lundi 28 décembre 2009

[Aletheia n°149] Natuzza Evolo (1924-2009) - "Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint" dit Serge Klarsfeld - Réabonnement - par Yves Chiron

Aletheia n°149 - 28 décembre 2009

Natuzza Evolo (1924-2009)

Natuzza Evolo est née le 23 août 1924 à Paravati, en Calabre, dans le diocèse de Mileto. Quelques mois avant sa naissance, son père a dû émigrer en Argentine pour faire vivre la famille. Sa mère se livrait, de manière intermittente, à la prostitution. Natuzza n’a pu aller à l’école. Elle ne saura jamais ni lire ni écrire et ne parlera que le dialecte calabrais.

Depuis l’enfance, elle a été gratifiée de la présence sensible de son ange gardien. À l’âge de huit ans, en 1932, elle a eu une première vision de saint François de Paule. En 1935, elle connaît sa première bilocation : elle « visite » son père en Argentine.

À l’âge de quatorze ans, elle a été placée comme domestique chez un avocat, Silvio Colloca. À partir de juin 1939, elle a commencé à voir des défunts et à converser avec eux. À l’âge de seize ans, en 1940, elle a connu, pour la première fois, le phénomène, rare, de l’hémographie mystique. C’était le jour où elle a reçu le sacrement de confirmation dans la cathédrale de Mileto. Après la communion, elle a découvert, sur son vêtement, à hauteur de l’épaule, une croix de sang, d’environ 5 cm de haut. Le phénomène se répètera des centaines de fois pendant son existence : au cours d’extases ou de bilocations, le sang suintait de différents endroits de son corps (les joues, le front, les mains, la poitrine, les genoux). Sur ses vêtements, ou sur le mouchoir ou le linge où était recueilli son sang, des phrases, en différentes langues (italien, français, anglais, grec, latin, araméen), ou des dessins, apparaissaient, toujours dans une thématique spirituelle.

Après que différentes congrégations religieuses aient refusé de l’admettre comme novice, Nattuza se maria en 1944 avec un garçon de son village, Pasquale Nicolace, qui était menuisier. Elle avait posé comme condition que son futur mari s’engage à respecter sa vocation particulière. De cette union, naîtront cinq enfants.

Quelque temps après son mariage, la Vierge Marie lui apparut et lui annonça qu’un jour seraient construites « une grande église qui sera dédiée au Cœur immaculé de Marie refuge des âmes et une maison pour soulager les jeunes, les personnes âgées et tous ceux qui se trouvent dans le besoin ».

Toute sa vie, Mamma Natuzza, comme elle sera surnommée, fut favorisée de phénomènes mystiques extraordinaires : extases, visions de Jésus, de la Vierge Marie, de saint François de Paule et d’autres saints, stigmates, fragrances miraculeuses, bilocation.

Plus de cinquante cas de bilocation ont été attestés pendant sa vie. « Ce n’est jamais moi qui provoque la bilocation, a expliqué Natuzza. Des défunts ou des anges se présentent à moi et me conduisent dans des lieux où ma présence est nécessaire. Je vois parfaitement tout ce qui se trouve autour de moi. Je peux le décrire, je peux parler et être utile aux personnes que je trouve. Je peux ouvrir et fermer les portes, je peux agir. Je suis ici, chez moi, je parle avec les miens et je me sens en même temps dans un autre lieu où je parle et j’agis de la même façon. La bilocation, ce n’est pas comme un film que l’on voit au cinéma ou à la télévision. Je me trouve vraiment au milieu de l’endroit que je visite. Je reste dans cet endroit le temps nécessaire pour l’accomplissement de ma mission, quelques secondes ou quelques minutes. Je suis bien consciente que mon corps physique se trouve à Paravati (ou en quelque autre lieu, mais différent de celui que je visite). »

À partir de 1958, elle a été stigmatisée de manière visible et sur une longue durée (même si, depuis longtemps, elle connaissait des douleurs répétant la Passion du Christ). Les stigmates étaient visibles pendant le Carême et jusqu’au Vendredi Saint. Une particularité est à signaler : ses plaies n’étaient pas situées dans la paume des mains et dans la plante des pieds, comme chez la plupart des stigmatisés (et comme dans la représentation traditionnelle de la crucifixion), mais aux poignets et au-dessus des pieds. Ce qui correspond davantage à la technique historique de la crucifixion chez les Romains, et à l’image du Saint-Suaire.

Natuzza Evolo est étonnante par la variété et l’abondance des phénomènes extraordinaires qui ont caractérisé sa vie mystique, elle a été exemplaire aussi par sa discrétion et sa charité envers tous. Sa familiarité avec les défunts (on la surnommait « la radio de l’autre monde ») était autant connue que les autres grâces dont elle était favorisée. Pendant des décennies, elle a reçu chez elle, quatre soirs par semaine, des fidèles qui venaient demander des « nouvelles » de leurs défunts et solliciter des conseils spirituels.

Des groupes de prière se sont constitués spontanément à Paravati, puis dans le diocèse et dans toute l’Italie. Ces groupes de prière, organisés à partir de 1994 sous le nom de Cénacles du Cœur immaculé de Marie refuge des âmes, ont vu leurs statuts approuvés canoniquement par Mgr Cortese, évêque de Mileto, le 22 février 1999.

Dans les dernières années de sa vie, Natuzza Evolo a pu voir également le début de la construction des édifices qu’avait demandés la Vierge Marie dans son apparition de 1944. Le 30 mai 2006, la première pierre de l’église dédiée au Cœur Immaculé de Marie refuge des âmes a été posée.

Natuzza est décédée le 1er novembre dernier, à l’âge de 85 ans. Ses funérailles ont été célébrées par l’évêque du diocèse de Mileto, où elle a passé toute sa vie. Cinq autres évêques et plus de cent prêtres ont participé à la cérémonie.

Comme pour le Padre Pio, plusieurs médecins et de spécialistes ont examiné, à différentes époques, Natuzza Evolo.

Les contradicteurs et les explications rationalistes n’ont pas manqué non plus. La première est venue du P. Agostino Gemelli, célèbre franciscain, qui avait été médecin, spécialiste de neuro-psychologie, avant de devenir religieux et un des fondateurs de l’université catholique de Milan. En 1940, après le premier cas d’hémographie mystique, l’évêque de Mileto envoya le vêtement marqué du signe de la croix au P. Gemelli, accompagné d’un petit dossier sur Nattuza. Sans avoir rencontré la mystique, le P. Gemelli avait conclu à l’ « hystérie ».

C’est le même P. Gemelli qui avait été, vingt ans auparavant, un des principaux adversaires de Padre Pio. Il l’avait rencontré quelques instants, le 18 avril 1920, dans un couloir du couvent de San Giovanni Rotondo. Il avait rédigé ensuite un rapport pour le Saint-Office, sans avoir examiné les stigmates du saint capucin, et dans un article, publié à deux reprises en 1924, il l’avait rangé, sans le nommer, parmi les « stigmatisés hystériques » qui se procurent des stigmates « artificiellement, pour ainsi dire sans qu’ils s’en rendent compte ».

Le P. Gemelli repétait donc, pour Natuzza Evolo, un diagnostic établi à distance et une explication rationaliste.

En 1949, c’est un autre médecin, le professeur Annibale Puca, membre de la Société italienne de psychiatrie, qui portera un diagnostic semblable dans un article : Interpretazioni miracolistiche in un caso d’istérismo con sudore e grafia ematica, paru dans la revue Il Lavoro neuropsichiatrico (IV, 1949), la revue de l’Hôpital psychiatrique de la Province de Rome et de la Clinique des maladies nerveuses et mentales de l’Université de Rome. Il expliquait les « sueurs de sang » et l’hémographie mystique par une « vasodilatation segmentale » due à une « concentration émotive » portée à son plus haut degré d’intensité par une « hétéro-suggestion hypnotique ».

Plus récemment, deux ethno-sociologues, Maricia Boggio et Luigi-Maria Lombardi Satriani, ont cherché à expliquer les phénomènes observables chez Nattuza en référence aux traditions et croyances magiques de la culture populaire calabraise : Natuzza Evolo : il dolore e la parola (Rome, Armando editore, 2006).



"Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint" dit Serge Klarsfeld[1]
Le feu vert de Benoît XVI à la béatification du pape Pie XII suscite de nombreuses protestations au sein des communautés juives. Une décision qui “ne choque absolument pas“ l’historien Serge Klarsfeld, fondateur de l’association “Les fils et filles des déportés juifs de France“.

Que pensez-vous de la prochaine béatification de Pie XII ?

Serge Klarsfeld : C’est une affaire interne à l’Église ! Je pourrais presque dire que cette décision me laisse assez indifférent. Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint ! En revanche, une chose me heurte davantage : la publication des lettres antisémites de Céline dans La Pléiade, chez Gallimard. Même si Louis-Ferdinand Céline est considéré comme un génie littéraire, je trouve cela choquant. Et puis, si l’on parle beaucoup de Pie XII, pourquoi ne regarde-t-on pas aussi le général de Gaulle ? Il est considéré comme un saint en France ! Eh bien, lors de l’été 1942, après la rafle du Vel’ d’hiv’, le général de Gaulle n’a pas élevé la voix. Pourtant, par la suite, de nombreuses autres rafles ont suivi, menées uniquement par des uniformes français et organisées par l’administration préfectorale ! Le général de Gaulle n’a pas élevé la voix pour avertir par exemple : “Fonctionnaires, si vous arrêtez les juifs, vous serez arrêtés et traduits en justice !“.

Quel est votre jugement sur la position de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale?

Pie XII a joué un rôle déterminant contre Hitler, mais aussi dans la lutte contre le communisme en Europe de l’Est. Le Polonais Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, est né de la volonté de Pie XII de lancer ce mouvement de résistance. Le rôle de Pie XII a aussi été diplomatique et idéologique : il a été le rédacteur de l’encyclique de 1937 condamnant le nazisme et publiée par son prédécesseur.

Pourtant, on reproche à Pie XII son silence pendant la Shoah...

Tout cela est très difficile à apprécier. N’occultons pas que Pie XII a eu des gestes discrets et efficaces pour aider les juifs. Citons par exemple ce qui s’est passé à Rome. Un millier de juifs ont été arrêtés lors d’une rafle-surprise. Pie XII n’a pas protesté à voix haute, mais il a demandé aux établissements religieux d’ouvrir leurs portes. Résultat : des milliers de juifs ont pu être sauvés. Alors que si Pie XII avait élevé la voix, quelles auraient été les conséquences ? Est-ce que cela aurait changé les choses pour les juifs ? Probablement pas. Déjà, ses déclarations pour défendre les catholiques n’ont pas été entendues puisqu’en Pologne deux millions de catholiques ont été tués. Néanmoins, une prise de parole publique aurait sûrement amélioré la propre réputation de Pie XII aujourd’hui.

Au sein du monde juif, certains sont plus virulents que vous...

Quelques-uns, comme moi, essaient de regarder quels étaient la réalité historique et le contexte de l’époque. En revanche, d’autres ne pensent pas une seconde aux milliers de catholiques tués, mais en priorité aux rabbins et aux juifs massacrés pendant la Shoah. Mais le pape, c’est avant tout le pape des catholiques. La priorité de Pie XII était de protéger les catholiques des régimes nazi et communiste.

Alors que pensez-vous de cette polémique ?

Cette controverse ne me surprend pas. Elle me paraît assez normale dans la mesure où les archives du Vatican n’ont pas été ouvertes malgré des promesses. Il s’est quand même passé plus de 60 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les archives devraient être libres d’accès pour que l’on constate, par nous-mêmes, quels ont été les gestes et la réaction de Pie XII.
Cette réaction de Serge Klarsfeld est intéressante car elle montre qu’avec le temps certains arguments des défenseurs de la mémoire de Pie XII commencent à être entendus et acceptés. Je relèverai simplement une illusion qui persiste : que les « archives » du Vatican restant à explorer contiendraient des documents qui pourraient encore révéler des documents significatifs, susceptibles de faire comprendre « les gestes et la réaction de Pie XII » pendant la Seconde Guerre mondiale.

On rappellera, simplement, qu’une grande partie des archives vaticanes concernant cette période a été publiée, à l’initiative de Paul VI, à partir de 1965 : Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde guerre mondiale, Libreria Editrice Vaticana, 1965-1981, onze tomes en 12 volumes.

Ce vaste ensemble documentaire a longtemps été méconnu ou ignoré des historiens de la période. Certes il ne contient pas toutes les archives du Vatican sur la Seconde Guerre mondiale, mais on sait que Jean-Paul II a décidé d’ouvrir aux historiens le reste de la documentation conservée sur la période.

Cette masse documentaire est encore considérable, elle n’est pas encore intégralement classée et répertoriée. Pour avoir travaillé, il y a quelques années déjà, aux Archives Secrètes Vaticanes sur les pontificats de Pie X et de Pie XI, j’ai pu constater que pour chacune de ces périodes certaines archives n’étaient pas encore communicables aux chercheurs parce que le classement n’en était pas achevé.

Sous le pontificat de Pie XI, le futur Pie XII était nonce apostolique en Allemagne puis Secrétaire d’Etat. Les archives sur cette période, rendues accessibles ces dernières années, viennent confirmer ce que l’on savait déjà d’Eugenio Pacelli : il ne fut en rien complaisant avec l’Allemagne nazie.

Concernant le pontificat-même de Pie XII, les Archives Secrètes Vaticanes ont publié deux volumes intitulés Inter arma caritas. Le premier volume est l’inventaire des archives de l’ Ufficio informazioni Vaticano per i prigioneri di guerra, institué en 1939 et qui a fonctionné jusqu’en 1947 ; le second reproduit intégralement des centaines de documents. Ces deux volumes – près de 1500 pages au total – évoquent l’aide concrète, au cas par cas, apportée aux prisonniers de guerre de tous les camps, par le Saint-Siège et ses représentants. Le sort dramatique des Juifs n’est pas absent de ces volumes. Pourtant cette publication a été ignorée par les grandes revues historiques universitaires françaises et par les historiens de la période.

On ajoutera qu’entre le moment où la Congrégation pour les Causes des saints s’est prononcée, à l’unanimité, pour reconnaître les vertus héroïques de Pie XII (8 mai 2007) et le moment où Benoît XVI a signé le décret (19 décembre 2009), il s’est passé plus de deux ans. Le pape n’a pas tergiversé pendant plus de deux ans. Il a demandé au P. dominicain Ambrosius Eszer, un des rapporteurs généraux de la Congrégation, de mener une recherche exploratoire complémentaire dans les archives vaticanes. Son travail a duré dix mois. Ce qu’il a trouvé a confirmé ce que l’on savait déjà de la charité de Pie XII et de sa sollicitude pour les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Y.C.

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Avec ce numéro 149, s’achève la dixième année de parution d’Aletheia. Quinze fois, cette année,  librement, sans souci de plaire ni crainte de déplaire, ont été publiées des informations et analyses au service de la Vérité et de l’Eglise. Et ce, dans un format plus que modeste.

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Note

[1] Propos recueillis par Ségolène Gros de Larquier et publiés dans Le Point le 24 décembre 2009.