dimanche 25 mai 2003

[Aletheia n°43] La Messe historique du 24 mai - Vers un accord avec la FSSPX ? - Un essai de l’abbé Barthe sur la liturgie

Yves Chiron - Aletheia n°43 - 25 mai 2003
La Messe historique du 24 mai
La messe selon le rite traditionnel célébrée hier, 24 mai, à la Basilique Sainte-Marie-Majeure par le cardinal Castrillon Hoyos, revêt une grande importance à différents points de vues. Je publie ci-dessous le compte-rendu (traduit de l’italien par mes soins) qu’a bien voulu m’envoyer Stefano Gizzi, précieux ami et bon historien :
Les suggestifs chants en grégorien, l’entrée solennelle du cardinal Dario Castrillon Hoyos, vêtu de fastueux ornements pontificaux, les amples volutes d’encens et la piété sincère des fidèles présents ont fait immédiatement comprendre la valeur et l’importance de la célébration à Sainte Marie-Majeure, qu’à bon droit on peut dire “ historique ”.
Cinq cardinaux ont assisté au sacré rite : Alfons Maria Stickler, Archiviste et Bibliothécaire émérite de la Sainte Eglise Romaine ; Jorge Medina Estevez, Préfet émérite de la Congrégation pour le Culte divin ; William Wakefield Baum, Pénitencier majeur émérite ; Bernard Law, archevêque émérite de Boston ; Armand Gaétan Razafindratandra, archevêque d’Antananarivo (Madagascar). Étaient présents aussi trois évêques : Mgr Luigi De Magistris, Pro-Pénitencier Majeur ; Mgr Julian Herranz ; Mgr Romer. Deux Pères abbés : TRP Dom Gérard Calvet, de l’Abbaye Sainte-Madeleine (Le Barroux) et Mgr Wladimir-Marie de Saint-Jean, abbé des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu.
Parmi les nombreuses autorités civiles : Mario Borghezio, de la Ligue du Nord ; Federico Bricolo, vice-président du groupe parlementaire de la Ligue du Nord au Parlement ; Gennaro Malgeri, député de l’Allianza Nazionale ; le Prince Sforza Ruspoli ; la Princesse Elvina Pallavicini ; le marquis Luigi Coda Nunziante ; le professeur Roberto De Mattei, professeur d’histoire moderne à l’Université de Cassino et conseiller de Gianfranco Fini, vice-Président du Conseil.
Dans le chœur étaient présents de très nombreux prêtres et séminaristes de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre et trois prêtres de l’Union sacerdotale Saint-Jean-Marie-Vianney de Campos.
Une représentation nombreuse de l’Ordre de la Milice du Temple (dirigée par son Grand Maître, le comte della Magione), avec l’habit caractéristique et le manteau blanc avec la croix rouge sur l’épaule et sur la poitrine, a attiré l’attention du public.
Fut remarquée l’absence de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X, tandis qu’étaient présents des fidèles des prieurés italiens et les Disciples du Cénacle de Velletri (fondées par don Francesco Putti), communauté très proche de la FSSPX.
La célébration a commencé, de manière un peu surprenante, par la lecture d’un message officiel du Saint-Père Jean-Paul II, signé par le Secrétaire d’Etat, le cardinal Angelo Sodano, par lequel le Souverain Pontife s’est “ uni spirituellement ” à la Sainte Messe célébrée avec le Missel Romain de 1962 dans la Basilique et “ au pieux hommage à la très Sainte Vierge Marie lui demandant d’intercéder auprès de Son Divin Fils, afin que tous les chrétiens soient levain de sainteté et de renouveau spirituel dans le monde d’aujourd’hui. ”
Le cardinal Castrillon Hoyos a célébré avec une grande solennité et dévotion, prenant un soin particulier, jusque dans les détails, au respect des prescriptions des rubriques du Missel Romain et créant un climat de recueillement spirituel vraiment remarquable et sincère.
Les différents groupes présents à la célébration (beaucoup provenaient de France) ont suivi les différentes phases de la cérémonie avec une particulière bonne tenue et conscience, à commencer par le Saint Rosaire, récité à genoux par beaucoup de fidèles.
Durant la Sainte Messe, l’attention et une ferveur sincère ont accompagné l’écoute de la Parole de Dieu, la grande prière du Canon Romain et la Sainte Communion.
L’homélie, très attendue, du cardinal Castrillon Hoyos s’est révélée d’un grand intérêt.
Divisée en trois parties, dans la première il a rappelé la doctrine traditionnelle sur la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu, commentant les enseignements du concile Vatican II sur la Madonne, à la lumière de la tradition constante de l’Eglise.
Dans la seconde partie, il a traité amplement du thème de la nécessité, pour les catholiques, de s’unir pleinement au Magistère du successeur de Pierre, avec des citations tirées du saint pape Léon et de saint Jérôme.
Dans l’intense partie conclusive, le cardinal Castrillon Hoyos a traité spécifiquement du rite de saint Pie V, précisant en toutes lettres que ce vénérable rite “ ne peut être considéré comme éteint ” et que “ l’antique Rite Romain conserve son droit de cité dans l’Eglise ”, dans la diversité des rites catholiques, soit latins soit orientaux.
Le célébrant a ensuite justifié pleinement l’utilisation du Missel Romain de saint Pie V avec une citation du concile Vatican II : “ la sainte Mère l’Eglise considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières ” (Sacrosanctum Concilium, 4).
Le cardinal Castrillon Hoyos, au nom des présents, a exprimé de vifs sentiments de gratitude au Saint Père, pour l’ “ exquise et paternelle compréhension qu’il montre à l’égard de ceux qui désirent maintenir vivante dans l’Eglise la richesse représentée par cette vénérable forme liturgique ”. Il a rappelé aussi que le rite de saint Pie V a nourri la foi personnelle de Jean-Paul II, dans son enfance, dans son ordination sacerdotale, lors de sa Première messe, dans sa consécration épiscopale, et jusqu’à la fin des années soixante.
En conclusion de son homélie, avec des paroles très diplomatiques, le cardinal a rappelé aussi les difficultés rencontrées par les fidèles traditionalistes dans beaucoup de diocèses et a cité les paroles du Pape : “ Soyez immensément reconnaissants au Saint Père pour l’invitation adressée aux évêques du monde entier “d’avoir une compréhension et une attention pastorale renouvelée pour les fidèles attachés à l’ancien rite“. ”
Après la conclusion de cette cérémonie solennelle, au chant du Christus vincit, cinq réflexions me sont venues à l’esprit :
1. Remerciement dévot et filial envers le Saint Père Jean-Paul II, envers le célébrant, les cardinaux et les prélats présents, pour la sensibilité manifestée.
2. Sentiments de filiale reconnaissance pour l’œuvre accomplie, dans les si tristes années soixante-dix, par Mgr Lefebvre, pour la défense de la Sainte Messe et du sacerdoce catholique, et dont de si nombreux fidèles ont reçu les fruits.
3. Si dans les années 1976-77, de la part des autorités romaines, s’étaient manifestées la même compréhension et la même sensibilité que dans cette période récente, Mgr Lefebvre non seulement n’aurait jamais été frappé de la déconcertante suspens a divinis, mais à l’occasion de la Sainte Messe de Lille et des ordinations sacerdotales du 29 juin 1976, il aurait reçu un message de félicitations de la part de la Secrétairerie d’Etat, avec la Bénédiction apostolique !
4. Si dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il y avait eu une célébration comme celle de Sainte-Marie-Majeure, Mgr Lefebvre, intrépide défenseur du rite de saint Pie V, y aurait-il assisté ? Je crois certainement que oui !
5. Les importantes affirmations du cardinal Castrillon Hoyos sur la “ non-extinction ” du rite de saint Pie V et sur le plein droit de cité dans l’Eglise du même vénérable rite, n’ont-elles pas besoin maintenant d’une sanction légale, par le moyen d’une notification de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, communiquée à tous les évêques, clarifiant ainsi toutes les vicissitudes et surmontant beaucoup d’hostilité préconçue ?
Avv. Stefano Gizzi
Président de l’Académie des Beaux-Arts de Frosinone
Conseiller communal de Ceccano



Vers un accord avec la FSSPX ?
Le souhait exprimé par Stefano Gizzi dans sa cinquième et dernière “ réflexion ” n’est pas un vœu pieux. D’autres sources apportent des informations qui laissent présager un accord possible entre la FSSPX et le Saint-Siège.
Dans la récente encyclique, Ecclesia de Eucharistia, Jean-Paul II avait annoncé la préparation, en cours, de “ normes liturgiques ”, “ avec des rappels d’ordre également juridique ”. La Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des sacrements, dirigée par le cardinal Arinze, est chargée de la préparation de ces normes. Selon des sources fiables et sérieuses, cet important document, à paraître entre octobre et décembre prochain, contiendra des normes strictes pour en finir avec “ la Messe autofabriquée ” (selon la propre expression du cardinal Arinze) mais aussi une plus large faculté concédée aux prêtres pour célébrer la messe selon le rite traditionnel.
Dans un propos rapporté dans la Croix, le 30 avril dernier, Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, voyait comme “ un geste important de la part de Rome ” la célébration annoncée à Sainte-Marie-Majeure pour le 24 mai. Il souhaitait aussi : “ Rome doit reconnaître que la messe de saint Pie V n’a jamais été abrogée ”. L’homélie du cardinal Castrillon Hoyos est venue répondre à cette demande. Enfin, Mgr Fellay souhaitait que “ Rome libéralise encore plus la célébration du rite tridentin ”. Les normes en préparation par la Congrégation pour le Culte divin contiendront, peut-être, cette autorisation sans préalable.
Si tel était le cas, une des deux conditions préalables posées par la FSSPX pour une réconciliation “ avec Rome ” serait remplie (l’autre étant la levée de l’excommunication de 1988). Mais rien n’assure, pour le moment, que le document en préparation à Rome concède une liberté complète et inconditionnelle pour le rite traditionnel.
En attendant, la FSSPX n’a pas rompu toutes relations avec le Saint-Siège, à l’inverse de ce qu’ont cru certains. Le père Georges Cottier, O.P. , Théologien de la Maison Pontificale, consulteur de plusieurs Congrégations romaines, reste en dialogue officieux avec des prêtres de la FSSPX mandatés par leur Supérieur général.
Celui-ci, dans un long entretien accordé au Giornale (25.4.2003), sans citer les noms d’interlocuteurs, a reconnu : “ Les négociations continuent, elles ne sont pas mortes ”. Il a aussi porté un jugement “ très positif ” sur la récente encyclique sur l’Eucharistie. Contre le maximalisme de certains de ses prêtres, il a rappelé encore le jugement de la FSSPX sur la “ nouvelle messe ” : “ nous n’avons jamais dit que la messe de Paul VI était invalide et encore moins l’avons-nous jamais définie “hérétique“. Nous la considérons cependant nuisible et dangereuse pour la foi, parce qu’elle n’exprime pas clairement tout ce qui devrait être dit dans la messe. ”
Le 10 mai dernier, dans le quotidien Présent, Jean Madiran estimait : “ La célébration du samedi 24 mai sera une étape solennelle (peut-être l’avant-dernière) dans la lente sortie de l’ostracisme injuste qui depuis trente-trois ans frappe la messe traditionnelle ”. Elle aura été aussi, peut-être, une des dernières étapes avant la réconciliation de la FSSPX avec le Saint-Siège.



Un essai de l’abbé Barthe sur la liturgie
L’abbé Claude Barthe publie un essai très intéressant sur “ l’essence de la liturgie ”. Prêtre atypique à bien des égards – il ne dépend d’aucun diocèse ni d’aucune congrégation et il dirige avec Bernard Dumont la revue Catholica, qui occupe une place à part dans le paysage traditionaliste et antimoderne français –, il n’est lié à aucune autorité immédiate qui le contraigne ou limite sa liberté d’expression.
D’où ce livre libre, qui est aussi une belle méditation sur la liturgie qui “ fait l’Eglise dans le monde en recouvrant toutes choses terrestres d’une trame de sacré ”. Sans entrer dans toutes les démonstrations d’un livre qui expose que “ la grande “crise de conscience“ de la liturgie romaine a commencé en même temps que celle de la société occidentale ”, on s’attachera à la conclusion intitulée “ Une nécessaire transition ”.
L’abbé Barthe fait justement remarquer qu’ “ entre l’état présent et une inscription déterminée dans un processus de reconstruction, il faudra une période, plus ou moins longue, de transition. ” Il note aussi que cette transition est engagée, en France, en silence, dans un nombre de paroisses forcément difficile à déterminer. Autel “ remis à l’endroit ”, retour de la table de communion, canon romain en latin, et ce, dans un rite qui n’est pas le rite traditionnel, sans être non plus le rite Paul VI en français qui se célébrait encore jadis, dans la même paroisse, il y a dix ans. À la suite de l’auteur, on pourrait multiplier les exemples, tirés d’autres lieux. Réintroduction de l’exorcisme dans le rite “ réformé du baptême ”, multiplication des adorations du Saint-Sacrement dans les paroisses et tant d’autres redécouvertes. La pratique liturgique en France en 2003 n’est majoritairement pas celle qui prévalait en 1963, mais elle n’est plus celle non plus qui régnait en 1973 ou en 1983.
Claude Barthe, Le Ciel sur la terre, François-Xavier de Guibert (3 rue Jean-François Gerbillon, 75006 Paris), 146 pages.