lui aussi de Louis XVII », comme le Grand Monarque (p. 28).
En rééditant ce livre, trente-cinq ans plus tard, l’éditeur n’a cru devoir faire aucun correctif ou mise au point. Le lecteur sera donc plus que perplexe en lisant des prophéties qui ne se sont pas réalisées : ainsi de l’invasion de la France par la « Russie soviétique » (p. 22) ou « Jean-Paul II serait le dernier pape du temps des nations et que son Successeur et le Grand Monarque assureraient le grand triomphe de l’Église qui se perpétuerait sous leurs successeurs. Telle est du moins ce que nous pensons et souhaitons » (p. 30).
Le marquis de la Franquerie alignait les citations de « prophéties ». S’il citait le nom des auteurs, il ne donnait jamais la référence des textes cités. Il prenait à la lettre toutes les affirmations des âmes privilégiées, sans se soucier de les contextualiser ou de les interpréter.

Les exaltations de Sœur de la Nativité 
En matière de mystique, de « révélation » et de prophétie, l’Église s’est toujours montrée prudente et a su opérer les discernements nécessaires. Bien des messages reçus par des « âmes privilégiées » sont restés inconnus ou sont retombés dans l’oubli. Non que la bonne foi de ces âmes privilégiées puisse être mise en doute, mais parce que l’Église a jugé que les messages reçus étaient mêlés de trop d’illusion ou d’imagination.
   
On rappellera ici un seul cas, celui de Jeanne Le Royer [1731-1798], dont les « prophéties » ont été célèbres tout au long du XIXe siècle puis sont tombées dans l’oubli.
Orpheline vers l’âge de dix-sept ans, elle fut tout d’abord, à partir du 8 juillet 1752, servante chez les Clarisses urbanistes de Fougères. Puis elle s’y engagea comme sœur converse, recevant l’habit religieux le 29 juin 1754 sous le nom de religion de Jeanne de la Nativité (elle sera appelée communément Sœur de la Nativité). Elle fera sa profession religieuse le 30 mai 1755.
Très pieuse, elle eut de nombreuses apparitions du Christ, des saints et aussi d’anges et de démons. Elle reçut encore diverses révélations et fit plusieurs prophéties relatives à l’Église et à la France. Elle savait lire, mais ne savait pas écrire. Son dernier confesseur à partir de juin 1790, l’abbé Charles Genet, a recueilli par écrit ses visions et ses prophéties.
Sous la Révolution, en septembre ou octobre 1792, le couvent des Clarisses de Fougères fut fermé. Sœur de la Nativité se retira chez son frère à Montigny, puis à Fougères où elle mourut six ans plus tard. 
Sous l’Empire et sous la Restauration, les écrits de l’abbé Genet ont circulé en plusieurs copies. L’abbé Augustin Barruel [1741-1820], qui avait bien connu l’abbé Genet réfugié en Angleterre, avait eu connaissance de ses écrits. Il avait déconseillé de les éditer avant que le Saint-Siège se soit prononcé. A cet effet, il en envoya une copie à Rome. Mais peu de temps après la mort de l’abbé Genet, parut en librairie Vie et révélations de la Sœur de la Nativité... (1817, 3 vol.). L’abbé Barruel a contesté l’ouvrage : « dans cette première édition, et surtout dans les notes, il se trouve bien des choses que je ne vois pas dans mon exemplaire »13.
Une longue étude, parue en 1820, a relevé qu’il y a dans cet ouvrage « des réflexions pieuses et solides sur la corruption du monde, sur la confession, sur le pouvoir des prêtres ». Mais il est noté aussi que Sœur de la Nativité « s’étend extrêmement sur l’avenir de la religion, et il faut avouer que ce qu’elle dit à cet égard est bien obscur et bien confus ».
L’auteur de cette étude estimait encore : « cette bonne fille converse était une fille de beaucoup de vertu, soumise, fervente, pleine d’amour pour Dieu, courageuse, patiente, zélée. Il ne nous appartient pas de prononcer si elle fut ou non favorisée de grâces surnaturelles ou divines ; mais nous n’oserions pas non plus assurer qu’elle n’éprouva jamais d’illusion. Douée d’une imagination ardente, il n’est pas impossible qu’elle ait pris de bonne foi ses pensées pour des révélations, et qu’à force de songer à notre Seigneur et aux anges, elle ait cru les voir et les entendre. Elle ne serait pas la première dont la tête, échauffée par la solitude, se fût ainsi créé des fantômes auxquelles elle donnait de la réalité »14.

1 Archives numérisées de Paris, état civil du 9e arrondissement.

2 Pierre-Marie Dioudonnat, Le simili-nobiliaire français, 2010, p. 510.

3 Le Figaro, 10 août 1992.

4 Mairie de La Chapelle-Hermier, registre d’état civil de 1992.

5 André Guirard, Les Anciennes familles de France. Leurs origines, leur histoire, leurs descendances, Boivin & Cie éditions, 1930, t. I, p. 94.

6 Lettre de Denis Havard de la Montagne à l’auteur, le 19 juillet 2015.
   
7 Marquis de La Franquerie, Un grand et saint pape qui aimait la France. S.S. Pie XII tel que je l’ai connu, Éditions de Chiré, 1980 (2e éd.), p. 5.

8 Marquis de La Franquerie, Mémoire pour obtenir le renouvellement de la consécration de la France à saint Michel, Chez l’auteur, 1947 (2e éd.), p. 6.

9 En 1793, les révolutionnaires ont cru qu’il s’agissait des rois de France et les ont décapités. Les têtes ont été retrouvées en 1977 seulement, elles sont conservées au musée de Cluny.

10 Hervé Pinoteau, « Méditation sur l’histoire nationale », Itinéraires, n° 234, juin 1979, p. 189. Qui cite aussi les papes : « La France est la tribu de Juda de l’ère nouvelle (Grégoire IX l’a dit à saint Louis) et elle semble même être un Israël de remplacement (comme le laisse entendre Clément V) ».

11 Héraldique & Généalogie, n° 106, janvier-mars 1988, p. 120.

12 Marquis de La Franquerie, Le Saint Pape et le Grand Monarque d’après les prophéties, Éditions de Chiré (86190 Chiré-en-Montreuil), 46 pages, 6 €.

13. L’ouvrage connaîtra néanmoins plusieurs rééditions augmentées d’un 4e volume (1819, 1849, 1870).

14 Sur la Vie et les Révélations de la Sœur de la Nativité, étude, sans nom d’auteur (peut-être l’abbé Barruel ?), publiée dans L’Ami de la Religion et du Roi, n° 595, 22 avr. 1820, p. 321-326 ; n° 599, 6 mai 1820, p. 385-389 ; n° 613, 24 juin 1820, p. 193-199.

lundi 28 décembre 2009

[Aletheia n°149] Natuzza Evolo (1924-2009) - "Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint" dit Serge Klarsfeld - Réabonnement - par Yves Chiron

Aletheia n°149 - 28 décembre 2009

Natuzza Evolo (1924-2009)

Natuzza Evolo est née le 23 août 1924 à Paravati, en Calabre, dans le diocèse de Mileto. Quelques mois avant sa naissance, son père a dû émigrer en Argentine pour faire vivre la famille. Sa mère se livrait, de manière intermittente, à la prostitution. Natuzza n’a pu aller à l’école. Elle ne saura jamais ni lire ni écrire et ne parlera que le dialecte calabrais.

Depuis l’enfance, elle a été gratifiée de la présence sensible de son ange gardien. À l’âge de huit ans, en 1932, elle a eu une première vision de saint François de Paule. En 1935, elle connaît sa première bilocation : elle « visite » son père en Argentine.

À l’âge de quatorze ans, elle a été placée comme domestique chez un avocat, Silvio Colloca. À partir de juin 1939, elle a commencé à voir des défunts et à converser avec eux. À l’âge de seize ans, en 1940, elle a connu, pour la première fois, le phénomène, rare, de l’hémographie mystique. C’était le jour où elle a reçu le sacrement de confirmation dans la cathédrale de Mileto. Après la communion, elle a découvert, sur son vêtement, à hauteur de l’épaule, une croix de sang, d’environ 5 cm de haut. Le phénomène se répètera des centaines de fois pendant son existence : au cours d’extases ou de bilocations, le sang suintait de différents endroits de son corps (les joues, le front, les mains, la poitrine, les genoux). Sur ses vêtements, ou sur le mouchoir ou le linge où était recueilli son sang, des phrases, en différentes langues (italien, français, anglais, grec, latin, araméen), ou des dessins, apparaissaient, toujours dans une thématique spirituelle.

Après que différentes congrégations religieuses aient refusé de l’admettre comme novice, Nattuza se maria en 1944 avec un garçon de son village, Pasquale Nicolace, qui était menuisier. Elle avait posé comme condition que son futur mari s’engage à respecter sa vocation particulière. De cette union, naîtront cinq enfants.

Quelque temps après son mariage, la Vierge Marie lui apparut et lui annonça qu’un jour seraient construites « une grande église qui sera dédiée au Cœur immaculé de Marie refuge des âmes et une maison pour soulager les jeunes, les personnes âgées et tous ceux qui se trouvent dans le besoin ».

Toute sa vie, Mamma Natuzza, comme elle sera surnommée, fut favorisée de phénomènes mystiques extraordinaires : extases, visions de Jésus, de la Vierge Marie, de saint François de Paule et d’autres saints, stigmates, fragrances miraculeuses, bilocation.

Plus de cinquante cas de bilocation ont été attestés pendant sa vie. « Ce n’est jamais moi qui provoque la bilocation, a expliqué Natuzza. Des défunts ou des anges se présentent à moi et me conduisent dans des lieux où ma présence est nécessaire. Je vois parfaitement tout ce qui se trouve autour de moi. Je peux le décrire, je peux parler et être utile aux personnes que je trouve. Je peux ouvrir et fermer les portes, je peux agir. Je suis ici, chez moi, je parle avec les miens et je me sens en même temps dans un autre lieu où je parle et j’agis de la même façon. La bilocation, ce n’est pas comme un film que l’on voit au cinéma ou à la télévision. Je me trouve vraiment au milieu de l’endroit que je visite. Je reste dans cet endroit le temps nécessaire pour l’accomplissement de ma mission, quelques secondes ou quelques minutes. Je suis bien consciente que mon corps physique se trouve à Paravati (ou en quelque autre lieu, mais différent de celui que je visite). »

À partir de 1958, elle a été stigmatisée de manière visible et sur une longue durée (même si, depuis longtemps, elle connaissait des douleurs répétant la Passion du Christ). Les stigmates étaient visibles pendant le Carême et jusqu’au Vendredi Saint. Une particularité est à signaler : ses plaies n’étaient pas situées dans la paume des mains et dans la plante des pieds, comme chez la plupart des stigmatisés (et comme dans la représentation traditionnelle de la crucifixion), mais aux poignets et au-dessus des pieds. Ce qui correspond davantage à la technique historique de la crucifixion chez les Romains, et à l’image du Saint-Suaire.

Natuzza Evolo est étonnante par la variété et l’abondance des phénomènes extraordinaires qui ont caractérisé sa vie mystique, elle a été exemplaire aussi par sa discrétion et sa charité envers tous. Sa familiarité avec les défunts (on la surnommait « la radio de l’autre monde ») était autant connue que les autres grâces dont elle était favorisée. Pendant des décennies, elle a reçu chez elle, quatre soirs par semaine, des fidèles qui venaient demander des « nouvelles » de leurs défunts et solliciter des conseils spirituels.

Des groupes de prière se sont constitués spontanément à Paravati, puis dans le diocèse et dans toute l’Italie. Ces groupes de prière, organisés à partir de 1994 sous le nom de Cénacles du Cœur immaculé de Marie refuge des âmes, ont vu leurs statuts approuvés canoniquement par Mgr Cortese, évêque de Mileto, le 22 février 1999.

Dans les dernières années de sa vie, Natuzza Evolo a pu voir également le début de la construction des édifices qu’avait demandés la Vierge Marie dans son apparition de 1944. Le 30 mai 2006, la première pierre de l’église dédiée au Cœur Immaculé de Marie refuge des âmes a été posée.

Natuzza est décédée le 1er novembre dernier, à l’âge de 85 ans. Ses funérailles ont été célébrées par l’évêque du diocèse de Mileto, où elle a passé toute sa vie. Cinq autres évêques et plus de cent prêtres ont participé à la cérémonie.

Comme pour le Padre Pio, plusieurs médecins et de spécialistes ont examiné, à différentes époques, Natuzza Evolo.

Les contradicteurs et les explications rationalistes n’ont pas manqué non plus. La première est venue du P. Agostino Gemelli, célèbre franciscain, qui avait été médecin, spécialiste de neuro-psychologie, avant de devenir religieux et un des fondateurs de l’université catholique de Milan. En 1940, après le premier cas d’hémographie mystique, l’évêque de Mileto envoya le vêtement marqué du signe de la croix au P. Gemelli, accompagné d’un petit dossier sur Nattuza. Sans avoir rencontré la mystique, le P. Gemelli avait conclu à l’ « hystérie ».

C’est le même P. Gemelli qui avait été, vingt ans auparavant, un des principaux adversaires de Padre Pio. Il l’avait rencontré quelques instants, le 18 avril 1920, dans un couloir du couvent de San Giovanni Rotondo. Il avait rédigé ensuite un rapport pour le Saint-Office, sans avoir examiné les stigmates du saint capucin, et dans un article, publié à deux reprises en 1924, il l’avait rangé, sans le nommer, parmi les « stigmatisés hystériques » qui se procurent des stigmates « artificiellement, pour ainsi dire sans qu’ils s’en rendent compte ».

Le P. Gemelli repétait donc, pour Natuzza Evolo, un diagnostic établi à distance et une explication rationaliste.

En 1949, c’est un autre médecin, le professeur Annibale Puca, membre de la Société italienne de psychiatrie, qui portera un diagnostic semblable dans un article : Interpretazioni miracolistiche in un caso d’istérismo con sudore e grafia ematica, paru dans la revue Il Lavoro neuropsichiatrico (IV, 1949), la revue de l’Hôpital psychiatrique de la Province de Rome et de la Clinique des maladies nerveuses et mentales de l’Université de Rome. Il expliquait les « sueurs de sang » et l’hémographie mystique par une « vasodilatation segmentale » due à une « concentration émotive » portée à son plus haut degré d’intensité par une « hétéro-suggestion hypnotique ».

Plus récemment, deux ethno-sociologues, Maricia Boggio et Luigi-Maria Lombardi Satriani, ont cherché à expliquer les phénomènes observables chez Nattuza en référence aux traditions et croyances magiques de la culture populaire calabraise : Natuzza Evolo : il dolore e la parola (Rome, Armando editore, 2006).



"Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint" dit Serge Klarsfeld[1]
Le feu vert de Benoît XVI à la béatification du pape Pie XII suscite de nombreuses protestations au sein des communautés juives. Une décision qui “ne choque absolument pas“ l’historien Serge Klarsfeld, fondateur de l’association “Les fils et filles des déportés juifs de France“.

Que pensez-vous de la prochaine béatification de Pie XII ?

Serge Klarsfeld : C’est une affaire interne à l’Église ! Je pourrais presque dire que cette décision me laisse assez indifférent. Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint ! En revanche, une chose me heurte davantage : la publication des lettres antisémites de Céline dans La Pléiade, chez Gallimard. Même si Louis-Ferdinand Céline est considéré comme un génie littéraire, je trouve cela choquant. Et puis, si l’on parle beaucoup de Pie XII, pourquoi ne regarde-t-on pas aussi le général de Gaulle ? Il est considéré comme un saint en France ! Eh bien, lors de l’été 1942, après la rafle du Vel’ d’hiv’, le général de Gaulle n’a pas élevé la voix. Pourtant, par la suite, de nombreuses autres rafles ont suivi, menées uniquement par des uniformes français et organisées par l’administration préfectorale ! Le général de Gaulle n’a pas élevé la voix pour avertir par exemple : “Fonctionnaires, si vous arrêtez les juifs, vous serez arrêtés et traduits en justice !“.

Quel est votre jugement sur la position de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale?

Pie XII a joué un rôle déterminant contre Hitler, mais aussi dans la lutte contre le communisme en Europe de l’Est. Le Polonais Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, est né de la volonté de Pie XII de lancer ce mouvement de résistance. Le rôle de Pie XII a aussi été diplomatique et idéologique : il a été le rédacteur de l’encyclique de 1937 condamnant le nazisme et publiée par son prédécesseur.

Pourtant, on reproche à Pie XII son silence pendant la Shoah...

Tout cela est très difficile à apprécier. N’occultons pas que Pie XII a eu des gestes discrets et efficaces pour aider les juifs. Citons par exemple ce qui s’est passé à Rome. Un millier de juifs ont été arrêtés lors d’une rafle-surprise. Pie XII n’a pas protesté à voix haute, mais il a demandé aux établissements religieux d’ouvrir leurs portes. Résultat : des milliers de juifs ont pu être sauvés. Alors que si Pie XII avait élevé la voix, quelles auraient été les conséquences ? Est-ce que cela aurait changé les choses pour les juifs ? Probablement pas. Déjà, ses déclarations pour défendre les catholiques n’ont pas été entendues puisqu’en Pologne deux millions de catholiques ont été tués. Néanmoins, une prise de parole publique aurait sûrement amélioré la propre réputation de Pie XII aujourd’hui.

Au sein du monde juif, certains sont plus virulents que vous...

Quelques-uns, comme moi, essaient de regarder quels étaient la réalité historique et le contexte de l’époque. En revanche, d’autres ne pensent pas une seconde aux milliers de catholiques tués, mais en priorité aux rabbins et aux juifs massacrés pendant la Shoah. Mais le pape, c’est avant tout le pape des catholiques. La priorité de Pie XII était de protéger les catholiques des régimes nazi et communiste.

Alors que pensez-vous de cette polémique ?

Cette controverse ne me surprend pas. Elle me paraît assez normale dans la mesure où les archives du Vatican n’ont pas été ouvertes malgré des promesses. Il s’est quand même passé plus de 60 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les archives devraient être libres d’accès pour que l’on constate, par nous-mêmes, quels ont été les gestes et la réaction de Pie XII.
Cette réaction de Serge Klarsfeld est intéressante car elle montre qu’avec le temps certains arguments des défenseurs de la mémoire de Pie XII commencent à être entendus et acceptés. Je relèverai simplement une illusion qui persiste : que les « archives » du Vatican restant à explorer contiendraient des documents qui pourraient encore révéler des documents significatifs, susceptibles de faire comprendre « les gestes et la réaction de Pie XII » pendant la Seconde Guerre mondiale.

On rappellera, simplement, qu’une grande partie des archives vaticanes concernant cette période a été publiée, à l’initiative de Paul VI, à partir de 1965 : Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde guerre mondiale, Libreria Editrice Vaticana, 1965-1981, onze tomes en 12 volumes.

Ce vaste ensemble documentaire a longtemps été méconnu ou ignoré des historiens de la période. Certes il ne contient pas toutes les archives du Vatican sur la Seconde Guerre mondiale, mais on sait que Jean-Paul II a décidé d’ouvrir aux historiens le reste de la documentation conservée sur la période.

Cette masse documentaire est encore considérable, elle n’est pas encore intégralement classée et répertoriée. Pour avoir travaillé, il y a quelques années déjà, aux Archives Secrètes Vaticanes sur les pontificats de Pie X et de Pie XI, j’ai pu constater que pour chacune de ces périodes certaines archives n’étaient pas encore communicables aux chercheurs parce que le classement n’en était pas achevé.

Sous le pontificat de Pie XI, le futur Pie XII était nonce apostolique en Allemagne puis Secrétaire d’Etat. Les archives sur cette période, rendues accessibles ces dernières années, viennent confirmer ce que l’on savait déjà d’Eugenio Pacelli : il ne fut en rien complaisant avec l’Allemagne nazie.

Concernant le pontificat-même de Pie XII, les Archives Secrètes Vaticanes ont publié deux volumes intitulés Inter arma caritas. Le premier volume est l’inventaire des archives de l’ Ufficio informazioni Vaticano per i prigioneri di guerra, institué en 1939 et qui a fonctionné jusqu’en 1947 ; le second reproduit intégralement des centaines de documents. Ces deux volumes – près de 1500 pages au total – évoquent l’aide concrète, au cas par cas, apportée aux prisonniers de guerre de tous les camps, par le Saint-Siège et ses représentants. Le sort dramatique des Juifs n’est pas absent de ces volumes. Pourtant cette publication a été ignorée par les grandes revues historiques universitaires françaises et par les historiens de la période.

On ajoutera qu’entre le moment où la Congrégation pour les Causes des saints s’est prononcée, à l’unanimité, pour reconnaître les vertus héroïques de Pie XII (8 mai 2007) et le moment où Benoît XVI a signé le décret (19 décembre 2009), il s’est passé plus de deux ans. Le pape n’a pas tergiversé pendant plus de deux ans. Il a demandé au P. dominicain Ambrosius Eszer, un des rapporteurs généraux de la Congrégation, de mener une recherche exploratoire complémentaire dans les archives vaticanes. Son travail a duré dix mois. Ce qu’il a trouvé a confirmé ce que l’on savait déjà de la charité de Pie XII et de sa sollicitude pour les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Y.C.

Bulletin de réabonnement

Avec ce numéro 149, s’achève la dixième année de parution d’Aletheia. Quinze fois, cette année,  librement, sans souci de plaire ni crainte de déplaire, ont été publiées des informations et analyses au service de la Vérité et de l’Eglise. Et ce, dans un format plus que modeste.

Je remercie les quelques lecteurs qui ont déjà acquitté leur abonnement pour 2010. Il n’est pas interdit à ceux qui sont abonnés gratuitement par la magie d’internet d’apporter une contribution.

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Note

[1] Propos recueillis par Ségolène Gros de Larquier et publiés dans Le Point le 24 décembre 2009.

dimanche 29 novembre 2009

[Aletheia n°148] Louis XVI peut-il être canonisé? - Episcopi vagantes - par Yves Chiron

Aletheia n°148 - 29 novembre 2009 

Louis XVI peut-il être canonisé ? par Yves Chiron
L’abbé Edgeworth de Firmont, qui a assisté Louis XVI dans ses dernières heures et au pied de la guillotine, a laissé un témoignage émouvant et authentique sur cet épisode dramatique de notre histoire[1]. Il a montré comment Louis XVI avait accepté sa mort prochaine dans un esprit chrétien. Le roi condamné s’est préparé, comme tout bon chrétien doit le faire, à comparaître devant son juge, Jésus-Christ.
Pour l’abbé de Firmont, qui fut le dernier confident et le dernier confesseur de Louis XVI, la mort du roi n’est pas sans ressemblance avec la Passion du Christ. Il était persuadé que Louis XVI allait recevoir une immédiate « récompense », c’est-à-dire que son âme irait en Paradis.
Il ne faisait aucun doute pour lui, et pour de nombreux Français, prêtres, religieux, religieuses ou laïcs de cette époque, que Louis XVI mourait en authentique martyr chrétien. Cette certitude fut ensuite affirmée par le pape Pie VI.
L’allocution de Pie VI
Le 17 juin 1793, soit cinq mois après la mort du roi, le Pape prononce, en consistoire, une longue allocution tout entière consacrée à Louis XVI.
Il fait référence explicitement aux conditions posées par Benoît XIV dans son célèbre traité sur la béatification et la canonisation et il montre qu’on peut considérer Louis XVI comme un authentique martyr. Il donnait trois raisons essentielles :
• la cause de sa mort est bien la haine de la foi catholique ;
• le roi a accepté sa mort non seulement avec courage, mais dans un esprit de foi et de sacrifice ;
• si dans sa vie privée ou publique, le roi défunt a commis des fautes, il les a regrettées, il s’en est confessé et elles ont été amplement lavées par le sang du martyr.
Cette magnifique allocution du pape, écrite dans l’émotion du moment, a été connue de l’Europe entière par de nombreuses traductions et éditions[2].
Mais, le pape Pie VI n’a pas proclamé Louis XVI comme « martyr » ; il n’a pas voulu contourner les procédures canoniques habituelles.
Or la cause de béatification de Louis XVI n’a jamais été ouverte, malgré les tentatives qui ont été faites.
La réponse de la Congrégation des Rites
Au début de la Restauration, soit un peu plus de vingt ans après la mort de Louis XVI, la mémoire du roi-martyr restait vive. En 1816, sur la proposition de Sosthène de La Rochefoucauld, la Chambre des Députés a voté une loi qui faisait du 21 janvier un jour de deuil national.
En 1820, la duchesse d’Angoulême, c’est-à-dire Marie-Thérèse, la fille survivante de Louis XVI et de Marie-Antoinette, fit part au nonce du pape à Paris de son désir de voir introduite la cause en béatification de son père. Le nonce, Mgr Macchi, en référa au cardinal Consalvi, secrétaire d’Etat de Pie VII.
Le cardinal fit examiner la requête par la Congrégation des Rites chargée, à l’époque, des causes de béatification et de canonisation. Il en résulta un long mémoire, en italien, qui a été envoyé au nonce à Paris en septembre 1820[3].
La Congrégation des Rites rappelait diverses notions théologiques et quelques principes canoniques. Était rappelée la définition du martyre donnée par saint Augustin : « ce n’est point le supplice, mais la cause du supplice qui constitue le véritable martyre ».
En d’autres termes, ce n’est pas la façon dont le chrétien est mort qui en fait un martyr mais la raison pour laquelle il a été mis à mort. Tout chrétien innocent mis à mort n’est pas pour autant un martyr. Pour qu’il y ait  martyr, il faut non seulement que le persécuteur ait agi en haine de la foi mais aussi que la victime soit morte pour conserver intacte cette foi, ait préféré la mort plutôt que de renier la foi.
En 1820, donc, la Congrégation des Rites a estimé qu’il n’était pas possible de démontrer irréfutablement que la mort de Louis XVI réunissait ces conditions. Le mémoire dit : « comment pourra-t-on démontrer qu’il fut immolé par les impies en haine de la foi, et non pas pour des motifs temporels ».
La Congrégation des Rites donnait deux raisons :
• la Révolution a sacrifié Louis XVI d’abord pour « affermir […] la République naissante » ;
• même si Louis XVI avait accepté « tous les principes irréligieux et tous les décrets abominables » de la Révolution, il aurait été mis à mort.
La Congrégation des Rites rappelait aussi que la procédure en vue d’une béatification doit être engagée par le diocèse où est mort Louis XVI, c’est-à-dire par l’archevêque de Paris. Le Procès diocésain consistera essentiellement en une audition de témoins pour recueillir, sous serment, toutes données factuelles permettant de reconstituer la chronologie de l’événement et d’établir la preuve du martyre au sens traditionnel.
Si les preuves sont jugées suffisantes, alors la cause pourra être introduite à Rome auprès de la Congrégation des Rites. Même si les causes du martyre étaient reconnues comme telles, il fallait encore, à l’époque, que deux miracles soient reconnus pour que le martyr soit proclamé bienheureux et deux autres pour qu’il soit proclamé comme saint.
En précisant ces étapes d’une procédure possible, la Congrégation des Rites ne faisait que rappeler les règles canoniques alors en usage.
La prudence des archevêques de Paris
Le moins qu’on puisse dire est que ce mémoire de 1820 était peu encourageant ; il estimait que l’issue d’une éventuelle procédure était « très incertaine ».
L’archevêque de Paris en fonction en 1820, Alexandre de Talleyrand de Périgord (oncle du célèbre Talleyrand, l’évêque défroqué), n’osa pas s’engager dans une entreprise que la Congrégation des Rites estimait « pour le moins douteuse ».
Son successeur, Mgr de Quelen, archevêque de 1821 à 1836, n’ouvrit pas non plus d’information.
Les divisions et les difficultés politiques de la Restauration ont contribué à rendre un éventuel procès canonique de plus en plus délicat. Après la Révolution de 1830, la monarchie de Juillet a supprimé, en 1833, le jour de deuil national voté dix-sept ans plus tôt.
Au XIXe et au XXe siècle, plusieurs mémoires ont été publiés, par des particuliers, pour inciter à l’introduction de la cause de béatification et de canonisation de Louis XVI.
L’image et l’idée de Louis XVI « roi martyr » ont perduré jusqu’à aujourd’hui. En 1943, le marquis de La Franquerie publiait un petit livre avec ce titre[4]. L’ouvrage était préfacé par l’archevêque d’Avignon, Mgr de La Villerabel, qui souhaitait, clairement, la béatification de Louis XVI comme martyr.
À partir de 1950, et pendant un demi-siècle, Paul et Pierrette Girault de Coursac ont publié de nombreux ouvrages pour réhabiliter la mémoire de Louis XVI. Leur premier livre s’intitulait, Le roi stigmatisé, publié en 1950. En 1976, ils faisaient paraître Louis XVI roi martyr ?, le point d’interrogation n’était là que pour ne pas préjuger de la décision de l’Eglise.
En 1992, les deux auteurs ont adressé au Saint-Siège un mémoire pour demander l’ouverture de la cause de béatification de Louis XVI. Le cardinal Felici, alors préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, leur a répondu : « Cette congrégation reçoit quelquefois des lettres postulatoires en faveur de cette cause, mais, selon les dispositions juridiques actuelles, elle ne travaille que sur une documentation envoyée par les ordinaires des lieux où sont morts les Serviteurs de Dieu. En cette matière, les évêques sont les premiers juges de l’opportunité d’une cause… »[5].
 Finalement, jusqu’à ce jour, aucune procédure canonique n’a jamais été engagée. L’initiative ne pourrait en venir, aujourd’hui, que du cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, puisque c’est dans ce diocèse qu’est mort Louis XVI.
Déjà, en 1820, la Congrégation des Rites estimait qu’il y aurait lieu de « s’interroger, avant d’esquisser le moindre pas, sur le fait de savoir s’il convient, dans les circonstances actuelles, d’ouvrir une cause qui ne manquera pas de susciter quelque tapage ».
Aujourd’hui, on voit mal l’archevêque de Paris courir le risque d’un « tapage » médiatico-politique.
L’Institut du Bon Pasteur et diverses associations ont organisé, le 21 mars dernier, un colloque consacré à Louis XVI. Les Actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Faut-il canoniser Louis XVI ; ils sont disponibles à l’Institut du Bon Pasteur (12 rue Saint-Joseph, 75002 Paris).
Je publie ici une version révisée et corrigée de ma communication à ce colloque.

EPISCOPI VAGANTES
En 1961, le pasteur anglican Henry Brandreth, recteur d’une des églises anglicanes de Paris, recensait quelque 200 episcopi vagantes dans le monde, c’est-à-dire des personnes qui prétendaient avoir reçu une consécration épiscopale sans être pourtant en communion avec une des Églises historiques (Église catholique, Communion anglicane, orthodoxes)[6].
Aujourd’hui, même en se limitant aux seuls episcopi vagantes qui se réclament de l’Église catholique, on dépasse très largement ce chiffre.
Celui qui signe  ”MRJV”[7] avait publié, en mars 2007, un Organigramme des successions épiscopales thucistes et leurs différents liens, que j’avais recensé ici. Aujourd’hui, il publie une nouvelle version du même travail, dans une édition plus claire (avec flèches et courbes), corrigée et complétée[8].
Cela nous vaut un long organigramme (29 cm de haut sur 2,18 m de large), où sont présentées les différentes successions épiscopales parallèles : « thucistes », « palmariennes », « guérardiennes » et autres.
Deux regrets : que Mgr Lefebvre et les évêques qu’il a consacrés illicitement en 1988 figurent encore dans cet organigramme alors que ceux-ci ont bénéficié d’une levée d’excommunication. Deuxième regret : qu’un index des noms ne vienne pas compléter l’organigramme, il rendrait le document plus aisément consultable.
Parmi les successions épiscopales qui se forment, on relèvera celle de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie V (dissidence de la Fraternité Saint-Pie X, née aux Etats-Unis) : après la consécration épiscopale de Clarence James Kelly en 1993, il y a eu celle de Joseph Santay en 2007.
Les choses se compliquent lorsque l’évêque consacré, par souci de légitimité ou pour des raisons plus bassement clientélistes, cherche à se faire consacrer à nouveau par un autre évêque illégitime. Ainsi Hugues-Georges de Willmott-Newman a été consacré évêque onze fois ! Il a lui-même sacré d’autres évêques. MRJV signale quatre évêques consacrés par Willmott-Newman, en fait il y en a eu vingt entre 1944 à 1966.
Sur cet organigramme figure, parfois, le nom des prêtres ordonnés par ces episcopi vagantes. Si l’auteur avait voulu indiquer toutes les ordinations sacerdotales effectuées par ces episcopi vagantes, il lui aurait fallu mentionner des centaines de noms. Pourquoi avoir retenu certaines ordinations et pas d’autres ? Ainsi pourquoi mentionner « T. Cazal » (en fait, Thomas Cazalas) ordonné par l’évêque guérardien Mc Kenna et ne pas mentionner Michel Adriantsarafara ordonné par un autre évêque guérardien, Geert Stuyver ? Pourquoi mentionner encore l’ordination d’un prêtre – dont je ne citerai par le nom – ordonné de manière illicite par Mgr Ngo Dinh Thuc en 1981 mais qui, depuis, a fait régulariser sa situation canonique ?
La complexité du réseau des episcopi vagantes, la multiplicité des affiliations, le caractère souvent secret des consécrations et reconsécrations épiscopales, sans parler des prétentions infondées, rendent difficile l’information exacte et exhaustive.
Tel qu’il est, le travail de MRJV rendra néanmoins de grands services aux chercheurs et aux curieux. Il devrait aussi éclairer les fidèles catholiques qui s’interrogent sur la légitimité voire la validité de telle messe, de telle confirmation ou de telle ordination sacerdotale célébrées par tel ou tel « évêque ». 

[1] Les pages de l’abbé de Firmont ont été publiées par M.V. Woodgate, Le dernier confident de Louis XVI. L’abbé Edgeworth de Firmont, Téqui, 1992.
[2] Dernière édition intégrale dans Yves Chiron, Edmund Burke et la Révolution française, Téqui, 1987, p. 155-173.
[3] Mémoire publié en version originale et en traduction par Philippe Boutry, « ”Le Roi martyr”. La cause de Louis XVI devant la Cour de Rome (1820) », Revue d’Histoire de l’Eglise de France, n° 196, janvier-juin 1990, p. 57-71.
[4] Louis XVI, le roi-martyr, 1943 ; réédité en 1974 aux éditions Résiac.
[5] Lettre du cardinal Felici à Paul et Pierrette Girault de Coursac, le 5 juin 1992. Cf. Yves Chiron, Enquête sur les canonisations, Perrin, 1998, p. 239-241.
[6] Henry R.T. Brandreth, Episcopi vagantes and the Anglican Church, Londres, S.P.C.K., 1961 (1ère édition 1947).
[7] Il s’agit de Monsieur R. J. Veyron, qui se présente comme « chercheur indépendant ».
[8] À commander à MRJV 11 rue Ambroise Fredeau 31500 Toulouse.

samedi 28 novembre 2009

Livres d'Yves Chiron + livres autour de Charles Maurras

Yves Chiron a écrit quelques livres, disponibles en librairie. Ils peuvent aussi être commandés directement auprès de l'auteur, la liste en est disponible ici au format PDF. Les ouvrages qui ont fait l'objet de traductions sont signalés pour information, mais ces traductions ne sont pas disponibles auprès de l'auteur.

Il est proposé, par ailleurs, en premier lieu, des livres, neufs ou anciens, de Charles Maurras. Puis, des ouvrages sur Charles Maurras et sur l’Action française et des ouvrages d’auteurs de l’école d’Action française. Et, accessoirement, des ouvrages et revues sur divers sujets. Cette initiative n’est pas une entreprise commerciale. Tous les bénéfices contribuent au financement des Éditions BCM dans le cadre de l’Association Anthinéa. - En voici la liste au format PDF.