samedi 18 février 2006

[Aletheia n°89] Saint-Siège/Fraternité Saint-Pie X: vers une réconciliation? - et autres textes

Aletheia n°89 - 19 février 2006

Saint-Siège/Fraternité Saint-Pie X: vers une réconciliation?

L’information religieuse en France, est, en général, d’une grande pauvreté quand il s’agit des décisions et actes du Saint-Siège. Très peu de journaux ont un correspondant permanent au Vatican et la plupart des journaux se contentent de recopier les dépêches des agences de presse ou d’y puiser la matière de leurs commentaires. Les publications “ traditionalistes ”, pour beaucoup d’entre elles, ne sont guère mieux au fait de l’actualité vaticane. Dans le dossier actuel qui les intéresse au premier chef en ce moment – la réconciliation possible entre la Fraternité Saint-Pie X et la “ libéralisation ” de la messe selon le rite ancien –, aucune information nouvelle ou inédite ne transparaît. Trop souvent, les publications traditionalistes se recopient les unes les autres, ou, pour diverses raisons, elles n’osent divulguer les informations en leur possession.

Aletheia a été la première, en France, à faire état de la rencontre du 15 novembre dernier entre le cardinal Castrillon Hoyos et Mgr Fellay. Depuis, cette rencontre a été évoquée (non sans erreurs) et commentée par divers organes français ; mais déjà d’autres événements s’étaient produits qui ont ajouté au dossier.

La presse italienne, catholique ou non, est, beaucoup mieux au fait des questions vaticanes. En France, on ne compte guère que deux ou trois authentiques vaticanistes[1], en Italie, ils sont bien plus nombreux. Le journaliste Andrea Tornielli, du Giornale, ou l’historien Sandro Magister, de l’Espresso, sont parmi les informateurs les plus au fait des événements, et les plus indépendants. La connivence ou l’hostilité systématique ne font pas un bon vaticaniste.

Par exemple, la récente nomination de Mgr Fitzgerald comme nonce apostolique en Egypte et délégué auprès de la Ligue arabe a été interprétée, par certains milieux commentateurs français, comme une “ mise à l’écart ” de celui qui était, depuis 2002, Président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux. Il faudrait voir dans cette nomination ; le signe que Benoît XVI était en désaccord avec celui qui avait présidé à tant d’initiatives, contestées, en matière de dialogue avec les religions non-chrétiennes. Or, on peut considérer tout au contraire que Benoît XVI, en procédant à cette nomination, a voulu placer, dans un poste avancé du dialogue avec les musulmans, un prélat avec lequel il est en consonance doctrinale (cf. le livre d’entretiens entre Mgr Fitzgerald et Anne Laurent, recensé dans Aletheia le 1er janvier dernier).

Autre événement à l’interprétation délicate : la réunion des différents chefs des dicastères de la Curie, le 13 février dernier, autour de Benoît XVI a réuni, pour évoquer la question de la réconciliation du Saint-Siège avec la Fraternité Saint-Pie X. Plutôt que de commenter l’événement, je préfère offrir au lecteur la traduction de l’article, bien informé et intéressant, qui est paru il y a deux jours dans le quotidien italien l’Indipendente.

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LEFEBVRISTES : VERS LA FIN DU SCHISME - par Tommaso Debenedetti

Le schisme entre l’Eglise de Rome et les traditionalistes héritiers de Mgr Lefebvre est en voie d’être résolu. L’information, désormais donnée pour certaines même si elle n’est pas encore officielle, est venue de la réunion des trente chefs de dicastère que le pape Benoît XVI a organisée, à huis clos, l’autre jour au Vatican. Un seul thème était à l’ordre du jour : la possibilité de révoquer l’excommunication qui a frappé quatre évêques en 1988 suite à leur consécration par Mgr Lefebvre, et la possibilité de leur consentir, et aux fidèles qui les suivent, l’usage du Missel en vigueur avant la réforme voulue par Paul VI à la suite du concile Vatican II.

La convocation de la réunion était déjà en elle-même un fait très nouveau, peut-être le premier exemple de cette “ collégialité ” dans le gouvernement de l’Eglise que Ratzinger a défini, depuis un certain temps déjà, comme une des lignes directrices de son pontificat. Les chefs de dicastère, en fait, ont été appelés à évaluer, avec le Pape, les voies les plus rapides, et juridiquement les plus valides, pour arriver à ce que Benoît XVI veut de toutes ses forces : c’est-à-dire la fin de toute dissension avec la Fraternité Saint-Pie X (c’est le nom officiel de l’organisation qui regroupe les disciples de Mgr Lefebvre, soit 4 évêques, quelque 500 prêtes et des centaines de milliers de fidèles sur les cinq continents). En réalité, Ratzinger n’avait pas vraiment besoin de cette consultation : c’était déjà lui qui, sous le pontificat de Jean-Paul II, s’occupa pendant plus de dix ans de cette délicate question. Il est connu, de fait, que Wojtyla a souffert énormément de devoir infliger cette excommunication et de signer la naissance du seul schisme de l’ère contemporaine[2], et il avait demandé à son ami théologien, fort de son incomparable connaissance doctrinale, de tout faire pour que la division cesse.

Benoît XVI, qui une fois élu Pape a tout de suite décidé de rouvrir le dossier pour le résoudre en un temps bref, a voulu en fait s’assurer d’un ample consensus et de conseils juridiques et techniques pour prendre la décision qu’il avait depuis toujours considérée comme une absolue priorité. Dans la réunion de lundi, le Souverain Pontife a exposé les résultats de la rencontre qu’il a eue le 29 août dernier à Castel Gandolfo avec les responsables de la Fraternité Saint-Pie X, et il a demandé aux chefs de dicastère d’exposer leur jugement sur le sujet et de faire les suggestions adaptées : un document sera élaboré et sera présenté au Pape au cours d’une autre réunion, déjà fixée au 23 mars, document qui – selon les informations que nous avons recueillies – signera non seulement la révocation de l’excommunication, mais la véritable fin du schisme. Une réconciliation, néanmoins, qui devra avoir l’indispensable accord des lefebvristes, lesquels, au moins jusqu’à ces derniers mois, refusaient complètement la demande du Vatican d’accepter le Concile. Selon des sources très proches du Pape, Benoît XVI aurait voulu cette consultation des chefs de dicastère pour manifester que le choix de cette réconciliation n’était pas seulement un acte personnel mais comme un geste solennel de réconciliation accompli par l’Eglise catholique en son entier dans sa plus ample et représentative acception.

Il semble que Ratzinger a étudié attentivement avec les prélats les plus directement concernés par le dialogue avec les lefebvristes, c’est-à-dire le cardinal Arinze responsable de la liturgie et Castrillon Hoyos préposé au Clergé et aux rapports avec les lefebvristes, les modalités pour réussir à récupérer les schismatiques avec une formule qui trouve leur assentiment. “ Le Saint Père ”, confirme un de ses collaborateurs, “ est déterminé à trouver une solution dans des délais très brefs, solution dont on est prés de trouver le point d’appui juridique qui convienne, naturellement sans porter atteinte aux principes fondamentaux de l’Eglise, de son histoire et des dispositions auxquelles aujourd’hui elle se tient. ”

Un compromis, donc ? “ Dans une telle matière ”, répond le collaborateur du Pape, “ il n’existe pas de compromis, au moins dans le sens courent et facilement équivoque du terme, mais il existe des médiations fructueuses, surtout quand, entre les deux parties, la volonté d’arriver est intense. ” À la question si le 23 mars est la date juste, il a été répondu : “ Pour nous, oui ”.

Personne, au Vatican, ne le dit clairement, mais la rumeur, récurrente, semble fondée selon laquelle Benoît XVI lui-même maintient personnellement, au moins avec une certaine fréquence, des contacts directs avec la Fraternité Saint-Pie X. On parle de contacts téléphoniques répétés et très discrets entre Ratzinger et l’évêque lefebvriste Fellay, contacts par lesquels aurait mûri chez les traditionalistes une disponibilité bien supérieure à celle exprimée dans les communiqués officiels.

Justement les résultats désormais encourageants de tels contacts auraient conduit Ratzinger à la convocation des deux réunions de lundi et du 23 mars et l’auraient incité à en faire l’annonce à l’extérieur, choses qui auraient été évitées s’il n’y avait pas eu un climat d’optimisme motivé. Beaucoup de temps semble avoir passé depuis fin août lorsque, commentant la rencontre entre le pape et l’évêque lefebvriste, un important prélat disait : “ Le dialogue est engagé, et il aura les résultats espérés, mais il faudra des années. ” Au contraire, grâce à l’action personnelle de Benoît XVI, il aura fallu – et tout le laisse croire – peu de mois. Une nouvelle confirmation de l’extraordinaire méthode de travail de ce Souverain Pontife, qui refuse les grandes initiatives médiatiques, mais qui, opérant avec ténacité et intelligence, arrive à des résultats surprenants, qui laissent une marque dans l’histoire de l’Eglise et étonnent le monde.

Article paru dans L’Indipendente le vendredi 17 février 2006

(traduit par nos soins)

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Benoît XVI et la “ réforme de la réforme ”

Il est bien connu que le cardinal Ratzinger s’était prononcé pour une réforme de la réforme liturgique, pour un “ nouvel élan ” liturgique qui ne soit pas, comme après le concile Vatican II, une “ dévastation ”, la mise en œuvre d’une “ liturgie fabriquée ” mais un “ processus vivant de croissance ”[3]. Convaincu que “ la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie ”, le cardinal Ratzinger en appelait, dans un autre livre, à “ un nouveau mouvement liturgique, qui donne le jour au véritable héritage du concile Vatican II ”[4].

Les traditionalistes qui croient que Benoît XVI pourrait être le Pape qui restaurera, dans toute l’Eglise, la messe traditionnelle, se trompent. Benoît XVI, sans mépriser l’ancien rite, est déterminé, sans doute, à favoriser plus largement son usage. Mais aussi, il estime, en historien et en théologien, que l’évolution de la liturgie, multiséculaire, doit se poursuivre, dans le sens d’une rectification du rite nouveau, et même par l’intégration de l’ancien et du nouveau.

À titre documentaire, je reproduis ici une lettre importante qu’il a adressée au Professeur Heinz-Lothar Barth, professeur de philologie grecque et latine à l’Université de Bonn, le 23 juin 2003. Les pensées exprimées par le cardinal Ratzinger, il y a près de trois ans, peuvent certainement éclairer les actes celui qui est devenu Benoît XVI :

Très cher Docteur Barth,

Je vous remercie de votre lettre du 6 avril, à laquelle je n’ai pu trouver le temps de répondre que maintenant. Vous me demandez de m’engager pour l’autorisation plus étendue du rite romain ancien. Vous savez déjà qu’une telle demande auprès de moi ne tombe pas dans les oreilles d’un sourd, mon engagement dans cette affaire est maintenant connu par tout le monde.

Est-ce que le Saint Siège à propos du rite ancien “l’autorisera de nouveau dans le monde entier et sans restriction” - comme vous le souhaitez et comme la rumeur s’en répand ? On ne peut pas répondre à cette question de manière absolue. Trop forte est encore chez beaucoup de catholiques - endoctrinés depuis des années – l’aversion pour la liturgie traditionnelle, qu’ils qualifient de manière méprisante de “pré conciliaire”, et aussi, d’un autre côté, beaucoup d’évêques montreraient une opposition déterminée à une autorisation générale.

La situation est différente si on n’envisage qu’une autorisation limitée; car la demande de la liturgie ancienne est limitée. Je sais que sa valeur ne dépend naturellement pas de la demande, mais la question du nombre des prêtres des et laïcs intéressés a cependant une certaine importance. Une telle mesure ne peut être réalisée que progressivement aujourd’hui, une trentaine d’années après la réforme liturgique du Pape Paul VI. Maintenant il faut avancer pas à pas, chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats.

Mais je crois que dans l’avenir l’Eglise romaine devra avoir à nouveau un seul rite ; l’existence de deux rites officiels est dans la pratique difficilement “gérable” pour les évêques et les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé dans la tradition du rite ancien; il pourrait intégrer quelques nouveaux éléments, qui ont fait leurs preuves, comme de nouvelles Fêtes, quelques nouvelles Préfaces dans la messe, un Lectionnaire élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop - une Oratio fidelium, c’est-à-dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus de l’Offertoire, où jadis il avait sa place.

Très estimé Dr Barth, si vous vous engagez ainsi pour la question liturgique, vous ne serez pas seul et vous préparez “l’opinion publique de l’église” à des mesures éventuelles en faveur d’un usage plus large des manuels liturgiques anciens. Mais on doit être prudent en n’éveillant pas des espoirs trop forts, des attentes trop grandes auprès des fidèles attachés à la Tradition.

Je profite de cette occasion pour vous remercier de votre engagement appréciable en faveur de la liturgie de l’Eglise romaine, par vos livres et vos conférences, même si je souhaiterais ici et là plus d’amour et de compréhension pour le Magistère du Pape et des évêques. Que la graine, que vous semez, grandisse et porte beaucoup de fruits pour une vie renouvelée de l’Eglise, dont “la source et le sommet”, son véritable cœur, est et doit rester la liturgie.

Je vous donne volontiers la bénédiction demandée et je reste de tout cœur

Vôtre

Josef Cardinal Ratzinger

Lettre publiée sur le site allemand de Wolfang Lindemann, traduction revue par nos soins.

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NOTES

[1] Les informations, analyses et commentaires du vaticanista (“ vaticaniste ” ou “ vaticanologue ”) sont le fruit d’une connaissance solide des questions religieuses, d’une familiarité avec le fonctionnement du Saint-Siège et d’un réseau d’information suffisamment étendu dans les milieux de la Curie.

[2] On pourrait en ajouter un autre : le schisme chinois, depuis le pontificat de Pie XII ; schisme en voie d’être résolu lui aussi, mais par une méthode différente (Y.C.).

[3] Ces expressions se trouvent dans sa présentation du livre de Mgr Gamber, La réforme liturgique en question, Editions Sainte-Madeleine, 1992, p. 6-8.

[4] Joseph Ratzinger, Ma Vie. Souvenirs, Fayard, 1998, p. 135.