vendredi 31 décembre 2004

[Aletheia n°68] Bons points et coups de règle

Aletheia n°68 - 30 décembre 2004
Bons points et coups de règle


Dans Le Sel de la Terre, la revue trimestrielle éditée par le couvent de la Haye-aux-Bonshommes (49240 Avrillé), on trouve toujours des articles qui retiennent l’attention. Ainsi, dans le dernier numéro paru, n° 51, hiver 2004-2005, 14 € le numéro, on peut lire un intéressant dossier, d’une soixantaine de pages, consacré au P. Fahey (1883-1954), spiritain irlandais, théologien du Corps mystique et de la royauté sociale du Christ.
Mais ce même numéro contient aussi, en fin de livraison, huit pages anonymes, qui, sous le titre “ Informations et commentaires ”, sont une distribution de bons points et de coups de règle sur les doigts. Tour à tour, sont cités à comparaître devant les sévères juges d’Avrillé, Olivier Pichon, directeur de la rédaction de Monde et Vie ; Jean Madiran, directeur de la rédaction de Présent ; enfin, le seul et unique rédacteur de cette pauvre Aletheia. On laissera aux deux éminents directeurs des publications citées, le soin de répondre – s’ils en ont le temps et le goût –  à l’honorable rédacteur anonyme.
Concernant Aletheia, l’anonyme du Sel de la Terre me reproche d’être allé “ à la rescousse d’Emile Poulat ”. L’honorable anonyme se récrie : personne n’a jamais laissé entendre qu’Emile Poulat était franc-maçon ou proche de la franc-maçonnerie.
De qui se moque-t-on ? Quand on cite neuf noms, qu’Emile Poulat est le premier nom cité, et qu’après avoir énuméré les neufs noms on poursuit : “ tout ce monde [1] est, d’une part plus ou moins influencé par les idées de Julius Evola ou de René Guénon et d’autre part souvent lié à la franc-maçonnerie ”, il y a bien amalgame et approximation.
Quand on traite de ce genre de sujet par allusion, sous-entendu et amalgame, on n’est pas loin de la calomnie et de la médisance. Le paragraphe accusateur de Christian Lagrave dans Lecture et tradition a été repris textuellement par Le Sel de la terre, puis par Sous La Bannière puis par Action Familiale et Scolaire. On aimerait, pour l’honneur d’Emile Poulat et de Jean Borella, que ces revues publient des rectificatifs sinon des excuses.
Au début du siècle déjà, quand la campagne antimoderniste et antilibérale avait pris une tournure trop personnelle, les Etudes (janvier 1914) avaient publié un article retentissant, “ Critiques négatives et tâches nécessaires ”. La célèbre revue jésuite, qui se revendiquait, elle aussi, au rang des “ catholiques intégraux ”, s’était indignée :
 “ Quelle pitié de voir ravaler ainsi à des questions de personnes les questions doctrinales de la plus haute gravité ! (…) Chaque semaine, le lecteur attend avec impatience son numéro, en se disant : A qui le tour ? Il ne s’inquiète plus guère de ce qu’est le modernisme ou le libéralisme. Foin des graves problèmes, du souci des précisions et des questions de nuances ! L’important est d’enrichir de quelques noms sensationnels la galerie des suspects ! ”.
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Revue des revues
. La presse s’est fait l’écho du “ Communiqué ” de Mgr Bruguès, évêque d’Angers et président de la Commission doctrinale de l’épiscopat, consacré aux ouvrages de Jacques Duquesne et du P. Dominique Cerbelaud. Ce communiqué a été suivi d’une “ Note doctrinale ”, beaucoup plus développée, consacrée au livre de Jacques Duquesne et d’un “ Résumé ” de cette analyse critique. Ces deux dernières interventions de la Commission doctrinale ne sont, pour ainsi dire, jamais citées. On trouvera le texte de ces trois interventions doctrinales dans la Documentation catholique (3 rue Bayard, 75008 Paris – 4,50 € le numéro), n° 2326, du 19 décembre 2004. Une note doctrinale sur le livre du P. Cerbelaud “ devrait paraître ultérieurement ”.
. J’ai rappelé, dans le dernier numéro d’Aletheia, plusieurs articles et études critiques qui avaient été consacrés au premier, et important, livre de Jean Borella, La Charité profanée. Le P. Lous-Marie de Blignières nous rappelle qu’il avait consacré une “ recension respectueuse et critique ” à un autre livre de Jean Borella, Le Sens du surnaturel. Effectivement, cette longue étude critique, de vingt pages, peut se lire dans le n° 61, automne 1997, de Sedes Sapientiæ (53340 Chémeré-le-Roi).
. Dans le numéro de janvier 2005 de La Nef (B.P. 48, 78810 Feucherolles, 6 € le numéro), on peut lire un très important débat consacré à “ La France : mort, déclin ou renaissance ? ”. Y ont pris part Mgr Brincard, évêque du Puy-en-Velay, Paul-Marie Coûteaux, député européen “ souverainiste ”, Patrice de Plunkett et Jean Raspail. Dans ces huit pages très denses, on relèvera, entre autres, ces analyses de Mgr Brincard : “ il y a une crise grave, cette crise est à la fois intellectuelle et spirituelle. Comment sortir de cette crise ? Sera-t-elle l’occasion d’un retour non pas au passé mais aux sources, ou ouvrira-t-elle le chemin au déclin ? Pour ma part, je pense qu’il y aura un renouveau mais, comme tout renouveau profond, il passera par la croix ”.
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Rappels 
. Le dernier livre de Jean Madiran, La trahison des commissaires, publié aux éditions Consep, est disponible aussi à Aletheia au pris de 10 € franco de port.
. Un “ abonnement-liberté ” au quotidien Présent est possible par un prélèvement automatique mensuel de 27,45 € par mois (formulaire à demander à Présent, 5 rue d’Amboise, 75002 Paris).
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Au seuil de cette nouvelle année, je fais mien ce vœu exprimé par Mgr Brincard : “ Retrouvons l’espérance en faisant ce qui, avec l’aide de la grâce de Dieu, dépend de nous ”.
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[1] Souligné par moi.

dimanche 12 décembre 2004

[Aletheia n°67] Mgr Rey : "On ne peut être catholique et franc-maçon"

Aletheia n°67 - 12 décembre 2004
Mgr Rey : “ On ne peut être catholique et franc-maçon ”
Après la claire intervention de Mgr Brincard, évêque du Puy, en 2002[1], un nouvel évêque français, Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, rappelle la position traditionnelle de l’Eglise sur la franc-maçonnerie et explique pourquoi l’appartenance à la franc-maçonnerie est interdite aux catholiques. Il le fait dans un long entretien à la revue La Nef, en conclusion d’un important dossier qu’il avait suggéré lui-même à la revue de réaliser.
Mgr Rey explicite trois raisons principales qui rendent condamnable la franc-maçonnerie au regard de la doctrine catholique :
-          Elle diffuse un enseignement de type gnostique : “ Elle prétend donner à ses adeptes une formation ésotérique, enseignement secret qui révèlerait le sens caché de l’univers. Tous les rituels font miroiter aux yeux des initiés l’acquisition d’une soi-disant “ Tradition primordiale ”, et d’une “ Lumière ” qui, au mieux, est celle de l’intelligence humaine, mais en aucun cas celle de la Transfiguration en Christ ”.
-          “ Le maçon soutient le primat et l’autonomie de la raison par rapport à toute vérité révélée ”.
-          “ Elle rejette tout dogme. Elle prône le relativisme, au prétexte de la tolérance absolue. Relativisme religieux qui met toutes les religions sur le même plan, les considérant comme des tentatives concurrentes pour exprimer la vérité sur Dieu qui, en soi, est inatteignable. […] D’autre part, la franc-maçonnerie prône le relativisme moral. Aucune règle morale n’est pour elle d’essence divine, donc intangible. La morale doit évoluer au gré du consensus des sociétés ”.
Dans son entretien avec Christophe Geffroy, Mgr Rey ne s’en tient pas à l’analyse doctrinale et à la mise en lumière des principes erronés et dangereux de la franc-maçonnerie. Il est lucide sur l’influence de la franc-maçonnerie dans la société française : “ Par l’entremise de cercles de pensées et de réseaux d’influence, bien des projets de lois votés par le Parlement ont été préparés dans le silence du temple. ”
D’autres points de cet entretien de trois pages mériteraient d’être relevés, notamment quand, parmi les “ réponses pastorales pertinentes ” à la franc-maçonnerie, l’évêque de Fréjus-Toulon invite les catholiques “ à investir le vaste champ politique, comme le rappelle si souvent le pape Jean-Paul II, à inventer de nouveaux modes d’apostolat sur des terrains autrefois occupés par les mouvements de type Action catholique, mais qui sont aujourd’hui déserts. ”
Le constat sur le “ désert ” et les nécessaires “ nouveaux modes d’apostolat ” ouvre la perspective sur la mission des laïcs. Vaste question où Mgr Rey, là aussi, fait preuve d’une lucidité réconfortante qui tranche avec les discours convenus de l’épiscopat français. 
Le dossier de 12 pages sur la franc-maçonnerie comprend les articles suivants [2] :
. Michel Toda, La franc-maçonnerie hier et aujourd’hui.
. Yves Chiron, Les rituels francs-maçons.
. Paul Airiau, L’Eglise et la franc-maçonnerie.
. Michel Toda, Les chimères du Père Riquet.
. Entretien avec Mgr Dominique Rey : “ On ne peut être catholique et franc-maçon ”.
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Pour l’honneur de Jean Borella et d’Emile Poulat
Plusieurs revues, relayées ou inspirées par des folliculaires internautiques, répandent la rumeur qu’Emile Poulat aurait des accointances avec la franc-maçonnerie. C’est sa direction de la revue Politica Hermetica et son dernier livre, Notre laïcité publique (Berg International, 2003), qui ont suscité cette campagne où l’amalgame rivalise avec l’approximation. Comme je l’ai déjà relevé[3], d’autres collaborateurs de Politica Hermetica ont eux aussi été mis en cause, leur point commun serait d’être “ souvent lié à la franc-maçonnerie ” (on appréciera l’imprécision !), et parmi eux, Jean Borella, collaborateur éphémère de P.H.
Le bon et sérieux dossier de La Nef sur la franc-maçonnerie est l’occasion de prendre à nouveau la défense de ces deux auteurs qui sont aussi des lecteurs bienveillants et attentifs d’Aletheia. Une rumeur non démentie ou une insinuation répétée deviennent des fausses vérités que l’on croit établies.
Jean Borella, philosophe et chrétien, a été un lecteur attentif et critique de René Guénon. Sa recherche spéculative l’a amené à produire des ouvrages importants sur le symbolisme, l’ésotérisme et le surnaturel. On peut contester certains aspects de sa pensée[4]. Mais laisser croire qu’il est franc-maçon est une calomnie et une mauvaise action. À la suite de ma précédente évocation de cette affaire, le Professeur Borella m’avait adressé une lettre dont je crois utile de reproduire la claire affirmation suivante :
Les insinuations de Ch. Lagrave concernant mon éventuelle appartenance à la F.M. sont évidemment fausses. La seule “ organisation ” à laquelle j’ai appartenu et appartiens toujours, c’est l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Et, s’il plaît à Dieu, je lui appartiendrai toujours. Je me suis intéressé à la F.M., à son histoire et un peu à sa symbolique. Mais je n’ai jamais remis en cause les condamnations de Rome à son encontre.
Émile Poulat, lui, a protesté, auprès de deux revues qui le mettaient en cause, par des lettres qui apportent des rectifications et précisions propres à faire taire les calomnies. On aimerait que les revues en question publient, par honnêteté intellectuelle, les lettres d’Emile Poulat. Il écrit, entre autres affirmations claires : “ je n’ai et je n’ai jamais eu aucun lien, aucune accointance avec la franc-maçonnerie ”.
Émile Poulat, dans une de ces lettres, revient aussi sur la question de la laïcité et de la loi dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905. À l’approche du centenaire de cette loi, il n’est pas inutile de citer l’état factuel de la question qu’il dresse en réponse à un de ses contradicteurs[5] :
Cette loi dite de “ séparation ”, qui l’a lue dans son texte publié au Journal officiel et aujourd’hui introuvable en librairie ? A-t-elle été condamnée ? Oui, par Pie X trois fois, et une fois par Pie XI en 1924. La condamnation a-t-elle été levée ? Non. L’interdit jeté par Pie X sur les associations cultuelles a-t-il été levé ? Oui, par Pie XI en 1924, au terme de longues négociations et sous la forme d’associations diocésaines. La loi de 1905 est-elle modifiable ? Oui, et déjà une dizaine de fois, la dernière en 1998. Ces modifications ont-elles été condamnées. Non : un modus vivendi jugé satisfaisant à Rome et en France a donc été trouvé dans le cadre d’une loi qui reste condamnée, mais dont la plus grande partie se trouve désormais sans objet et dont le reste a été amendé, interprété ou complété. La réalité qui nous gouverne, c’est le régime issu de cette loi, et d’autres, régime qui, lui, n’a pas été condamné. Le mot séparation lui-même ne figure dans aucun texte de loi et n’a aucune valeur légale : seulement rhétorique.
Sur cette question de la laïcité, le premier mérite d’Emile Poulat est d’être allé aux faits. Comme il l’a fait, depuis quarante ans, dans ses travaux sur le modernisme, sur l’intégrisme et sur l’antilibéralisme de l’Eglise. Ces travaux sont devenus des ouvrages de référence, salués aussi bien dans le milieu historique universitaire que dans les milieux traditionalistes (ou “ intransigeants ” comme disent les Italiens et Emile Poulat). Pourquoi, aujourd’hui, dans une frange de ces mêmes milieux traditionalistes, jette-t-on le soupçon voire la calomnie sur cet auteur ?  N’est-ce pas là une preuve de plus de l’affaissement intellectuel qui touche tous les milieux, y compris les milieux traditionalistes ?
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Mises au point sur Fatima (suite)
Les “ Mises au point sur Fatima ” publiées dans un récent numéro d’Aletheia (n° 65, 21 novembre 2004) ont suscité des réactions diverses. Philippe Maxence, rédacteur en chef de L’Homme Nouveau, me précise que le débat sur la question reste ouvert dans les colonnes de son journal, qui a publié, depuis, des courriers de lecteurs, contradictoires, sur le sujet[6].
M. l’abbé Aulagnier, directeur du site item.snoozland.com, rappelle qu’il avait publié un dossier sur le sujet et il a reproduit mon article du 21 novembre en le résumant ainsi : “ L’article d’Yves Chiron se veut apaisant et nous encourage à nous “reposer sur nos deux oreilles“. […] “Peuples, dormez en paix ! Rien de “ méchant ” ne se prépare à Fatima “ ”.
Le cher abbé, outre qu’il invente des expressions d’un langage familier que je ne permettrais pas d’utiliser dans un écrit, fait un résumé par trop cavalier de mes analyses.
Un lecteur belge, lui, m’accuse de vouloir “ cacher ” (sic) à mes lecteurs un article de Nouvelles de chrétienté (n° 89, septembre-octobre 2004), article de Vincent Garnier “ Les hindous à Fatima ”[7]. Loin de moi l’idée de cacher quelque article que ce soit sur le sujet. Mais, je n’ai pas vocation, ici, à établir des bibliographies exhaustives.    
Depuis, le dossier s’est enrichi d’une nouvelle pièce, une nouvelle “ mise au point ” publiée par Jeanne Smits dans le quotidien Présent, le 4 décembre dernier. Cette fois, elle publie le texte d’un communiqué, important, de Mgr Serafim de Sousa Ferreira, évêque de Leiria-Fatima, qui sonne comme un “ désaveu ” de ce qui s’est passé à Fatima le 5 mai dernier.
Pour clarifier la controverse, qui a pris une dimension internationale, et qui porte sur plusieurs points, on peut, je pense présenter les faits en trois étapes en les plaçant sous leur vrai jour :
- un congrès interreligieux a bien eu lieu à Fatima en octobre 2003. Déjà, au moment des faits, la FSSPX avait mobilisé ses prieurés et ses écoles pour faire prier contre ce “ nouveau scandale d’Assise ”. L’honnêteté pourtant commande de ne pas assimiler les deux événements. À Assise, en 1986, il y eut une réunion interreligieuse, à l’initiative et en présence de Jean-Paul II, pour prier, séparément. À Fatima, il y a eu un congrès d’études, organisé par le sanctuaire, en présence de diverses hautes autorités ecclésiastiques, mais cela ne s’est point fait à l’initiative du Saint-Siège ni sous son patronage. On doit convenir que plusieurs des interventions faites au cours de ce congrès étaient en contradiction flagrante avec la doctrine catholique mais aussi que les déclarations faites en la circonstance par le P. Guerra, recteur du sanctuaire, ont été déformées.
- Un groupe hindou (et non bouddhiste, comme l’écrit par détraction une des publications citées) est venu en pèlerinage à Fatima le 5 mai dernier. Des participants ont pu accéder à l’autel de la Chapelle des Apparitions. Mais, a précisé plus tard le recteur du sanctuaire : “ Le prêtre [hindou] a chanté une prière pendant quelques minutes. Il n’a fait aucun geste, n’a effectué aucun rituel sur ou en dehors de l’autel. ” C’était une prière pour la paix. Même ramené à cette dimension, l’événement reste choquant (on peut en voir des images sur le site du mensuel catholique américain Catholic Family News : www.oltyn.com). Et c’est lui qui, semble-t-il, a suscité la plus grande réprobation du Saint-Siège[8].
- La construction d’un nouveau sanctuaire a bien commencé à Fatima. Ni la chapelle construite sur le lieu des apparitions ni la basilique actuelle ne seront détruites ou abandonnées, le troisième édifice cultuel en construction est dédié à la Sainte Trinité. Reste un point à éclaircir, signalé par Jeanne Smits dès son article du 28 août et rappelé, à juste titre, par M. l’abbé Aulagnier dans son dernier article sur le sujet : un autre bâtiment, appelé “ Centre Paul VI ”, sera construit face à la nouvelle église. Il sera voué, dit le projet, à la “ documentation interreligieuse ”. Le mot peut recouvrir des choses très diverses. Si le futur Centre Paul VI organisait des réunions interreligieuses, et non pas de simples colloques ou congrès, il y aurait un risque de confusion très dommageable pour la foi.
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[1] Mgr Brincard, “ Il faut combattre la franc-maçonnerie ”, entretien accordé à Radio-RCF-Le Puy, reproduit intégralement dans Aletheia, n° 28, 16 avril 2002.
[2] La Nef (B.P. 48, 78810 Feucherolles), n° 155, décembre 2004, le numéro 6 euros.
[3] Aletheia, n° 62, 18 septembre 2004, p. 2-3.
[4] Son premier livre, La Charité profanée, publié en 1979, aux Editions du Cèdre du regretté abbé Lefèvre, avait fait l’objet de deux longues recensions louangeuses, et parfois questionnantes, de Louis Salleron et de Marcel De Corte dans Itinéraires (n° 234, juin 1979, p. 209-218, — photocopie à la disposition des lecteurs qui le souhaiteraient). Quelques années plus tard, j’ai publié un long entretien avec Jean Borella sur ce livre, et sur d’autres sujets, dans la revue L’Age d’Or (n° 5, 1986, p. 16-27, — photocopie à la disposition des lecteurs qui le souhaiteraient). L’abbé Basilio Meramo, de la FSSPX, a publié, lui, Les hérésies de la Gnose du professeur Jean Borella, Editions les Amis de St François de Sales (C.P. 2016 — 1950 Sion 2, Suisse), 1996, une brochure de 42 pages préfacée par Mgr Tissier de Mallerais.
[5] Arnaud de Lassus, “ Emile Poulat et la laïcité ”, Action Familiale et Scolaire (31 rue Rennequin, 75017 Paris), n° 175, octobre 2004.
[6] L’Homme nouveau, 10 rue Rosenwald, 75015 Paris, 4 euros le numéro.
[7] Nouvelles de Chrétienté, Etoile du Matin, 57230 Eguelshardt, 3,50 euros le numéro.
[8] Depuis septembre, la presse portugaise évoque un prochain remplacement du P. Guerra et de l’évêque de Fatima, remplacements que le Saint-Siège aurait instamment demandés.

lundi 29 novembre 2004

[Aletheia n°66] Jean Madiran interpelle les évêques de France

Aletheia n°66 - 28 novembre 2004
Un nouveau livre de Jean Madiran
Jean Madiran interpelle les évêques de France
Le titre – La trahison des commissaires – rappelle la célèbre Trahison des clercs de Julien Benda. Le mot “ commissaires ” peut sembler renvoyer aux systèmes idéologiques totalitaires et à leur “ police de la pensée ”,   mais il peut aussi être pris à la lettre, au sens étymologique : “ personne chargée d’une mission publique ou privée ”. En effet, c’est la Commission doctrinale de la Conférence des évêques de France que Jean Madiran interpelle.
Cette Commission doctrinale est de création récente dans l’histoire de l’Eglise de France. Elle est une des formes qu’a prises l’exercice collégial du ministère épiscopal. Jean Madiran fait remarquer d’emblée : “ L’institution récente de commissaires doctrinaux dans l’Eglise de France n’avait pas pour but, en tout cas elle n’eut pas pour effet de rectifier les erreurs et de corriger les dérives ”.
Jean Madiran en fournit une démonstration, d’une acuité sans pareille, en examinant, l’une après l’autre, les trois interventions de la Commission doctrinale au cours des quatre premières années du XXIe siècle : le communiqué qui a approuvé la nouvelle traduction de la Bible publiée aux éditions Bayard (août 2001), la note doctrinale sur le film La Passion de Mel Gibson (mars 2004) et celle qui a critiqué et approuvé à la fois l’émission télévisée L’origine du christianisme (mars 2004).
Ce que la Commission doctrinale enseigne ou valide officiellement par ces déclarations est une “ nouvelle religion ” estime Jean Madiran. Une religion chrétienne qui ne se veut plus “ une vérité révélée par Dieu à son Eglise ” (p. 10).
La Bible éditée chez Bayard, par ses traductions nouvelles et par ses annotations critiques, a répandu dans un très vaste public des “ extravagances hypercritiques et négationnistes ”, notamment celle qui distingue entre le “ Jésus de l’histoire ” et le “ Jésus de la foi” .
Jean Madiran, qui est le contraire d’un esprit manichéen, reconnaît que deux évêques ont, plusieurs mois après le communiqué de la Commission, jugé très sévèrement cette Bible : Mgr Guillaume, évêque de Saint-Dié, dans un article paru au début de l’année 2002[1], et Mgr Cattenoz, archevêque d’Avignon, dans un message pastoral à ses diocésains. “ La Bible Bayard est une œuvre littéraire, elle n’est pas une Bible chrétienne, encore moins catholique ” a dit le premier, “ Non, cette Bible n’est pas celle de l’Eglise ! ” a déclaré le second.
Mais ces deux interventions, isolées, ne furent suivies, remarque Madiran, d’ “ aucune mise au point rectificatrice ”. La Bible Bayard continue à être diffusée avec l’affirmation que son appareil hypercritique et négationniste “ permet d’inscrire cette traduction dans la tradition vivante de la foi catholique ” (termes employés par la Commission doctrinale).
La note doctrinale sur les émissions de Prieur et Mordillat consacrées à L’origine du christianisme est tout aussi terrible pour les chrétiens. Elle disserte sur le “ conflit d’interprétations ” (lecture juive/lecture chrétienne) et affirme : “ Que l’une ait raison n’entraîne pas que l’autre ait tort ”.
Jean Madiran s’indigne de cet abandon : “ [La Commission] abandonne le public au milieu des “difficultés“ qu’elle lui a retransmises. Elle ne donne aucun repère, allant jusqu’à recommander “ces émissions“… ”.
À force de “ questionnement ”, on se demande s’il y a encore des certitudes chez ceux qui ont rédigé cette Note doctrinale. On nous dira que la Commission doctrinale n’est pas l’expression unique et univoque de l’épiscopat français et l’on mettra en contrepoint les deux déclarations épiscopales citées plus haut. Mais ce que Madiran appelle “ l’unité de façade ” est maintenu. Il y a parfois des réactions individuelles, il y a aussi des corrections subreptices[2], mais il n’y point de rétractation ou de clarification officielles.
Au-delà du texte de ces trois documents officiels de la Commission doctrinale de l’épiscopat français, Jean Madiran pointe avec une acribie sans pareille cette nouvelle religion qui s’est répandue et se répand : “ Du rang de vérité révélée, enseignée au nom de Dieu avec une rigueur dogmatique impliquant des exigences morales inébranlables, la religion catholique en France, dans ses expressions officielles, est en train de glisser à celui de mythe fondateur d’une idéologie humanitaire accompagnant souplement la diversité évolutive des consciences individuelles. ”
Ce nouveau livre de Jean Madiran est “ une réclamation qui s’adresse principalement à la hiérarchie catholique ”. Sera-t-elle entendue ? Le livre sera-t-il même lu par ceux à qui il s’adresse en premier ? Depuis longtemps déjà, il y a, dans l’épiscopat, un mépris, intellectuel et spirituel, à l’égard de Jean Madiran[3]. “ Mépris intellectuel ” parce qu’ils ne perçoivent pas que cette voix est celle d’un “ beau défenseur de la foi ” (l’expression fut employée par saint Pie X à propos d’un autre laïc français, il y a quelque cent ans). “ Mépris spirituel ” parce qu’ils ne s’imaginent pas que cette voix est d’abord animée par un grand amour de l’Eglise qui se soucie de la foi des petits, des humbles.
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[1] L’article parut dans le n° 1 de la revue Kephas, janvier-mars 2002, revue publiée avec les “ encouragements ” du cardinal Ratzinger.
[2] J. Madiran rappelle (p. 60-62) l’affaire du Nouvel missel du dimanche où, de 1970 à 1976, figura un “ rappel de la foi ” qui niait le caractère sacrificiel de toute messe. À partir de l’édition de 1976, ce “ rappel ” fut subrepticement retiré de ce même missel des dimanches.
[3] “ Comme des chiens. Voilà comme ils nous traitent ” écrivait Madiran, il y a quarante ans déjà ( ” Les Chiens ”, Itinéraires, janv. 1965, n° 89). La réponse de l’épiscopat, si l’on peut dire, fut la “ Mise en garde ” de juin 1966 contre Itinéraires et d’autres publications de la “ minorité [qui] conteste, au nom d’une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris ” (l’expression est celle qu’employait le Conseil permanent de l’épiscopat français dans sa mise en garde).

dimanche 21 novembre 2004

[Aletheia n°65] Mises au point sur Fatima - Vient de paraître...

Yves Chiron - Aletheia n°65 - 21 novembre 2004


La transformation du sanctuaire de Fatima en un centre inter-religieux a été annoncée comme un projet avéré et certain, mis en œuvre par les autorités actuelles du sanctuaire de Fatima et avec l’approbation du Saint-Siège. Un premier pas de cette “ évolution ” du grand sanctuaire marial aurait été “ un service religieux hindou ” qui se serait déroulé dans la chapelle même des Apparitions le 5 mai dernier.
Cette double information a fait l’objet de plusieurs articles dans des publications catholiques qui s’en scandalisent. Il y aurait, de fait, matière à scandale si le projet était bien celui que l’on annonce. Le site fatima.be a lancé une “ Pétition contre le projet de construction d’un sanctuaire interconfessionnel à Fatima ”, pétition “ à envoyer au Saint-Père ”. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X annonce un pèlerinage à Fatima, sous forme de “ Journées de réparation ” du 20 au 22 août 2005.
En s’en tenant aux seuls articles récents, on signalera trois protestations :
- un article de l’abbé Charles Tinotti, dans L’Homme nouveau daté du 5 septembre 2004, intitulé : “ Tempête et subversion. Les religions de Fatima ”. Il y annonce que “ le sanctuaire doit être reconverti en un centre pluri-confessionnel ”. Il y évoque, pour s’en indigner, “ un service religieux hindou [qui] s’est tenu dans la chapelle des apparitions ”.
- la “ Lettre du Supérieur Général ” de la FSSPX, parue dans le numéro de septembre de la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du District de France de la FSSPX. Mgr Fellay déplore l’annonce de “ la construction d’un nouvel édifice pluri-religieux ” à Fatima et dénonce la “ provocation ” qu’a représentée la cérémonie hindouiste du 5 mai dernier.
- une pleine page de l’hebdomadaire Rivarol, le 12 novembre dernier, sous la signature de Jérôme Bourbon. Sous le titre “ Offense faite à la Vierge…et à l’Europe : Fatima livrée aux rabbins et aux gourous ! ”, Jérôme Bourbon annonce que Fatima est appelé à devenir “ un centre où toutes les religions du monde se rassembleront pour rendre hommage à leur(s) dieu(x) respectif(s) ”. Il voit là un épisode de plus de l’ “ apostasie radicale ” de “ la Rome moderniste et [de] l’Eglise conciliaire ”.
Or, un article très important de Jeanne Smits, sur la transformation du sanctuaire, est paru le 28 août dans Présent. Je l’avais signalé alors (Aletheia, n° 61, 1.9.2004) car il apportait des éclaircissements et des rectifications convaincantes. Jeanne Smits avait enquêté sur place et avait établi que “ tout est parti d’un unique article paru dans l’hebdomadaire Portugal News, journal anglophone édité dans l’Algarve (côté sud du Portugal) ”. J. Smits citait aussi les démentis apportés par le P. Luciano Guerra, recteur du sanctuaire, dans la revue officielle Voz de Fatima.
L’article de Jeanne Smits dans Présent aura donc échappé au dernier protestataire en date (J. Bourbon). En revanche, cet article de Jeanne Smits (et peut-être la recension qui en a été faite dans Aletheia) n’auront pas échappé, semble-t-il, à la rédaction de L’Homme nouveau. En effet, le numéro suivant du bimensuel, daté du 19 septembre, contenait une sorte de rectificatif. Sans faire référence à l’article de l’abbé Tinotti qui avait été publié à la même place dans le numéro précédent, était publié, cette fois, un “ document ” important qui venait tout simplement le contredire. Il s’agit, sous le titre “ Semper idem ”, de la traduction d’un article du P. Guerra, publié dans Voz de Fatima le 29 juin 2004. Le recteur du sanctuaire y fait de nouvelles mises au point. Mise au point sur le “ pèlerinage ” hindouiste du 5 mai et mise au point sur le futur sanctuaire : “ nous n’avons pas et n’avons jamais eu l’intention de réaliser dans l’église en construction des célébrations qui ne soient pas prévues par les directives de l’Eglise catholique ”.
Le recteur du sanctuaire de Fatima aura donc fait trois mises au point en moins d’un an (13 janvier, 29 juin et 13 juillet 2004). S’il a dû les faire, c’est que certaines de ses déclarations ont été ou déformées, ou mal comprises ou maladroite. Mais aussi, si une rectification n’a pas suffi, s’il a dû les répéter, c’est que les rumeurs et les fausses informations circulent plus vite et mieux que les éclaircissements et les démentis.
Rappelons encore que cette église en construction est dédiée à la Très Sainte Trinité – nom guère “ inter-religieux ” ! – et que Jean-Paul II a offert “ un petit morceau de marbre qui provient de la tombe de l’apôtre Saint-Pierre à Rome ” comme première pierre de l’édifice[1]. L’inauguration est prévue pour le 13 mai 2007.



Vient de paraître
Égards, la “ Revue de la résistance conservatrice ” au Canada (5122, Chemin de la Côte-des-Neiges, C.P. 49595 Montréal, Québec, Canada, H3T 2A5 ; le numéro 10 $) publie dans son numéro V, entre autres articles intéressants, une étude de Jean Renaud sur “ L’idéologie homosexuelle ” (p. 59-70). L’auteur appelle “ idéologie homosexuelle ”, non pas seulement l’éloge de l’homosexualité, mais une “ symbolique ” qui “ a pénétré l’ensemble des mœurs et des doctrines modernes ” : “ le moi, la subjectivité ” deviennent “ un critère universel ”. Le narcissisme est une des caractéristiques principales de la modernité anomique. Marcel De Corte, cité par l’auteur, avait fait remarquer, il y a quarante ans : “ la philosophie contemporaine est homosexuelle de fond en comble : l’autre en tant qu’autre est banni, et il n’existe plus pour elle que l’autre en tant que moi, en tant que construction de la pensée autonome ” ( “ Une définition de la droite ”, Ecrits de Paris, juillet-août 1964).
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NOTE
[1] Les Bienheureux François et Jacinthe Marto, bulletin officiel de la Postulation, juillet-septembre 2004, p. 4

lundi 25 octobre 2004

[Aletheia n°64] Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise - et autres textes

Aletheia n°64 - 25 octobre 2004

Une lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise de l’Eglise

En 1967, Etienne Gilson publiait, aux éditions Vrin, Les Tribulations de Sophie, un ouvrage de 167 pages qui rassemblait diverses études consacrées, entre autres, à l’ “ Actualité de saint Thomas d’Aquin ”, au “ cas Teilhard de Chardin ” et aussi des “ Divagations au milieu des ruines ”, les ruines dont il est question étant “ les ruines que l’après-concile accumule autour de nous ” (p. 162).

Cette même année 1967, Etienne Gilson acceptait que la revue Itinéraires de Jean Madiran publie une nouvelle édition de Christianisme et philosophie, ouvrage paru pour la première fois en 1936[1].Pour cette réédition dans cinq numéros de la revue de Jean Madiran, Etienne Gilson avait rédigé un nouvel “ Avant-propos ” où il expliquait pourquoi lui, chrétien réputé de gauche, il acceptait de paraître dans une revue apparemment éloignée de ses vues temporelles. Etienne Gilson voulait qu’on interprète la publication d’un de ses ouvrages dans la revue de Jean Madiran comme “ une volonté d’union sur l’unique nécessaire en un temps où plusieurs de ceux qui en ont la garde semblent le perdre de vue et paraissent même vouloir nous en détourner. ” Il écrivait aussi : “ On ne peut rien faire d’utile pour l’Eglise à moins de s’établir d’abord dans un climat de foi commune, de grâce et d’amitié. ”

Etienne Gilson a eu un sens aigu de la crise de l’Eglise. Dans la préface aux Tribulations de Sophie, datée du 30 avril 1967, il estimait : “ Le désordre envahit aujourd’hui la chrétienté ; il ne cessera que lorsque la dogmatique aura retrouvé son primat naturel sur la pratique. ”

Deux ans après la parution des Tribulations de Sophie, un prêtre, religieux marianiste, le P. Boulet écrivait à Etienne Gilson pour s’étonner de sa “ modération ” et de son “ indulgence ” à l’égard de Teilhard de Chardin[2]. Le philosophe lui répondit par une lettre, intéressante, que nous publions pour la première fois, avec l’autorisation bienveillante de son destinataire[3].

Etienne Gilson exprime, sans fard, son sentiment sur l’œuvre de Teilhard de Chardin et sur la crise que traverse l’Eglise.

89 – Vermenton
12 mai 1969

Monsieur l’abbé

Votre lettre m’a beaucoup amusé, car je reçois d’ordinaire des protestations indignées contre les mauvais traitements que j’ai fait subir au pauvre P. Teilhard, alors que vous me reprochez le contraire.

Mon excuse pour tant de modération est que je sens pour son œuvre une détestation si profonde, une révulsion si exaspérée que je dois me pencher en sens contraire pour ne pas laisser la violence prendre le dessus.

Une autre raison est que ces détestations totales sont généralement le signe d’une présence réelle, de quelque chose qui est là et demande qu’on lui fasse droit. J’ai remarqué cela dans les arts : Stravinsky et Picasso n’auraient pas provoqué, jadis et naguère, des réactions si violentes si l’un et l’autre n’avaient été quelqu’un. Mon horreur morbide pour Hegel me fait craindre de manquer un bien que je n’ai pas la perspicacité de découvrir. Et justement, Teilhard… que j’abomine, me revenait hier à la mémoire en relisant Darwin, The Descent of Man. Il m’est soudain venu à l’esprit : au moins, Teilhard aurait écrit “The Ascent of Man “. Que l’évolution, si elle est plus que simple changement, soit une montée plutôt qu’une descente, que le singe soit monté vers l’homme plutôt que l’homme ne soit descendu du singe, lui du moins l’aura vu. Il faut lui en savoir gré.

Et puis, j’ai eu des violences, je les ai toutes regrettées tôt ou tard.

Ou simplement, je deviens vieux. Plus exactement, je le suis devenu ; il est très vrai, comme vous le dites, que les esprits qui trouvent dans Teilhard de quoi justifier leur sentiment d’être chrétiens se font illusion. Mais j’en connais personnellement au moins deux. Ce sont des “ scientifiques ” ; hors de leurs spécialités, ils raisonnent comme des enfants, mais j’en suis venu à me demander si ces enfants-là aussi ne sont pas de ceux que Jésus veut qu’on laisse venir à lui ? Je ne sais pas. Aussi suis-je d’autant moins exigeant pour les autres que je le suis plus pour moi-même. On ne peut attendre que l’Eglise ne se compose que de saints Thomas d’Aquin… La contestation actuelle qu’évoque la fin de votre lettre ne me semble pas due à Teilhard, même en partie, car lui fait partie des symptômes de ce cancer généralisé. Des fous demandent aujourd’hui la réhabilitation de Luther, et je ne serais pas autrement surpris qu’on introduisît la cause de sa béatification en Cour de Rome. Alors le pauvre Teilhard, avec son optimisme larmoyant, fera figure d’un petit François d’Assise en comparaison avec l’apôtre du Pecca fortiter. Je crains que nous ne voyions pire à brève échéance.

Mais je vous remercie de votre aimable lettre ; nous ne sommes pas seuls à souffrir de ce qui se passe et je reconnais que des réactions plus violentes que les miennes sont sans doute bienfaisantes, nécessaires même. Il y en a d’ailleurs. Il y en a même de parfaitement objectives et équilibrées, je plaide donc coupable. Teilhard a désormais d’éminents avocats dans la Commission romaine e théologiens : nous n’en sommes pas, nous autres laïcs, à exiger la rigueur théologique, en un temps où notre hiérarchie s’amuse à fronder le pauvre pape Paul VI, qu’ils ont littéralement crucifié.

Et prions Dieu que tous nous veuille absoudre ![4]

Avec mes remerciements, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

Etienne Gilson

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La controverse sur l’anaphore de Addaï et Mari

L’anaphore de Addai et Mari, en usage chez les Nestoriens, est une anaphore qui a la particularité de ne pas comporter de récit de l’Institution. Une “ Note ” du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens, publiée le 20 juillet 2001, a autorisé comme “ valide ” l’utilisation d’une telle anaphore dans la liturgie catholique. Cette décision a suscité une controverse publique, en même temps qu’elle rencontrait de vives critiques dans certains milieux romains.

Divinitas, revue internationale de recherche et de critique théologique publiée au Vatican sous la direction de Mgr Gherardini, publie un numéro spécial de 296 pages entièrement consacré à ce sujet[5]. Le fait même est significatif du non-monolithisme qui règne désormais au Vatican.

La perspective des études publiées est scientifique et doctrinale mais les douze articles historiques, théologiques ou liturgiques laissent s’exprimer des avis très divergents sur la question.

Après une traduction intégrale en italien de l’anaphore et la publication de la note du Conseil pour l’Unité des Chrétiens, on trouve les articles suivants :

A. Gurati, A proposito degli “Orientamenti“.

Yves Chiron, La réception de l’Anaphore de Addaï et Mari en France.

Enrico Maza, Che cos’è l’anafora eucaristica ?

Bonifacio Honings, Addai e Mari : l’anaphora della Chiesa d’Oriente.

Robert F. Taft, Messa senza consacrazione ? Lo storico accordo sull’Eucaristia tra la Chiesa cattolica e la Chiesa assira d’Oriente promulgato il 26 ottobre 2001.

Cesare Giraudo, L’anaphora degli apostoli Addai e Mari : la “ gemma orientale ” della Lex orandi.

Enrico Mazza, Le récent accord entre l’Eglise Chaldéenne et l’Eglise Assyrienne d’Orient sur l’Eucharistie.

Brunero Gherardini, Le parole della Consecrazione eucaristica.

David Berger, “Forma huis sacramenti sunt verba Salvatoris ” – DieForm des Sakramentes der

Eucharistie.

Thomas Marschler, Neues und Altes zur Eucharistischen Sakramentenform.

U.M. Lang, Eucharist without Institution Narrative ? The Anaphora of Addai and Mari revisited.

Renzo Lavatori, Il contesto mariologico nella liturgia della Chiesa siro-orientale.

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Vient de paraître

. Michel de Penfentenyo, Turquie : Un national-islamisme au cœur de l’Europe ?, Éditions de L’Homme Nouveau (10 rue de Rosenwald, 75015 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Michel de Penfentenyo, qui a été secrétaire général de la Cité catholique, puis vice-président et directeur de l’Office, publie une brochure pour accomplir, dit-il, un “ double devoir : devoir de mémoire et devoir de lucidité ”. À l’heure où l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne est l’objet d’un large débat public dans différents pays —rappelons, pour mémoire, la position prudente et inquiète de l’épiscopat allemand et celle, négative, du cardinal Ratzinger — , Michel de Penfentenyo apporte, principalement par une évocation très détaillée du génocide arménien de 1915, des réponses aux questions suivantes : “ D’où vient la nation turque ? Quels ont été ses comportements habituels, ses traditions, son atavisme, ses caractères propres en tant que nation ? Quelle est la nature de l’islam turc ? ”.

. Paul Sernine répond à ses lecteurs, Editions du Zébu (J.B. Chaumeil, 16 rue Brézin, 75014 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.

Le livre de Paul Sernine (abbé Grégoire Celier), La Paille et le sycomore, publié il y a un an, a suscité une vive controverse. Il établissait une critique des thèses d’Etienne Couvert sur la “ gnose ”, thèse diffusée depuis vingt ans maintenant par différents livres : De la gnose à l’œcuménisme (1983), La gnose contre la foi (1989), La gnose universelle (1993), La vérité sur

les manuscrits de la mer Morte (1995), La gnose en question (2002)[6].

Les ouvrages d’Etienne Couvert — et ses thèses nouvelles, sur les origines du bouddhisme, par exemple – n’ont pas retenu l’attention des revues scientifiques ; pareillement, la controverse lancée par Paul Sernine s’est principalement limitée au milieu traditionaliste.

Dans la brochure publiée aujourd’hui, qui se présente comme un entretien avec Philippe Vilgier, Paul Sernine répond aux arguments qui lui ont été opposés par les partisans des thèses d’Etienne Couvert.

Les réponses de Paul Sernine sont d’ordre formel et factuel. Une autre réponse à Etienne Couvert et à ses partisans est parue : signée Anselme Farigoule (Un dossier sur la gnose, 40 pages), elle aborde diverses questions de fond et de méthode. Mais cette étude, pour l’instant, n’est pas diffusée dans le public.

. Bulletin Charles Maurras (16 rue du Berry, 36250 Niherne), n° 24, octobre-décembre 2004, 40 pages, 8 euros.

Ce numéro contient un dossier consacré à “ Pie XI, Maurras et l’Action Française ” dont voici le sommaire :

- Charles Maurras, Le grand deuil de l’Eglise (reproduction de l’article paru dans L’Action française le 11 février 1939).

- Yves Chiron, Pie XI et Maurras.

- Abbé Guillaume de Tanoüarn, La grandeur de Pie XI.

- Théophane Breton, Le “Pie XI“ de Yves Chiron.

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NOTES

[1] Margaret McGrath dans Etienne Gilson.A Bibliography/Une Bibliographie, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies/Institut Pontifical d’Etudes Médiévales, 1982, p. 14, mentionne la réédition du livre en 1946 et les traductions japonaise et polonaise, mais elle ignore cette réédition de 1967 qui comportait un nouvel avant-propos et des “ retouches de détail ”.

[2] Page 97, à propos de Teilhard de Chardin, Gilson avait écrit : “ je ne vois aucun péril en la demeure… ”. Mais il avait commencé par dire : “ La pensée du P. Teilhard de Chardin ne me semble avoir jamais atteint le degré de consistance minimum requis pour qu’on puisse parler à ce propos d’une “doctrine“, c’est pourquoi je parlerai seulement du “cas“ Teilhard de Chardin. ” Il avait écrit aussi : “ …marécage doctrinal où l’on est certain de s’enliser si l’on s’y hasarde, la théologie teilhardienne est une gnose chrétienne de plus, et comme toutes les gnoses, de Marcion à nos jours, c’est une Theology-fiction. ”

[3] Le Père André Boulet est l’auteur de plusieurs études consacrées aux rapports de la science et de la foi. En 1995, il a publié Création et Rédemption, aux éditions C.L.D. ; en 2003, La Genèse au risque de la science, un ouvrage de 76 pages disponible chez l’auteur (Résidence Chaminade, 44 rue de la Santé, 75014 Paris), 5 euros franco de port.

[4] Souligné dans le texte.

[5] Divinitas, anno XLVII, Numero speciale 2004, Palazzo dei Canonici, 00120 Vaticano.

[6] Tous ces ouvrages ont été publiés, à compte d’auteur, par les Editions de Chiré, B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil.

dimanche 3 octobre 2004

[Aletheia n°63] Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud

Aletheia n°63 - 3 octobre 2004
Jacques Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud
Il y a dix ans, Jacques Duquesne publiait un Jésus qui balayait nombre de dogmes et de croyances avec un aplomb paré d’un vernis pseudo scientifique. “ Les théologiens se sont gentiment moqués de cette entreprise vulgaire qui ressemblait à une arnaque ” rappelle le R.P. Verdin o.p.[1]. L’ouvrage, servi par un battage médiatique doublé d’une campagne publicitaire, s’était vendu à 400.000 exemplaires.
Aujourd’hui, Jacques Duquesne récidive avec un ouvrage consacré à la Mère de Dieu[2]. Il a l’ambition d’aller “ à l’encontre de ce qui a été présenté des siècles durant comme des vérités absolues ” (p. 13), en l’occurrence : l’Immaculée Conception de Marie, l’Annonciation, la conception virginale de Jésus, l’Assomption. Avec, en point d’orgue, un chapitre 6 intitulé “ Marie, mère de famille nombreuse ”. Jacques Duquesne entend démontrer que Jésus eut des frères et des sœurs. Il affirme : “ Que Marie ait été mère de famille nombreuse, voilà une affirmation qui ne pose plus de problème aux historiens, ni aux exégètes (même si tous ne l’avouent pas nettement) ”[3].
Ce Marie, achevé d’imprimer en juin, a été diffusé cet été pour faire l’objet de recensions et être présent dans toutes les librairies avant la venue du Pape à Lourdes, le 15 août. Jacques Duquesne, homme de presse, savait que le voyage de Jean-Paul II allait susciter, dans tous les journaux et toutes les revues, des articles sur Lourdes et sur la Vierge Marie et que les télévisions et les radios consacreraient des reportages à l’événement. En effet, pas un organe d’informations n’a manqué et presque tous ont signalé ou recensé l’ouvrage de Jacques Duquesne. Cette manœuvre habile et réussie a été prolongée par une campagne de publicité coûteuse (presse et radio) qui dure encore. Jacques Duquesne est en passe de connaître à nouveau un énorme succès de librairie.
Il se défend d’avoir voulu réaliser un “ coup marketing ”. Il affirme avoir travaillé à ce livre depuis trois ans. Pourtant, en bien des endroits, ce livre sent la précipitation. Il a été sinon conçu du moins achevé à la va-vite et très mal relu. On passera sur les nombreuses fautes de frappe : “ Assises ” (p. 132), “ Nicolas de Talentino ” pour Tolentino (p. 141),  “ 1975 ” pour 1935, date d’un message de Pie XI (p. 163), “ Cenetto ” pour Ceretto, lieu d’apparition de la Vierge (p. 220), d’autres encore.
Moins excusables sont les bourdes ou erreurs de copie qui témoignent d’un savoir approximatif. Comment Jacques Duquesne peut-il écrire “ hécharitomène ” (p. 33) pour le célèbre “ kecharitômêne ” de l’Annonciation ? N’est-ce pas une lecture trop rapide qui lui fait appeler “ Gui François ” (p. 139) le languedocien Gui Foucois  (le pape Clément IV) ? Et que dire de ce “ Paul Newman, le célèbre théologien catholique britannique ” (p. 212).
Outre ces erreurs factuelles, on reste ébahi par l’embrouillamini des références (par exemple, page 221, sur la question des révélations privées, Jacques Duquesne cite de seconde main, sans le dire). Pour détruire toutes les croyances et dogmes relatifs à Marie, il n’hésite pas à faire flèche de tout bois. Il utilise et cite les travaux dévastateurs des historiens juifs récents de Jésus. Il cite Pères de l’Eglise et théologiens. Mais les a-t-il bien lus et compris ? Par exemple, il cite saint Thomas d’Aquin de la manière suivante : “ l’Esprit-Saint n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à propos de sa propre substance ” (p. 57), il faut lire, bien sûr : “ à partir de sa propre substance… ”.
Ailleurs, il fait référence à un sermon de saint Augustin (Sermo de tempore XXII) pour se moquer de l’explication de la conception virginale qui y est donnée : “ la fécondation se serait faite par l’oreille ” (p. 55) commente-t-il. Voltaire déjà s’était saisi de ce texte y trouvant du “ ridicule divin ”. Or, c’est un sermon apocryphe. On le sait depuis longtemps[4].
Au-delà de la “ bêtise ergotante ” de Jacques Duquesne[5], ce livre est révélateur de la vulgarisation (au sens littéral comme au sens figuré) d’une certaine exégèse critique. À plusieurs reprises dans son livre, Jacques Duquesne dénonce la “ surenchère ” qui se serait fait jour dans le domaine de la mariologie à partir du concile d’Ephèse (celui où a été donné à Marie le titre de “ Mère de Dieu ”).
La même idée a été exprimée, il y a un an, de manière plus savante et moins provocatrice, par un théologien dominicain, le R.P. Dominique Cerbelaud. Il parlait, lui, d’ “ inflation dogmatique ” et d’ “ inflation mariale ”[6]. Son ouvrage a été largement utilisé et cité par Jacques Duquesne.
Le théologien dominicain, professeur à l’université catholique de Lyon, n’a pas la brutalité du journaliste, mais son travail, articulé en douze thèses, tend à montrer que toute la dogmatique mariale repose sur l’affirmation de la conception virginale et que c’est “ l’article qui fait tenir ou tomber toute la mariologie ” (p. 293). Sous couvert de questions, le théologien dominicain en arrive à remettre en cause tout l’édifice doctrinal sur la Vierge Marie : “ la relativisation de l’aspect physiologique de la virginité in partu, fréquente chez les théologiens catholiques contemporains, peut conduire à se poser des questions analogues sur la virginité ante partum, c’est-à-dire sur la conception virginale : ne convient-il pas de l’entendre, elle aussi, au sens “symbolique“ ? Mais dans ce cas, c’est tout l’ensemble du réseau dogmatique qui va subir les contrecoups d’une telle “relecture“.
Dans l’élaboration plus récente, les incertitudes concernant le dogme du péché originel retentissent directement sur celui de l’Immaculée Conception. Quelle signification ce dernier peut-il conserver, si la notion même de péché originel se dilue ? ” (p. 298).
Entre le R.P. Cerbelaud et Jacques Duquesne, il y a la différence entre un théologien érudit et un journaliste vulgarisateur, mais il y a une identité dans la volonté de “ déconstruire ” la dogmatique mariale.
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De l’affaire Laguérie à l’affaire Sernine : allers et retours
. Mascaret (19 avenue de Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 ¤ le numéro), le “ Bulletin mensuel des catholiques girondins ”, consacre les seize pages de son numéro 265, septembre-octobre 2004, à ce qu’il est convenu d’appeler désormais “ l’affaire Laguérie ”. L’abbé Laguérie, directeur du bulletin, y signe l’éditorial et un “ Ephéméride de l’été 2004 ”, tandis que d’autres collaborateurs abordent la question sous d’autres aspects (juridique mais aussi humoristique). On lira ces pages comme un plaidoyer pro domo de l’abbé Laguérie, sûr de son droit : “ rien ne sera comme avant, les remises en question vont bon train. (…) Saint-Eloi vit, prospère, et la Fraternité peut et doit suivre. ”
. Dans ce numéro de Mascaret, de façon incidente, l’abbé Laguérie dit de l’abbé Celier : “ [sa] tête est réclamée par Chiré-en-Montreuil, ce qui explique son zèle soudain à me pourfendre… ”. Jean Auguy, directeur de la S.A. D.P.F. sise à Chiré-en-Montreuil, a fait paraître aussitôt un communiqué où il affirme notamment : “ Nous posons ici publiquement une question précise à M. l’abbé Laguérie : où, quand, à qui, sous quelle forme et de quelle manière aurions-nous “réclamé la tête“ de M. l’abbé Celier ? Nous attendons une réponse explicite et étayée de preuves… lesquelles seront d’ailleurs difficiles à fournir, car cette accusation —est-il besoin de le préciser ? —relève de la plus haute fantaisie.  […] M. l’abbé Laguérie a peut-être été abusé par une rumeur calomnieuse qui circule en ce moment à Paris dans les milieux de la Tradition, rumeur selon laquelle Jean Auguy et Etienne Couvert seraient récemment allés voir Mgr Fellay pour lui “réclamer“ la tête de M. l’abbé Celier. Cette rumeur est absolument fausse et aussi absurde que fausse, mais il serait intéressant de savoir qui l’a lancée, qui la fait circuler et dans quel but ! ”
. Jean Auguy a raison de démentir cette rumeur qui le concerne, lui et son équipe. La “ tête ” de l’abbé Celier n’a été réclamée, publiquement, que par des feuilles comme celles de Louis-Hubert Rémy et de Philippe Ploncard d’Assac, et aussi par un nouveau site internet qui réclame la “ purification ” de la FSSPX. La “ tête ” de Celier/Sernine est réclamée en même temps que celle de l’abbé de Tanoüarn, le directeur de Pacte et de Certitudes et l’éditeur de Celier/Sernine. Bien que l’affaire Laguérie ait dissocié les deux accusés de l’affaire Sernine, la controverse a rebondi sous des oripeaux nouveaux.
. Plus qu’à ce nouvel épisode de ce que j’ai appelé la guerre picrocholine, on sera attentif au dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro).Ce numéro daté du 15 septembre 2004 était attendu. L’abbé de Tanoüarn n’avait pas, à ce jour, exprimé de position publique sur l’affaire Laguérie, bien qu’il ait soutenu son confrère dès le départ.
L’abbé de Tanoüarn estime que “ la Fraternité Saint-Pie X se trouve déchirée par une des crises les plus graves de son histoire ”. Il estime aussi que les enjeux sont doctrinaux  et que deux “ questions gravissimes ” sont posées par l’affaire Laguérie.
La première est celle de la formation des séminaristes dans la FSSPX et des critères de la vocation. Le directeur de Pacte estime que de “ nouveaux critères ” de discernement de la vocation ont été introduits dans la FSSPX : “ les directeurs demandent aux candidats d’autres aptitudes, non révélées, malgré les demandes faites par différents prieurs ou directeurs d’école, qui ont besoin de connaître ces critères pour orienter les jeunes ”. Ces “ nouveaux critères ” expliqueraient des renvois incompréhensibles des séminaires de la FSSPX et des “ départs mal gérés ”.
La deuxième question de fond, selon l’abbé de Tanoüarn, est celle de l’exercice de l’autorité dans la FSSPX. L’abbé Laguérie n’a pas obtenu, dit-il, le droit de faire appel de la mutation/sanction qui l’envoyait de Bordeaux au Mexique. “ Une deuxième instance, ajoute-t-il, pourrait donner du poids aux sentences du supérieur ”.
Les deux questions — critères de la vocation sacerdotale et exercice de l’autorité — seraient donc révélatrices d’une crise d’identité qui frappe la FSSPX. Une crise de la maturité estime Maxence Hecquard dans ce même numéro de Pacte, qui souhaite aussi qu’ “ un débat serein peut et doit s’instaurer ”[7].
. Les fines analyses de l’abbé de Tanoüarn ont le mérite de vouloir dépassionner le débat et de ne pas le réduire à une querelle de personnes. Mais on ne saurait minimiser, dans les décisions prises par les autorités de la FSSPX, la question de Saint-Eloi, l’église acquise à Bordeaux par l’abbé Laguérie, et sa situation juridique (l’abbé Laguérie étant président de l’association propriétaire des lieux, ce qu’ignoraient ses supérieurs).
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Courrier des lecteurs
Un éminent lecteur de mon Pie XI (Perrin, 2004) m’écrit à propos de l’Action Catholique :
“ Pie XI ne reprend pas la distinction pourtant si indispensable de saint Pie X dans Il fermo proposito (11 juin 1905) entre deux types d’action catholique (en minuscules) : d’une part l’action des laïcs catholiques dans la cité pour en convertir les institutions au règne social du Christ, d’autre part l’apostolat au sens propre (même si le 1er type est un “apostolat“ au sens large) pour convertir les âmes. Et le saint pape précisait les différents degrés de dépendance de ces deux types d’action à l’égard de la hiérarchie.
L’absence de cette distinction chez Pie XI a causé les désastres bien connus, après la guerre. ”
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Annonce
L’Ecole Saint-Louis, à Nantes (8, rue de la Sirène), organise le samedi 16 octobre, de 14 à 19 h, sa IVe Journée du Livre. Yves Amiot, Jean-Luc Cherrier, Yves Chiron, Daniel Hamiche, Claude Mahy, Jean-Louis Picoche, Philippe Prévost et Henri Servien y signeront leurs ouvrages. Le rédacteur d’Aletheia sera heureux d’y rencontrer ses lecteurs de la région nantaise.
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[1] Père Philippe Verdin o.p., “ Notre-Dame des Poncifs ”, Le Figaro, 12 août 2004.
[2] Marie, Plon, 230 pages, 18,50 euros.
[3] Cette pseudo démonstration de l’existence de “ frères et de sœurs ” de Jésus était déjà au centre de son précédent livre. L’épiscopat français avait fait rédiger une réponse, en forme de mise au point, par l’exégète Pierre Grelot : “ La conception virginale de Jésus et sa famille ”, Esprit et Vie, 104/46, 1996, p. 629-631.
[4] Goulven Madec, “ Marie, Vierge et Mère, selon saint Ambroise et saint Augustin ”, in La Virginité de Marie, 53e session de la Société Française d’Etudes Mariales, Médiaspaul, 1998, p. 71-83.
[5] L’expression est du R.P. Verdin, art. cité.
[6] Dominique Cerbelaud o.p., Marie un parcours dogmatique, Editions du Cerf, 2003.
[7] On retrouve aussi, sous la plume de Maxence Hecquard, la vieille prétention de la FSSPX à représenter à elle seule “ la Tradition catholique ”. Quand il évoque “ les diverses tendances de la Tradition ” et  “ les congrégations amies ”, il limite le périmètre de la Tradition à ceux qui reconnaissent la légitimité des sacres de 1988.

samedi 18 septembre 2004

[Aletheia n°62] Les affabulations de Golias - et autres textes

Aletheia n°62 - 18 septembre 2004

Les affabulations de Golias

La revue Golias, qui se veut “ l’empêcheur de croire en rond ”, est une sorte de Canard enchaîné qui serait bimestriel et qui se prétendrait catholique. Il n’y manque ni les caricatures et les dessins supposés humoristiques, ni les rumeurs et les ragots, ni les fausses nouvelles mêlées aux vraies, ni les titres sensationnalistes, ni l’acharnement sur les mêmes cibles — ici, les “ traditionalistes ”, les “ évêques conservateurs ” et, last but not least, le pape Jean-Paul II, vilipendé, maltraité, de numéro en numéro.

On pourrait ne prêter aucune attention aux charges à répétition de Golias. Mais la revue n’est pas sans influence et sans écho. Elle n’est pas seulement disponible sur abonnement, elle est présente dans la plupart des librairies catholiques de France et sur certaines tables de presse paroissiales. Elle se double aussi d’une maison d’éditions qui a publié plusieurs dizaines d’ouvrages.

La revue se flatte d’avoir un correspondant au Vatican, qui signe ses articles du nom de Romano Libero. Il doit s’agir là du pseudonyme non de quelque monsignore mais sans doute de quelque minutante désœuvré qui se pique de fournir à la revue française des informations inédites et des analyses décapantes ou de quelque séminariste en formation à Rome qui croit voir s’ouvrir pour lui une longue carrière de délateur masqué.

Le dernier numéro de Golias (n° 96-97, mai-août 2004) contient deux articles qui portent sa signature. Tous les deux contiennent des affabulations qui montrent que M. Romano Libero n’est pas un informateur fiable.

Un premier article porte sur la dernière étude doctrinale de la Fraternité Saint-Pie X, De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse. L’article est intitulé “ Le nouveau chantage des lefebvristes sur Rome ”. Romano Libero, qui se croit bien informé, affirme tout uniment : “ Selon nos sources, ce petit livre aurait été rédigé en totalité ou en partie par Mgr Brunero Gherardini, 79 ans, ancien professeur d’ecclésiologie, un vieux théologien aigri et agressif ”.

Un deuxième article est consacré à “ Walter Kasper : bête noire des intégristes ”, avec en surtitre : “ Pourquoi les lefebvristes veulent-ils la peau du patron de l’œcuménisme au Vatican ? ”. Cette fois, Romano Libero révèle que Mgr Gherardini — une fois prénommé Brunero puis, quinze lignes plus bas, il est prénommé Antonio ! —serait “ l’ennemi le plus déterminé de Walter Kasper ” et qu’on le dit “ collaborateur de la revue pro-lefebvriste Si,si, No, No, proche de la Fraternité Saint-Pie X. ”

Toutes ces informations concernant Mgr Gherardini sont fausses. Non seulement Mgr Gherardini n’a pas écrit une seule ligne de l’étude de la FSSPX, De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse, mais il en ignorait même l’existence jusqu’à ce qu’il apprenne, par un ami français, que Golias distillait la fausse information qu’il en serait l’auteur. Pareillement, il n’a jamais écrit une seule ligne pour Si si no no, le bimensuel antimoderniste qui existe depuis trente ans maintenant.

Mgr Gherardini, qui nous honore de son amitié, a été professeur de théologie au séminaire de Prato puis à Rome, au Latran. Il est aujourd’hui consulteur de la Congrégation de la Cause des Saints, membre de l’Académie Pontificale de Saint Thomas d’Aquin et directeur de Divinitas, revue de théologie éditée au Vatican. Il a succédé aussi au regretté Mgr Piolanti comme postulateur de la cause du bienheureux Pie IX et il dirige la revue Pio IX.

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À propos de Politica hermetica

La revue Politica hermetica est une revue, annuelle, qui paraît aux éditions L’Age d’Homme. Chaque numéro consiste en la publication des actes d’un colloque international organisé par l’association du même nom et qui s’est donné pour but d’étudier l’histoire de l’ésotérisme, notamment dans ses relations avec la politique. L’association Politica hermetica a été fondée en 1985 par Victor Nguyen, le grand historien, spécialiste de l’Action Française, aujourd’hui disparu. Le premier volume de la revue (Métaphysique et politique, Guénon et Evola) est paru en 1987.

Politica Hermetica est régulièrement la cible de certains milieux catholiques. Par exemple, Christian Lagrave, dans le n° 324 (février 2004) de Lecture et Tradition ou le rédacteur anonyme de l’article “ Gnose et complot (suite) ” dans le dernier numéro du Sel de la Terre (n° 49, été 2004).

Après avoir cité les noms de certains membres du comité de rédaction et du comité scientifique (sont nommés Emile Poulat, Jean-Pierre Laurant, Jean Baubérot, Jean Borella, Pierre Chevallier, Antoine Faivre, Pierre-André Taguieff, Michel Maffesoli, Michel Michel), Christian Lagrave écrit : “ tout ce monde est, d’une part plus ou moins influencé par les idées de Julius Evola ou de René Guénon, et d’autre part souvent lié à la franc-maçonnerie ”… Christian Lagrave a l’art de passer, en une seule phrase, de l’amalgame (“ Tout ce monde ”) à l’approximation (“ plus ou moins ”, “ souvent ”).

On ne niera pas l’appartenance de certains des chercheurs cités à la franc-maçonnerie, mais l’appartenance à la franc-maçonnerie d’Emile Poulat ou de Jean Borella est une de ces fariboles qu’il est indigne de laisser croire. Curieusement, un autre membre du Comité scientifique n’est jamais cité dans ces mises en accusation : il s’agit de René Rancœur, parfait érudit, grand bibliographe, personnalité incontestée du monde savant catholique. Croit-on que René Rancœur aurait accepté de faire partie du comité scientifique d’une association et d’une revue qui auraient eu des visées ésotériques et antichrétiennes ?

Des numéros de la revue ont été consacrés, par exemple, à la franc-maçonnerie et à l’antimaçonnisme, au théosophisme, au prophétisme politique, à la théorie du complot ou à “ Esotérisme et socialisme ”. Ces thèmes font l’objet d’études historiques, dont certaines affirmations ou analyses peuvent être discutées. Mais il est stupide de voir dans ces études successives une sorte de noir complot.

On ajoutera à ces remarques ce qu’Emile Poulat nous écrit du but et du fonctionnement de la revue et des colloques :

Il y a une fixation curieuse sur Politica hermetica, et même fantasmatique. La revue a été fondée par Victor Nguyen, dont j’ai pris le relais, parce que je connaissais bien Victor, et aussi parce que je connaissais le cardinal Pitra et son souci de retrouver la pensée symbolique des Pères contre le positivisme historique de Mgr Duchesne. Au début, les colloques ont attiré des fous et des fanatiques : il a fallu faire le ménage sans éclats. Il n’y a plus maintenant que des scholars.

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Revue des revues

. La Documentation catholique, publie une édition spéciale intitulée “ Jean-Paul II à Lourdes ”[1]. On y trouve le texte intégral des allocutions, méditations et prières prononcées par Jean-Paul lors de son pèlerinage à Lourdes les 14 et 15 août derniers. On y trouve aussi un reportage photographique en couleurs de 16 pages sur l’événement. Enfin, puisque l’occasion de ce pèlerinage papal était le 150e anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée conception, on pourra lire la reproduction intégrale de la Constitution apostolique Ineffabilis Deus, datée du 8 décembre 1854, par laquelle le bienheureux pape Pie IX a défini et proclamé ce dogme. L’édition reproduite est celle publiée en 1953, aux éditions de la Bonne Presse, avec des notes doctrinales et historiques rédigées par l’abbé Alphonse David.

. “ L’affaire de Bordeaux ” et l’exclusion de la FSSPX des abbés Laguérie et Héry ont fait couler beaucoup d’encre depuis la fin du mois d’août. La “ grande ” presse (Le Figaro, Le Monde, Libération, La Croix) lui a consacré des articles, sans comprendre d’ailleurs les enjeux et les véritables raisons d’une affaire qui semblait ne devoir intéresser, au départ, que le microcosme traditionaliste.

Des sites internet se sont même créés qui reproduisent la plus grande partie des déclarations et articles sur le sujet et un certain nombre de documents ; les deux principaux sites étant www.les.infos.free.fr et crisefraternite.com.

L’exposé le plus complet et le plus objectif (bien qu’émanant d’une des parties prenantes dans l’affaire) me semble être le dossier de huit pages que publie le n° 100 de DICI, daté du 10 septembre 2004[2]. On y trouve trois textes : “ Les faits reprochés ” par l’abbé Lorans, “ Les ouvertures faites à M. l’abbé Philippe Laguérie par les Supérieurs de la Fraternité ” par l’abbé de Cacqueray, Supérieur du district de France, et “ Réponses à des rumeurs sur la Fraternité Saint-Pie X ” par l’abbé Celier.

Certaines informations ou appréciations contenues dans ce numéro de DICI sont des allusions à décrypter. On remarquera aussi, dans ce dossier de DICI, le silence fait sur certaines personnes et sur certains points (publics ou non) de l’affaire.

Quoi qu’il en soit, la querelle “ affaire des séminaires ” devenue “ l’affaire de M. l’abbé Philippe Laguérie à Bordeaux ” – la formule est de DICI –, n’aura pas ébranlé la FSSPX. Un des protagonistes de l’affaire, à ses débuts, estimait que c’était là “ la plus grave crise qu’ait connue la Fraternité depuis ses origines ”. Il semble que l’évolution de la situation démente ce pronostic. Certes à Bordeaux comme à Paris (autour de Saint-Nicolas-du-Chardonnet), certains des fidèles attachés à la FSSPX ont pris bruyamment la défense des abbés sanctionnés et exclus mais, comme lorsque l’abbé Aulagnier a quitté la FSSPX, il n’y a pas eu de division publique au sein de la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre. Dans les prieurés, comme dans les écoles, les prêtres continuent leur apostolat et portent des jugements divers sur l’affaire.

. Le site électronique suisse “ Religioscope ” (www.religion.com), dirigé par Jean-François Mayer, spécialiste des mouvements religieux contemporains, publie un long entretien avec Emile Poulat. L’entretien– quatorze pages en version papier – porte sur le dernier livre de celui-ci, Notre laïcité publique.

Émile Poulat expose les principes thèses et analyses de son livre, mais avec une liberté de ton et de style qui offre des formulations différentes et parfois clarificatrices.

Émile Poulat demande de “ bien distinguer la laïcité institutionnelle, la laïcité qui nous gouverne, par opposition à l’idée que chacun peut s’en faire, qui est du domaine privé. ” Il estime qu’en 1905, il n’y a pas eu “ séparation ” de l’Eglise et de l’Etat. Il fait remarquer à juste titre : “ …on constate que le mot séparation qui figure dans les discours, ne figure pas dans le texte de la loi. Il figure dans le titre, sans aucune valeur légale. On s’aperçoit que, dans la réalité, il s’agit de tout autre chose. Autrement dit, la loi de 1905 que personne n’a lue, ou très peu, est largement mythique aujourd’hui. Je peux même dire que je ne connais aucun professeur de droit qui soit capable de la commenter exhaustivement à ses étudiants. Il y a des mots que nous ne comprenons plus, des articles qui nous laissent pantois. Autrement dit, il faudrait aujourd’hui une sorte d’édition critique de la loi de 1905 avec des commentaires, des gloses, un peu à la manière des exégètes dans leurs commentaires de l’Evangile. ”

Émile Poulat n’est pas loin de croire, semble-t-il, à une laïcité pacifiée aujourd’hui. Sans méconnaître qu’il existe “ une culture laïque qui est, en somme, libre exaministe et critique ”, et donc anticléricale, il pense qu’au fil du temps, ce sont les partisans d’ “ une loi de pacification ” qui l’ont emporté.

Tout en reconnaissant l’importance et le grand intérêt du travail de clarification mené par Emile Poulat dans son dernier livre, Notre laïcité publique, on restera moins optimiste sur les intentions de ceux qui, aujourd’hui, veulent faire respecter la laïcité et cherchent à l’inscrire encore davantage dans la loi, donc dans la société française. Jean Madiran, dans Présent de ce jour, met en lumière “ La force souterraine du principe de laïcité ”[3]. Il attire l’attention sur l’intention affichée du législateur comme du Président de la République, Jacques Chirac, dans la récente loi sur la laïcité : faire en sorte que “ les consciences des enfants soient protégées des influences religieuses ”.

La laïcité “ à la française ” n’est plus une guerre ouverte contre l’Eglise, elle s’accommode de l’Eglise catholique, comme des autres forces religieuses ou culturelles, elle ne discrimine pas, mais elle entend que l’Eglise catholique ne remette pas en cause les principes qui la fondent : “ Non à une loi morale qui primerait la loi civile ! ” selon la formule désormais célèbre de Jacques Chirac[4].

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NOTES

[1] La Documentation catholique, 3 rue Bayard, 75008 Paris, n° 2320, 5/19 septembre 2004, 5 euros le numéro.

[2] DICI-Presse, Etoile du Matin, 57230 Eguelshardt, 2 euros le numéro.

[3] Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris), n° 5667, samedi 18 septembre 2004, 2,30 euros ce numéro.

[4] On renverra aussi aux bonnes analyses de Rémi Fontaine, La Laïcité dans tous ses débats. Christianisme et laïcise en dix cas d’école, préface de Dom Gérard, Editions de Paris (13 rue Saint-Honoré, 78000 Versailles), 116 pages, 16 euros.