lundi 11 décembre 2006

[Aletheia n°102] Le grand œuvre de Benoît XVI

Yves Chiron - Aletheia n°102 - 11 décembre 2006
Le grand œuvre de Benoît XVI - par Yves Chiron
Cette année 2006 qui s’achève aura été riche en actes magistériels de notre pape Benoît XVI (sa première encyclique), en nominations à des postes-clefs, en décisions personnelles (la création de l’Institut du Bon Pasteur), sans oublier la première condamnation du pontificat (l’interdiction d’enseigner au théologien allemand Hasenhüttl, théoricien et praticien de la communion interconfessionnelle). On tiendra pour essentielle sa volonté de continuer ou de renouer des dialogues avec les lointains ou les plus proches (l’Islam, l’orthodoxie, la Fraternité Saint-Pie X, sans oublier, plus discret, mais très riche de promesses, le dialogue avec certains secteurs de l’anglicanisme).
Le motu proprio sur la liturgie traditionnelle, annoncé depuis plus d’un an, retardé à plusieurs reprises, sera, si l’on en croit certaines sources romaines, plus surprenant qu’on ne s’y attend et ne concernera pas que la liturgie traditionnelle.
Il ne faut pas considérer Benoît XVI comme un « pape traditionaliste » – comme on l’a dit bien légèrement – ni même comme un pape qui placerait la question « traditionaliste » au premier rang de ses préoccupations.
Il a une vision historique du présent de l’Eglise – son état de crise, dans un monde dominé par le relativisme – et une vision historique de ce que pourrait être son avenir, c’est-à-dire une vision qui n’est pas binaire et qui ne compte pas sur des retournements brutaux. Le grand œuvre que Benoît XVI a engagé va dans deux directions essentielles : l’unité de l’Eglise et la prière de l’Eglise.
Son souci de l’unité de l’Eglise, face au monde relativiste et aux forces centrifuges, passe par un dialogue prioritaire avec les Orthodoxes. Les problèmes franco-français pourraient faire oublier que, pour le Pape, la réconciliation avec l’Orient orthodoxe est un engagement déterminé. La rencontre récente avec le Patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, n’est que la première étape d’un chemin qui vise au « rétablissement de la pleine communion entre catholiques et orthodoxes ». En 2007, la Commission mixte du dialogue catholique-orthodoxe reprendra ses travaux après six ans d’interruption. La reprise des travaux aura lieu en Italie, à Ravenne. Bartholomée Ier et Benoît XVI pourraient se rencontrer à nouveau à cette occasion et décider de co-présider la Commission.
Le deuxième grand chantier ouvert par le Pape – rendre à la prière de l’Eglise une place centrale et son caractère sacré – prend la voie d’une réforme liturgique continuée. Mais Benoît XVI ne rétablira jamais la liturgie traditionnelle dans sa primauté et son exclusivité. Il l’a explicitement dit lui-même en plusieurs endroits (et j’ai essayé de l’expliquer ici à plusieurs reprises), Benoît XVI veut « réformer la réforme » liturgique engagée après Vatican II et, à long terme, il espère, il aspire à une fusion entre le rite traditionnel et le Novus Ordo Missæ rectifié et réformé ; une fusion par principe d’intégration.
Il l’a écrit, en 2003, au Professeur Barth : « …il faut avancer pas à pas, chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats. Mais je crois que, dans l’avenir, l’Eglise romaine devra avoir à nouveau un seul rite ; l’existence de deux rites est dans la pratique difficilement ”gérable” pour les évêques et pour les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé dans la tradition du rite ancien ; il pourrait intégrer quelques nouveaux éléments, qui ont fait leurs preuves, comme de nouvelles Fêtes, quelques nouvelles Préfaces dans la messe, un Lectionnaire élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop –, une Oratio fidelium, c’est-à-dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus de l’Offertoire, où il avait jadis sa place. [1]»
Que cette ambition – qu’il sait irréalisable dans l’immédiat – passe par la restauration de la liturgie traditionnelle dans son droit de cité dans l’Eglise, n’empêche pas qu’elle contredit les rêves de restauration intégrale et unique des uns et le mélange d’anarchie et de fixisme des autres.
Cette ambition d’une réforme restauratrice en deux temps rencontre des résistances. Certaines oppositions épiscopales françaises ne doivent pas être sous-estimées (elles ont été provisoirement efficaces cet automne). Il en est d’autres qui sont autant, sinon plus, redoutables encore : aux Etats-Unis (refus d’appliquer les instructions reçues de Rome et dérives théologiques différentes des dérives françaises), et aussi en Afrique noire et en Asie (où, là, ce sont les pratiques liées à l’inculturation de la liturgie qui font des ravages).

Abonnement 2007
En 2007, Aletheia poursuivra son œuvre, modeste et libre, d’information, d’analyse et de commentaire.
Avec ce n° 102, Aletheia termine sa VIIe année d’existence. Le contrat passé avec les lecteurs – 15 numéros par an – a été rempli, et même un peu au-delà puisque cette année dix-sept numéros auront été envoyés.
Le nombre des lecteurs d’Aletheia a plus que doublé en 2006. Rappelons qu’il y a trois moyens de lire Aletheia : en se rendant sur le site www.aletheia.free.fr ; en souscrivant un abonnement électronique gratuit ; ou en souscrivant un abonnement papier payant.
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NOTE
[1] Traduction intégrale de la lettre in Aletheia n° 89, le19 février 2006.

lundi 4 décembre 2006

[Aletheia n°101] L’Eglise catholique et le Téléthon

Yves Chiron - Aletheia n°101 - 4 décembre 2006

L’Eglise catholique et le Téléthon

Comme chaque année, pour la 20e fois, l’AFM (Association française contre la myopathie) organise les 8 et 9 décembre prochains un Téléthon, grande manifestation de charity business à l’américaine où la télévision va relayer d’innombrables initiatives locales pour récolter de l’argent en faveur des enfants myopathes et de la recherche sur la myopathie.

L’Eglise s’est souvent associée, dans le passé et aujourd’hui encore, à ces manifestations, prêtant des églises pour des concerts, des locaux paroissiaux pour d’autres initiatives, incitant ses fidèles à faire un don au Téléthon ou à devenir bénévoles d’un jour pour cette « grande cause ».

Cette année pourtant, plusieurs évêques ont exprimé leurs inquiétudes ou leur désaccord avec certaines méthodes et certaines finalités de la recherche médicale menée avec l’argent du Téléthon. Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, a dit que les « catholiques ne pouvaient pas donner un chèque en blanc » au Téléthon.

En 2004, la Cour des Comptes avait publié un rapport qui épinglait les frais de fonctionnement trop élevés de l’AFM. Mais au-delà des questions financières, ce sont des objections morales et doctrinales qui doivent être faites. C’est la question de l’embryon qui est au cœur de la controverse actuelle et aussi la question de la place de l’Eglise dans la Cité.

Je reproduis ici quatre documents qui, chacun à leur manière, éclairent la question.

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Une interview du cardinal Barbarin

Le samedi 2 décembre, le cardinal Barbarin était interrogé, en direct, sur Europe 1 sur le récent voyage de Benoît XVI en Turquie puis sur les objections de l’Eglise au Téléthon. Après avoir rappelé que l’origine du Téléthon a été la mobilisation des familles d’enfants myopathes, et tout en faisant l’éloge des élans de générosité et de solidarité qui se manifeste en ces journées de collecte financière, l’archevêque de Lyon a dénoncé les dérives de certaines recherches financées par l’argent du Téléthon.

Il a aussi fortement réaffirmé le droit pour l’Eglise de faire entendre sa voix. Le président du Comité National d’Ethique, Didier Sicard, avait affirmé la veille : « Elle [l’Eglise] a pleinement le droit, tout à fait respectable, de considérer l’embryon humain comme sacré. Mais elle n’a pas le droit d’en faire une manifestation publique. » (Le Monde, 1er décembre 2006).

Je reproduis ici, sans retouches, les propos tenus l’archevêque de Lyon à ce sujet :

La recherche sur les embryons… Arrêtez ces choses-là. Ce n’est pas parce qu’elles sont légales qu’elles sont bonnes. « On a la loi pour nous » dit-on. Nous, on dit : « Non ». Les catholiques disent cela depuis toujours. Ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral. Pour nous, l’embryon humain n’est pas une chose. Un embryon, on ne peut pas le produire, on ne peut pas le détruire, on ne peut pas l’utiliser, on ne peut pas le trier. Non, non et non. Même si la loi le permet, il faut arrêter de faire çà. Il y a beaucoup de donateurs qui le pensent. Cela met beaucoup de donateurs dans une situation intérieure difficile.

Je dis très haut et très fort que je veux soutenir les familles. À l’origine du Téléthon, il y a quand même les familles qui se sont mobilisées contre ce qu’il ne faut pas considérer comme une fatalité. Ils veulent que leurs enfants vivent. Nous, on veut les soigner, les guérir. Se battre pour le soin et se battre pour la guérison, ce n’est pas tout à fait pareil que se mettre à trier les embryons, à les utiliser et à les détruire comme si c’étaient des choses.

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Un communiqué du Dr Jean-Pierre Dickès, président de l'Association Catholique des Infirmières et Médecins

Le 30 novembre 2006, l’A.C.I.M. (Association Catholique des Infirmières et Médecins), qui entend être fidèle à l’enseignement de l’Eglise en matière de morale, a publié un communiqué qui attire d’autant plus l’attention que son président, le Dr Dickès, parle, sur ce sujet, non seulement en tant que médecin et en tant que catholique, mais aussi comme père et grand-père d’enfants myopathes.

J'écris à la fois en tant que médecin et père d'un enfant myopathe décédé maintenant il y a 8 ans à l'âge de 18 ans et grand-père d'un petit myopathe. Lors de la découverte de la maladie de notre fils, il me fut déclaré que par génie génétique un traitement allait être trouvé dans les deux ans. 25 ans plus tard cet objectif n'a pas été réalisé. Il s'est fait rapidement une dérive dans le cadre du Généthon (alimenté par le Téléthon), dont le but est de tamiser les embryons par le diagnostic pré-implantatoire (DPI), et d'affûter des armes pour le diagnostic préalable in utero (DPN) afin de pratiquer des avortements parfois même la veille de l'accouchement de l'enfant.

Si bien qu'en pratique nos malheureux enfants servent de canard d'appel pour obtenir de l'argent servant à éliminer d'autres myopathes.

Par ailleurs le Généthon s'échine à trouver des moyens de traitement par les cellules souches embryonnaires qui à ce jour n'ont jamais guéri personne, ne donneront des résultats que dans 10 ou 20 ans, s'ils en donnent. Pendant ce temps, nos enfants meurent. Or parallèlement "en aval" des succès thérapeutiques nombreux ont été obtenus. Le plus récent est du 15 novembre dernier (Le Figaro du 17 nov.). Une équipe de Milan a guéri des chiens myopathes avec des cellules souches dites adultes récupérées sur le chien même (allogreffe) ou sur d'autre chiens (hétérogreffes).

Une fois de plus l'AFM se trompe de chemin et trompe l'opinion publique.

Ajoutons que Le Dr Dickès vient de faire paraître avec sa fille, Godeleine Lafargue, docteur en philosophie, un livre intitulé : L’Homme artificiel. Essai sur le moralement correct (Editions de Paris, 304 pages, 29 euros). Ou comment l’évolution des mœurs, des idées et des lois aboutit à un renversement qui est une transgression : « un enfant quand je veux » (contraception), « un enfant si je veux » (avortement), « un enfant comme je veux » (sélection eugéniste). Une partie de la recherche financée par le Téléthon relève de l’eugénisme.

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Une dépêche de l’agence Zénit

[L’Institut de Bioéthique européen, installé à Bruxelles, confirme ce que dit le Dr Dickès : la recherche sur les embryons n’a jamais débouché sur une application thérapeutique. D’autres voies sont possibles.]

ROME, Lundi 27 novembre 2006 (ZENIT.org) – Contrairement aux idées reçues, il apparaît que les cellules souches adultes présentent un énorme potentiel thérapeutique, ce qui ne semble pas le cas des cellules souches embryonnaires, souligne le centre de Bioéthique européen, à Bruxelles (http://www.ieb-eib.org).

Dans son principe, rappelle la même source, la thérapie régénératrice repose sur l’utilisation de cellules souches, mères de tous les types cellulaires de l’organisme. Tandis que le potentiel thérapeutique des cellules souches embryonnaires apparaît toujours plus incertain, en raison d’insurmontables obstacles biologiques, les cellules souches adultes commencent à montrer des capacités étonnantes de réparation des tissus malades, à la fois dans les modèles animaux et les premiers essais cliniques.

C’est pourquoi l’Institut affirme : « Il est d’autant plus important de tenir compte des résultats récents obtenus dans ce domaine que, début décembre, le 7eme programme cadre de recherche européen doit être adopté définitivement en seconde lecture. Il est souhaitable qu’une politique publique de financement de la recherche biomédicale tienne compte des données actuelles de la science ».

Ainsi, ajoute l’Institut de Bruxelles, le Parlement européen et le Conseil des ministres ont l’opportunité de « promouvoir le développement d’une recherche évitant toute transgression sur le plan éthique, tout en offrant des perspectives réalistes sur le plan médical ».

Malgré les sommes colossales investies, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a débouché sur aucune application thérapeutique, constate l’Institut qui explique la raison de ce résultat : l’obstacle majeur à toute application clinique réside dans l’effet tumorigène des cellules souches embryonnaires injectées.

Les cellules souches adultes, en revanche, affirme l’Institut européen de bioéthique, ne présentent pas cet inconvénient : « Elles peuvent être directement prélevées à partir du tissu adipeux du patient, de sa moelle osseuse ou provenir d’une banque de sang de cordon ombilical. Actuellement, des thérapies régénératrices utilisent ce type de cellules avec succès. Le recours à cette technique a déjà permis de "réparer" des lésions cardiaques, des foies atteints de cirrhose ou de soigner des lésions graves de la moelle osseuse ».

ZF06112708

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Abus de confiance ?

[Article paru dans l’hebdomadaire France Catholique, n°3045, le 3 novembre 2006.]

Les bénévoles qui donneront généreusement de leur temps pour le Téléthon, les téléspectateurs de France Télévision et les donateurs de l'AFM ne sont pas conscients des dérives éthiques qui ternissent l'événement. Mais que peut-on leur dire qui ne produise pas un effet désastreux sur les consciences ?

Avec trente heures de direct télévisé pour la première fois, le Téléthon 2006 n'entend pas rater son vingtième anniversaire, les 8 et 9 décembre prochains. Le marathon emblématique de la générosité cathodique tient, par-delà les modes, grâce à l'énergie de ses organisateurs.

L'association française contre la myopathie (AFM) a été lancée par des parents éprouvés et combatifs dont les enfants étaient frappés par la terrible maladie. Ils ont importé le Téléthon des Etats-Unis à l'initiative de Pierre Birambeau. Cette expérience typique de la charité-business américaine, transposée avec le partenariat de France 2 en 1986, est un succès immédiat. Les enfants dans leurs fauteuils roulants émeuvent les téléspectateurs qui ouvrent largement leur cœur… Les "stars" qui les présentent font le reste : les promesses de don pleuvent, et grimpent chaque année. 104 millions d'euros ont été récoltés lors de la dernière édition. Une somme qui fait de l'AFM le partenaire incontournable de la recherche française. Cette puissance fait grincer des dents, pas seulement par jalousie.

L'AFM pèse dans le sens des recherches qu'elle préconise, et certains se demandent si cette influence est saine. D'autres ont relevé l'étonnant concept de "bénévole rémunéré" qui conduit la présidente de l'association à percevoir un salaire mensuel de 5.900 euros. Interrogée par Le Point en août 2005, Laurence Tiennot-Herment, justifiait cette rémunération par son travail : "Qui fait les déplacements dans les ministères, qui assure le lobbying, qui maintient le dialogue avec le conseil scientifique ?"

Car l'association ne se contente pas de lever et distribuer des fonds, elle fait pression sur les décideurs. Lors du vote par le Sénat des dernières lois bioéthiques, son président faisait parvenir à tous les parlementaires les résultats de la consultation d'un "panel de patients". Ce dernier réclamait l'expérimentation sur l'embryon et le clonage à visée thérapeutique.

L'AFM plaide pour que soient levées les barrières éthiques qui lui paraissent entraver les progrès de la science. Elle est devenue un lobby scientiste performant. Elle héberge depuis deux ans dans son Généthon le professeur Marc Peschanscki. Ami du professeur Hwang jusqu'à la disgrâce du fraudeur Coréen du clonage, c'est l'un des chercheurs français les plus en pointe en matière… de transgression.

Il a obtenu, en juin 2006, les premières autorisations de recherche sur l'embryon humain et codirige la première équipe qui tentera d'obtenir des lignées de cellules embryonnaires en France, légalement.

Comment expliquer pareille dérive ? Si la souffrance a produit une magnifique énergie chez les dirigeants de l'AFM, elle semble aussi avoir anesthésié leur conscience, à moins que l'argent ne leur ait fait tourner la tête. Depuis plus de dix ans le Téléthon présente comme des succès de la science ses "bébéthons" issus du diagnostic préimplantatoire. Sur le site Internet de l'AFM, une mère de famille qui a perdu ses deux aînés de la maladie parle de la naissance de ses trois petites filles valides comme d'une "victoire sur la malchance et sur la mort" sans évoquer le tri embryonnaire dont ont été victimes les frères ou sœurs écartés. Que répondre ?

Pour les observateurs conscients que le respect de l'embryon est un enjeu de civilisation, c'est un crève-cœur de devoir mettre en garde contre le Téléthon : n'a-t-il pas mobilisé les Français en faveur des personnes handicapées et amélioré le sort de beaucoup par des aides que personne n'aurait pu financer ? C'est conscient du gâchis, que l'Alliance pour les Droits de la Vie a lancé, il y a trois ans un "Comité pour sauver l'éthique du Téléthon" qui regroupe des personnes malades refusant les transgressions éthiques à prétexte thérapeutique. De son côté, la Fondation Jérôme Lejeune continue d'alerter avec précision sur les dérives de l'AFM. De nombreuses institutions chrétiennes – écoles et même paroisses – ont cru qu'elles pouvaient s'investir en toute confiance dans l'événement. Cette année, pour la première fois, un diocèse, celui du Var, publie une mise en garde radicale : « il n’est plus possible de participer au Téléthon ».




[Aletheia n°101] L’Eglise catholique et le Téléthon

Aletheia n°101 - 4 décembre 2006

L’Eglise catholique et le Téléthon

Comme chaque année, pour la 20e fois, l’AFM (Association française contre la myopathie) organise les 8 et 9 décembre prochains un Téléthon, grande manifestation de charity business à l’américaine où la télévision va relayer d’innombrables initiatives locales pour récolter de l’argent en faveur des enfants myopathes et de la recherche sur la myopathie.

L’Eglise s’est souvent associée, dans le passé et aujourd’hui encore, à ces manifestations, prêtant des églises pour des concerts, des locaux paroissiaux pour d’autres initiatives, incitant ses fidèles à faire un don au Téléthon ou à devenir bénévoles d’un jour pour cette « grande cause ».

Cette année pourtant, plusieurs évêques ont exprimé leurs inquiétudes ou leur désaccord avec certaines méthodes et certaines finalités de la recherche médicale menée avec l’argent du Téléthon. Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, a dit que les « catholiques ne pouvaient pas donner un chèque en blanc » au Téléthon.

En 2004, la Cour des Comptes avait publié un rapport qui épinglait les frais de fonctionnement trop élevés de l’AFM. Mais au-delà des questions financières, ce sont des objections morales et doctrinales qui doivent être faites. C’est la question de l’embryon qui est au cœur de la controverse actuelle et aussi la question de la place de l’Eglise dans la Cité.

Je reproduis ici quatre documents qui, chacun à leur manière, éclairent la question.

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Une interview du cardinal Barbarin

Le samedi 2 décembre, le cardinal Barbarin était interrogé, en direct, sur Europe 1 sur le récent voyage de Benoît XVI en Turquie puis sur les objections de l’Eglise au Téléthon. Après avoir rappelé que l’origine du Téléthon a été la mobilisation des familles d’enfants myopathes, et tout en faisant l’éloge des élans de générosité et de solidarité qui se manifeste en ces journées de collecte financière, l’archevêque de Lyon a dénoncé les dérives de certaines recherches financées par l’argent du Téléthon.

Il a aussi fortement réaffirmé le droit pour l’Eglise de faire entendre sa voix. Le président du Comité National d’Ethique, Didier Sicard, avait affirmé la veille : « Elle [l’Eglise] a pleinement le droit, tout à fait respectable, de considérer l’embryon humain comme sacré. Mais elle n’a pas le droit d’en faire une manifestation publique. » (Le Monde, 1er décembre 2006).

Je reproduis ici, sans retouches, les propos tenus l’archevêque de Lyon à ce sujet :

La recherche sur les embryons… Arrêtez ces choses-là. Ce n’est pas parce qu’elles sont légales qu’elles sont bonnes. « On a la loi pour nous » dit-on. Nous, on dit : « Non ». Les catholiques disent cela depuis toujours. Ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral. Pour nous, l’embryon humain n’est pas une chose. Un embryon, on ne peut pas le produire, on ne peut pas le détruire, on ne peut pas l’utiliser, on ne peut pas le trier. Non, non et non. Même si la loi le permet, il faut arrêter de faire çà. Il y a beaucoup de donateurs qui le pensent. Cela met beaucoup de donateurs dans une situation intérieure difficile.

Je dis très haut et très fort que je veux soutenir les familles. À l’origine du Téléthon, il y a quand même les familles qui se sont mobilisées contre ce qu’il ne faut pas considérer comme une fatalité. Ils veulent que leurs enfants vivent. Nous, on veut les soigner, les guérir. Se battre pour le soin et se battre pour la guérison, ce n’est pas tout à fait pareil que se mettre à trier les embryons, à les utiliser et à les détruire comme si c’étaient des choses.

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Un communiqué du Dr Jean-Pierre Dickès, président de l'Association Catholique des Infirmières et Médecins

Le 30 novembre 2006, l’A.C.I.M. (Association Catholique des Infirmières et Médecins), qui entend être fidèle à l’enseignement de l’Eglise en matière de morale, a publié un communiqué qui attire d’autant plus l’attention que son président, le Dr Dickès, parle, sur ce sujet, non seulement en tant que médecin et en tant que catholique, mais aussi comme père et grand-père d’enfants myopathes.

J'écris à la fois en tant que médecin et père d'un enfant myopathe décédé maintenant il y a 8 ans à l'âge de 18 ans et grand-père d'un petit myopathe. Lors de la découverte de la maladie de notre fils, il me fut déclaré que par génie génétique un traitement allait être trouvé dans les deux ans. 25 ans plus tard cet objectif n'a pas été réalisé. Il s'est fait rapidement une dérive dans le cadre du Généthon (alimenté par le Téléthon), dont le but est de tamiser les embryons par le diagnostic pré-implantatoire (DPI), et d'affûter des armes pour le diagnostic préalable in utero (DPN) afin de pratiquer des avortements parfois même la veille de l'accouchement de l'enfant.

Si bien qu'en pratique nos malheureux enfants servent de canard d'appel pour obtenir de l'argent servant à éliminer d'autres myopathes.

Par ailleurs le Généthon s'échine à trouver des moyens de traitement par les cellules souches embryonnaires qui à ce jour n'ont jamais guéri personne, ne donneront des résultats que dans 10 ou 20 ans, s'ils en donnent. Pendant ce temps, nos enfants meurent. Or parallèlement "en aval" des succès thérapeutiques nombreux ont été obtenus. Le plus récent est du 15 novembre dernier (Le Figaro du 17 nov.). Une équipe de Milan a guéri des chiens myopathes avec des cellules souches dites adultes récupérées sur le chien même (allogreffe) ou sur d'autre chiens (hétérogreffes).

Une fois de plus l'AFM se trompe de chemin et trompe l'opinion publique.

Ajoutons que Le Dr Dickès vient de faire paraître avec sa fille, Godeleine Lafargue, docteur en philosophie, un livre intitulé : L’Homme artificiel. Essai sur le moralement correct (Editions de Paris, 304 pages, 29 euros). Ou comment l’évolution des mœurs, des idées et des lois aboutit à un renversement qui est une transgression : « un enfant quand je veux » (contraception), « un enfant si je veux » (avortement), « un enfant comme je veux » (sélection eugéniste). Une partie de la recherche financée par le Téléthon relève de l’eugénisme.

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Une dépêche de l’agence Zénit

[L’Institut de Bioéthique européen, installé à Bruxelles, confirme ce que dit le Dr Dickès : la recherche sur les embryons n’a jamais débouché sur une application thérapeutique. D’autres voies sont possibles.]

ROME, Lundi 27 novembre 2006 (ZENIT.org) – Contrairement aux idées reçues, il apparaît que les cellules souches adultes présentent un énorme potentiel thérapeutique, ce qui ne semble pas le cas des cellules souches embryonnaires, souligne le centre de Bioéthique européen, à Bruxelles (http://www.ieb-eib.org).

Dans son principe, rappelle la même source, la thérapie régénératrice repose sur l’utilisation de cellules souches, mères de tous les types cellulaires de l’organisme. Tandis que le potentiel thérapeutique des cellules souches embryonnaires apparaît toujours plus incertain, en raison d’insurmontables obstacles biologiques, les cellules souches adultes commencent à montrer des capacités étonnantes de réparation des tissus malades, à la fois dans les modèles animaux et les premiers essais cliniques.

C’est pourquoi l’Institut affirme : « Il est d’autant plus important de tenir compte des résultats récents obtenus dans ce domaine que, début décembre, le 7eme programme cadre de recherche européen doit être adopté définitivement en seconde lecture. Il est souhaitable qu’une politique publique de financement de la recherche biomédicale tienne compte des données actuelles de la science ».

Ainsi, ajoute l’Institut de Bruxelles, le Parlement européen et le Conseil des ministres ont l’opportunité de « promouvoir le développement d’une recherche évitant toute transgression sur le plan éthique, tout en offrant des perspectives réalistes sur le plan médical ».

Malgré les sommes colossales investies, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a débouché sur aucune application thérapeutique, constate l’Institut qui explique la raison de ce résultat : l’obstacle majeur à toute application clinique réside dans l’effet tumorigène des cellules souches embryonnaires injectées.

Les cellules souches adultes, en revanche, affirme l’Institut européen de bioéthique, ne présentent pas cet inconvénient : « Elles peuvent être directement prélevées à partir du tissu adipeux du patient, de sa moelle osseuse ou provenir d’une banque de sang de cordon ombilical. Actuellement, des thérapies régénératrices utilisent ce type de cellules avec succès. Le recours à cette technique a déjà permis de "réparer" des lésions cardiaques, des foies atteints de cirrhose ou de soigner des lésions graves de la moelle osseuse ».

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Abus de confiance ?

[Article paru dans l’hebdomadaire France Catholique, n°3045, le 3 novembre 2006.]

Les bénévoles qui donneront généreusement de leur temps pour le Téléthon, les téléspectateurs de France Télévision et les donateurs de l'AFM ne sont pas conscients des dérives éthiques qui ternissent l'événement. Mais que peut-on leur dire qui ne produise pas un effet désastreux sur les consciences ?

Avec trente heures de direct télévisé pour la première fois, le Téléthon 2006 n'entend pas rater son vingtième anniversaire, les 8 et 9 décembre prochains. Le marathon emblématique de la générosité cathodique tient, par-delà les modes, grâce à l'énergie de ses organisateurs.

L'association française contre la myopathie (AFM) a été lancée par des parents éprouvés et combatifs dont les enfants étaient frappés par la terrible maladie. Ils ont importé le Téléthon des Etats-Unis à l'initiative de Pierre Birambeau. Cette expérience typique de la charité-business américaine, transposée avec le partenariat de France 2 en 1986, est un succès immédiat. Les enfants dans leurs fauteuils roulants émeuvent les téléspectateurs qui ouvrent largement leur cœur… Les "stars" qui les présentent font le reste : les promesses de don pleuvent, et grimpent chaque année. 104 millions d'euros ont été récoltés lors de la dernière édition. Une somme qui fait de l'AFM le partenaire incontournable de la recherche française. Cette puissance fait grincer des dents, pas seulement par jalousie.

L'AFM pèse dans le sens des recherches qu'elle préconise, et certains se demandent si cette influence est saine. D'autres ont relevé l'étonnant concept de "bénévole rémunéré" qui conduit la présidente de l'association à percevoir un salaire mensuel de 5.900 euros. Interrogée par Le Point en août 2005, Laurence Tiennot-Herment, justifiait cette rémunération par son travail : "Qui fait les déplacements dans les ministères, qui assure le lobbying, qui maintient le dialogue avec le conseil scientifique ?"

Car l'association ne se contente pas de lever et distribuer des fonds, elle fait pression sur les décideurs. Lors du vote par le Sénat des dernières lois bioéthiques, son président faisait parvenir à tous les parlementaires les résultats de la consultation d'un "panel de patients". Ce dernier réclamait l'expérimentation sur l'embryon et le clonage à visée thérapeutique.

L'AFM plaide pour que soient levées les barrières éthiques qui lui paraissent entraver les progrès de la science. Elle est devenue un lobby scientiste performant. Elle héberge depuis deux ans dans son Généthon le professeur Marc Peschanscki. Ami du professeur Hwang jusqu'à la disgrâce du fraudeur Coréen du clonage, c'est l'un des chercheurs français les plus en pointe en matière… de transgression.

Il a obtenu, en juin 2006, les premières autorisations de recherche sur l'embryon humain et codirige la première équipe qui tentera d'obtenir des lignées de cellules embryonnaires en France, légalement.

Comment expliquer pareille dérive ? Si la souffrance a produit une magnifique énergie chez les dirigeants de l'AFM, elle semble aussi avoir anesthésié leur conscience, à moins que l'argent ne leur ait fait tourner la tête. Depuis plus de dix ans le Téléthon présente comme des succès de la science ses "bébéthons" issus du diagnostic préimplantatoire. Sur le site Internet de l'AFM, une mère de famille qui a perdu ses deux aînés de la maladie parle de la naissance de ses trois petites filles valides comme d'une "victoire sur la malchance et sur la mort" sans évoquer le tri embryonnaire dont ont été victimes les frères ou sœurs écartés. Que répondre ?

Pour les observateurs conscients que le respect de l'embryon est un enjeu de civilisation, c'est un crève-cœur de devoir mettre en garde contre le Téléthon : n'a-t-il pas mobilisé les Français en faveur des personnes handicapées et amélioré le sort de beaucoup par des aides que personne n'aurait pu financer ? C'est conscient du gâchis, que l'Alliance pour les Droits de la Vie a lancé, il y a trois ans un "Comité pour sauver l'éthique du Téléthon" qui regroupe des personnes malades refusant les transgressions éthiques à prétexte thérapeutique. De son côté, la Fondation Jérôme Lejeune continue d'alerter avec précision sur les dérives de l'AFM. De nombreuses institutions chrétiennes – écoles et même paroisses – ont cru qu'elles pouvaient s'investir en toute confiance dans l'événement. Cette année, pour la première fois, un diocèse, celui du Var, publie une mise en garde radicale : « il n’est plus possible de participer au Téléthon ».




samedi 25 novembre 2006

[Aletheia n°100] La « réforme de la réforme » a commencé - Vient de paraître: " Katharina Tangari "

Yves Chiron - Aletheia n°100 - 25 novembre 2006
La « réforme de la réforme » a commencé - par Yves Chiron
Aux journées d’études « Autour de la question liturgique » organisées, discrètement, à l’Abbaye Notre-Dame de Fontgombault en juillet 2001, il avait été beaucoup question de « La réforme de la réforme », soit le dépassement, par le haut, de la crise liturgique introduite par l’application, désordonnée, du Missel de Paul VI.
Celui qui était alors le cardinal Ratzinger avait conclu ces journées d’études par une conférence où il avait évoqué la coexistence de rites différents dans l’Eglise catholique et la question de la « réforme de la réforme »[1]. Il réservait l’expression au Missel de Paul VI. Mais il n’excluait pas la nécessité d’introduire des éléments nouveaux dans le Missel de 1962 (introduire des « saints nouveaux » et de nouvelles préfaces « qui proviennent du Trésor des Pères de l’Eglise »).
La « réforme de la réforme », l’actuel Souverain Pontife l’envisageait en trois directions :

  • « rejeter la fausse créativité qui n’est pas une catégorie de la liturgie », en supprimant les « espaces de créativité » que le nouveau Missel autorise explicitement ;


  • le « problème grave » des traductions infidèles, déficientes voire hérétiques (le cardinal n’employait pas le mot mais parlait de traductions qui font « disparaître des choses essentielles ») ;


  • « la célébration versus populum ». « La célébration vers l’Orient, vers le Christ qui vient, est une tradition apostolique » disait le cardinal Ratzinger mais « je suis contre la révolution permanente dans les églises ; on a restructuré maintenant tant d’églises, que recommencer de nouveau en ce moment ne me semble pas du tout opportun. Mais s’il y avait toujours sur les autels une croix, une croix bien en vue, comme point de référence, nous aurions notre orient, parce que finalement le Crucifié est l’orient chrétien ».

C’est le problème des traductions auquel commence à s’attaquer, avec détermination, le cardinal Arinze, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin par une lettre en date du 17 octobre 2006, lettre adressée à tous les Présidents des Conférences Episcopales. Dans le canon de la messe, la formule « pro multis », prononcée par le prêtre lors de la consécration du Précieux Sang, a été traduite, de façon théologiquement erronée, par « per tutti » en italien, « for all » en anglais, soit « pour tous » en français.[2] De telles traductions fautives laissent entendre une sorte de salut universel « automatique » (l’expression est du cardinal Arinze). D’où la demande de réviser les traductions fautives. Ci-dessous le texte intégral de la lettre du cardinal Arinze [3].
CONGREGATIO DE CULTU DIVINO ET DISCIPLINA SACRAMENTORUM
Prot. N. 467/05/L
Rome, 17 octobre 2006
Votre Eminence, Votre Excellence,
En juillet 2005 la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, en accord avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avait écrit à tous les présidents des conférences des évêques pour leur demander leur avis sur la traduction dans les diverses langues vernaculaires de l'expression pro multis dans la formule de consécration du Précieux Sang pendant la célébration de la Sainte Messe (réf. Prot. N. 467/05/L du 9 juillet 2005).
Les réponses reçues des conférences épiscopales ont été étudiées par les deux congrégations et un rapport a été rédigé à l'intention du Saint Père. À sa demande, la Congrégation écrit maintenant à Votre Eminence, à Votre Excellence en ces termes :
1. Un texte correspondant aux mots pro multiples , retenu par l'Eglise, constitue la formule qui a été en usage dans le rite romain latin depuis les premiers siècles. Dans les 30 dernières années quelques textes vernaculaires approuvés ont véhiculé la traduction interprétative « pour tous », « per tutti », ou par des mots équivalents.
2. Il n'y a aucun doute quant à la validité des messes célébrées avec l'utilisation d'une formule dûment approuvée contenant une formule équivalente à « pour tous », comme la Congrégation pour la Doctrine de la Foi l'a déjà déclaré (cf. Sacra Congregatio pro Doctrina Fidei, Declaratio de sensu tribuendo adprobationi versionum formularum sacramentalium, 25 Ianuarii 1974, AAS 66 [1974], 661). En effet, la formule « pour tous » correspondrait assurément à une interprétation correcte de l'intention du Seigneur exprimée dans le texte. C'est un dogme de Foi que le Christ est mort sur la croix pour tous les hommes et toutes les femmes (cf. Jean 11:52; 2 Corinthiens 5,14-15; Tite 2,11; 1 Jean 2,2).
3. Il y a, cependant, beaucoup d'arguments en faveur d'une traduction plus précise de la formule traditionnelle pro multis :
a.Les Evangiles synoptiques (Mt 26,28; Mc 14,24) font expressément référence à « beaucoup » [le mot grec traduit est "pollon"] pour qui le Seigneur offre le Sacrifice, et ces mots ont été soulignés par quelques érudits biblistes en relation avec les mots du prophète Isaïe (53, 11-12). Il aurait été entièrement possible dans les textes évangéliques d'avoir dit « pour tous » (par exemple, cf. Luc 12.41) ; au lieu de cela, la formule donnée dans le récit d'établissement est « pour beaucoup », et les mots ont été loyalement traduits ainsi dans la plupart des versions bibliques modernes.
b. Le Rite Romain Latin a toujours dit pro multis et jamais pro omnibus dans la consécration du calice.
c. Les anaphores des divers rites orientaux, que ce soit le Grec, le Syriaque, l'Arménien, les langues slaves, etc., contiennent l'équivalent verbal du pro multis latin dans leurs langues respectives.
d. « Pour beaucoup » est une traduction fidèle de pro multis, tandis que « pour tous » est plutôt une explication propre au langage catéchétique.
e. L'expression « pour beaucoup », tout en incluant chaque personne humaine, induit également le fait que le salut n'est pas attribué de façon mécanique, sans une adhésion ou une participation quelconque; au contraire, le croyant est invité à accepter dans la foi le cadeau qui lui est offert et à recevoir la vie surnaturelle qui est donnée à ceux qui participent à ce mystère, le vivant dans leurs vies pour être comptés parmi les "beaucoup" auquel le texte se réfère.
f. En conformité avec l'instruction Liturgiam authenticam, un effort devra être entrepris pour être plus fidèle aux textes latins dans les éditions typiques.
4. Les Conférénces épiscopales des pays où la formule « pour tous » ou son équivalent est actuellement en service sont priés pour ces raisons d'entreprendre la formation nécessaire des fidèles sur cette question dans l'année ou dans les deux années à venir pour les préparer à la réception d'une traduction vernaculaire précise de la formule pro multis (par exemple, « pour beaucoup », « per molti », etc.) dans la prochaine traduction du Missel romain que les évêques et le Saint-Siège approuveront pour l'usage dans leur pays.
Avec l'expression de ma profonde estime et de mon profond respect, je reste, Votre Eminence, Votre Excellence,
Fidèlement vôtre dans le Christ,
Francis Card. Arinze, Préfet






Vient de paraître

Katharina Tangari, née à Vienne en 1906, morte à Naples en 1989, a traversé le XXe siècle et tous ses bouleversements dramatiques. Elle aura connu les prisons anglaises en Italie, de 1943 à 1946, puis les prisons communistes en Tchécoslovaquie, en 1971 et 1972.
Ces événements extérieurs, qui la relient à la grande Histoire, ne suffisent pas à résumer sa vie. Elle a surtout connu un chemin de conversion qui l’a menée à entrer dans le Tiers-ordre dominicain et à devenir une fille spirituelle de saint Padre Pio qui a été, pendant dix-huit ans, son confesseur et son directeur spirituel.
Âme de prière, très attachée à la dévotion du Saint Enfant Jésus de Prague, une de caractéristiques de sa vie spirituelle a été l’ « immolation de soi-même », qui lui a permis de mener un véritable combat pour la sainteté du mariage, de franchir des dizaines de fois le « Rideau de fer » dans les années 60 et 70 pour venir en aide au clergé et aux fidèles persécutés des pays de l’Est. Puis, elle est venue en aide aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X jusqu’à la fin de sa vie.
C’est cette vie exceptionnelle qu’Yves Chiron a retracée à partir des « carnets » inédits qu’elle a tenus régulièrement à partir des années 1950 et de différentes autres archives.
L’itinéraire de Katharina Tangari et la façon dont elle a surmonté les épreuves qu’elle a connues sont exemplaires pour notre temps.

Un ouvrage de 415 pages - 20 euros -- Commande: Envoyer ses coordonnées complètes ainsi que 23 euros par exemplaire souhaité (port compris) -- Commande et paiement à adresser à "Association Nivoit" (5, rue du Berry / 36250 NIHERNE / France)
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NOTE
[1] Cardinal Joseph Ratzinger, « Bilan et perspectives », in Autour de la question liturgique, Abbaye Notre-Dame, 36220 Fontgombault, 2001, p. 173-183.
[2] Sur ce point, la traduction officielle française de 1969 n’est pas défectueuse puisqu’elle dit : « pour la multitude ».
[3] Je reproduis le texte tel que le publie le site La Porte Latine (FSSPX), non sans diverses corrections typographiques.

mercredi 25 octobre 2006

[Aletheia n°99] Les deux catéchismes de saint Pie X

Aletheia n°99 - 25 octobre 2006

• Alors qu’il était encore curé de Salzano (1867-1875), le futur saint Pie X a rédigé un premier catéchisme qui s’inspirait du catéchisme publié par son évêque, Mgr Zinelli. Il s’agissait de l’adaptation personnelle d’un texte public. Le catéchisme rédigé par don Sarto, composé de 577 questions et réponses, est resté manuscrit jusqu’à sa publication, il y a une vingtaine d’années[1].

• Devenu pape, il fait publier, en 1905, un Abrégé de la doctrine chrétienne prescrit par S.S. le pape Pie X pour les diocèses de la province de Rome.

Ce catéchisme est issu du Compendio della Dottrina Cristiana ad uso delle diocesi del Piemonte, della Lombardia e della Liguria publié en 1896. Ce Compendio lui-même s’inspirait largement d’un catéchisme publié, en 1756, dans le diocèse de Mondovi par Mgr Casati (d’où son nom de Catechismo del Casati).

C’est cet Abrégé de la Doctrine chrétienne de 1905 qui a été réédité en 1967 par Jean Madiran, dans Itinéraires, sous le titre de Catéchisme de S. Pie X . En pleine crise des catéchismes, dans « la pénurie et le désarroi » de ces années d’après-concile, cette édition a nourri la foi d’innombrables familles, écoles et communautés. Elle a connu, jusqu’à aujourd’hui, plusieurs rééditions chez différents éditeurs.

• Saint Pie X, pourtant, n’était pas entièrement satisfait de cet Abrégé de 1905. Il le trouvait trop long (plus de 1500 questions et réponses si l’on prend en compte ses diverses parties). Le Pape voulait un catéchisme « beaucoup plus bref et plus adapté aux exigences actuelles »[2].

Dès 1909, il créa une Commission chargée de préparer un nouveau catéchisme. Cette Commission restreinte – elle ne comptait que trois membres – fut présidée par le P. Pietro Benedetti, des Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus ; Procureur général de sa congrégation, le P. Benedetti était aussi consulteur de la Congrégation consistoriale et consulteur de la Congrégation des Séminaires.

En deux ans, cinq versions successives furent rédigées et examinées par le Pape. En novembre 1911, un premier texte complet fut envoyé à une cinquantaine de cardinaux, d’évêques et de prélats italiens.

Il fut tenu compte des observations envoyées. Un nouveau texte fut mis au point, plusieurs fois corrigé encore et finalement promulgué en octobre 1912 sous le titre de Catéchisme de la Doctrine chrétienne publié par ordre de S.S. le Pape Pie X.

Plus court (433 questions et réponses), il est aussi structuré différemment, avec un plan plus simple (trois parties au lieu de cinq) et plus cohérent :

Abrégé de 1905:
1ère partie : Le Symbole des Apôtres
2e partie : La prière
3e partie : Les commandements
4e partie : Les sacrements
5e partie : Les vertus et les péchés

Catéchisme de 1912:
1ère partie : Les principales vérités de la Foi
2e partie : La morale chrétienne (commandements et vertus)
3e partie : Les moyens de la grâce (sacrements et prière)

La rédaction des réponses est, elle aussi, d’une édition à l’autre, plus simple, plus claire. On y retrouve davantage, disent les prêtres qui utilisent le Catéchisme de 1912, la limpidité de la terminologie thomiste.

Un seul exemple suffira : la réponse à la question « Qu’est-ce que l’Eucharistie ? ».

Abrégé de 1905: L’Eucharistie est un sacrement qui, par l’admirable changement de toute la substance du pain au Corps de Jésus-Christ et de celle du vin en son Sang précieux, contient vraiment, réellement et substantiellement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de Jésus-Christ Notre-Seigneur, sous les espèces du pain et du vin, pour être notre nourriture spirituelle.

Catéchisme de 1912: L’Eucharistie est un sacrement qui, sous les apparences du pain et du vin, contient réellement le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être la nourriture des âmes.

Le Catéchisme de 1912 a été prescrit par s. Pie X, comme obligatoire, pour le diocèse de Rome et pour les diocèses de la province ecclésiastique de Rome. Il interdisait « que l’on y suive désormais un autre texte dans l’enseignement catéchistique ».

Pour les autres diocèses d’Italie, s. Pie X émettait le « vœu » que le Catéchisme « y soit pareillement adopté ». Chaque évêque d’Italie reçut un exemplaire de la part du Pape. En Italie, ce Catéchisme de 1912 resta très largement utilisé jusqu’aux années 1960 (mais le Libreria Editrice Vaticana ne le réédita plus après 1959).

Ce Catéchisme a connu deux traductions françaises en 1913 : à Paris, par la Maison de la Bonne Presse, et à Annecy. Il a été réédité en 2003 par les Publications du « Courrier de Rome ».

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Frère Roger « grand-maître franc-maçon »
Une erreur de lecture d’Avrillé

La dernière livraison de la revue trimestrielle des religieux installés à Avrillé[3] reproduit la diatribe anti-Benoît XVI lancée il y a huit mois, déjà, par deux revues américaines traditionalistes. Les religieux d’Avrillé en concluent à « l’impossibilité, dans l’état actuel des choses, d’un accord » entre Rome et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X[4].

Cette diatribe traditionaliste nord-américaine avait été traduite à la demande d’un groupe sédévacantiste français et diffusée sur leur site internet (Virgo-Maria.org), le 13 mars dernier, avant d’être reprise par le site tradi-œcuméniste qien.free.fr .

Les religieux d’Avrillé reproduisent cette traduction, avec quelques modifications, et en ajoutant quelques notes infrapaginales.

La note ajoutée la plus abondante (la note 10) est relative à frère Roger Schutz et à la question de sa catholicité. Rapportant, au bout de trois mois, l’information parue ici le 1er août, les religieux d’Avrillé en contestant la réalité[5].

Les religieux d’Avrillé apportent un argument tout à fait nouveau :

« … ajoutons que le frère Roger Schutz était aussi “grand-maître franc-maçon“ : l’information, cette fois, est publique, car parue dans Le Monde du 13 janvier 1996 (article de Régis Debray ”la culture de l’imbroglio ”). »

L’information, passée inaperçue, est considérable. Les religieux d’Avrillé, experts en « conjuration anti-chrétienne », savent sans doute ce qu’est un « grand-maître » dans la franc-maçonnerie : c’est le « Président d’une Obédience maçonnique ».

Roger Schutz n’aurait donc pas été seulement le fondateur de la Communauté protestante de Taizé mais aussi le « grand-maître » d’une obédience maçonnique qui resterait à déterminer.

Les religieux d’Avrillé donnent une référence précise à la nouvelle qu’ils répandent : un article paru dans le journal qui se prétend le « quotidien de référence » français.

L’article en question est paru le 13 janvier 1996. Depuis dix ans, cette information, très importante, aurait donc échappé à tous ceux qui s’intéressent à l’œcuménisme, à la franc-maçonnerie, à la crise de l’Eglise, etc.

Or, si l’on se reporte à l’article de Régis Debray cité en référence, on lit tout autre chose que ce qu’ont cru comprendre les religieux d’Avrillé.

Régis Debray, dans un long portrait de François Mitterrand, exposait avec quel art l’ancien Président de la république savait entretenir des relations très diverses et s’en servir.

Citons le texte :

« Quand une vie a pris en nœud tant de fils électriques, chaque faux pas vous met à la merci d’un court-circuit. Il faut à la fois relier et isoler – isoler au départ pour pouvoir recombiner les fils, à la sortie. La devise d’un pareil méli-mélo, c’est ”diviser pour survivre” ; complaire vient après ; régner, ce sera cadeau. Si Badinter rencontre Bousquet à déjeuner, Omar Bongo Mère Teresa au salon, ou le grand-maître franc-maçon Frère Roger de Taizé dans le vestibule, c’est le pataquès. Le patron doit avoir tous ces fers au feu, car chacun a sa compétence et aura, ou aura eu, sa circonstance. Pour que tous aient part au jeu, chaque pion doit pouvoir se convaincre qu’il est le chouchou du joueur d’échecs, le seul à détenir la vraie pensée du règne. »

On voit, par le texte, que les religieux d’Avrillé commettent un contre-sens énorme en prenant « grand-maître franc-maçon » pour un qualificatif de « Frère Roger de Taizé », alors qu’il ne s’agit que de ce qu’on appelle en rhétorique une figure de pensée, une hypotypose.

On comprend l’image : quel « pataquès » si dans l’antichambre du bureau présidentiel le grand-maître d’une obédience maçonnique avait croisé Frère Roger de Taizé ou si, dans le salon, Omar Bongo, le président gabonais converti à l’islam, avait croisé Mère Teresa, la « sainte » de Calcutta.

Régis Debray ne dit aucunement que Frère Roger était « grand-maître franc-maçon » , ou franc-maçon tout court. Les religieux d’Avrillé rectifieront-ils dans le prochain numéro de leur revue ?

On peut porter un regard critique sur l’itinéraire de frère Roger. Un catholique doit regretter l’ambiguïté qui a mené celui-ci à la communion catholique. Mais il n’est pas besoin d’affabuler sur son cas par une erreur de lecture.

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La messe de saint Pie V

À l’heure où un motu proprio romain est attendu qui libèrerait davantage, sinon complètement, l’usage du missel traditionnel, et même si à long terme (d’ici quelques décennies), une union des deux rites – traditionnel et montinien – se fera (c’est la pensée véritable de Benoît XVI), on tirera grand profit à lire l’ouvrage posthume du P. de Chivré (1902-1984).

En 1994, au 10e anniversaire de sa mort, Eric Bertinat et l’abbé Michel Simoulin consacraient au P. de Chivré un grand album de témoignages, de photos et de textes spirituels[6]. Aujourd’hui, l’abbé Simoulin publie le texte de 16 conférences sur la messe que le P. de Chivré avait données à Versailles et à Paris dans les années 1968-1970[7].

On ne résumera pas ces belles conférences du P. de Chivré. D’un style non classique et d’une grande originalité de pensée, ses exposés étaient autant des méditations destinées à entraîner les âmes vers le mystère que des exposés théologiques. On ne citera qu’un extrait de la première conférence (« La Messe est une activité ») pour donner envie d’aller lire la suite :

Le Christ est avant tout Action Créatrice. Dans ses miracles, Il restaure ce que la création première avait perdu, en y remettant ce à quoi elle a droit : la santé, la vie, la joie, la quantité nécessaire…, etc.

On peut dire de la Messe qu’elle fut Son suprême miracle, c’est-à-dire le miracle logique par rapport à tous les autres :

- D’abord, logique de plénitude : il ne s’agit pas de Sa propre personne.

- Ensuite, logique de réussite : il ne s’agit pas d’un résultat passager.

- Ensuite, logique de puissance : il est universel dans ses effets.

Cette logique termine une série inouïe d’affirmations sur la matière, jusqu’à passer de la transformation des apparences à la transformation de la substance matérielle en substance divine.

Yves Chiron

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[1] Catechismo di don Giuseppe Sarto Arciprete di Salzano, Cancelleria della Curia Vescovile di Treviso, 1985.

[2] Lettre au cardinal Merry Del Val, le 18 octobre 1912.

[3] Le Sel de la terre, (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé) n° 58, automne 2006, 15 euros le numéro.

[4] Rappelons que la position officielle de la FSSPX est différente. Un « accord » est possible avec Rome, dit le Supérieur du district de France de la FSSPX, par étapes et à certaines conditions :

– obtention des deux préalables que sont le retrait du décret des excommunications et la liberté pour tout prêtre de célébrer la messe de Saint-Pie V,

– résolution des questions doctrinales,

– recherche de la solution canonique la plus adaptée. (Communiqué du 3 avril 2006).

[5] Sur la controverse qui a suivi l’information d’Aletheia relayée par le Monde, l’article le plus complet et le plus objectif est celui de Savinien de Savigny, « ”Frère Roger” était-il catholique ? », qui vient de paraître dans Lectures françaises (D.P.F., B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), n° 594, octobre 2006, 6,50 euros le numéro.

[6] Le R.P. de Chivré, frère prêcheur. Un père spirituel pour le XXe siècle, Les Cahiers du journal Controverses, n° 2, 1994, 80 pages.

[7] R.P. de Chivré, La Messe de saint Pie V. Commentaires théologiques et spirituels, Touraine Micro Edition (Le Gros Chêne, 37460 Chemillé-sur-Indrois), 222 pages, 22 euros (port compris).

dimanche 1 octobre 2006

[Aletheia n°98] Trois paroles d'évêques - par Yves Chiron

Aletheia n°98 - 1er octobre 2006

Trois paroles d'évêques - par Yves Chiron

Cette modeste lettre d’informations religieuses n’a ni vocation ni ambition à être parénétique. Elle a comme première ambition d’apporter des nouvelles et des précisions, de publier éventuellement des documents. Elle ne veut qu’inciter à la réflexion et, ainsi, contribuer, à sa place, à la paix dans l’Eglise par la vérité. Recevant il y a deux jours les évêques du Malawi en visite ad limina, Benoît XVI leur a demandé : « Ne cessez jamais de proclamer la vérité, et insistez sur cette vérité “à temps et à contretemps “ (2 Tm 4, 2) car “la vérité vous rendra libres“ (Jn 8, 32). »

Nous, fidèles du dernier rang, ne devons-nous pas demander aussi à nos évêques cette vérité, avec le respect dû à leur caractère de ministre ordonné, nous plaindre quand elle nous apparaît travestie et nous réjouir quand elle est proclamée ?

Trois faits récents donnent une image contrastée de nos évêques de France.

Mgr Dupleix et la messe

Vient de paraître, sous forme d’abécédaire, un livre qui s’adresse « à tous ceux qui désirent retrouver les mots de l’initiation chrétienne »[1]. L’ouvrage est présenté par Mgr André Dupleix, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France, et il émane, par ses auteurs, du Service national de catéchuménat et de sa revue Chercheurs de Dieu.

55 mots qui appartiennent presque tous aux conversations courantes : amour, bonheur, charité, joie, laïc, mémoire, résurrection, etc. , font l’objet de définitions et explications assez élaborées (trois ou quatre pages par notice). Pour chacun est d’abord donnée la signification ordinaire puis le sens particulier qu’ils ont pour les chrétiens.

Il ne s’agit pas d’un catéchisme ou d’un « parcours de la foi » mais l’ouvrage veut contribuer à l’évangélisation : « permettre aujourd’hui de comprendre la foi des chrétiens, à partir des mots de tous les jours et en dévoilant peu à peu le nouveau sens que leur donne cette foi ».

On reste alors stupéfait des définitions minimalistes qu’on y trouve. On ne s’attardera que sur celle de la messe. La messe y est définie comme une « rencontre d’hommes et de femmes de tous âges » pour former « un seul Corps avec le Christ » et « rompre le pain et boire à la coupe, comme Jésus l’a fait avec ses apôtres et ses disciples ». Y a-t-il présence réelle du Christ par la transsubstantiation ? Ce mémorial est-il aussi un saint sacrifice qui « actualise l’unique sacrifice du Christ Sauveur » (CEC, 1330). L’abécédaire de Mgr Dupleix n’en dit rien, n’utilise aucun de ces mots.

Plus grave, à la fin de la notice sur le mot « messe », entre une courte citation du Psaume 22 et une courte citation de la Première Lettre aux Corinthiens, est donnée la citation, longue cette fois, d’un auteur contemporain, Bernard Feillet qui réduit la doctrine catholique de la messe à néant :

« Ce n’est pas pour faire venir Dieu au milieu des hommes que l’on célèbre l’eucharistie, mais c’est parce que le mystère de Dieu habite l’humanité qu’il est possible de faire surgir par un geste simple de cette humanité le symbole de cette Présence.

Partager le pain et boire à la coupe est une démarche de communion entre ceux qui ensemble lui donnent un sens pour anticiper l’accomplissement d’une humanité enfin pacifiée et unie. L’eucharistie est constitutive d’humanité et révélation de cette humanité en Dieu. C’est un acte d’homme, accompli devant Dieu, au service de l’Homme. »

Cette vision anthropocentrique, immanente et symbolique de la messe est donnée sous l’autorité du secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France ; comme un caillou qu’on donnerait à un pauvre qui a faim.

Mgr Cattenoz et l’école catholique

Le hasard du calendrier ou les divisions grandissantes de l’épiscopat français font que, au moment Mgr Dupleix croit nécessaire de minimaliser les réalités et les mystères chrétiens pour proposer aux hommes d’aujourd’hui « un Dieu, un sens, une vérité qui ne leur tombent pas sur la tête ou leur sont imposés de l’extérieur » (p. 17 de sa Présentation), un autre évêque, Mgr Cattenoz, déplore l’ « humanitarisme bon teint » et les références « sans vrai lien avec la foi chrétienne » de nombre des projets pédagogiques de l’enseignement catholique[2].

L’archevêque d’Avignon regrette l’ « abus des valeurs de solidarité et d’ouverture à tous » et estime qu’aujourd’hui « beaucoup d’établissements catholiques n’ont plus de catholique que le nom ».

« À force de faire un catholicisme mou, on n’aura bientôt plus de catholicisme du tout » déclare Mgr Cattenoz qui vient de promulguer une « Charte diocésaine de l’enseignement catholique » pour restaurer « une vraie pédagogie chrétienne ».

Mgr Daucourt et la « conversion » de Frère Roger

Mgr Gérard Daucourt, évêque de Nanterre, est intervenu dans la polémique sur la conversion au catholicisme de Frère Roger, avec l’autorité de sa fonction de membre du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens. Le 7 septembre, il a publié un communiqué pour démentir les informations publiées par Aletheia (n° 95, 1er août 2006), informations relayées avec éclat par Le Monde (6 septembre 2006).

Ce communiqué, aussitôt reproduit ou cité par des dizaines de journaux, en France et en Europe, a, dit-on, « dissipé toute incertitude sur la “conversion“ du Frère Roger, fondateur de Taizé : non, il ne s’est pas “converti“. »

Les démonstrations de Mgr Daucourt appelaient une réponse de ma part. Ma réponse a d’abord été privée : j’ai écrit, respectueusement, à l’évêque de Nanterre pour lui présenter des objections à son communiqué, tout en restant ouvert à toute explication et tout témoignage qui viendraient apporter des éclairages nouveaux sur la personnalité unique de Frère Roger et sur l’importance de sa démarche œcuménique.

Naïvement, j’ai cru que Mgr Daucourt, comme d’autres évêques de France, était ouvert au dialogue et qu’il daignerait répondre à mes demandes d’éclaircissement, comme l’avaient fait, précédemment à mon article, Mgr Séguy, évêque d’Autun au moment de la mort de Frère Roger, Mgr Johan Bonny, du Conseil Pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens, Mgr Minnerath, évêque de Dijon, et Frère Alois, Prieur de la Communauté de Taizé.

À ce jour, Mgr Daucourt n’a pas jugé utile de répondre à mes objections et à mes questions. Je suis d’autant plus libre de les poser, désormais, publiquement :

• Mgr Daucourt affirme : « pour les personnes déjà baptisées, l’Eglise catholique ne parle pas de conversion au catholicisme ».

J’entends bien que c’est le mot de « conversion » qui fait d’abord débat dans la question de la communion catholique reçue par Frère Roger depuis 1972. Frère Alois, successeur de Frère Roger, récuse le mot parce que Frère Roger n’a pas voulu de « rupture avec ses origines ».

Mgr Daucourt, lui, récuse le mot parce que, dit-il, l’Eglise ne l’emploie pas « pour les personnes déjà baptisées » qui sont admises à la pleine communion dans l’Eglise. L’évêque de Nanterre devrait dire plutôt : « ne l’emploie plus » ou « ne l’emploie presque plus ». On ne fera pas l’injure à Mgr Daucourt de lui rappeler avec quelle hauteur de sentiment Newman a employé le mot dans son Apologia pro vita sua pour décrire « l’histoire de ses opinions religieuses » de l’anglicanisme au catholicisme.

Tout récemment encore, le mot est employé, non seulement en matière interreligieuse mais aussi en matière interconfessionnelle par des instances qu’on ne peut accuser de « romanocentrisme ». En effet, depuis le mois de mai dernier, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et le Bureau des relations et du dialogue interreligieux du Conseil œcuménique des Eglises ont engagé une réflexion, sur trois ans, visant à élaborer « un code de conduite commun » en matière de conversion. Hans Ucko, responsable du Bureau des relations interreligieuses du COE, indique : « La question de la conversion religieuse demeure source de controverse dans bien des relations interconfessionnelles et interreligieuses ».

Le mot de « conversion » n’est pas accepté par Taizé, mais c’est pour d’autres raisons qu’il n’est pas accepté par Mgr Daucourt. L’évêque de Nanterre nous dit en somme : « Frère Roger ne s’est pas converti au catholicisme parce qu’il n’y a pas de “conversion“ entre confessions chrétiennes ».

• Mgr Daucourt nous dit que lorsqu’un baptisé non-catholique entre en pleine communion dans l’Eglise catholique, « cette démarche, dans tous les cas, comporte un document écrit et signé ». Or, dit-il, « aucun document de ce genre n’existe concernant Frère Roger » ; donc c’est bien une preuve supplémentaire que Frère Roger ne s’est pas converti au catholicisme « au sens où on l’entend habituellement ».

Un « document écrit et signé » accompagne-t-il vraiment « dans tous les cas » ce que Mgr Daucourt appelle une « démarche » d’admission dans l’Eglise catholique ? Rien n’est moins sûr.

Le pasteur Max Thurian, autre frère de la Communauté de Taizé, qui s’est converti au catholicisme puis est devenu prêtre, en 1987, n’a pas évoqué une telle déclaration écrite. Il écrivait : « La cérémonie ”d’adjuration” n’existe plus dans l’Eglise catholique, on confesse la foi de l’Eglise catholique dans sa plénitude »[3]. Plus récemment, en 2001, quand le pasteur Michel Viot a quitté l’Eglise évangélique de France pour l’Eglise catholique, où il est devenu prêtre, a-t-il signé « un document écrit » ? La question mérite d’être posée.

On accordera à Mgr Daucourt que, concernant frère Roger, un tel document « écrit et signé » n’existe pas dans les archives du diocèse d’Autun. Est-ce suffisant pour affirmer qu’il n’y a pas eu conversion ?

Mgr Le Bourgeois, qui a donné la communion catholique à Frère Roger, n’a pas jugé utile de formaliser davantage cette démarche accomplie en 1972. Ce n’est pas une preuve a contrario.

• Évoquant la communion reçue par Frère Roger lors des obsèques de Jean-Paul II, communion donnée par celui qui allait devenir quelques jours plus tard le pape Benoît XVI, Mgr Daucourt écrit : « Il n’y a rien là d’extraordinaire. Le droit de l’Eglise catholique confère à chaque évêque la responsabilité d’accueillir à l’Eucharistie, régulièrement ou exceptionnellement, un nouveau baptisé ou un baptisé venant d’une autre Eglise ».

On passera sur l’expression « Eglise » employée pour désigner les confessions protestantes, le Magistère ne l’emploie pas ; mais on conviendra que l’évêque a la faculté, pour des raisons éminentes, « d’accueillir à l’Eucharistie » un baptisé non-catholique.

Mais l’intercommunion n’est admise ni en doctrine ni en pratique habituelle par l’Eglise. On se souvient qu’une des premières condamnations de Benoît XVI a visé un théologien allemand, le Professeur Hasenhüttl, qui avait accordé la communion à des protestants et en avait justifié la pratique dans ses écrits.

• Finalement, Mgr Daucourt reconnaît le « caractère objectif et public à la communion de foi que Frère Roger vivait avec l’Eglise catholique ». Comment qualifier alors la démarche de Frère Roger, si on refuse le mot « conversion » ? Mgr Daucourt refusera-t-il aussi qu’on dise que Frère Roger était devenu catholique ?

Des autorités éminentes ont affirmé publiquement que Frère Roger était catholique :

- le cardinal Kasper, interrogé par le cardinal Barbarin le jour des obsèques de Jean-Paul II : « Frère Roger est formellement catholique ».

- Mgr Minnerath, évêque de Dijon : « Frère Roger a officialisé son passage au catholicisme auprès de l’évêque d’Autun »[4].

- Mgr Séguy, évêque émérite d’Autun où se trouve Taizé : « Frère Roger lui-même m’a confirmé qu’il était catholique »[5].

En refusant le terme de « conversion », Mgr Daucourt semble vouloir éviter de qualifier Frère Roger de « catholique ». Cette réticence, pour ne pas dire ce refus, pose question à l’historien comme au croyant : pourrait-on être en même temps protestant et catholique, dépasser les clivages confessionnels ? Ce serait une nouvelle praxis et une nouvelle doctrine.

On pourra préférer, finalement, la réponse, humble, de Frère Aloïs, prieur de la Communauté de Taizé : « D’origine protestante, [Frère Roger] a accompli une démarche qui n’a pas de précédent depuis la Réforme. […] Comme cette démarche était progressive et tout à fait nouvelle, elle était difficile à exprimer et à comprendre. [6]»

Enfin, on citera ces propos de Paul VI à propos du cardinal Newman :

« Pour aller jusqu’au bout de ce qu’il jugeait la Vérité, Newman a renoncé à l’Eglise d’Angleterre non pas pour se séparer d’elle, mais pour l’accomplir. Il ne cessait de croire ce qu’il avait cru, mais il le croyait davantage encore, il avait porté sa foi anglicane jusqu’à sa plénitude. Une conversion est un acte prophétique. Newman a vécu l’histoire de la réunion future, de cette récapitulation en Jésus-Christ dont le moment nous est encore caché, mais à laquelle nous aspirons tous. »

L’analogie ne saurait être poussée trop loin. Frère Roger n’avait pas « renoncé » à Taizé. Mais la route de Taizé n’était peut-être pas arrivée à son terme. On se souvient des paroles prononcées par Benoît XVI au lendemain de la mort tragique de Frère Roger. Le jour-même où Frère Roger était assassiné, le 16 août 2005, Benoît XVI avait reçu une lettre de lui où il écrivait : « Notre communauté de Taizé voudrait cheminer en communion avec le Saint-Père. Très Saint Père soyez assuré de mes sentiments de profonde communion. »

NOTES

[1] Les Mots des chrétiens, présentation par Mgr Dupleix, Presses de la Renaissance, août 2006, 222 pages, 15 €.

[2] Propos rapportés par La Croix (27 septembre 2006) et entretien accordé à Famille chrétienne (30 septembre 2006).

[3] Lettre de Max Thurian à l’auteur, le 27 juillet 1992.

[4] Lettre de Mgr Minnerath à l’auteur le 17 janvier 2006.

[5] Lettre de Mgr Séguy à l’auteur, le 19 janvier 2006 et déclaration au Monde, publiée le 6 septembre 2006.

[6] Entretien publié dans la Croix le 7 septembre 2006.

lundi 11 septembre 2006

[Aletheia n°97] L’Institut du Bon Pasteur - et autres textes - par Yves Chiron

Aletheia n°97 - 11 septembre 2006

Le 8 septembre, la Commission Ecclesia Dei, par un décret canonique, a érigé un nouvel Institut de droit pontifical, c’est-à-dire qui relève directement du Saint-Siège. Ce nouvel Institut, « société de vie apostolique », s’est placé sous le patronage du Bon Pasteur. Il regroupe, selon ses statuts, des prêtres appelés à « servir les paroisses (avec mission canonique de l’Ordinaire »), qui auront comme « rite propre » la liturgie traditionnelle, avec faculté d’ouvrir un séminaire.

Les fondateurs de cet Institut sont cinq prêtres qui ont été exclus de la Fraternité Saint-Pie X, ces dernières années, ou qui s’en sont séparés : les abbés Philippe Laguérie (nommé premier supérieur du nouvel Institut), Paul Aulagnier, Guillaume de Tanoüarn, Christophe Héry et Henri Forestier. Sans doute espèrent-ils que d’autres prêtres de la FSSPX les rejoindront.

Le siège de ce nouvel Institut sera à Bordeaux, où certains de ces prêtres exercent, depuis 2002, leur ministère dans l’église Saint-Eloi, avec l’accord du conseil municipal mais contre la volonté des autorités diocésaines. Le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, s’est déclaré, dans un communiqué, prêt à signer une « convention » avec ce nouvel Institut. Il ne cache pas que des « conditions » seront posées. Mais il est disposé aussi à rétablir une communion fraternelle : « Tout un travail de pacification, de réconciliation et de communion est encore à faire car la violence a marqué jusqu’à ces derniers mois les relations de plusieurs membres de cet Institut avec l’Eglise diocésaine. Il faudra que chacun y mette du sien. »

Que le cardinal Ricard soit, depuis le « schisme » de Mgr Lefebvre, le premier évêque français à favoriser la création d’un Institut traditionaliste, n’est pas un hasard. Il s’est voulu, depuis le début de son épiscopat, un « tisserand d’unité ». Cette belle formule n’a pas été un vain mot. Quand il avait été élu président de la Conférence épiscopale de France, le portrait que j’avais fait de lui (Aletheia, n° 20, 7 novembre 2001) avait fait sourire certains et avait laissé sceptiques nombre de lecteurs. Quand, quelques mois plus tard, il avait été nommé membre de la Commission Ecclesia Dei, j’avais écrit : « Les traditionalistes français devraient trouver auprès de lui un accueil attentif et non prévenu » (Aletheia, n° 29, 30 juillet 2002). La formule avait irrité à Bordeaux – à Saint-Eloi, pas à l’Archevêché –, et voilà que c’est de Bordeaux que jaillit, en accord avec le cardinal Ricard et par la volonté de Benoît XVI, une société de vie apostolique composée de prêtres qui veulent « exercer leur sacerdoce dans la tradition doctrinale et liturgique de la Sainte Eglise ».

Cet accord pratique – qui en rappelle d’autres – peut surprendre de la part de prêtres (les abbés Laguérie et Tanoüarn) qui ont eu, sur l’opportunité et la possibilité de tels accords, des positions successives contradictoires. En revanche, un autre des fondateurs, l’abbé Aulagnier, n’a jamais varié sur la nécessité et l’utilité d’accords pratiques, cela avait même été le motif de son exclusion de la FSSPX.

La Fraternité Saint-Pie X, elle, n’a pas varié sur son refus de tels « accords pratiques » immédiats. Elle pose toujours deux préalables (liberté universelle de la messe tridentine et retrait officiel du décret d’excommunication), elle demande aussi que des discussions doctrinales aient lieu sur les questions controversées (liberté religieuse, œcuménisme, etc.), ce n’est qu’ensuite qu’un accord canonique pourrait intervenir.

Les fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur ont, eux, vu dans l’élection de Benoît XVI, un kairos (un « moment favorable »). Aujourd’hui, le supérieur du nouvel Institut, l’abbé Philippe Laguérie, va jusqu’à qualifier Benoît XVI de « pape traditionaliste » : « On a un nouveau pape qui a compris la tradition, on n’a pas encore remis la tradition complètement dans ses droits, mais le chemin se fait. »

Qualifier Benoît XVI de « traditionaliste » est un formule simplificatrice et fausse. Ni la pensée ni l’action de Benoît XVI ne peuvent se laisser enfermer dans l’étiquette du « traditionalisme ». L’Institut du Bon Pasteur a obtenu que la liturgie traditionnelle soit reconnue comme son « rite propre », mais ce serait se tromper que de croire que Benoît XVI ait la volonté de restaurer la liturgie traditionnelle dans toute l’Eglise. C’est lors des rencontres de Fontgombault, pas loin d’ici, il y a cinq ans, que celui qui était encore Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a exprimé de manière la plus développée et, très clairement, sa position sur le sujet[1]. Il se prononçait pour « une réforme de la réforme » (du Missel de 1969) mais il envisageait aussi une évolution du Missel de 1962 (en introduisant de nouveaux saints, des préfaces supplémentaires, etc.). Ailleurs, il a évoqué, pour l’avenir, la nécessité, pour l’Eglise, d’avoir « un seul rite » (cf. Aletheia, n° 89, 19 février 2006). Certains fidèles devraient avoir cette pensée lorsqu’ils assistent à la messe, dans l’un ou l’autre rite, et leurs pasteurs devraient y songer aussi en célébrant, dans l’un ou l’autre rite.

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Décret d’érection de l’Institut du Bon Pasteur

Commission Pontificale « Ecclesia Dei »

Décret N° 118/2006

Notre Seigneur Jésus-Christ est réellement le Pasteur et l’évêque de nos âmes, l’apôtre Pierre l’enseigne dans sa première épître (I P 2, 25). Au même endroit, il exhorte les fidèles à suivre les traces du Pasteur. Cette exhortation de l’Apôtre doit être suivie, c’est évident, par tous les chrétiens. Mais elle concerne en premier lieu ceux qui ont été appelés à exercer dans l’Église une charge de pasteur, c’est-à-dire les évêques eux-mêmes et leurs coopérateurs prêtres et diacres, pour lesquels le Christ Bon Pasteur, lui qui donne sa vie pour ses brebis, est l’exemple manifeste de la vie et du ministère apostolique.

Dans un certain nombre de diocèses en France, les fidèles attachés aux précédentes formes liturgiques du rite romain, manquent de pasteurs disponibles pour apporter aux évêques une aide efficace dans la charge pastorale de ces fidèles.

Récemment, dans l’archidiocèse de Bordeaux, est apparu un groupe de quelques prêtres sous le patronage du Bon Pasteur. Les membres de ce groupe s’efforcent d’aider son Éminence révérendissime Jean-Pierre Cardinal Ricard dans le travail paroissial, tout d’abord à destination des fidèles résolus à célébrer l’antique liturgie romaine. L’archevêque lui-même, convaincu de la grande utilité de tels coopérateurs, reçoit dans son diocèse cette communauté, en lui confiant l’église Saint-Éloi située dans sa ville épiscopale, avec la charge pastorale de ses fidèles.

Et comme ce nouvel Institut veut offrir aussi aux autres évêques qui le désirent son service pastoral, cette communauté, dans les circonstances particulières du temps présent, a humblement demandé aide et soutien au Siège apostolique. Tous ces éléments étant bien pesés, la Commission pontificale Ecclesia Dei, recevant avec bienveillance cette demande et avec l’aide du secours divin, en vertu des facultés qui lui ont été attribuées par le Souverain Pontife Benoît XVI, après avoir informé le Préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, érige comme société de vie apostolique de droit pontifical, dans la ville de Bordeaux, et plus précisément en l’église Saint-Éloi : l’Institut du Bon Pasteur.

Ainsi, la Commission approuve pour cinq ans, ad experimentum, les constitutions dudit Institut telles qu’elles se trouvent dans le texte mis en annexe à ce décret.

Enfin, aux membres de cet Institut, elle confère le droit de célébrer la liturgie sacrée, en utilisant, et vraiment comme leur rite propre, les livres liturgiques en vigueur en 1962, à savoir le missel romain, le rituel romain et le pontifical romain pour conférer les ordres, et aussi le droit de réciter l’office divin selon le bréviaire romain édité la même année.

En dernier lieu, elle nomme le révérend abbé Philippe Laguérie premier supérieur de cet Institut.

Rien de contraire n’y faisant obstacle.

Au siège de la Commission Pontificale « Ecclesia Dei »,

En la fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, le 8 septembre 2006.

Dario Cardinal Castrillon Hoyos, Président

Camille Perl, Secrétaire

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Rémi Fontaine interpelle les évêques de France

Le livre s’ouvre par une citation de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris : « Oserais-je vous dire que je m’interroge souvent devant Dieu sur les silences dont on pourra nous accuser dans quelques décennies ou siècles ? Quand je dis “nous“, je ne pense pas seulement aux intellectuels éclairés dont les opinions ont si souvent suivi le “politiquement correct“ ou le médiatiquement correct. Je pense à nous chrétiens et, premièrement, à nous évêques qui avons reçu mission de guider le peuple chrétien. »[2]

L’interpellation de Rémi Fontaine est posée, argumentée, avec, en plusieurs occasions, une remarquable agilité intellectuelle qui lui fait retourner, contre son interlocuteur virtuel – tel ou tel évêque français –, l’argument que celui-ci a employé. J’écris « interlocuteur virtuel » car, jusqu’à aujourd’hui, les évêques de France, sauf exceptions rarissimes, ont pratiqué, depuis une quarantaine années, le nullam partem avec ce qu’ils appellent, au mieux, dédaigneusement, les traditionalistes, voire, avec mépris, les intégristes.

Rémi Fontaine retrace, en 38 chapitres, la « chronique d’une Eglise par omission ». Ou comment, sur l’école, la laïcité, l’avortement, l’Europe, l’homosexualité, les traductions de la Bible, les liturgies sauvages, le célibat des prêtres, le communisme, et d’autres sujets, des évêques de France, individuellement ou en corps constitué (dans l’exercice collégial de la Conférence épiscopale ou de telle ou telle Commission), ont failli à leur mission.

Le choix chronologique adopté par Rémi Fontaine dans son « Livre noir » pointe du doigt des interventions épiscopales qui n’ont pas la même importance. On pourrait lui reprocher de mêler des maladresses de langage, des frilosités – certes peu honorables – et des positions scandaleuses ou choquantes qui, elles, ont été volontaires et pensées. En certaines déclarations, sur le combat anti-avortement par exemple, Rémi Fontaine regrette chez tel ou tel évêque « le syndrome de la vulnérabilité médiatique de ceux qui ne parlent pas selon la vérité des choses, mais selon ce qu’ils croient que l’opinion publique va agréer ».

Sur d’autres sujets, la laïcité notamment, l’omission est volontaire, par conviction fortement enracinée. La « laïcité ouverte » ou « apaisée » dont plusieurs évêques font l’apologie est, écrit Rémi Fontaine, un « consentement au pacte laïc dans une sorte de théocratie à l’envers qui subordonne les religions au pouvoir temporel ».

Le livre de Rémi Fontaine met en lumière les ambiguïtés, les faiblesses, les démissions de nombre d’évêques français. En revanche, il cite très peu d’actions ou de déclarations épiscopales qui contrebalanceraient voire contrediraient la tendance générale de l’épiscopat française. Et pourtant, il y en a. L’ultraprogressiste et irrévérencieux Golias connaît ces évêques et, dans son Trombinoscope des évêques, les placent dans les catégories, infâmantes à ses yeux, de « réacs » et de « dangereux ».

On ne suivra évidemment pas Golias dans son classement subjectif et idéologique. On sera plutôt d’accord avec Philippe Maxence qui, dans un récent dossier de l’Homme nouveau qui établissait une « Radioscopie de l’épiscopat français », écrivait : « Il n’y a pas d’Eglise catholique sans évêques. Ceux qui espèrent ou qui rêvent d’une réforme de l’Eglise, d’un grand renouveau ou d’un retour aux grandes époques de son histoire, ne doivent pas oublier que rien ne se fera sans les évêques. Ils sont les successeurs des Apôtres, avec leur sainteté, leurs misères, leurs courages et leurs défaillances. […] il faut se garder de tomber dans deux pièges : l’angélisme et un hyperréalisme critique. La première tentation serait d’affirmer que l’Eglise en France se porte bien, qu’elle n’a pas de problèmes ni de défaillances. La seconde tentation ne verrait, au contraire, que les zones d’ombre et les infidélités. À nous catholiques, il nous est demandé un grand effort : savoir porter sur des réalités naturelles un regard surnaturel, nourri par la foi, l’espérance, la charité, l’enseignement de l’Eglise et son histoire elle-même. »[3]

Quel accueil Rémi Fontaine trouvera-t-il auprès des évêques français ? Combien prendront la peine de le lire et ne se contenteront pas de le feuilleter voire de le repousser à la simple lecture du titre et du nom de l’éditeur ? En tout cas, ils ne pourront pas dire qu’ils ne le connaissent pas puisqu’ils l’auront tous reçu.

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À propos de la « conversion » du Pasteur Roger Schutz

Le numéro d’Aletheia du 1er août, consacré à l’abjuration du pasteur Sandmark et à la conversion du pasteur Roger Schutz (fondateur de Taizé), a attiré l’attention du Monde et donc, l’univers médiatique fonctionnant ainsi, de nombreux journaux français et étrangers. Mgr Daucourt, évêque de Nanterre, en sa qualité de membre du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, lui aussi alerté par l’article du Monde, a cru devoir publier une Déclaration, non dénuée d’intérêt mais finalement peu claire, et, en tout cas, injuste et méprisante.

Du flot d’articles, parus à ce jour en France et à l’étranger, quatre méritent de retenir l’attention[4]:

  • deux articles de Jean Madiran, dans Présent des 8 et 9 septembre, qui, avec son acribie habituelle, relient la question de la conversion de Fr. Roger, au débat sur la nouvelle messe ;

  • l’entretien accordé à la Croix, le 7 septembre, par Fr. Aloïs, prieur de la Communauté de Taizé, qui récuse le terme de « conversion » ;

  • le commentaire publié par Christian Terras et Romano Libero sur le site internet de Golias, le 8 septembre : ils tentent d’analyser la controverse lancée en terme de stratégie ecclésiale.

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NOTE

[1] Autour de la question liturgique, journées d’études autour du cardinal Ratzinger, les 22-24 juillet 2001, Association Petrus a Stella (Abbaye Notre-Dame, 36220 Fontgombault), 192 pages.

[2] Rémi Fontaine, Le Livre noir des évêques de France, Renaissance catholique (89 rue Pierre Brossolette, 92130 Issy-les-Moulineaux), 217 pages, 15 euros.

[3] L’Homme nouveau (10 rue Rosenwald, 75015 Paris), n° 1372, 24 juin 2006.

[4] Les lecteurs intéressés par ces articles peuvent envoyer quelques timbres ou euros pour en obtenir photocopie.