jeudi 27 décembre 2001

[Aletheia] Canonisation du fondateur de l’Opus Dei - Autorisation du culte public à l’Ile-Bouchard

Yves Chiron - Aletheia n°23 - 27 décembre 2001

Canonisation du fondateur de l’Opus Dei

Mgr Josemaria Escriva De Balaguer, fondateur de l’Opus Dei, sera canonisé au printemps ou à l’automne prochain. Le 20 décembre dernier, Jean-Paul II a approuvé le décret reconnaissant le caractère miraculeux d’une guérison attribuée à son intercession. Le même jour, quatre autres décrets de guérisons miraculeuses étaient signés par le pape, permettant ainsi la canonisation future d’autres bienheureux. Parmi les futurs canonisés, figure aussi le bienheureux Padre Pio.

La canonisation prochaine des bienheureux Padre Pio et Josemaria Escriva a déjà provoqué l’inquiétude voire la colère de certains. Guillaume Goubert, rédacteur en chef adjoint de La Croix a, le 21 décembre, dit son “ émotion inquiète ” et sa préoccupation “ de ce que l’Eglise catholique dit d’elle-même au travers de telles canonisations ”. Il estime que “ d’autres manières d’annoncer l’Evangile mériteraient - mériteront - d’être honorées ”. Et de citer les noms de Don Sturzo, le fondateur de la Démocratie chrétienne, et de Mgr Romero, l’évêque assassiné au Salvador.

A n’en pas douter, la canonisation de Mgr Escriva n’a pas fini de susciter des controverses. Certains font remarquer que cette canonisation aura été très rapide. Il est vrai que Mgr Escriva sera le saint le plus “récent” de l’histoire de l’Eglise : mort en 1975, sa cause de canonisation a été introduite en 1981, il a été béatifié dix ans plus tard et va être canonisé vingt-six ans après sa mort. Une telle brièveté, dans l’examen d’une cause et sa double conclusion, si elle est exceptionnelle n’est pas unique dans l’histoire de l’Eglise. Saint Charles Borromée, lui aussi, a été canonisé exactement vingt-six ans après sa mort, survenue en 1584 ; et saint Philippe Neri a été canonisé moins de vingt-sept ans après sa mort.

Si la cause de canonisation de Mgr Escriva a abouti si vite, - outre ses vertus personnelles, évidemment -, c’est que la nature de l’oeuvre qu’il a créée favorisait par elle-même l’expansion de la réputation de sainteté de son fondateur. A la mort de Mgr Escriva, l’Opus Dei comptait quelque 60.000 membres répartis sur tous les continents, dans 80 pays. C’est tout naturellement que ces membres ont voulu voir la sainteté de leur fondateur être reconnue. Les postulateurs, lorsqu’ils ont voulu que Rome introduise la cause de canonisation de Mgr Escriva, n’ont eu aucun mal à rassembler les lettres postulatoires nécessaires : environ 6.000, dont 69 de cardinaux, 241 d’archevêques, 987 d’évêques et 41 de supérieurs d’ordres et de congrégations religieuses. Tous n’appartenaient pas à l’Opus Dei mais une telle vague (plus d’un tiers de l’épiscopat mondial) montrait le rayonnement et l’influence de l’Opus Dei.

Un autre point mérite, en revanche, d’être relevé. Mgr Escriva va être le premier saint de l’histoire de l’Eglise (le premier canonisé) à avoir célébré, de manière habituelle dans les dernières années de sa vie, le nouveau rite de la messe. La question s’élargit à celle plus générale de l’attitude de l’Opus Dei face à la crise de l’Eglise et aux bouleversements liturgiques. Il y a là, me semble-t-il, un intéressant sujet historique à étudier. Et, plus encore, une considération doctrinale à faire : si le nouveau rite de la messe n’est pas orthodoxe, comme le dit la Fraternité Saint-Pie X (cf., par exemple, la mise au point faite par l’abbé Grégoire Celier dans Monde et vie du 13.12.2001), comment est-il possible de se sanctifier en la célébrant ?

Autorisation du culte public à l’Ile-Bouchard

Du 8 au 14 décembre 1947, dans une période très troublée de l’histoire de France - avec une évidente tentative de subversion communiste -, la Vierge Marie est apparue sept fois à quatre petites filles de L’Ile-Bouchard, en Indre-et-Loire. La Vierge Marie, dans ses messages, demanda notamment : “ Dites aux petits enfants de prier pour la France, car elle en a grand besoin ”.

Ces apparitions de la Vierge, si elles n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement canonique reconnaissant leur authenticité, ont été considérées avec une bienveillance grandissante par les évêques successifs du diocèse :

- en 1966, l’église Saint-Gilles, où ont eu lieu les apparitions, est dédiée à Notre-Dame de la Prière ;

- en 1988, Mgr Honoré, archevêque de Tours, autorise l’installation dans l’église, sur le lieu des apparitions, d’une statue de la Vierge réalisée selon les descriptions des voyantes ;

- en 1992, il donne son imprimatur à une étude historique et théologique de grande ampleur : Marie-Réginald Vernet o.p., L’Ile-Bouchard, la Vierge et ses apparitions, Téqui, 1992, 422 pages ;

- le 8 décembre 2001, au terme d’une enquête canonique qui aura duré dix-huit mois, Mgr Vingt-Trois, publie un décret qui autorise les pèlerinages et le culte public à Notre-Dame de la Prière.

En voici le texte intégral :

Décret

Depuis 1947, de nombreux catholiques viennent en pèlerinage à l’église paroissiale Saint-Gilles de L’Ile-Bouchard pour y vénérer la Vierge Marie. Ces pèlerinages ont porté de nombreux fruits de grâce. Sans jamais céder à l’attrait du sensationnel, ils développent un esprit de prière et contribuent à la croissance de la foi des participants.

Après avoir soigneusement étudié les faits et pris conseil des personnes compétentes, j’autorise ces pèlerinages et le culte public célébré en l’église paroissiale Saint-Gilles de l’Ile-Bouchard pour invoquer Notre-Dame de la Prière, sous la responsabilité pastorale du curé légitime de cette paroisse.

Fait à Tours, le 8 décembre 2001

En la fête de l’Immaculée-Conception

+ André VINGT-TROIS

Archevêque de Tours

Signalons encore qu’une des quatre voyantes de 1947, Jacqueline Aubry, livre parfois son témoignage sur les apparitions à l’occasion de visites dans des communautés religieuses ou lors de rassemblements de prière. Une cassette contenant le témoignage de J. Aubry est disponible à l’Abbaye Sainte-Madeleine, 84330 Le Barroux.

lundi 17 décembre 2001

[Aletheia n°22] In Memoriam Mgr Piolanti + Mgr Marchetto et l’interprétation du Concile + Medjugorje “source de division dans l’Eglise” + Condamnation de l’ “Armée de Marie”

Aletheia n°22 - 17 décembre 2001
In Memoriam Mgr Piolanti
• Mgr Marchetto et l’interprétation du Concile
• Medjugorje “source de division dans l’Eglise”
• Condamnation de l’ “Armée de Marie”
----------
Mgr Piolanti (1911-2001)
Mgr Antonio Piolanti est mort, à Rome, le 28 septembre dernier. Gravement malade depuis plusieurs années, il est mort sans avoir reçu la dignité cardinalice que son service inlassable et fidèle de l’Eglise pouvait laisser espérer à ses amis.
En consultant l’Annuario Pontificio pour l’année 1954, au coeur du pontificat de Pie XII, on relève la multiplicité des fonctions qu’exerçait alors Mgr Piolanti : camérier secret depuis 1947 et professeur de théologie à l’Université pontificale du Latran, il était consulteur de la Congrégation De Propaganda Fide, conseiller de la Congrégation des Séminaires, prélat référendaire au Tribunal de la Signature Apostolique, examinateur apostolique du clergé au Vicariat de Rome, membre de l’Académie de saint Thomas d’Aquin (fondée par Léon XIII) et membre de l’Académie Pontificale de l’Immaculée.
Il avait fondé aussi, en 1948, une revue trimestrielle de théologie et de philosophie thomiste, Doctor communis (qui existe toujours) et en 1956 une autre revue de théologie, Divinitas (qui existe encore elle aussi). Il fut un des inspirateurs de l’encyclique Humani generis (1950) dans laquelle Pie XII mettait en garde contre “ un irénisme imprudent ”, le “ relativisme dogmatique ”, l’ “ exégèse nouvelle ” et autres “ opinions fausses qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique ”.
Sur un des points mis en question par l’encyclique (une fausse conception du “ surnaturel ” - et l’ouvrage du même nom du père de Lubac était visé même s’il n’était pas nommé), Mgr Piolanti multiplia ensuite les ouvrages, notamment en publiant Aspetti della grazia, Rome, Edizioni Ares, 1958. Cette année-là aussi, Mgr Piolanti, recteur de l’Université pontificale du Latran depuis un an, dirigea la publication d’un important volume collectif, Il Protestantesimo ieri e oggi (Rome, Libreria Editrice della Pontificia Università Lateranense, 1385 pages). Cet énorme volume, articulé en trois parties (Origines et développement du protestantisme, Etat actuel du protestantisme, Doctrine du protestantisme et réfutation catholique), rassemblait, pour une des dernières fois avant le concile Vatican II, ce que la “ théologie romaine ” comptait de représentants les plus éminents : notamment Mgr Palazzini, Mgr Gherardini, le père Spiazzi.
Mgr Piolanti fut associé aux travaux de la Commission antépréparatoire du concile Vatican II dès 1959 puis, pendant le concile, il fut membre de la Commission de doctrina. Dans l’après-concile, il fut de ceux qui, à Rome, étaient de moins en moins en consonance avec certaines des nouvelles orientations doctrinales, pastorales et liturgiques. En 1969, il perdit sa charge de recteur du Latran mais il put continuer à exercer une certaines influence par les revues qu’il dirigeait toujours, par les charges qu’il put encore occuper (vice-président puis président de l’Académie de S. Thomas et secrétaire de l’Académie Pontificale Théologique Romaine), et par des collections d’ouvrages qu’il créa à la Libreria Editrice Vaticana (“Studi e ricerche sul clero romano”, “Biblioteca per la storia del tomismo”) et aux éditions Citta Nuova (“Studi tomistici”).
La dernière cause à laquelle Mgr Piolanti s’est dévoué, jusqu’à ses dernières forces, a été celle de la béatification de Pie IX. Postulateur de cette cause depuis 1971, Mgr Piolanti s’activa, avec intelligence et sérieux, à promouvoir une meilleure connaissance d’un pape réduit trop souvent à des caricatures. A partir de 1972, il publia une revue trimestrielle, Pio IX, consacrée à des études historiques sur les différents aspects de la vie et du pontificat du pape de l’Immaculée Conception et du Syllabus et, en 1975, il lança à la Libreria Editrice Vaticana une collection de Studi Piani .
Mgr Piolanti accueillait volontiers les visiteurs intéressés par Pie IX dans ses appartements du Palazzo Canonici, au Vatican. Je garde en mémoire les conversations que nous avons eues dans les années 80/90 à propos de la biographie de Pie IX que je préparais. Je conserve précieusement aussi, comme des pièces émouvantes de cette amitié qui nous liait, deux cadeaux qu’il m’avait faits : le gros volume relié de plus de mille pages du Summarium de la Positio super Introductione Causae de Pie IX, publié en 1954 par la Sacrée Congrégation des Rites et une médaille du pape Pie IX fondue dans le plomb de son premier cercueil et que le vénéré prélat offrait aux visiteurs avec lesquels il se sentait en conformité d’esprit.
Une des dernières joies de Mgr Piolanti aura été, un an avant sa mort, de voir Pie IX béatifié par Jean-Paul II. Mgr Piolanti a trouvé en Mgr Gherardini un digne héritier qui saura, si Dieu le veut et si un pape l’ose, conduire le bienheureux Pie IX jusqu’à la canonisation.
----------
Interprétations de Vatican II
Mgr Angelo Marchetto, lecteur attentif d’Alètheia, était jusqu’à présent observateur permanent du Saint-Siège auprès de la F.A.O. (Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture). Jean-Paul II vient de le nommer secrétaire du Conseil pontifical pour la Pastorale des migrants.
Mgr Marchetto a publié plusieurs articles remarqués, notamment dans l’Osservatore romano, sur l’herméneutique du concile Vatican II. Un certain nombre de ces études ont déjà été recensées ici. Dans le n° 38 de l’Archivum Historiae Pontificiae (Piazza della Pilotta, 00187 Roma, Italia), Mgr Marchetto publie une longue note critique intitulée : “ Il Concilio Vaticano II : considerazioni su tendenze ermeneutiche dal 1990 ad oggi ” (p. 275-286). Mgr Marchetto fait remarquer d’abord que les nombreux travaux historiques consacrés jusqu’ici au concile Vatican II ont finalement peu utilisé et peu tenu compte des Actes officiels du concile dont l’édition critique a été assurée par Mgr Carbone et qui est achevée depuis peu (62 gros tomes, au total).
Mgr Marchetto souligne aussi, comme dans ses précédents articles, combien l’historiographie actuelle du concile est dominée par une problématique lancée avec force moyens par l’Institut pour les sciences religieuses de Bologne, du professeur Giuseppe Alberigo. Le professeur Alberigo est le maître d’oeuvre d’une grande Histoire du concile Vatican II, en plusieurs volumes, dont l’édition italienne, qui compte pour l’instant quatre tomes, connaît déjà des traductions française, allemande, anglaise, espagnole et portugaise. Mgr Marchetto estime que cette Histoire est “ idéologique ” plus que véritablement historique parce qu’elle est sous-tendue par une herméneutique simpliste : la “ nouveauté ” de Vatican II serait d’être, dans sa phase Jean XXIII, une “ rupture avec le passé ”, tandis que, dans sa phase Paul VI, il serait en retrait et en recul.
Mgr Marchetto estime encore que l’ouvrage d’A. Zambarbieri, I Concilii del Vaticano (Cinisello Balsamo, Ed. San Paolo, 1995) est “ la meilleure synthèse publiée jusqu’ici, en langue italienne ”, notamment parce que l’auteur a utilisé abondamment les Acta signalés plus haut et a mis en connexion les actes de Vatican I - “ in combinata non casuale ” - avec ceux de Vatican II.
----------
Medjugorje, “source de division dans l’Eglise”
Au dernier Synode des évêques, réuni à Rome en octobre dernier, le cardinal Puljic, archevêque de Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), a déploré que les supposées apparitions de la Vierge à Medjugorje soient une “ source de division dans l’Eglise ”. Il a évoqué la désobéissance des Franciscains de Medjugorje, ardents partisans, dès l’origine - 1981 - des supposées apparitions de la Vierge. Il a regretté que ces Franciscains, en conflit avec l’évêque du diocèse depuis un quart de siècle, “ imposent leurs propres points de vue ” en n’hésitant pas à arguer de “ pseudo-charismes ”.
Cette intervention, très importante, vient renforcer la position de Mgr Peric, évêque de Mostar, diocèse où se trouve Medjugorje, qui tient les supposées apparitions - qui se poursuivent depuis vingt ans - comme “ non-surnaturelles ”.
----------
Nouvelle condamnation de l’Armée de Marie
La Conférence des évêques catholiques du Canada a rendu publique, le 15 août 2001, une longue “ Note doctrinale sur l’Armée de Marie ”. L’Armée de Marie, oeuvre de prière et de sanctification, a été fondée le 28 mai 1971, au Québec, par Marie-Paule Giguère, une âme mystique qui a publié, en quinze volumes, son autobiographie sous le titre de Vie d’amour. L’Armée de Marie a été reconnue, comme pieuse union, en 1975, par un décret canonique de Mgr Roy, archevêque de Québec. L’Armée de Marie, les révélations et visions de Marie-Paul Giguère, ont trouvé, en France de nombreux défenseurs : notamment l’abbé Jean Derobert, qui a publié des dizaines d’ouvrages et de brochures sur les apparitions et faits extraordinaires ; Raoul Auclair, auteur millénariste qui rejoindra, finalement, l’Armée de Marie au Canada (où il est mort) ; même l’abbé Laurentin (cf. Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui, Fayard, 1991, 3e édition, p. 151-152).
A partir de 1986, des mises en garde ont été faites par l’archevêché de Québec à propos de nombreuses “ erreurs graves ” répandues dans les publications de l’Armée de Marie. Le 4 mai 1987, un décret du cardinal Vachon, archevêque de Québec, révoquait le décret par lequel son prédécesseur avait érigé l’Armée de Marie en pieuse union.
Aujourd’hui, c’est une note doctrinale plus développée qui met en garde les catholiques. Comme cette note n’a été publiée, à ma connaissance, par aucune publication française, même pas par la Documentation catholique, il n’est pas inutile d’en reproduire l’essentiel :
Les activités et les enseignements de l’Armée de Marie comportent des dangers réels pour l’Eglise catholique au Canada et pour la foi de ses membres. En raison de ces faits et de la menace continue de division pesant sur l’intégrité et l’unité de la foi catholique au Canada, par la présente, les évêques canadiens déclarent et informent tous les fidèles de l’Eglise catholique au pays, que l’Armée de Marie, même si celle-ci soutient le contraire, ne peut pas être considérée comme une association catholique. Certains des enseignements qu’elle propage à propos de la rédemption, de la Vierge Marie et de la “ réincarnation ” s’écartent fondamentalement de l’enseignement et de la profession de foi de l’Eglise catholique. Parce que la foi des fidèles s’en trouve menacée, nous, les évêques du Canada, exhortons les membres et les sympathisants de l’Armée de Marie à cesser leurs activités, quelles qu’elles soient : publications, participation aux rencontres de prière et aux célébrations liturgiques, spécialement celles qui ont lieu au Centre Spiri-Maria, au Québec.
(...) La supposée révélation privée sur laquelle l’Armée de Marie fonde sa seule prétention à la légitimité introduit des doctrines nouvelles et erronées au sujet de la Vierge Marie et de son rôle dans l’histoire du salut. Elle va au-delà de la Révélation définitive du Christ et y ajoute grandement. L’Armée de Marie veut faire croire à ses membres, par exemple, que leur “ Immaculée ” est co-éternelle et habite dans la personne même de la dépositaire de ces révélations privées. C’est à cause de tels efforts fallacieux en vue d’ajouter à l’essence même de la foi que la reconnaissance d’association catholique a été retirée à l’Armée de Marie.
----------
Revue des revues
L’Homme nouveau (10 rue Rosenwald, 75015 Paris, 18 F le numéro) a connu d’assez importantes transformations depuis que Philippe Maxence, venu de la Nef, en est devenu le rédacteur en chef. Dans le numéro du 16 décembre, on trouve notamment un très intéressant dossier sur Charles Ier de Habsbourg, le dernier empereur d’Autriche-Hongrie ; dont un entretien avec Mgr Krenn, évêque de Sankt Pölten, président de la Gebetsliga, Ligue de prière pour la cause de béatification de Charles de Habsbourg.
Certitudes (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 50 F le numéro) publie un dossier critique de dix articles consacrés à la thèse - contestable - de Jacques Prévotat : Les Catholiques et l’Action Française. Histoire d’une condamnation, 1899-1939, Fayard, 742 pages.
D.I.C.I. (149 rue la Délivrande, Péricentre 4 - Bât. B, 14000 Caen, 10 F le numéro) publie un article de M. l’abbé Aulagnier intitulé “ Le card. Castrillon Hoyos dans la “bataille” de la messe ” où il estime que la nouvelle messe “ n’est pas contraignante précisément parce qu’il manque la note de constance, d’antiquité, de continuité. ” Il écrit aussi : “ il n’y aura jamais prescription, prescription trentenaire ; on commence à entendre cet argument (Dom Gérard - Yves Chiron...). Car la présence constante de cette nouvelle messe, même si elle peut revendiquer maintenant trente ans d’existence, ne fut jamais une présence paisible.” Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, dans l’Adresse au Saint-Père qu’il faisait le 2 février 2001, envisageait encore une alternative : “ modification ou abrogation ”.



dimanche 18 novembre 2001

[Aletheia n°21] Les “marges” du christianisme

Aletheia n°21 - 18 novembre 2001
Les “marges” du christianisme
Sous la direction de Jean-Pierre Chantin paraît le  dixième volume du Dictionnaire du monde religieux dans la France Contemporaine , une série commencée en 1985 avec un volume sur les Jésuites. Ce dixième volume est consacré aux Marges du christianisme et porte en sous-titre “ Sectes ”, dissidences, ésotérisme (Beauchesne, octobre 2001, 279 pages, 297 F).
Comme dans les volumes précédents de la série, il s’agit de faire un inventaire des personnalités qui, de 1800 aux années 1970, se rattachent à la thématique retenue. Pour ce volume, consacré aux     “ marges ” du christianisme - concept vague et contestable, nous le verrons - 188 personnalités ont été retenues et font l’objet, de la part d’historiens spécialistes des questions traitées, de notices biographiques d’une longueur inégale (d’une vingtaine de lignes à plusieurs pages), toujours suivies d’une bibliographie.
Le maître-d’oeuvre de cet ouvrage collectif, Jean-Pierre Chantin, définit la “ marge ” comme la situation de celui qui s’est mis en rupture avec un centre. Ici, la marge par rapport au christianisme est définie comme “ distance prise de manière nette avec les grandes traditions ou institutions chrétiennes : catholicisme, protestantisme et orthodoxie ”.
On y trouve donc la kyrielle des ésotéristes chrétiens (Péladan, Sarachaga et tant d’autres) et celle non moins nombreuse des fondateurs ou figures éminentes des   “ petites églises ” (de Danyel, dit Tugdual Ier, le fondateur de la Sainte Eglise celtique à Patrick Truchemotte, qui portait le titre de patriarche de l’Eglise catholique gallicane). On y trouve les fondateurs de sectes, dans la mesure où ils sont issus et se sont réclamé du christianisme (de Georges Roux, dit le Christ de Montfavet, à Georges Bourdin, dit le Messie cosmo-planétaire). On y trouve aussi des modernistes impénitents (Loisy, Loyson, Turmel). Ces voisinages se justifient parce que tous, dans leur vie et leur oeuvre, correspondent bien en effet à la thématique définie plus haut : une “ distance prise de manière nette ” avec l’Eglise et son enseignement.
Mais, et c’est là où l’ouvrage par ailleurs si riche est très contestable, à ces quatre catégories, deux autres ont été ajoutées : différentes visionnaires et mystiques et cinq personnalités du traditionalisme (les abbés Boyer, Coache et de Nantes, le père Guérard des Lauriers et Mgr Lefebvre).
Le cas Lefebvre
Pour s’en tenir à Mgr Lefebvre, la figure la plus connue du traditionalisme post-conciliaire, sa place n’était vraiment pas, selon nous, dans un tel volume où foisonnent les déséquilibrés et les esprits faibles.
Luc Perrin, le rédacteur de la notice consacrée à Mgr Lefebvre - notice bien informée, au demeurant -, a bien conscience de l’incongruité de la situation, pour ne pas dire plus, puisqu’il écrit dès les premières lignes : “ Avant d’aborder le récit d’une marginalisation imprévisible, il faut souligner que Marcel Lefebvre (et ses disciples après lui) s’est toujours voulu au centre de l’Eglise romaine et qu’il a récusé la légitimité des sanctions canoniques qui lui valent de figurer dans cet ouvrage. ” En effet, l’auteur le dit bien, ce sont des sanctions canoniques, disciplinaires, qui ont placé Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X, dans les “ marges ” de l’Eglise catholique.  A la différence de la plupart des personnalités recensées dans le volume, il ne s’y est pas placé de lui-même en soutenant des doctrines nouvelles ou  par certaines pratiques personnelles. Le désaccord doctrinal qui l’a opposé au Saint-Siège n’a pas été une rébellion et les sanctions disciplinaires qui ont été prises à son encontre, pour sérieuses qu’elles fussent, n’ont point constitué une mise à l’écart définitive et qui toucherait l’ensemble des fidèles et des prêtres qui l’ont suivi.
Les différends qui opposaient et opposent encore Mgr Lefebvre, et la Fraternité Saint-Pie X à sa suite, au Saint-Siège sont sérieux et importants (la messe et  la liberté religieuse principalement) mais ils ne suffisent pas à les placer en marge de l’Eglise. En 1988, et au début de cette année encore, une réconciliation a été bien prête d’avoir lieu. L’année dernière, lors du Jubilé, en France singulièrement, et à Rome même, des églises, des sanctuaires, des basiliques se sont ouvertes aux évêques et aux prêtres de la FSPX. Le concept de “ marge ” est donc bien inadéquat pour caractériser la situation de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X.
Les visionnaires
Dans le volume en question, on trouve aussi de nombreuses notices consacrées à des mystiques et à des visionnaires. Le critère retenu pour les faire figurer dans ce volume semble avoir été la non-reconnaissance par l’Eglise de l’authenticité de leurs visions. On y trouve, et c’est naturel, diverses fabulatrices ou hystériques qui ont connu un certain succès mais qui sont aujourd’hui bien oubliées. On aurait pu y faire figurer d’autres, dont l’audience a été grande et qui ont suscité des pèlerinages importants (par exemple Pierre Poulain, “ le Restaurateur ”, à l’origine d’une chapelle et d’une pseudo-congrégation religieuse, qui existent toujours aujourd’hui).
Mais finalement les critères retenus pour faire figurer telle ou telle visionnaire dans ce volume ne sont pas très clairs. On trouve une notice sur Jeanne Louise Ramonet, la  voyante de Kérizinen, mais point sur Marie-Julie Jahenny, la plus célèbre des stigmatisées françaises avant Marthe Robin, et qui a suscité une littérature abondante, toujours bien diffusée. Dans les deux cas, l’autorité diocésaine a refusé de reconnaître l’authenticité des messages reçus. Ce critère, donc, aurait dû suffire, selon l’optique retenue par les auteurs, pour consacrer une notice à Marie-Julie Jahenny.
Marthe Robin non plus ne figure pas dans ce volume, et c’est justice puisqu’elle ne s’est pas située en “ marge ” de l’Eglise (cf. l’extraordinaire expansion des Foyers de Charité dans le monde) et qu’un procès de canonisation a été ouvert. En revanche, dans l’introduction générale du volume, un rédacteur, Paul Airiau, épingle le “ pseudo-joachimisme ” qu’elle aurait en commun avec d’autres mystiques présentes, elles, dans le volume.
Le problème de la “ marge ” n’est donc pas vraiment éclairé par ce livre. On le consultera avec intérêt  pour certains personnages peu ou pas connus. On se gardera d’utiliser le concept retenu pour les caractériser tous sans distinction.

mercredi 7 novembre 2001

[Aletheia n°20] Un nouveau président pour la Conférence épiscopale de France

Aletheia n°20 - 7 novembre 2001
Un nouveau président pour la Conférence épiscopale de France
Mardi 6 novembre, les évêques de France, réunis en assemblée plénière à Lourdes, ont élu Mgr Ricard président de la Conférence épiscopale.
Mgr Jean-Pierre Ricard, né en 1944 à Marseille, a reçu sa formation sacerdotale au séminaire de Marseille puis au séminaire des Carmes, à Paris. Sauf erreur de ma part, c’est, depuis que la fonction existe, le premier président de la Conférence épiscopale à n’avoir pas reçu une partie de sa formation à Rome.
Il a longtemps exercé son ministère à Marseille où, pendant dix années, il a été délégué épiscopal auprès des séminaristes, de 1975 à 1985. Il a été aussi curé de l’importante paroisse Sainte-Marguerite, de 1981 à 1988. Vicaire général de Marseille en 1988, il a été nommé évêque auxiliaire de Grenoble en 1993. Il était alors le plus jeune évêque de France.
En juillet 1996, il est devenu évêque coadjuteur de Mgr Louis Boffet, évêque de Montpellier, auquel il a succédé rapidement. En 1999, enfin, il a été élu vice-président de la Conférence des évêques de France. Jean-Marie Guénois, dans la Croix (7.11.2001), fait remarquer : “ Le nouveau président, ancien vice-président, était jusque là chargé des relations entre l’Eglise et l’Etat. Comme si ce dossier montait d’un cran dans les préoccupations de l’institution ecclésiale. ”
A Marseille, où je l’ai assez bien connu, il semblait être un prêtre modéré, non enclin aux exaltations et dérives du progressisme. C’était un homme de consensus.
Au dernier Synode des évêques réuni à Rome, en octobre, Mgr Ricard a fait une intervention sur le rôle de l’évêque comme “ tisserand ” de la communion1  :
L’Eglise est dans son coeur même une communion missionnaire. Cette communion est tout à la fois un don du Seigneur à accueillir et une tâche à réaliser. La réalisation de cette communion passe par l’apprentissage d’une solidarité fraternelle où doit s’ajuster dans la formation du lien ecclésial la diversité des vocations, des charismes et des ministères. Il est de la responsabilité du ministère épiscopal de veiller à cette édification quotidienne de l’Eglise, de favoriser la synergie des différents acteurs, d’aider à vraiment marcher ensemble sur cette route commune (sun-odos) de la foi et de la mission. On peut comparer l’évêque à un tisserand qui aiderait à tisser au jour le jour le tissu ecclésial. Il croisera le fil de la communion verticale (avec Dieu) avec celui de la communauté fraternelle. Il apportera à tous son aide, son accompagnement, son discernement et la clarification de ses décisions pastorales. Il le fera avec patience, confiance et conviction.
Cette intervention a suffisamment retenu l’attention des quelque deux-cent cinquante pères synodaux pour que, semble-t-il, Mgr Ricard soit associé à la rédaction  du “ Message du synode des évêques au Peuple de Dieu ” qui a été rendu public à Rome le 26 octobre. En effet, la 19e des trente propositions du “ Message ”  reprend l’image, et l’expression, de l’évêque “ tisserand de l’unité ” :
Il [l’évêque] ne cessera de soutenir la ferveur des paroisses et les entraînera, avec les curés qui en ont la charge, dans un élan missionnaire. Mouvements, petites communautés, services de formation ou de charité qui forment le tissu de la vie chrétienne, bénéficieront de sa vigilance et de son attention. Tel un bon tisserand de l’unité, l’évêque, avec les prêtres et les diacres, discernera et soutiendra tous les charismes en leur merveilleuse diversité. Il les fera concourir à cette mission unique de l’Eglise : rendre témoignage, au milieu du monde, à la bienheureuse espérance qui est en Jésus-Christ, notre unique Sauveur.
Sans préjuger de l’action que mènera le nouveau président de la Conférence épiscopale de France, on signalera encore ce fait qui est une illustration de sa conception de l’évêque comme tisserand de l’unité : le 16 juillet dernier, il a ordonné diacres, au Barroux, deux religieux du Monastère Sainte-Madeleine. C’est le dernier numéro des Amis du Monastère, paru avant l’élection de Mgr Ricard, qui signale le fait dans sa “ Chronique du monastère ”. En précisant :  “ après none, à l’ombre d’un pin, il nous décrit sa formation, son diocèse, et les prochains travaux de l’épiscopat. Selon lui, la crise des vocations a été accentuée par une “paralysie de l’appel”. Il faut relancer l’appel et les jeunes hésiteront moins à répondre. ”
----------
Les Amis du Monastère publient leur 100e numéro. La collection complète des cent numéros, depuis le premier numéro paru le 29 septembre 1978 , peut être obtenue auprès du Monastère Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux) contre une participation de 100 F (+ 20 F de port).
----------
Je remercie ceux qui contribuent à l’impression et à l’envoi de cette modeste lettre d’informations en m’envoyant une contribution financière ou quelques timbres. Je serai reconnaissant aussi aux destinataires qui ne souhaiteraient plus la recevoir de le signaler. Cela allégerait les dépenses...

jeudi 11 octobre 2001

[Aletheia n°19] Un miracle eucharistique à Santa Lucia di Piave?


Santa Lucia di Piave est un petit village italien, dans le diocèse de Vittorio Veneto. Le 23 septembre 2000 - mais le nouvelle n’a été connue que récemment par un article d’Il Giornale - est survenu ce que le curé de la paroisse et beaucoup de fidèles considèrent déjà comme un miracle eucharistique.
La messe “ anticipée ” du samedi soir 23 septembre avait vu une affluence inaccoutumée parce que cette semaine-là l’église accueillait les reliques du bienheureux Claudio Granzotto (1900-1947), un franciscain natif du village, béatifié en 1994. Environ 800 personnes assistaient à la messe. Au moment de la communion, le curé de la paroisse s’aperçut que les deux ciboires du tabernacle ne contenaient, au total, qu’une centaine d’hosties consacrées. Le nombre des fidèles qui s’approchaient de la table de communion fut évalué à au moins 240 personnes. Le curé, don Oreste Nespolo, commença à distribuer la communion en compagnie d’un autre prêtre, le père Luca Caracoi. Puis, quand il eut épuisé son ciboire, il souffla à son confrère de rompre les hosties consacrées car il allait en manquer. Le père Caracoi distribua sans interruption la communion pendant une quinzaine de minutes puis don Nespolo crut nécessaire d’aller dans la sacristie pour consacrer, rapidement, de nouvelles hosties. Quand il revint, le père Caracoi distribuait toujours la communion. Don Nespolo déclarera : “ Je me suis assis près de l’autel, en adoration, parce que j’ai compris que j’assistais à un miracle. ” Des fidèles témoigneront plus tard qu’en s’approchant de la table de communion, ils apercevaient six ou sept hosties seulement dans le ciboire et pourtant tous, des dizaines de personnes, purent communier.
Un rapport a été rédigé et remis à l’évêque de Vittorio Veneto et 14 fidèles ont fait une déposition, sous serment, devant notaire. La Congrégation des Causes des Saints a été saisie du dossier, parce que le miracle, s’il était avéré, pourrait permettre la canonisation du bienheureux Claudio Granzotto. Pour le moment, la Congrégation des Causes des Saints s’est enquis d’éléments de preuve : photographies, enregistrement vidéo de la cérémonie.
Cette messe “ anticipée ” du samedi était célébrée selon le rite de Paul VI. Si le fait était reconnu comme authentique, ce serait le premier survenu dans une cérémonie liturgique selon le nouveau rite à être déclaré miraculeux.

Un communiqué du Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Une nouvelle selon laquelle “ Soeur Lucie de Fatima ” aurait eu une apparition de la très Sainte Vierge demandant que les Carmels prient spécialement (le Rosaire) les 6 et 7 octobre afin d’empêcher le bain de sang qui se prépare ” s’est répandue dans nos milieux ces derniers jours.
Cette rumeur est fausse et a été démentie par le Carmel de Coïmbra.
Elle se fonde probablement sur :
• une initiative de l’Association Notre-Dame du Rosaire à Fatima. Cette dernière a demandé à diverses conférences épiscopales de faire du 7 octobre, fête de Notre-Dame du Rosaire, un jour de prière particulier pour demander la paix dans le monde. Le communiqué de l’Association indiquait que Soeur Lucie et le Carmel s’unissaient à cette initiative.
• le fait que le Carmel de Coïmbra ait prié vingt-quatre heures de suite le 7 octobre, et que la Mère Prieure considère que l’heure est grave.
• une communication interne à certains Carmels mal interprétée.
Tout cela, ajouté à la tension que connaît le monde actuel, a produit la fausse nouvelle énoncée ci-dessus.
Il reste que les temps actuels peuvent très bien être perçus dans la lumière du message de Fatima et l’invitation à recourir à la protection de Notre-Dame et implorer la clémence de Dieu par la prière du chapelet, spécialement en ce mois du Rosaire, est plus qu’appropriée.
+ Bernard Fellay
Supérieur Général

Le trombinoscope des évêques 2001
Les éditions Golias publie, pour la troisième fois en onze ans, un Trombinoscope des évêques1 . Il s’agit d’un annuaire des évêques de France qui, pour chacun, donne une courte notice biographique et un long commentaire sur son activité pastorale.
L’initiative pourrait présenter quelque intérêt et une utilité certaine si elle était menée avec objectivité et dans le respect des personnes concernées. Mais il n’en est rien. Comme les éditions précédentes, cette édition 2001 publie des commentaires qui, presque tous, sont grinçants et souvent caricaturaux ou simplificateurs. Il y a même, au moins dans un cas, des allusions qui frôlent la diffamation.
Comme les éditions précédentes, cette édition 2001 se permet, dans un irrespect total pour les personnes mais aussi pour la fonction épiscopale, de noter les évêques : une, deux, trois quatre ou cinq mitres selon que le pasteur du diocèse, ses déclarations et son activité pastorale ont l’heur de plaire aux rédacteurs de Golias, et un bonnet d’âne pour ceux qui sont à l’opposé des convictions progressistes et laïcistes de Christian Terras et des autres rédacteurs du Trombinoscope.
Les évêques sont classés en douze catégories : des “ novateurs affirmés ” qui, bien sûr, méritent cinq mitres, aux “ réacs ”, qui n’ont droit généralement qu’à une mitre, et aux “ dangereux ”, qui sont tous affublés d’un bonnet d’âne.
Les rédacteurs du magazine de Villeurbanne ne peuvent enquêter personnellement dans tous les diocèses de France. C’est au détour des pages d’introduction qu’on apprend que pour ce Trombinoscope ils mobilisent des informateurs (ce que la police appelle, dans son métier, des indicateurs) : “ ils s’adressent à Golias formant ainsi un dense réseau de questionnements et d’informations, et toujours dans un souci d’une Eglise plus vraie. Eh oui, c’est ainsi, quoi qu’en disent nos censeurs. ” (p. 6).
Les informateurs de Golias , à l’évidence, pêchent leurs informations toujours dans les mêmes milieux. Et c’est ainsi que certains événements, certaines initiatives leur échappent, même de celles qu’ils se seraient fait un plaisir de reprocher à tel “ bonnet d’âne ”.
Les limites d’une telle méthode d’informations se repèrent à divers détails. Par exemple, le Trombinoscope reproche à un évêque (bien sûr noté par un bonnet d’âne) d’avoir donné “ une conférence au monastère de Don Calvet ” (p. 393). Est-ce vraiment une erreur typographique qui laisse l’impression qu’à Golias on ignore la différence entre le “ don ” attribué à tous les ecclésiastiques en Italie et le “ Dom ” (du latin dominus), titulature en usage chez les moines bénédictins ? Ailleurs, page 317, on présente l’abbé Aulagnier comme un “ prêtre de la Fraternité Saint-Pie X qui fait peur à tout le monde, même à ses frères intégristes qui l’ont prudemment mis sur la touche ”. A la vérité, l’abbé Aulagnier a connu une belle façon d’être “ mis sur la touche ” puisqu’il a été nommé Deuxième assistant général de la Fraternité Saint-Pie X, chargé aussi de la communication et de l’information et, à ce titre, fondateur d’une agence de presse électronique et d’un hebdomadaire (D.I.C.I.).
Le Trombinoscope des éditions Golias fait-il vraiment aimer l’Eglise à ses lecteurs ? Son but avoué est de participer à un “ vaste débat qui s’instaure aujourd’hui ” (sur la collégialité épiscopale, le rôle des laïcs, etc). Ce n’est pas la même chose.

A propos de “ La gnose en question ” (n° 18)
Un prêtre, qui suit attentivement, depuis plusieurs années, les variations du combat antignostique, me fait remarquer que les Amis de saint François de Sales, qui publient un Bulletin, et parfois des brochures, ne sont pas une création de la FSSPX, ni ne sont dirigés par elle. C’est une initiative privée. Même si, pour la brochure en question - Les Hérésies de la Gnose du professeur Jean Borella -, l’auteur est un prêtre de la FSSPX et le préfacier un des évêques de la FSSPX, on ne peut dire que cette brochure reflète la position officielle de la FSSPX sur le sujet. Le même correspondant me fait remarquer aussi, pour corroborer cette précision, que la brochure en question n’a jamais été diffusée par le service de librairie par correspondance de la FSSPX (France-Livres/Clovis).
• Emile Poulat m’écrit : “ “Contre-Eglise” me semble une expression apparue en même temps que “contre-société” pour désigner l’intransigeantisme catholique et sa réciproque. L’histoire littéraire de ces expressions reste à faire, comme souvent pour d’autres expressions, par exemple “Fille aînée de l’Eglise”. ”
• Quelques jours après le n° 18 d’Alètheia est paru un numéro spécial de la revue Lecture et tradition (n° 293/294, 72 pages, 35 F., B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil) intitulé “ La gnose et le mystère d’iniquité. Réponse à un défi ”. Cette revue et les éditions de Chiré, toutes deux dirigées par Jean Auguy, ont été les principaux artisans du combat antignostique de ces dernières années. Tous les ouvrages d’Etienne Couvert ont été publiés par ces éditions, certains à compte d’auteur. Sans l’audience des éditions de Chiré et de la librairie par correspondance D.P.F. qui lui est liée, audience qui dépasse assez largement les milieux catholiques traditionnels, ses théories n’auraient connu qu’une diffusion très restreinte. Les Cahiers Barruel , fondés par Etienne Couvert, Jean Vaquié et Paul Raynal en 1978, ont cessé de paraître après vingt-sept numéros, en avril 1994.
Paul Sernine, dans le numéro 4 de Certitudes, déjà cité ici, écrivait : “ nous mettons publiquement au défi les Cahiers Barruel d’apporter le témoignage d’auteurs sérieux et approuvés en faveur de leur description de la “gnose” ”. Lecture et tradition entend relever ce “ défi ” en publiant les textes de quinze auteurs ecclésiastiques, du XVIIe siècle à nos jours, qui ont traité de la gnose.
Sans faire un examen détaillé des textes produits, on remarquera d’une part qu’il ne s’y trouve pas un seul texte du Magistère sur le sujet. D’autre part, la plupart des auteurs cités évoquent le gnosticisme des premiers siècles et, certains, ses continuations jusqu’au manichéisme cathare. En revanche, on aura bien du mal à tirer des textes cités une démonstration convaincante d’une “ Gnose ” unique, universelle, dont les formes diverses auraient une filiation historique certaine.
• Tandis qu’Etienne Couvert va faire paraître, dans les prochains mois, un cinquième livre, toujours consacré à “ la Gnose éternelle ” , et à ceux qui contestent la réalité historique d’un tel courant ininterrompu et universel, Paul Sernine prépare, à paraître aux éditions Servir au début de l’année prochaine, un ouvrage qui développera sa critique du combat anti-gnostique actuel.
• Pour éclairer un peu la question, embrouillée souvent par une connaissance superficielle du sujet, on renverra à l’article gnose du Dictionnaire théologique du père Louis Bouyer (Desclée, 1963, p. 157-158) :
La notion d’une connaissance religieuse, salutaire, et plus précisément d’une connaissance de Dieu (en hébreu dahat, en grec gnôsis) occupe dans l’Ancien Testament, le judaïsme, le Nouveau Testament, et toute la tradition théologique et spirituelle chrétienne, une place considérable. Elle y prend une signification très riche mais bien définie, qu’il est extrêmement important de dégager exactement. Nombre de manuels, même catholiques, restent encombrés par la notion que la gnôsis serait, dans le christianisme, un produit des hérésies dites “gnostiques”. Chez celles-ci, la gnose proviendrait d’une élaboration d’une notion traditionnelle dans la pensée religieuse grecque (païenne). Tout ceci est démenti par les textes et par les faits. (...) Lorsque les théologiens chrétiens d’Alexandrie, comme Clément ou Origène, proposeront une “gnose” chrétienne, quoi qu’il en soit de leurs rapports avec les “gnostiques” en question, ce n’est nullement à ceux-ci qu’ils en emprunteront la notion et le terme. Ils ne feront en cela que se conformer à l’usage et poursuivre la tradition dans l’Eglise de ceux-là mêmes qui s’étaient le plus énergiquement opposés à ces hérétiques, comme saint Irénée en particulier.

samedi 29 septembre 2001

[Aletheia] La gnose en question

Yves Chiron - Aletheia n°18 - 29 septembre 2001

LA GNOSE EN QUESTION

• Le cas Borella.

• Le cas Dante.

• Le dualisme antignostique.


I. Le cas Borella.

Depuis une vingtaine d’années, un débat sur “ la gnose ” grossit et se développe dans les publications catholiques attachées à la Tradition.

C’est l’ouvrage important de Jean Borella, La Charité profanée (publié en 1979 aux éditions du Cèdre, 438 pages), qui a commencé à faire surgir les polémiques. C’était le premier livre publié d’un auteur qui, depuis, a approfondi sa réflexion philosophique tout en menant un itinéraire spirituel personnel qui n’a pas exclu des rétractations (ce que nombre de ses critiques et de ses adversaires n’ont pas pris en considération). Jean Borella était alors professeur de philosophie à l’Université de Nancy. Catholique de Tradition, son livre, fruit d’ “ un travail de douze années ”, avait pour objet central d’étudier la vertu de charité, comment elle se distingue radicalement de l’altruisme et de la philanthropie, comment elle a pour fin la déification. L’ouvrage s’attachait aussi à réhabiliter la notion de gnose que l’auteur employait au sens de saint Paul et des Pères de l’Eglise et qu’il distinguait bien de l’hérésie des premiers siècles, le gnosticisme.

Deux philosophes, aujourd’hui disparus, Louis Salleron et Marcel De Corte, qu’on ne saurait accuser d’inclinaisons “gnostiques” ni de tendances au modernisme, ni, non plus, de ne pas connaître la philosophie de l’Eglise, celle de saint Thomas, publièrent deux longues recensions très laudatives de l’ouvrage (Itinéraires, n° 234, juin 1979, p. 209-218). Deux ans plus tard, encore, dans le premier numéro deVu de haut, la revue de l’Institut universitaire Saint-Pie X, publiée aux éditions Fideliter, Jean Borella exposait dans une longue étude, “ Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne ” (p. 9-21), la possibilité d’ “ une gnose chrétienne ”. Il voulait notamment “ montrer en quoi effectivement le christianisme réalise la vérité de la gnose ”.

Il a fallu attendre 1996 pour que la même Fraternité Saint-Pie X publie une lecture critique de la charité profanée, intitulée - sans sobriété - Les hérésies de la Gnose du professeur Jean Borella (Editions Les Amis de St François de Sales, C.P. 2346, CH - 1950 Sion 2, 45 pages, 26 FF). Cette étude était due à l’abbé Basilio Meramo et était préfacée par Mgr Tissier de Mallerais.

La Nouvelle Revue Certitudes, dans son n° 4 (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 60 F), a publié plus récemment un ample dossier consacré à “ La gnose, éternelle hérésie, nouvelle religion ”. Certaines thèses de Jean Borella, non seulement celles exprimées dans son premier ouvrage mais dans les suivants, sont critiquées par les abbés Héry et Tanoüarn. Mais il est à noter que, pas plus que dans la présentation qui est faite par ailleurs de René Guénon, les critiques ne repoussent en bloc les écrits des deux auteurs. L’abbé de Tanoüarn a voulu ouvrir une “ discussion essentielle ”, basée sur une étude des textes et animée d’un louable souci d’honnêteté intellectuelle. En témoigne encore le dernier numéro de Certitudes qui revient sur le débat en laissant la parole au professeur Borella avant de lui répondre (n° 6, avril-mai-juin 2001, 50 F).

II. Le cas Dante.

Le sérieux de la controverse engagée par Certitudes tranche avec les anathèmes, les simplifications et les arguments ad hominem que d’autres auteurs - Etienne Couvert et Jean Vaquié - n’ont pas craint d’utiliser dans leur combat contre la gnose.

Etienne Couvert, de livre en livre, s’attache à démontrer qu’il existe une “ gnose universelle ” (c’est le titre du tome III d’une série intitulée, De la Gnose à l’oecuménisme, Editions de Chiré, 86190 Chiré-en-Montreuil, 1993, 216 pages). Au fil de ses ouvrages, Etienne Couvert a débusqué comme “ gnostiques ” aussi bien Dante que Descartes, l’Islam aussi bien que Baudelaire, et des dizaines d’autres auteurs ou courants philosophiques et religieux.

Dans le numéro 4 de Certitudes, déjà cité, Paul Sernine, dans un encadré intitulé “ Etienne Couvert contre les papes ”, conteste l’accusation de gnose portée contre Dante en s’appuyant sur les enseignements des papes (de saint Pie X à Pie XII), qui tous ont loué la fidélité catholique autant que le génie poétique de l’auteur de La Divine Comédie. Selon la formule de Benoît XV : “ l’Eglise, sa Mère, entend réclamer, la première et bien haut, Dante pour son enfant. ”

Dans le numéro 6 de Certitudes, Etienne Couvert répond à Paul Sernine et fait référence à deux ouvrages qui, selon lui, apporteraient la preuve que Dante fut bel et bien un “ gnostique ”. Le premier est un ouvrage d’Eugène Aroux, publié au XIXe siècle et intitulé Dante, hérétique, révolutionnaire et socialiste. Si l’on se réfère à La gnose universelle (op. cit., p. 203), on se rend compte qu’Etienne Couvert n’a pas lu l’ouvrage, “ introuvable ” dit-il. Pourtant, il doit bien se trouver dans quelques grandes bibliothèques de France, notamment à la Bibliothèque Nationale de France.

L’autre ouvrage cité en référence par Etienne Couvert est l’étude de Miguel Asin Palacios : L’Eschatologie musulmane dans la Divine Comédie. Etienne Couvert affirme : “ l’auteur démontre que Dante s’est contenté de paraphraser un ouvrage arabe : Le livre du voyage nocturne du soufi Ibn Al Arabi ”.

Toute la démonstration d’Etienne Couvert tient dans un syllogisme : l’Islam est gnostique, or Dante s’est inspiré d’un auteur musulman, donc Dante est gnostique. Qui plus est, le génie poétique de l’auteur de la Divine Comédie est rabaissé au niveau du simple plagiat. Ces pseudo-démonstrations d’Etienne Couvert ne mériteraient gère de retenir l’attention si elles n’étaient lues par un public et reprises par des publications qui se laissent impressionner par la supposée science de l’auteur.

Or, si l’on se réfère à l’ouvrage d’Asin Palacios 1 - Couvert l’a-t-il seulement lu ? -, on trouve tout autre chose. Le grand historien et arabisant espagnol ne cherche pas du tout à démontrer que Dante fut un gnostique islamisant et un vulgaire plagiaire. Selon une méthode critique bien connue des historiens de la littérature, il est parti à la recherche des sources littéraires de l’oeuvre de Dante. Il en a trouvé de deux sortes : “ las leyendas cristianas medievales, precursoras de la Divina Comedia, y otras leyendas musulmanas anteriores a ellas ” (p. 4)2 .

Loin d’estimer que la foi catholique de Dante a été pervertie par les textes islamiques dont il a pu avoir connaissance - l’Islam qu’Asin Palacios juge avec un mépris certain : “ un hijo bastardo de la Ley mosaico y del Evangelio ”, p. 421 -, le grand historien et arabisant espagnol conclut son étude en affirmant : “ Y Dante, al aprovechar para su poema aquellos elementos artísticos que el islam le ofrecía y que en nada alteraban el fondo esencial e immutable de los dogmas evangélicos de ultratumba, no hizo en definitiva otra cosa que devolver al tesoro de la cultura cristiana de occidente y reivindicar para su patrimonio los bienes raíces que ignorados para ella yacían en las litteraturas religiosas de los pueblos orientales y que el islam venía a restituir, después de haberlos enriquecido y dilatado con el esfuerzo de su genial fantasía. ” (p. 421).


III. Le dualisme antignostique.

Tous les historiens sérieux s’accordent à considérer qu’il n’y a aucun lien de continuité entre les hérésies gnostiques des premiers siècles - le gnosticisme - et la référence à une gnose que font, au fil des époques, différents auteurs, philosophes ou religieux.

Certains auteurs, Jean Vaquié et Etienne Couvert notamment, estiment, au contraire, qu’il y a une continuité. Etienne Couvert tente de le démontrer, livre après livre, en examinant des oeuvres, en présentant des courants philosophiques et religieux. Jean Vaquié, lui, tentait de le démontrer de manière doctrinale : il y a une gnose unique, qui se continue d’âge en âge en prenant des visages et des vocables parfois nouveaux, parce qu’il existe une “ Contre-Eglise ”. La gnose trouverait son origine dans la “ science du bien et du mal ” que le Tentateur a proposé à Adam et Eve de recevoir. La gnose ne serait rien d’autre, donc, à toutes les époques, que le résultat de l’influence du démon : “ le démon propose à ceux qui se mettent à son service une contrefaçon de la foi qu’on appelle justement “gnose” ”3 .

Le diable, inspirateur de la gnose, est en même temps, selon ces auteurs et ces publications, “ l’initiateur de la Contre-Eglise ”. Dans une conception quasiment dualiste du monde, ils en arrivent à élargir immensément le champ de cette supposée Contre-Eglise :

“ En fait, pour appartenir à la Contre-Eglise, il suffit de ne pas appartenir à l’Eglise, car “celui qui n’est pas avec moi, est contre moi” (Mt 12, 30). Tous ceux qui ne font pas partie de l’Eglise font partie de la Contre-Eglise, car Jésus-Christ et son Eglise, “c’est tout un”.4 ”

On doit remarquer qu’aucun grand traité de théologie sur l’Eglise ne contient de développement sur cette notion de “ Contre-Eglise ” et que l’enseignement des papes est silencieux aussi sur le sujet. Le terme de Contre-Eglise n’a été employé, à ma connaissance, par aucun pape.

L’employer n’est-ce pas hypostasier des réalités bien existantes mais qui n’ont pas une unité d’action ? Les persécutions des chrétiens, les luttes contre l’Eglise, les “ sectes impies ” qu’ont dénoncées de nombreux papes, tout cela est bien réel, et a pris des formes diverses, dès l’origine de l’Eglise. Mais la notion de Contre-Eglise est-elle fondée théologiquement ? Je laisse aux théologiens le soin de répondre (et renvoie au numéro 4 de Certitudes qui a abordé le sujet).

En revanche, il ne faut pas une grande théologie pour comprendre ce qu’ont de dangereux certains développements sur la Contre-Eglise. Jean Vaquié, en 1987, évoquant le “ corps mystique ” de l’Antéchrist, écrivait5 : “ En raison du déséquilibre provoqué par la chute, l’humanité a pullulé outre mesure. Elle a été le siège d’une prolifération intempestive parce que les forces de la nature, au lieu d’être domptées par la “discrétion” surnaturelle, se sont dévergondées : “Je multiplierai tes grossesses” (Gn 3, 16). Le nombre final des hommes venus à l’existence sera, en fait, très supérieur à celui qui était nécessaire pour recruter le choeur des élus ; tous les hommes ne seront pas élus, il se sera formé, au cours de l’histoire humaine, un déchet humain, autrement dit un corps de réprouvés. C’est à ce corps que nous avons donné le nom de “corps mystique de l’Antéchrist”, dénomination assez peu utilisée, il faut le reconnaître, mais qui n’est pas répréhensible et qui est très explicative.” ”

Je laisse, une fois encore, aux théologiens le soin d’apprécier cette dénomination nouvelle de “ corps mystique de l’Antéchrist ”. En revanche, on ne lit pas sans frémir, sous la plume d’un auteur antignostique aussi attaché à défendre la pureté de la foi, les expressions “ pullulé outre mesure ”, “ prolifération intempestive ” et “ déchet humain ”...

Non seulement, ces expressions, plus que malheureuses, rappellent les doctrines du malthusianisme mais elles ont aussi un relent de manichéisme cathare (lequel aboutissait, entre autres, à un rejet de la procréation). Au contraire, dans l’enseignement contant de l’Eglise, un nombre élevé d’enfants a toujours été considéré comme une bénédiction de Dieu sur les familles. Dans la liturgie, traditionnelle, du mariage, la Benedictio nuptialis intra missam rappelle avec une grande force la “ bénédiction ” de Dieu sur l’union des époux et incite à la fécondité : “ ô Dieu par qui la femme est unie à l’homme et de qui cette association, principe de l’ordre humain, reçoit la seule bénédiction que n’ont abolie ni le châtiment du péché originel, ni la condamnation du déluge ; regardez avec bienveillance votre servante ici présente (...) Qu’elle soit une mère féconde.. ” (souligné par nous).

Il y aurait d’innombrables textes du Magistère et de théologiens à citer pour illustrer la conception catholique de l’heureuse fécondité. Même la douleur de l’enfantement (Gen., 3, 16), la liturgie des relevailles enseigne qu’elle a été changée par la Nouvelle Alliance : “ Dieu tout puissant et éternel, qui, par la maternité de la bienheureuse Marie toujours Vierge, avez changé en joie les douleurs des chrétiennes qui deviennent mères, jetez un regard favorable sur votre servante, qui, pleine de joie, vient dans votre temple pour vous remercier. ”

L’abbé de Tanoüarn remarque : “ Il m’est apparu qu’Etienne Couvert en faisait trop dans l’antignosticisme au point d’atteindre à une sorte de dualisme historique qui lui-même est de structure gnostique ” (Certitudes, n° 6, p. 17). La même remarque peut-être faite à propos de Jean Vaquié et de ceux qui suivent aveuglément ces deux auteurs.

Il y a, bien sûr, des doctrines erronées à corriger. Les pratiques de certains groupes occultistes sont à dénoncer. Mais encore faut-il le faire avec un discernement intellectuel qui suppose une connaissance approfondie et une étude directe des textes. Le “combat antignostique” dans certains milieux catholiques traditionnels tourne à l’obsession et conduit leurs auteurs non seulement à soutenir des thèses ridicules historiquement mais à élaborer des systèmes théologiques plus qu’hasardeux.

mardi 4 septembre 2001

[Aletheia] Revue de Presse

Yves Chiron - Aletheia n°17 - 4 septembre 2001

Revue de Presse

• Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris) : dans le numéro du 11 juillet 2001, Jean Madiran publie une pleine page en défense de l’abbé de Nantes. Il écrit notamment : “ il n’y a eu aucune décision infaillible, aucun jugement doctrinal, l’abbé de Nantes a été administrativement condamné sans avoir été jugé, il a été rejeté sans avoir été entendu, il a été disqualifié sans avoir été réfuté.

Il n’est pourtant pas un écrivain ecclésiastique de second ou de troisième ordre. Sur la plupart des aspects de la crise de l’Eglise, son oeuvre écrite fait partie, fait intellectuellement partie, fait éminemment partie de l’état de la question. On peut en contester plusieurs points ? Mais justement : on “peut” le faire mais on ne le fait pas. On se dispense de le réfuter. Qu’on se dispense alors de le juger ? Non point : on l’exclut de toute discussion. (...) Il va sans dire que les réquisitoires de l’abbé de Nantes contre les nouveautés doctrinales ne sont pas forcément sans failles ni lui-même sans reproche. ”

L’article se termine ainsi : “ On a fait de ce réprouvé une espèce de lépreux. Il est temps, il est plus que temps de nous rappeler notre tradition chrétienne d’embrasser le lépreux sans lui demander au préalable un bulletin de santé. ”

Cet article de Jean Madiran a été suscité par un article paru dans la Nef , dans le numéro de juillet-août, où était affirmé que le mouvement de l’abbé de Nantes, la Contre-Réforme Catholique, s’ “ apparente de plus en plus en une secte ” et que l’abbé de Nantes “ développe avec certaines de ses jeunes filles des pratiques proprement scandaleuses. ” Jean Madiran voyait là “ délation ” et “ rumeur infâme ”.

Sans répondre directement à Jean Madiran, la Nef annonce la publication, le mois prochain, de lettres de lecteurs sur le sujet et “ dans les mois à venir un nouvel article plus important accompagné de témoignages. ”

• Du 22 au 24 juillet 2001 se sont tenues à l’abbaye bénédictine de Fontgombault, dans l’Indre, des journées d’étude liturgique. Elles étaient placées sous la direction de Dom Courau, abbé de Notre-Dame de Triors. Le cardinal Ratzinger a prononcé la première conférence consacrée à l’Eucharistie comme “ Sacrifice divin ”. Des théologiens et liturgistes de différents pays ont prononcé d’autres conférences. Les Actes de ces journées sont disponibles à l’Abbaye Notre-Dame, 36220 Fontgombault.

Comme ces journées d’étude se déroulaient dans une abbaye où se célèbre le rite traditionnel et comme différents représentants des communautés traditionnelles y participaient, certains ont voulu voir là une sorte de reprise en main par le Vatican, un conciliabule où il aurait été question de “ réforme du rit traditionnel ”. Il n’en est rien. C’est la Correspondance européenne (Via G. Sacconi 4/b, 00196 Roma, Italia) qui, la première, a donné des informations exactes sur ces journées d’étude. Son directeur, le professeur Roberto De Mattei, en était un des participants et un des intervenants.

L’Homme nouveau (10 rue Rosenwald, 75015 Paris), dans son numéro du 2 septembre, publie le texte intégral de la très belle homélie qu’a prononcée le cardinal Ratzinger lors de la messe du dimanche 22 juillet. La Nef (B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury) publie un long compte rendu de ces Journées liturgiques et un entretien avec Dom Forgeot, abbé de Notre-Dame de Fontgombault. Celui-ci conteste que ces Journées liturgiques aient été l’amorce d’un complot contre la liturgie traditionnelle. Ces craintes, dit-il, “ sont sans fondement ” et “ révèlent chez ceux qui les ont propagées un très regrettable et apparemment systématique esprit de défiance et de suspicion à l’égard des intentions du Saint-Siège. ”

• Golias magazine (BP 3045, 69605 Villeurbanne Cedex) publie dans son numéro 78, mai-juin 2001, un important dossier consacré au “ scandale Medjugorje ”. Il y a d’abord le résultat d’une enquête de Jean-Arnault Derens à Medjugorje et dans les Balkans. La nécessaire évocation des invraisemblances et mensonges contenus dans les supposées apparitions est malheureusement mêlée de considérations politiques qui manifestent une hostilité systématique aux Croates et une vision déformée des événements historiques anciens ou récents (IIe guerre mondiale et guerre de Bosnie). Un article de Luca Rastello évoque de manière, bien informée, le rôle fondamental des franciscains dans le développement de ces apparitions. Enfin, est publié un long entretien avec Joachim Bouflet, auteur de Medjugorje ou la fabrication du surnaturel, Editions Salvator, 1999.

Alètheia, dans son numéro 5 (20 novembre 2000), a évoqué les autres ouvrages critiques consacrés à Medjugorje.

• Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé) publie dans son numéro 37, été 2001, à l’occasion du 10e anniversaire de la mort de Mgr Antonio de Castro Mayer, un important dossier de soixante-et-une pages, qui comprend d’utiles renseignements biographiques et de nombreux textes de l’évêque de Campos. On trouvera, en particulier, le texte en latin, et sa traduction française, du votum que Mgr de Castro Mayer, comme tous les évêques du monde entier, a adressé à Rome pour la préparation du concile Vatican II.

Ce dossier du Sel de la Terre vient utilement compléter la biographie de Mgr de Castro Mayer publiée en 1993 par David Allen White, The Mouth of the lion. Bishop Antonio de Castro Mayer & the last catholic diocese, MO-Kansas City, Angelus Press, 287 pages.

Rectification

M. l’abbé Francesco Ricossa, de l’Institut Mater Boni Consilii, lecteur attentif d’Alètheia, signale une erreur dans le n° 14 : “ J’y lis, page 4, que Mgr Dolan “a été sacré irrégulièrement par Mgr Guérard des Lauriers”. Cela est faux. Mgr Dolan a été sacré par Mgr Pivarunas, qui a été sacré par Mgr Carmona, sacré à son tour par Mgr Ngo Dinh Thuc. ”

vendredi 29 juin 2001

[Aletheia n°16] Emile Poulat, fin observateur du catholicisme + Jean XXIII: la controverse des traductions

Aletheia n°16 - 29 juin 2001
I. EMILE POULAT, FIN OBSERVATEUR DU CATHOLICISME
Emile Poulat a fait, depuis un demi-siècle, du catholicisme “ un objet de science ”. Ce n’était une évidence, ni pour les théologiens, ni pour les hommes d’Eglise, qui eurent du mal à accepter ses  analyses historiques, sociologiques et distanciées, froides pour ainsi dire, du modernisme, du dossier des prêtres-ouvriers, des variations du catholicisme contemporain. La démarche d’Emile Poulat fut difficilement comprise aussi de l’Université qui fut d’abord étonnée qu’on étudie, dans une perspective historique, des phénomènes en mouvement, en vie.
Aujourd’hui, l’oeuvre d’Emile Poulat s’impose par son acribie exceptionnelle. Je ne rappelerai pas ses nombreux livres et je renverrai, pour une bibliographie complète (du moins, à la date de parution...), au volume collectif d’études et de témoignages qui est paru il y a quelque temps : Un objet de science, le catholicisme : réflexions  autour de l’oeuvre d’Emile Poulat, Paris, Bayard, 2001, 288 pages, 198 F.
On doit signaler aussi le dernier numéro de France Catholique (60 rue de Fontenay, 92350 Le Plessis-Robinson, numéro du 29 juin 2001, 20 F) qui fait sa une avec une belle photographie d’Emile Poulat et publie une longue - sept pages - et intéressante interview. Pour inviter les lecteurs à lire ce passionnant entretien, je n’en citerai que quelques extraits qui incitent à la réflexion :
“ D’une certaine manière, le premier vrai successeur de Léon XIII est Jean-Paul II. ”
“ Le catholicisme français s’est longtemps pensé comme un modèle pour le monde. Il est convaincu que le concile Vatican II est son oeuvre, celle de ses experts. Comme j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui sont persuadées avoir fait le concile, il y a un peu d’illusions et beaucoup de prétention. L’illusion va loin, car lorsqu’il y a différences d’interprétations, si l’on s’éloigne de l’interprétation qui est la vôtre, on dit que le Concile se pervertit.”
“ On dit que le Concile s’est ouvert à la modernité : or dans l’index des actes du Concile, le mot modernité ne figure pas, ni le mot modernisme. Cinq fois l’adjectif moderne mais dans un sens tout à fait banal. Il faudrait revenir aux textes. Soyons clairs : par qui a été fait le Concile ? Par des évêques formés sous Pie XII et certains encore sous Pie XI, qui n’étaient pas réputés pour leur modernité. Comment auraient-ils pu devenir subitement les héros d’une église progressiste ? ”
“ Après des générations qui ont déserté, voici ces nouvelles générations habitées religieusement, voyez la fréquentation des églises : Notre-Dame qui était vide est à nouveau pleine. (...) J’ai connu le centre historique de Paris au temps où il était religieusement mort, ses églises désertées. Aujourd’hui ce centre est religieusement très vivant. St-Nicolas du Chardonnet mais aussi St-Séverin, St-Gervais, St-Etienne du Mont, St-Médard, vous êtes là dans des paroisses qui vivent. Ce n’est pas vrai partout. On sait ce qu’il en est dans certaines provinces. Dans le diocèse de Cahors, on se demande s’il y aura encore un prêtre dans dix ans, mis à part son évêque. ”
----------
II. JEAN XXIII : LA CONTROVERSE DES TRADUCTIONS
Le père Gino Concetti, qui est considéré comme le théologien principal de l’Osservatore romano, a publié, le 22 avril dernier, un grand article pour dénoncer la trahison qu’aurait subie Jean XXIII dans la traduction italienne de son célèbre discours d’ouverture du concile Vatican II. Le 11 octobre 1962, Jean XXIII fixait comme objectif  au concile Vatican II qui s’ouvrait :
“ une nette avance dans le sens de la pénétration de la doctrine et de la formation des consciences, en correspondance plus parfaite avec la fidélité professée envers la doctrine authentique, celle-ci étant d’ailleurs étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne.”
Cette version a été celle diffusée en France, et dans d’autres pays, selon la version italienne du discours. Or, si l’on se réfère au texte latin paru dans L’Osservatore romano dans son édition du 12 octobre, texte latin, seul officiel, et publié comme tel ensuite dans les Acta Apostolicae Sedis, le sens du discours est fort différent :
“ que la doctrine soit plus largement et plus profondément connue, qu’elle anime et forme plus pleinement les esprits ; il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui a droit au plus fidèle respect, soit étudiée et exposée selon une méthode que demande notre temps. ”.
 Le père Concetti  en conclut : “ La traduction du latin a été épurée dans un sens progressiste ”.
C’est Jean Madiran qui, le premier, je crois, en avait fait la remarque, peu de temps après l’événement ; cf. “ Autour du concile ”, Itinéraires, n° 68, décembre 1962, p. 12-14 (voir aussi Itinéraires, n° 70, février 1963, p. 100-106).
Jean XXIII trahi ? Un de ses biographes les mieux informés, Peter Hebblethwaite, semble montrer que la trahison ne s’est pas faite dans le sens que Jean Madiran puis le père Concetti l’ont cru. Il explique (Jean XXIII, le pape du Concile, Paris, Le Centurion, 1988, p. 472-476) que Jean XXIII a rédigé son discours en italien mais que le texte latin qu’il a prononcé dans la Basilique Saint-Pierre, texte qui sera publié dans les AAS,  est une version corrigée et expurgée (par qui ?). Hebblethwaite ajoute : “ Quand le pape Jean découvrira ces modifications scandaleuses fin novembre 1962 il aura l’habileté de ne pas congédier le responsable des Acta Apostolicae Sedis. Il se contente de citer son texte, dans sa version non publiée, dans des discours importants. ”

dimanche 24 juin 2001

[Aletheia n°15] Communiqué de l’évêque de Troyes sur l’abbé de Nantes + Mgr Fellay et Fideliter

Aletheia n°15 - 24 juin 2001
I. Communiqué de l’évêque de Troyes sur l’abbé de Nantes (document).
II. Mgr Fellay et Fideliter.
----------
Un COMMUNIQUE de l’EVEQUE de TROYES
La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, d’informations relatives à l’abbé de Nantes. Elle l’a fait de façon déformée ou tendancieuse. N’a-t-on pas entendu une grande radio périphérique appeler son correspondant à Nantes pour lui demander d’évoquer “ le cas de l’abbé Georges ” (sic).
A titre d’information, je reproduis donc intégralement le communiqué de l’évêque de Troyes qui a suscité cette vague nouvelle de désinformation :
L’évêque de Troyes communique
Suite à un certain nombre de questions posées récemment, concernant Monsieur l’abbé Georges de Nantes, pour couper court à toute autre rumeur, l’évêque de Troyes communique ce qui suit :
I. Par décret du 1er juillet 1997, l’évêque de Troyes, en vertu du canon 1720, décidait :
1. La suspense a divinis infligée à Monsieur l’abbé Georges de Nantes le 25 août 1966 demeure en vigueur.
2. L’accès au sacrement d’eucharistie et de pénitence lui est interdit dans le diocèse de Troyes*.
3. Cette suspense et cet interdit ne seront levés que lorsqu’il aura signé une rétractation en bonne et due forme des affirmations et attitudes qui ont conduit à les établir, se mettant en accord avec le précepte qui lui a été donné le 9 mai 1997.
4. Cette suspense et cet interdit ont effet sur l’ensemble du diocèse de Troyes, y compris les divers locaux de la “Maison S. Joseph”, à S. Parres-les-Vaudes.
II. Contre ce décret et le décret antérieur du 9 mai 1997, imposant un précepte pénal à l’abbé de Nantes, celui-ci a institué un recours hiérarchique devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Celle-ci, le 24 mars 1998, a répondu “ne pas accueillir l’appel”.
III. L’abbé de Nantes, par une lettre du 24 mai 1998 et un libelle du 27 mai 1998, a déposé un recours contre ces deux mêmes décrets au Tribunal de la Signature Apostolique.
Celui-ci, le 7 octobre 2000, a lui aussi répondu que le recours de l’abbé Georges de Nantes manque de fondement et doit être rejeté dès le début.
Dès lors les sanctions établies par le décret de l’évêque de Troyes en date du 1er juillet continuent à être vigueur.
Fait à Troyes le 21 avril 2001.
                                       + Marc STENGER
                                       Évêque de Troyes
Il est rappelé que :
- la “suspense a divinis” consiste principalement à interdire de donner les sacrements (sauf s’il y a danger de mort).
- l’ “interdit”  consiste principalement à interdire de les recevoir.
* En vertu du canon 1332 et du décret porté par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 24 mars 1998, l’interdit n’est plus territorial mais personnel. Il a donc valeur pour l’Eglise Universelle.
Je ne commenterai pas ce communiqué officiel. Je renvoie, pour de plus amples informations, au bulletin du diocèse de Troyes, L’Eglise dans l’Aube (3 rue du Cloître Saint-Etienne, 10042 Troyes),  n° 3, mars 1997. Et à Résurrection. La Contre-Réforme Catholique au XXIe siècle (10260 Saint-Parres-lès-Vaudes) pour le commentaire que fera sans doute l’abbé de Nantes à ce communiqué.
----------
Mgr FELLAY et FIDELITER
Le 22 juin m’est parvenue une lettre du directeur de la revue Fideliter qui accompagnait et commentait une lettre de Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X. Celui-ci y demandait que soit mis fin à ma collaboration à la revue. Comme les lecteurs de Fideliter vont voir disparaître mon nom des pages sans, peut-être, en connaître le motif, je crois utile, sans esprit de polémique, de publier ici la lettre de Mgr Fellay qui est à l’origine de cette exclusion :
Menzingen, le 16 juin 2001
Cher Monsieur l’abbé,
Par cette lettre, j’aimerais confirmer ce dont nous avons déjà parlé lors de notre réunion de la semaine passée. Il s’agit de M. Chiron et de sa collaboration à Fideliter.
Depuis quelques mois, M. Chiron a pris publiquement des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles. Même s’il ne l’a pas fait dans Fideliter mais dans sa lettre personnelle, dans notre petit monde traditionnel tout se sait ; en particulier l’annonce publique faite par La Nef de la collaboration régulière de M. Chiron chez eux m’oblige à intervenir et à demander que la collaboration de M. Chiron à Fideliter, pourtant si longue et qui nous oblige à un sentiment de gratitude, soit terminée. La Nef entretient à notre égard une attitude par trop hostile pour que nous puissions tolérer cette double collaboration.
Veuillez croire, cher Monsieur l’abbé, en mes prières in Christo Jesu et Maria
+ Bernard Fellay 
Je ne ferai pas une exégèse, ligne à ligne, de cette lettre de Mgr Fellay au directeur de Fideliter. Je me permettrai, respectueusement, quelques remarques :
• J’ai collaboré à chaque numéro de Fideliter pendant treize ans, parfois par deux, trois ou quatre articles, sous ma signature et en utilisant divers pseudonymes. Il s’agissait de recensions de livres ou d’article à caractère historique. Je ne regrette pas cette collaboration et j’exprime un sentiment de gratitude envers ses deux directeurs successifs, M. l’abbé Aulagnier puis M. l’abbé Celier, qui m’ont laissé m’exprimer en toute liberté. Ni quand j’ai commencé à collaborer à cette revue, à l’initiative de M. l’abbé Aulagnier, ni plus tard, on ne m’a demandé si j’étais dans la “ ligne ” de la FSSPX. A l’époque, 1988 (“ l’année climatérique ”), j’étais collaborateur régulier de la Pensée Catholique, depuis plusieurs années, et de Présent, depuis plusieurs années aussi. On ne peut pas dire, particulièrement en cette année-là, que ces deux publications étaient dans la “ ligne ” de la FSSPX. On ne m’en a fait aucune remarque, ni demandé ne cesser ma collaboration ailleurs (ce que je n’aurais pas accepté). Il me semblait que c’était là un signe suffisant de la liberté d’esprit au sein de la FSSPX.
• La décision de Mgr Fellay est motivée aujourd’hui par “ des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ” que j’aurais prises ces derniers mois. Mgr Fellay entend par là, je suppose, les trois pauvres et petits numéros d’Alètheia que j’ai consacrés au livre collectif de la FSSPX : Le problème de la réforme liturgique (éditions Clovis, B.P. 88, 91152 Etampes cedex, 125 pages, 69 F). Ma présentation, complète et honnête, je crois, de l’ouvrage avait été accompagnée de modestes “ remarques d’un fidèles du dernier rang ”. Ces remarques avaient fortement déplu à Mgr Fellay.
Je ne vois pas d’autres occasions où, “ depuis quelques mois ”, j’aurais “ pris publiquement des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ”. Mgr Fellay ne visait sans doute pas les articles que j’ai consacrés au livre de M. l’abbé Aulagnier, La tradition sans peur (éditions Servir, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris, 350 pages, 125 F). Très bon livre de témoignage et aussi de prospective que j’ai présenté successivement, à partir de janvier, dans un numéro complet d’Alètheia, dans un article de Présent et dans un article d’Ecrits de Paris. M. l’abbé Aulagnier n’avait pas considéré comme des “ positions nettement marquées en opposition à la ligne ” les quelques “ scories ” que j’avais cru utile de relever.
• L’autre reproche qui m’est adressé est d’apporter une “ collaboration régulière ” à la Nef.  A la vérité, j’y ai collaboré épisodiquement depuis des années ; la FSSPX n’y trouvait alors rien à redire. C’est une collaboration régulière, depuis avril, qui est jugée insupportable. Une collaboration qui, c’est à noter, n’a pas été, jusqu’ici, un commentaire de l’actualité religieuse mais n’a comporté que des recensions et des articles d’ordre historique ou culturel.
Il se trouve que la Nef  (B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury) publie ce mois-ci un important dossier sur Le Problème de la réforme liturgique (n° 117, juin 2001, 40 F). C’est ce dossier qui, semble-il, a suscité l’ire de Mgr Fellay.  Il comprend notamment un long article du Père Emmanuel, osb, intitulé “ Une analyse peu convaincante ”. Le Père Emmanuel, du Monastère Sainte-Madeleine du Barroux, relève quatre “ erreurs de méthode ” dans l’ouvrage,  avant de mettre en lumière les         “ bonnes choses ” qu’il comprend néanmoins.
Mgr Fellay, dans une vision étroite du combat pour la Tradition catholique, voit, sans doute, dans ce dossier un nouvel acte de guerre contre la FSSPX. Je préfère, de loin, la réaction de M. l’abbé Aulagnier. Dans le dernier numéro de son très intéressant D.I.C.I. (1 rue des Prébendes, 14210 Gavrus, n° 12, 10 F), après avoir signalé à ses lecteurs la parution du dossier de la Nef,  il commente : “ Un débat va s’instaurer et c’est heureux ”.
• Mgr Fellay  évoque “ la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ”. L’expression est, en plusieurs points, curieuse et contestable. Je pensais que les fidèles qui assistent à la messe dans un prieuré de la FSSPX, et tout aussi bien les parents qui envoient leurs enfants dans les écoles de la FSSPX, n’étaient point des “ fidèles de la Fraternité ”, mais des fidèles de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des fils de l’Eglise Catholique. Et qu’ils n’entendaient point recevoir de la Fraternité une       “ ligne ” de conduite (?), de pensée (?) à tenir. Mgr Fellay connaît-il suffisamment bien les prieurés de la FSSPX, du moins en France, pour ne pas savoir que les fidèles qui assistent aux messes dites par des prêtres de la FSSPX ne sont pas forcément tous d’accord avec toutes les décisions et positions prises dans le passé ou récemment par les dirigeants de la dite-Fraternité (sur les sacres de 1988, par exemple) ? Et qu’un nombre, difficile à déterminer, de fidèles assistent, selon l’occasion, à la messe traditionnelle dans un prieuré de la FSSPX mais, tout aussi bien, aux messes traditionnelles célébrés dans les chapelles de la Fraternité Saint-Pierre, de l’Institut du Christ-Roi, ou dans les abbayes du Barroux, de Randol, de Fontgombault, etc.
  L’axiome “ Hors de la Fraternité Saint-Pie X point de salut ” ne saurait être une “ ligne ” de pensée et de conduite. Je préfère décrire la situation actuelle, mais qui dure depuis trop longtemps maintenant, en reprenant le titre d’un livre de Jean Madiran : “ Quand il y a une éclipse, tout le monde est à l’ombre ”. En estimant aussi que l’éclipse est, me semble-t-il, de moins en moins complète.
Et, à la vérité, les fidèles du dernier rang ont de quoi être déconcertés. L’abbé Aulagnier, qui est, rappelons-le, deuxième assistant du supérieur général de la FSSPX, souhaitait, il y a quelques mois, dans son livre cité plus haut, qu’un front commun des traditionalistes se reconstitue :  “ Il faut faire abstraction des blessures du passé et reprendre le combat commun, fondé sur des fidélités claires, des convictions solides ”. Il en citait deux, “ qui sont incontournables : une condamnation claire du libéralisme catholique et un attachement indéfectible à la messe traditionnelle ” (p. 212). L’abbé Aulagnier affirmait encore : “ les sacres ne sont pas la ligne de partage des eaux. Il faut arrêter de juger les gens en fonction de leur attitude à ce moment-là ” (p. 244).
Aujourd’hui, en reprochant à un collaborateur ancien de Fideliter de ne pas avoir applaudi des deux mains un livre collectif sur la nouvelle messe (qui ne fait pas l’unanimité parmi les prêtres de la FSSPX, d’ailleurs) et de collaborer à une revue qui est, tout de même, une des voix principales des catholiques de tradition hors de la Fraternité Saint-Pie X, Mgr Fellay semble démentir l’enthousiasme généreux de son deuxième assistant.