dimanche 14 octobre 2007

[Aletheia n°115] Un évêque français contre la Franc-Maçonnerie

Aletheia n°115 - 13 octobre 2007
UN ÉVÊQUE FRANÇAIS CONTRE LA FRANC-MAÇONNERIE - par Yves Chiron
Il y a longtemps, plusieurs décennies au moins, un siècle peut-être, qu’un évêque diocésain français n’avait pas publié un livre pour mettre en garde les fidèles contre la franc-maçonnerie. Ce n’est pas que tous les évêques français aient été silencieux sur la franc-maçonnerie, mais, depuis la fin du pontificat de Pie XII, leurs interventions sur le sujet ont été rarissimes. Les initiatives qui penchaient vers la sympathie, voire la complaisance (rappelons les noms de Mgr Pézeril et de Mgr Thomas), ont été davantage médiatisées que les déclarations qui mettaient en garde.
Dans les dernières années, il y a eu, en France, deux interventions épiscopales pour rappeler, de façon argumentée, la condamnation de la franc-maçonnerie par l’Eglise : en 2002, Mgr Brincard, évêque du Puy, dans un long entretien à une radio chrétienne locale[1] et, en 2004, Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, dans un autre entretien, à la revue La Nef, entretien qui concluait un intéressant dossier sur le sujet[2]. Précisons que c’est Mgr Rey qui avait demandé à la revue de consacrer un dossier spécial sur le sujet.
Mgr Rey y revient dans un livre lumineux : Peut-on être chrétien et franc-maçon?[3] L’ouvrage est composé de six chapitres argumentés et de cinq annexes utiles.
Les six chapitres:
  • Comment définir la franc-maçonnerie?
  • Quelle est la position de l’Eglise catholique?
  • Sur quoi porte cette hostilité de l’Eglise catholique envers la franc-maçonnerie?
  • Sur quoi porte la condamnation de l’Eglise catholique?
  • Quelles sont les conséquences théologiques de cette opposition?
  • Influence de la franc-maçonnerie dans la société française?
Ces multiples approches sous forme d’interrogations ne doivent pas tromper sur la clarté du propos. La position de Mgr Rey est sans ambiguïté et elle est d’autant plus fortement affirmée qu’elle ne lui est pas propre mais celle de l’Eglise catholique : « La position de l’Eglise est donc constante depuis la naissance de la franc-maçonnerie. On ne peut être en même temps catholique et franc-maçon » (p. 11).
Cette incompatibilité fondamentale tient à l’essence même de la doctrine maçonnique. Mgr Rey rappelle : « La franc-maçonnerie anglo-saxonne confesse sa foi en Dieu, ”Grand Architecte de l’univers”. Cependant les Constitutions d’Anderson de 1723, texte de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent pas la moindre référence à Dieu en Jésus-Christ, ne mentionnent jamais la Sainte Trinité, le péché, le salut, la résurrection, la venue de l’Esprit-Saint… » (p. 6).
L’esprit apparent de tolérance de la franc-maçonnerie et le spiritualisme de ses rites ne doivent pas faire illusion. L’Église ne peut être d’accord ni avec son affirmation d’un ésotérisme (« le sens caché de l’univers » serait révélé à travers un enseignement secret), ni avec son relativisme qui aboutit à ce que « les religions se retrouvent sur le même plan, comme autant de tentatives concurrentes pour exprimer la vérité sur Dieu qui, en soi, est inatteignable et insaisissable » (p. 23), ni avec son naturalisme (p. 27).

Mgr Rey, après ces rappels doctrinaux – d’autres aspects encore sont développés –, reproduit quatre documents du Magistère.
Le premier est la Déclaration sur l’incompatibilité entre l’appartenance à l’Eglise et la franc-maçonnerie publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi le 26 novembre 1983.
Le second est la longue Déclaration de l’Episcopat allemand sur l’Eglise et la franc-maçonnerie, publiée le 12 mai 1980. Rappelons que cet exposé développé sur les « Raisons de l’incompatibilité » a été fait après des entretiens approfondis entre des représentants officiels de l’Eglise catholique et les Grandes Loges Unies d’Allemagne qui ont eu lieu entre 1974 et 1980.
Le troisième document reproduit est plus inattendu : il s’agit de la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, le 21 novembre 2002. La Note ne comprend pas de condamnation explicite de la franc-maçonnerie. Mais Mgr Rey avait expliqué : « L’attrait en faveur de la franc-maçonnerie souligne certaines carences pastorales de l’Eglise ». Un des meilleurs moyens de lutter contre la franc-maçonnerie est d’ « investir le champ politique ». La Note de 2002 fixe des orientations utiles, mais certainement pas exhaustives, et rappelle les principes de la doctrine catholique.
Enfin, le quatrième document est un extrait de Fides et Ratio, l’encyclique sur les rapports entre la foi et la raison publiée en 1998 par Jean-Paul II. Dans son étude, Mgr Rey avait montré le lien entre certaines déficiences quant à la conception même de la foi et l’attrait de la franc-maçonnerie : « le divorce entre la foi et la raison, dénoncé par le pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique Fides et ratio déporte insidieusement la foi vers un certain piétisme, un sentimentalisme religieux. Livrée à elle-même, la raison n’est plus finalisée par la recherche de la Vérité. Elle se trouve à la merci des idéologies ou des constructions subjectives. L’engagement du chrétien dans la franc-maçonnerie relève, dans bien des cas, d’une méconnaissance de ce lien organique entre foi et raison » (p. 31).

On manquerait à l’honnêteté, si on ne signalait pas l’une ou l’autre expression qui laisse insatisfait ou dubitatif. Ainsi quand Mgr Rey affirme : « les chrétiens ont à défendre le principe et la vertu d’une ”laïcité ouverte” » (p. 35). Ou encore quand il parle, pour les chrétiens, d’une « vision d’humanité basée sur l’être humain » (p. 37) ; la tradition théologique et spirituelle dirait plutôt, me semble-t-il, « une vision d’humanité basée sur la révélation de Dieu en Jésus-Christ ».
Mais ces remarques de détail n’enlèvent rien à l’intérêt et à la clarté de cette parole courageuse d’évêque. On sera attentif à l’accueil que lui réserveront non les grands médias, souvent silencieusement complices sur ce genre de sujet, mais la presse catholique, à commencer par La Croix et La Documentation catholique. Oseront-ils parler de ce livre?
En marge de cet ouvrage, finissons par une anecdote authentique que la discrétion oblige à tenir anonyme. Il y a six ans, peu après la prise de possession de son diocèse – une ville prestigieuse de la région parisienne – le nouvel évêque a été abordé par le vénérable de la loge locale qui lui a demandé quand il comptait solliciter son admission dans la franc-maçonnerie… Le nouvel évêque a refusé l’invitation.
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Vient de paraître
Yves Chiron : Enquête sur les apparitions de la Vierge
Tempus, octobre 2007, 427 pages, 10 euros.
Publié en 1995 aux éditions Perrin, cet ouvrage reparaît en collection de poche, dans une version augmentée et corrigée. Avec notamment des mises à jour et des compléments sur La Salette, Lourdes, Fatima et Medjugorje.
Introduction
1. QU'EST-CE QU'UNE APPARITION?
Vision ou apparition? - Apparitions et Révélation - Structures des apparitions - Le lieu - Le moment - Le bénéficiaire - Le signe annonciateur - Le vocable - Le signe d'authentification - La source - Les guérisons et les pèlerins - Critères d'authenticité.
2. LA VIERGE DES MIRACLES
Quelle est la plus ancienne apparition mariale? - Fondation de sanctuaires - Fondation et protection d'ordres religieux - Miracles de protection et de guérison - Notre-Dame-des-Victoires.
3. APPARITIONS EN TERRE DE MISSION
Amérique - Afrique - Asie, Océanie.
4. FACE AU PROTESTANTISME
Apparitions préventives - En Europe de l'Est - En France - Louis XIII et la Vierge Marie - Notre-Dame-de-l'Osier - Du Luberon à la Bretagne.
5. CONTRE L'INCRÉDULITÉ
Le Laus ou le jansénisme vaincu - La Vierge Marie face aux Lumières - La Vierge Marie face à la Révolution - Après la tourmente.
6. DE PARIS À BANNEUX (1830-1933)
Paris - La Salette - Cerreto - Porzus - Lourdes - Philippsdorf - Pontmain- Saint-Bauzille - Pellevoisin - Gietrzwalde - Knock - Fatima - Beauraing – Banneux.
7. LA VIERGE CONTRE LE COMMUNISME ET LE NAZISME
Fatima et le communisme - L'Ile-Bouchard (1947) - Expansion du communisme - Face au nazisme.
8. FAUSSES APPARITIONS
De type apocalyptique - De type mimétique - Par illusion - De type sectaire.
9. APPARITIONS CONTROVERSÉES
Tilly - Kerizinen - Garabandal - San Damiano – Medjugorje.
10. SECRETS ET CHATIMENTS
Les secrets « privés » - Secrets destinés à être rendus publics - Châtiments - La Vierge Marie et la fin des temps.
Bibliographie
Index des lieux cités
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Du même auteur
MEDJUGORJE (1981-2006) - “ Constat de non supernaturalitate ”
Éditions Nivoit, 2006, 90 pages, 10 euros.
Avant-Propos
Journal de Medjugorje par Yves Chiron.
Medjugorje, conférence de Mgr Ratko Peric.
Documents:
Entretien avec Mgr Ratko Peric (1997).
Déclaration de Mgr Ratko Peric (1997).
À propos de Medjugorje par Mgr Henri Brincard (2000).
Bibliographie critique
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Commande Envoyer ses nom, prénom, adresse complète en précisant le titre de l'ouvrage commandé et le nombre d'exemplaires.
  • Enquête sur les apparitions de la Vierge au prix de 10 euros l’exemplaire - franco de port.
  • Medjugorje (1981-2006). ”Constat de non supernaturalitate” au prix de 10 euros l’exemplaire franco de port. 
À adresser avec le règlement à l’ordre de l’ «Association Nivoit».
Éditions Nivoit 5, rue du Berry 36250 NIHERNE
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[1] Entretien reproduit intégralement dans Aletheia, n° 28, 16 avril 2002.
[2] La Nef (2 cour des Coulons, 78810 Feucherolles), n° 155, décembre 2004. Cf. Aletheia n° 67, 12 décembre 2004.
[3] Mgr Dominique Rey, Peut-on être chrétien et franc-maçon?, Éditions Salvator (103 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris), 78 pages, 9,50 euros.

lundi 1 octobre 2007

[Aletheia n°114] Le Magistère - par Yves chiron

Aletheia n° 114 - 1er octobre 2007
LE MAGISTERE - par Yves Chiron
Une action du Magistère
Le P. Peter C. Phan, d’origine vietnamienne, prêtre du diocèse de Dallas et président de la Catholic Theological Society of America, fait l’objet  de deux procédures ecclésiastiques à propos d’un de ses livres, Being religious interreligiously (« Etre religieux de manière interreligieuse »), livre paru en 2004.
En juillet 2005, la Congrégation pour la Doctrine de la foi lui a adressé une lettre contenant dix-neuf observations sur son livre. La Congrégation estime que ce livre du P. Phan est « ouvertement en désaccord avec presque tous les enseignements de la déclaration Dominus Iesus » qui avait réaffirmé que le Christ est l’unique sauveur de tous les hommes et que l’Eglise est nécessaire pour le salut. La Congrégation a demandé au théologien de corriger ses erreurs dans un article et de ne plus réimprimer son livre.
Les réponses jugées dilatoires de l’intéressé ont amené, en mai 2007, la Commission doctrinale des évêques des Etats-Unis à intervenir (sur la demande du Saint-Siège). Une liste d’objections, qui tient en trois pages, lui a été transmise et on lui a demandé d’y répondre avant le 1er septembre.
Le P. Phan est le quatrième théologien mis en cause pour ses écrits en contradiction avec la déclaration Dominus Iesus, parue en 2000. Avant lui, trois théologiens jésuites ont fait successivement l’objet d’une notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi  sur le même sujet : Jacques Dupuis, en 2001, Roger Haight en 2004 et Jon Sobrino en 2006.
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Documenta de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui a succédé en décembre 1965 à la Congrégation du Saint-Office, a pour fonction « de promouvoir et de garantir la doctrine de la foi et des mœurs dans le monde catholique tout entier ».
Depuis sa création, quatre Préfets seulement se sont succédé à sa tête :
- le cardinal Alfredo Ottaviani jusqu’en 1968,
- le cardinal Franjo Seper, de 1968 à 1981,
- le cardinal Joseph Ratzinger, de 1981 à 2005,
- le cardinal William Levada depuis le 13 mai 2005.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi exerce sa mission de service de la foi en publiant des Instructions, des Notifications, des Décrets, des Déclarations, des Réponses, des Lettres et des Normes.
Un recueil  exhaustif de tous les documents publiés par la Congrégation depuis sa création a été publié[1]. Le volume, de 665 pages, rassemble, dans leur texte original (latin, italien, français, anglais ou allemand) et dans l’ordre chronologique, les 105 documents promulgués entre le 18 mars 1966 (« Instruction sur les mariages mixtes ») et le 11 février 2005 (« Note sur le ministre du sacrement de l’onction des malades »).
Un index des noms cités et surtout un très riche index analytique permettent de se reporter utilement aux interventions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ainsi, pour nous en tenir à quelques exemples, la doctrine de l’Eucharistie a été traitée dans une trentaine de documents ;  les associations maçonniques ont fait, à deux reprises (1981 et 1983), l’objet d’une « Déclaration » ; l’admission des femmes au sacerdoce ministériel a fait l’objet d’une « Déclaration » (en 1976) et d’une « Réponse » (en 1995).
Il serait souhaitable que ce recueil, commode et exhaustif, soit traduit en français.
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• Trois livres sur le Magistère.
« La fonction du Magistère n’est pas quelque chose d’extrinsèque à la vérité chrétienne et à la foi, mais elle est un élément constitutif de la mission prophétique de l’Eglise » dit le cardinal Levada, actuel Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. L’Eglise est Mater et Magistra, selon le titre de l’encyclique de Jean XXIII, « Mère et Maîtresse de vérité ».
Sur la nature du Magistère et sur son mode d’exercice, les opinions les plus diverses non seulement ont cours, mais sont enseignées avec une autorité (toute privée) par des théologiens et des clercs. Depuis les années 1970, on est arrivé à ce paradoxe que les théologiens qui revendiquent la plus grande indépendance et la plus grande liberté dans l’Eglise ont été rejoints dans leur conception minimaliste et réductrice du Magistère par des clercs et théologiens sédévacantistes ou « guérardiens » qui limitent l’assistance divine aux seuls jugements solennels et infaillibles du Magistère.
Trois livres permettent d’éclairer la question. Sans prétendre en proposer une analyse critique, je me contente de les signaler :
- abbé Bernard Lucien, Les degrés d’autorité du Magistère[2].
- sous la direction de l’abbé Bruno Le Pivain, L’Eglise, servante de la vérité. Regards sur le Magistère[3].
- Mgr Gherardini, Contemplando la Chiesa[4].
Mgr Gherardini fut longtemps professeur d’ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran. Il est membre émérite de l’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin et directeur de la revue Divinitas. Son essai est un traité sur l’Eglise en cinq approches : Connaître l’Eglise, Ecouter l’Eglise, Prier avec l’Eglise, Aimer l’Eglise, Confesser l’Eglise (« Je crois à l’Eglise » et non « Je crois l’Eglise », souligne l’auteur).
Il aborde la doctrine du Magistère dans la partie « Ecouter l’Eglise », une écoute qui doit être « attentive » et « religieuse » (au sens que donne saint Thomas d’Aquin à ce mot lorsqu’il parle de la vertu de religion comme acte qui réalise sa propre définition).
L’autorité du Magistère, explique aussi Mgr Gherardini, n’est pas une autorité née de l’Eglise, mais « dans l’Eglise » (« nella Chiesa » et non « dalla Chiesa »), par la puissance du Saint-Esprit. Une participation à l’infaillibilité du Christ qui est la Vérité. L’assentiment de la foi n’est pas dû à toutes les paroles et écrits des Souverains Pontifes, mais dans leur Magistère ordinaire il peut y avoir, hormis l’enseignement « ex cathedra «  un enseignement « qui oblige ».
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[1] Congregatio pro Doctrina Fidei, Documenta inde a concilio Vaticano secundo expleto edita (1966-2005), Libreria Editrice Vaticana, 665 pages, 40 euros.
[2] Abbé Bernard Lucien, Les degrés d’autorité du Magistère, La Nef (2 cour des Coulons, 78810 Feucherolles), mars 2007, 232 pages, 22 euros.
[3] L’Eglise, servante de la vérité. Regards sur le Magistère, essais réunis sous la direction de Bruno Le Pivain, Editions Ad Solem (2 rue des Voisins, CH – 1205 Genève), octobre 2006, 413 pages, 37 euros.
[4] Il s’agit d’un numéro spécial de la revue Divinitas (Palazzo dei Canonici, 00120 Vaticano), février 2007, un numéro triple de 339 pages, 20 euros.