vendredi 18 octobre 2002

[Aletheia] Revue des revues

Yves Chiron - Aletheia n°34 - 18 octobre 2002

Revue des revues

. Oremus (11 avenue Chauchard, 78000 Versailles), n° 13, septembre 2002, ce numéro 3 euros.

Ce numéro d' Oremus, "Bulletin d'information consacré à la liturgie catholique latine traditionnelle", est très précieux car il fait, quatorze ans après la publication du motu proprio Ecclesia Dei afflicta, un bilan chiffré de son application en France, "un des pays où la messe traditionnelle est certainement la plus répandue".

Sur 93 diocèses de France métropolitaine, 51, seulement, offrent aux fidèles, de manière hebdomadaire, une messe traditionnelle. Il faut lire les autres statistiques détaillées qui font un point précis de la situation. Par exemple, dans plus d'un diocèse français sur trois (35 %), la messe traditionnelle n'est même pas célébrée une fois par mois.

Si l'on prend en compte les lieux de culte où la messe traditionnelle est célébrée sans autorisation de l'évêque du diocèse — il s'agit essentiellement des églises, chapelles et prieurés de la Fraternité Saint-Pie X—, on atteint des chiffres beaucoup plus élevés : aux 82 messes traditionnelles "Ecclesia Dei" célébrées chaque dimanche en France, s'ajoutent 164 autres messes dominicales traditionnelles grâce, essentiellement, à la FSSPX.

. Présent (5 rue d'Amboise, 75002 Paris), numéros des 16 et 17 octobre 2002, 1,50 euros le numéro (abonnement d'un an : 301,85 euros).

En écho à ce numéro d'Oremus, Jean Madiran, dans deux numéros successifs de Présent, a scruté "Quarante ans d'évolution conciliaire". Il fait remarquer que les "apports positifs du Magistère", indéniables (les encycliques Veritatis splendor et Fides et ratio, par exemple), "n'ont cependant donné aucun coup d'arrêt ; ni même aucun coup de frein". En France, du moins, et en matière liturgique, du moins.

Évoquant les lieux de culte traditionnel, et aussi, ce qui n'est pas accessoire mais lié, les écoles et le catéchisme, Jean Madiran note :

"quoi que l'on puisse penser de certaines tactiques risquées, de certains propos largement excessifs ou de certaines situations délicates de la FSSPX, c'est bien ici et pour cela que nous n'esquivons pas la nécessité d'en prendre acte : face à l'évolution conciliaire, la FSSPX a raison sur le fond. Elle n'est pas la seule. Sociologiquement, c'est elle qui a le poids principal."

. Kephas (8 bis, boulevard Bessonneau, 49100 Angers), n° 3, juillet-septembre 2002, ce numéro 15 euros.

La revue, dirigée par M. l'abbé Le Pivain, contient d'intéressants échos sur un colloque consacré au cardinal Charles Journet à Fribourg en avril dernier. On lit aussi, entre autres choses, une étude historique sur Joseph II et le joséphisme par l'abbé Vincent Richard et un article de Denis Sureau consacré à l'essai, très intéressant mais peu remarqué, de William Cavanaugh, Eucharistie et mondialisation (Ad Solem, 2001).

Cav anaugh appartient au courant anglo-saxon de la Radical Orthodoxy, courant d'idées qui devrait attirer davantage l'attention des traditionalistes français. Dans Eucharistie et mondialisation, Cavanaugh analyse le phénomène actuel de la mondialisation comme l'aboutissement de la sécularisation et aussi, thèse assez iconoclaste, comme l'aboutissement de la création des états-nations à l'époque moderne. Contre le mythe de l' "État sauveur", le jeune théologien américain revendique pour l'Eglise la nécessité de se poser en corps social alternatif et de refuser la distinction spirituel/temporel. Cavanaugh est aux antipodes de la pensée du Maritain seconde manière.

Au coeur de la thèse hardie de Cavanaugh, il y a une considération sur le rôle social de l'Eucharistie : "l'urgence, aujourd'hui, n'est pas de se ménager un moyen pour influencer le pouvoir laïc par le biais de la société mais plutôt de restaurer une pratique liturgique capable de redonner aux chrétiens la conscience de la dimension politique de la foi, et par là de produire des hommes de pouvoir dont le langage sera un langage de paix et de vérité."

. Le Sel de la Terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé), n° 42, automne 2002, ce numéro 14 euros.

Il ne passe pas de numéro de cette revue, depuis plusieurs années, dans lequel je ne sois pas épinglé, stigmatisé ou injurié. Dans ce numéro encore, dans trois articles différents, les Révérends Pères d'Avrillé me cherchent querelle pour des articles parus dans Présent ou dans Alètheia, à propos d'Evola, à propos de l'Opus Dei et à propos de Kephas et des éditions Ad Solem. Dans ce dernier article, où est mis en cause principalement Yves Daoudal, on ressort la vieille calembredaine d'une supposée "école de l'ésotérisme chrétien", à laquelle Daoudal et moi appartiendrions.

L'historienne Annie Kriegel, à propos des agissements de certains auteurs et responsables de la communauté israélite, avait dénoncé " une insupportable police juive de la pensée ". Faudrait-il donc parler aussi d' "une insupportable police avrilloise [ou avrillesque, comme on dit burlesque] de la pensée" ?

Combien de fois faudra-t-il répéter, comme je l'ai écrit ici-même, il y a plusieurs mois déjà : "Il y a dans l'oeuvre de Guénon, malgré quelques vues justes sur la crise de la civilisation moderne, trop d'impasses, d'illusions et de dérives qui rendent le plus grand nombre de ses pages inacceptables pour un catholique. Je donnerai volontiers tous les livres de René Guénon pour une seule page lumineuse de Jean Madiran."

Je pourrais dire exactement la même chose de Julius Evola, à propos duquel la revue Le Sel de la Terre publie, d'ailleurs, un article fort intéressant. Cet article, dû au professeur italien Paolo Taufer, et dont la suite paraîtra dans le prochain numéro de la revue, met opportunément en lumière la philosophie idéaliste qui est à la base de la pensée d'Evola et dévoile le ressort inquiétant des recherches initiatiques qu'il a menées par différentes voies. Assurément, Julius Evola n'est pas un maître catholique.

. AVE (Kapittelweg 11, 1216 HR Hilversum, Nederland), n° 7, septembre 2002, envoi gratuit.

AVE (Niieuwsbrief over Actuele VErschijningen), malheureusement accessible aux seuls lecteurs néerlandophones, est la meilleure revue existante consacrée aux apparitions mariales contemporaines. Dans la fidélité à l'enseignement traditionnel de l'Eglise sur ce sujet, chaque numéro trimestriel comprend des articles solides. Le dernier numéro paru contient, notamment, la lettre de l'évêque de Harlem, en date du 31 mai 2002, sur "Notre-Dame de tous les Peuples" (Amsterdam) ; une étude critique de Mark Waterinckx sur San Damiano et le décret de l'évêque de Wollongong, en date du 16 juin 2002, sur le voyant William Kamm, appelé "Little Pebble" (Australie).

mercredi 9 octobre 2002

[Aletheia] L'abbé Aulagnier - L’abbé Sulmont, Jean Madiran et la Croix - La Lettre à nos frères prêtres

Yves Chiron - Aletheia n°33 - 9 octobre 2002

L’abbé Aulagnier

Présent, dans son édition du 19 septembre dernier, a donné, discrètement, l’information suivante:

“Journaliste, créateur et directeur de plusieurs publications estimées, écrivain ecclésiastique d’une grande notoriété, notamment pour son livre paru en décembre 2000 : La Tradition sans peur (en collaboration avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn, préfacé par l’abbé Philippe Laguérie), l’abbé Paul Aulagnier vient, pour une raison jusqu’ici inconnue, d’être frappé d’une nouvelle sanction par ses supérieurs de la FSSPX. Il est envoyé à Québec comme aumônier d’une maison de retraite pour personnes âgées ; et surtout il a l’interdiction d’écrire. Cette interdiction-là est sans doute pour un écrivain, même ecclésiastique, la plus grave sanction possible.”

Je ne commenterai pas cet entrefilet. Je renverrai au dernier livre publié par M. l’abbé Aulagnier, La Tradition sans peur. Il est toujours disponible aux Éditions Servir, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris, 350 pages, 20 euros franco de port. L’abbé Aulagnier y exprimait des vues audacieuses et libres, tant sur la crise actuelle de l’Eglise que sur l’action de la FSSPX ( cf. Alètheia, n° 7, 5 janvier 2001).

Je ne rappellerai pas le rôle éminent qu’a eu l’abbé Aulagnier dans le combat de la Tradition : un des premiers membres de la Fraternité créée par Mgr Lefebvre, il a été durant dix-huit ans supérieur du district de France, période pendant laquelle il a fondé la revue Fideliter et il a présidé à la création de nombreux prieurés et de plusieurs écoles à travers la France. Puis il fut deuxième assistant du supérieur général de la FSSPX.

Je préfère renvoyer à l’image des premiers temps, héroïques, de la FSSPX ; image que rapporte le dernier biographe de Mgr Lefebvre : “En cette année 1972-1973, la Fraternité n’a d’apostolat qu’en Grande-Bretagne et en Californie, si l’on met à part l’humble aumônerie que l’abbé Aulagnier assure en France à l’école de filles de Mademoiselle Luce Quenette à Malvières, un village perdu que l’aumônier, un jour d’hiver, n’atteindra qu’en chaussant des skis” (p. 475).

Cette biographie de Mgr Lefebvre, écrite par Mgr Bernard Tissier de Mallerais, publiée par les éditions Clovis (B.P. 88, 91152 Etampes cedex, 719 pages, 24 euros), est la plus volumineuse qui ait été consacrée au fondateur de la FSSPX.

L’abbé Sulmont, Jean Madiran et la Croix

L’abbé Philippe Sulmont, le bien connu curé de Domqueur, attaché indéfectiblement au rite traditionnel et que les évêques successifs de son diocèse ont laissé en fonction, a adressé, le 3 septembre 2002, une lettre à Noël Copin. Celui-ci, ancien directeur de la Croix, avait publié, la veille, dans ce journal, un éloge du concile Vatican II, le qualifiant de “prophétique”.

L’abbé Sulmont lui écrivit alors : “Ce concile est en contradiction avec l’Evangile et toute la Tradition. (...) En fait, le bilan du concile est catastrophique”. Il citait aussi un extrait du dernier livre de Jean Madiran, La Révolution copernicienne dans l’Eglise (cf. Alètheia, n° 31, 3 septembre 2002).

Les verts propos de l’abbé Sulmont — et sans doute aussi l’annonce qu’ils seraient répandus dans son bulletin paroissial “répandu à 4000 exemplaires” — ont fait réagir Noël Copin.

Dans un article paru dans la Croix le 30 septembre dernier, Noël Copin fait allusion à la lettre de l’abbé Sulmont (sans le nommer, ni citer le bulletin où la lettre a paru) et il cite le nom de Jean Madiran (sans faire référence à son livre). On passera sur le procédé.

On s’ébahit, en revanche, de voir le nom de Jean Madiran et — presque —les références d’un de ses livres cités dans la Croix. C’est, sans doute, bien la première fois, depuis un quart de siècle au moins, qu’un livre de Madiran est — presque — recensé dans la Croix.

Les lecteurs curieux peuvent obtenir auprès d’Alètheia copie de la lettre ouverte de l’abbé Sulmont et de l’article-réponse de Noël Copin, en envoyant un timbre.

La Lettre à nos frères prêtres

L’abbé de La Rocque a repris la direction de la Lettre à nos frères prêtres, la “Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France”. L’adresse de cette publication est désormais : 2245 avenue des Platanes, 31380 Gragnague. On peut s’y abonner pour 7,5 euros (4 numéros par an).

Le dernier numéro paru contient de nombreux témoignages circonstanciés sur la façon dont les évêques de Nîmes et de Poitiers “entendent recadrer leur clergé”. Ce sont des faits à connaître. Mais on aimerait aussi que les initiatives en sens inverse, d’autres évêques de France, soient signalées aussi.

Le même numéro contient le texte d’une supplique qui a été adressée à Jean-Paul II, en 2001, pour demander que la célébration de la messe selon le rite traditionnel soit autorisée “sans clause restrictive”. Cette supplique a été signée par 250 prêtres incardinés dans les diocèses de France. C’est peu et c’est beaucoup à la fois. Mais, “organisée dans la discrétion, cette démarche s’est propagée au moyen du bouche à oreille et n’a touchée sur quatre cents prêtres”.

250 sur 400, c’est donc déjà beaucoup. Si l’on avait ajouté les prêtres religieux et les prêtres de la FSSPX, on aurait facilement doublé le nombre des signataires.

L’abbé de La Rocque fait remarquer que cinquante-quatre des signataires “ont été ordonnés dans les dix dernières années, dont vingt-sept depuis les JMJ parisiennes...”. On a envie de prolonger l’analyse : comment ces prêtres français, indépendants de la FSSPX, formés et ordonnés dans le nouveau rite, sont-ils restés attachés à la messe traditionnelle ? Le manichéisme n’est donc pas de mise dans l’analyse de la situation de l’Eglise.