lundi 24 décembre 2007

[Aletheia n°117] Le Cardinal Mystérieux - et son réseau - par Yves Chiron

Aletheia n°117 - 24 décembre 2007
LE CARDINAL MYSTRIEUX - et son réseau - par Yves Chiron
Un cardinal, qui a voulu garder l’anonymat, se serait confié au journaliste français et écrivain religieux Olivier Le Gendre. De leurs conversations a résulté un livre, au titre attirant : Confession d’un cardinal[1]. Le mystérieux cardinal livre ses Mémoires et porte des jugements « sans langue de bois » sur l’Eglise d’aujourd’hui nous dit la 4e de couverture.
Avant de considérer le contenu du livre, on s’interroge sur l’identité de ce mystérieux cardinal qui a pris le temps de longues conversations à Rome, en Avignon et dans un pays d’Asie (il s’agit, vraisemblablement, de la Thaïlande).
On apprend seulement, au fil des pages, qu’il a fait, en partie, ses études à Paris, mais qu’il n’est pas français ; qu’il avait 37 ans au moment de l’ouverture du concile Vatican (p. 247), qu’il a dirigé en tant que Préfet une Congrégation romaine ; qu’il a été créé cardinal en 1988, qu’il a pris « sa retraite » en 2000 (p. 31 et 277) et qu’atteint atteint par la limite d’âge (80 ans), à sept mois près, il n’a pas pu prendre part au dernier conclave (p. 81).
Muni de ces informations, on peut essayer de deviner quel est le prélat qui serait né en septembre 1924, qui aurait été créé cardinal en 1988 et qui aurait été chef de dicastère à Rome jusqu’en 2000. On n’en trouve aucun.
Qui a cherché à brouiller les pistes ? Le journaliste ou son interlocuteur ?
Certains ont cru pouvoir identifier le cardinal Silvestrini derrière le mystérieux interlocuteur d’Olivier Le Gendre. Certains éléments biographiques concordent : Silvestrini a bien été créé cardinal en 1988 et, de 1991 à 2000, il a dirigé la Congrégation pour les Eglises Orientales. D’autres, non : il est né en octobre 1923, il avait donc plus de 81 ans lors du conclave qui a élu Benoît XVI.
On peut émettre l’hypothèse que le mystérieux cardinal n’existe pas en tant que personne et que le livre qui paraît est l’expression d’un courant d’opinion présent dans le Sacré-Collège ; il serait donc l’écho de plusieurs voix cardinalices, dont celle du libéral Silvestrini.
Avant cet ouvrage, un autre livra anonyme était sorti des murs du Vatican : Le Vatican mis à nu par le groupe « Les Millénaires » (Robert Laffont, 2000). C’était la dénonciation, par un groupe subalterne de la Curie, de diverses affaires de mœurs et d’argent qui ont agité le Vatican ces dernières décennies. L’un des rédacteurs de ce livre a été identifié et sanctionné.
D’un niveau nettement plus relevé, cette Confession d’un cardinal n’en est pas moins l’expression, développée et argumentée, d’une opposition à Benoît XVI.
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Sur le plan factuel, on relèvera quelques étrangetés dans ce livre. Il s’ouvre sur un mystérieux personnage, Mgr Mijlk, dont on apprendra qu’il aurait joué un rôle d’intermédiaire financier entre le Saint-Siège et le syndicat polonais Solidarité. Or le nom de ce prélat n’apparaît dans aucune édition de l’Annuario Pontificio.
Autre scorie : on nous parle de Mgr Del Tron (p. 126), appelé ailleurs Mgr Tron (p. 127) ; il s’agit en fait de Mgr Giuseppe Del Ton, qui fut au Secrétariat aux Lettres latines sous Pie XII et Jean XXIII.
Certains ont pris comme des révélations les pages consacrées au financement de Solidarité par le Saint-Siège (qui, lui-même, s’alimentait à d’autres sources). L’information n’est pas nouvelle. Il y a eu de nombreux articles de presse sur le sujet, dans plusieurs pays, et, en France, un livre a évoqué le fait, de manière assez brouillonne il est vrai (Constance Colonna-Cesari, Urbi et Orbi. Enquête sur la géopolitique vaticane, La Découverte, 1992).
Le rôle de l’Eglise dans la fin du régime Marcos, aux Philippines, en 1986, est présenté encore comme une illustration de l’ « influence politique de l’Eglise ». Le fait est, lui aussi, bien connu. L’évêque auxiliaire de Manille, Mgr Bacani, en a fait un récit, très circonstancié et documenté, qui a été traduit en plusieurs langues (Eglise et politique aux Philippines, Cerf, 1987).
Benoît XVI, pape « par défaut »
En revanche, un des points saillants du livre du mystérieux cardinal tient dans la sévérité de son jugement sur Benoît XVI. Le cardinal, qui n’a pu prendre part au conclave à cause de la limite d’âge des 80 ans, a participé aux réunions préparatoires.
Il explique : « Cela faisait des mois et des mois que, nous, les cardinaux, nous nous attendions au décès de Jean-Paul II. Forcément, nous nous préparions à entrer en conclave » (p. 135). Au lendemain de la mort du pape, trois ou quatre noms ont émergé : « Nous évoquions la possibilité d’un pape d’Amérique latine aux racines européennes. Et nous pensions au cardinal Bergoglio […] et dont l’ascendance est italienne. Ou au cardinal Hummes de Sao Paulo qui est d’ascendance allemande. L’avantage de ces cardinaux était que leur origine et leur culture permettaient une sorte de transition entre l’Europe et l’Amérique latine. ».
Nombre des cardinaux jugés papabile par l’opinion ne l’étaient pas ; le cardinal anonyme le dit sans fard : Tettamanzi, de Milan, manquait « d’envergure intellectuelle », Scola, de Venise, « nous semblait un peu jeune », quant à Martini, l’ancien archevêque de Milan,  la maladie de Parkinson « le mettait hors course ».
Puis, explique le mystérieux cardinal, « tout est balayé » lors de la messe de funérailles de Jean-Paul II : « les analyses subtiles, les pondérations de critères, le choix d’une nationalité, la question de l’âge, le problème de l’expérience pastorale sur le terrain. Tout disparaît d’un seul coup au profit de la réponse à cette seule question : qui a les épaules assez solides et suffisamment d’autorité pour succéder à ce géant que nous sommes en train de mettre en terre ? » (p. 141-142).
Le nom de Ratzinger s’est alors imposé comme « candidat par défaut […] comme s’il n’y avait plus eu soudain d’autres candidats envisageables ! » Ce mouvement de beaucoup de cardinaux n’a pas échappé à l’intéressé : « Je sais que Ratzinger a souffert de devenir Benoît XVI. Je sais, parce que cela se lisait dans ses yeux, qu’il a vu venir l’inéluctable pendant la vacance du siège, et qu’il en a tremblé. Je crois qu’il a forcé ses discours durant cette période pour que chacun comprenne bien quelles étaient ses convictions, qu’il soit clair pour tous ceux qui commençaient à se tourner vers lui qu’il marcherait dans une direction précise. Que si on voulait de lui, il fallait le prendre comme il était. Il voulait que ce soit clair, qu’il n’y ait pas d’erreur sur la personne » (p. 82).
Le mystérieux cardinal regrette, à mi-voix, l’élection de Benoît XVI. Il espère qu’il ne s’agira que d’un pontificat de transition. Au passage, sans en faire l’essentiel de sa critique, il juge inopportune la restauration liturgique engagée par Benoît XVI : « Je crois qu’il ne sert à rien de renforcer artificiellement les expressions du sacré. […] Je crois qu’il est inutile, voire dommageable, de vouloir restaurer des attitudes et des habitudes » (p. 256).
Le mystérieux cardinal est critique aussi envers les « nouveaux mouvements » qui se sont développés dans l’Eglise ces dernières années (Opus dei, Focolari, Chemin Néocatéchuménal, Légionnaires du Christ) : « leur point commun est une fidélité proclamée au pape, au besoin en se libérant de l’autorité des évêques dans les diocèses où ils se trouvent. Leur pensée est conservatrice et leur théologie parfois approximative. Leur but proclamé est la nouvelle évangélisation, leur intention plus discrète est de peser dans l’Eglise et la société où ils se trouvent. À côté de leur agenda religieux coexiste un agenda politique déterminé » (p. 269).
Le réseau international Sarepta
C’est dans la dernière partie du livre, constituée des conversations qu’Olivier Le Gendre a eues avec le mystérieux cardinal en Thaïlande, que se révèle le véritable objectif poursuivi par cette étrange publication. « En Europe, lit-on, quand on réfléchit sur l’Eglise, on privilégie un point de vue très particulier, trop particulier. Celui de la crise, du divorce entre la culture dite postmoderne et la culture chrétienne, de la baisse d’influence du magistère, toutes ces choses qui empoisonnent la vie et font bien dans les conversations. L’Eglise en Europe est encore sous le choc du traumatisme subi à la suite de l’effondrement de la société chrétienne. Elle n’arrive pas à s’en remettre. Du coup, bon nombre de responsables s’accrochent à l’idée et au projet de recréer une société chrétienne comme elle existait auparavant » (p. 313).
Le mystérieux cardinal non seulement ne croit pas possible une telle restauration, mais il juge nécessaire de proposer une nouvelle « alternative » et de « renouveler la façon d’être chrétien ».
Il évoque un réseau, déjà existant, qui partage le même projet  : « Nous sommes un certain nombre de personnes un peu partout dans le monde qui avons appris à nous connaître et qui pensons que des questions doivent être posées et des réponses apportées. Nous jugeons que ces questions n’ont pas été vraiment posées dans l’atmosphère très particulière du dernier conclave et des dernières années de la vie du pape Jean Paul. Nous voulons que ces questions soient entendues. »
Le cardinal se défend d’être partie prenante d’un « complot », d’un « réseau secret », de « consignes », de « stratégies souterraines », mais il convient qu’un certain nombre d’hommes d’Eglise, de responsables de mouvements religieux et d’associations se rencontrent discrètement, échangent des expériences et prennent des « initiatives ».
En note, discrètement, est donné le nom du site qui, depuis quelques mois, fait le lien entre ces hommes d’Eglise et ces chrétiens : sarepta-org.net. Si on consulte ce site, on constate qu’il n’est accessible qu’aux membres du « réseau », et l’on y trouve un exposé succinct des « convictions » de ses membres :
«• la « crise » de l’Eglise n’est pas due à des causes récentes, objets des querelles stériles entre progressistes et traditionalistes,
• le message chrétien sera à nouveau audible si des personnes de foi ont le souci d’incarner, là où elles vivent et au service du monde, la tendresse de Dieu,
• une myriade d’initiatives individuelles ou collectives sont menées dans cet esprit ,
• ces initiatives sont discrètes, vécues dans la prière, l’ouverture aux plus pauvres, le souci de donner à la foi chrétienne une expression aussi proche que possible de l’Evangile.»
Ce langage minimaliste, qui rappelle celui de Taizé ou de l’Arche de Jean Vanier, se double d’une volonté déterminée : « Nous nous connaissons, nous nous reconnaissons, dit le mystérieux cardinal. Nous parlons, nous collaborons, nous essayons de convaincre. Nous agissons sous des formes multiples. Nous pesons autant que nous pouvons sur le déroulement des événements. »
Cette Confession d’un cardinal est visiblement une des « initiatives » du réseau Sarepta.
Yves Chiron
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L’auteur du « Discours du Latran »
Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le jeudi 20 décembre à Rome, dans la basilique du Latran, a suscité des controverses parce que le Président de la République a affirmé : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » et « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses origines chrétiennes ». Faisant référence à l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, le Président de la République a aussi longuement évoqué la nécessité d’une espérance qui ne soit pas que temporelle.
On s’en doute, ce long discours du Latran n’a pas été rédigé, pour l’essentiel, par Nicolas Sarkozy, mais il l’a fait sien en le prononçant[2].
En 2004, Nicolas Sarkozy a publié un livre, La République, les religions, l’espérance (Cerf, 2004), livre d’entretiens avec Thibaud Collin et le P. Philippe Verdin, dominicain.
On retrouve le P. Verdin parmi la délégation qui a accompagné Nicolas Sarkozy au Vatican, on retrouve l’espérance, et d’autres thèmes du livre, dans le discours du Latran. Le P. Verdin ne serait-il pas l’auteur principal du discours du Latran comme Henri Guaino est l’auteur principal du discours de Dakar, qui, lui aussi, a fait controverse ?
Y.C.
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Réabonnement 2008    
Avec ce numéro 117, s’achève la septième année de parution d’Aletheia ; année qui aura été marquée par l’événement du 07.07.07, comme dit Jean Madiran.
Aletheia a rempli, une fois encore, son contrat : donner, quinze fois par an, librement, sans souci de plaire ni crainte de déplaire, des informations et analyses au service de la Vérité et de l’Eglise. Et ce, dans un format plus que modeste.
Je remercie les journaux et revues qui font honnêtement référence à Aletheia lorsqu’ils y puisent quelque information ou analyse qu’ils ne trouvent pas ailleurs ; je ne remercie pas ceux qui – tel Golias – y pillent un document inédit sans citer le lieu de leur découverte…
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[1] Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal, JC Lattès, 2007, 413 pages.
[2] On peut obtenir le texte intégral du « Discours du Latran » (4 pages) auprès d’Aletheia.

samedi 1 décembre 2007

[Aletheia n°116] Une encyclique dur l'Espérance - par Yves Chiron

Aletheia n°116 - 30 novembre 2007
UNE ENCYCLIQUE SUR L’ESPERANCE - par Yves Chiron 

Ce 30 novembre paraît la deuxième encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi (« Sauvés dans l’espérance »). Après la Charité (Deus Caritas, 2006), c’est la seconde vertu théologale, l’Espérance, qui fait l’objet d’une encyclique. Viendra, plus tard, une troisième encyclique, consacrée à la Foi. Mais, déjà, dans cette encyclique sur l’Espérance, la Foi est centrale.
Le Souverain Pontife se souvient qu’il a été professeur et ce sont de denses « réflexions » (§ 30) qu’il livre aux chrétiens, plutôt qu’une simple méditation spirituelle. Il cite souvent l’Ecriture et, longuement, à plusieurs reprises, saint Augustin. Son encyclique est aussi une encyclique de combat contre le nominalisme de Luther, le subjectivisme de Kant, le matérialisme de Marx et la « dialectique négative » de l’Ecole de Francfort (Horkheimer et Adorno). Ernst Bloch et son « principe espérance » ne sont pas cités, mais, en creux, il est visé lui aussi par la réfutation menée par le pape.
La démonstration de Benoît XVI prend, dans sa première partie, le chemin d’une histoire intellectuelle, mais elle est vivifiée par la nouveauté de l’Evangile, qui n’est pas « uniquement une communication d’éléments que l’on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. »
Dans l’Antiquité, écrit le Pape, les dieux des païens « s’étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanait aucune espérance » (§ 2). L’Evangile, par la Parole de Dieu et la vie du Christ, vient apporter l’Espérance radicale que la « vie ne finit pas dans le néant ».
L’Espérance chrétienne n’est pas « un message social révolutionnaire » (§ 4), elle est en liens étroits avec la Foi. Dans une page très forte, le Pape réaffirme le sens objectif de la foi. S’arrêtant sur la définition donnée dans la Lettre aux Hébreux (11,1) – « La foi est la substance [hypostasis en grec] des réalités à espérer ; la preuve [elenchos en grec] des réalités qu’on ne voit pas » – , et se référant à saint Thomas d’Aquin, Benoît XVI montre comment Luther est à l’origine d’une déviance essentielle dans la conception de ce qu’est la foi. Elle n’a plus un « sens objectif » (une « réalité présente en nous ») mais un « sens subjectif » (« une disposition du sujet »).
Au passage, le Pape épingle, poliment, la traduction œcuménique du Nouveau Testament en allemand qui traduit ainsi le passage en question de la Lettre aux Hébreux : « la foi consiste à être ferme en ce que l’on espère, à être convaincu de ce que l’on ne voit pas ». « En soi, cela n’est pas faux, écrit le pape, mais ce n’est pas cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos) n’a pas la valeur subjective de ”conviction”, mais la valeur objective de ”preuve”. »
Ce n’est pas une querelle sémantique mais un point nodal : « la foi est la substance de l’espérance » réaffirme le Pape (§ 10). Si elle ne s’appuie pas sur la foi, l’espérance prend des formes nouvelles, qui s’éloignent toujours plus du sens chrétien et qui, aussi, éloignent du mystère chrétien.
Avec Francis Bacon, à l’aube de l’époque moderne, la science devient porteuse de toutes les potentialités : « grâce à la synergie des sciences et des pratiques, s’ensuivront des découvertes totalement nouvelles et émergera un monde totalement nouveau, le règne de l’homme. ». Avec les Lumières, « raison et liberté semblent garantir par elles-mêmes, en vertu de leur unité intrinsèque, une nouvelle communauté humaine parfaite. » Au XIXe siècle, la foi dans le progrès devient la forme commune de l’espérance humaine, y compris dans ses aspects les plus naïfs.
De façon plus théorique, Karl Marx prétendra apporter « une politique pensée scientifiquement, qui sait reconnaître la structure de l’histoire et de la société » et promet une sorte de messianisme sécularisé. Benoît XVI montre l’ « erreur » la plus profonde  de Marx : « Il a oublié que l’homme demeure toujours homme. Il a oublié l’homme et il a oublié sa liberté. Il a oublié que la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal. Il croyait que, une fois mis en place l’économie, tout aurait été mis en place. Sa véritable erreur est le matérialisme : en effet, l’homme n’est pas seulement le produit de conditions économiques, et il n’est pas possible de le guérir uniquement de l’extérieur, créant des conditions économiques favorables. »

Pour « une autocritique du christianisme moderne »

Benoît XVI n’est pas un subjectiviste kantien – comme l’en accuse une communication de colloque que, par charité et par respect, nous ne nommerons pas – , il n’est pas non plus « progressiste ». Pour lui, le progrès n’existe pas dans le domaine moral : « dans la connaissance croissante des structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une maîtrise toujours plus grande de la nature. À l’inverse, dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n’y a pas de possibilité équivalente d’additionner, pour la simple raison que la liberté de l’homme est toujours nouvelle et qu’elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions. »
Le Pape n’exempt pas le christianisme moderne d’errements au sujet de l’espérance. Les chrétiens, dit-il, « doivent apprendre de manière renouvelée en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu’ils ont à offrir au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir. Il convient que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres racines. »
Ni la science, ni la raison, ni le progrès n’apportent de réponse satisfaisante à l’interrogation et à l’attente des hommes. Dire que le christianisme, seul, apporte des réponses satisfaisantes ne suffit pas. Benoît XVI rappelle que la foi n’est pas seulement une connaissance du salut mais « produit des faits et « change la vie ».
La deuxième partie de l’encyclique montre donc quels sont, aujourd’hui, les « lieux d’apprentissage et d’exercice de l’espérance ». Le premier est la prière. Benoît XVI évoque longuement le témoignage du cardinal Nguyên Van Thuan, qui a passé treize ans dans les prisons communistes vietnamiennes,  et qui a trouvé dans la prière la force d’espérer. Non pas seulement d’attendre sa libération, mais de se mettre à « l’écoute de Dieu ».
L’autre « lieu d’apprentissage et d’exercice de l’espérance » est l’acceptation de la souffrance. « Comme l’agir, la souffrance fait aussi partie de l’existence humaine. » Parce que, dit le Pape, dans une considération très traditionnelle qui risque de passer inaperçue : « Elle découle, d’une part, de notre finitude et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire, s’est accumulée et qui encore aujourd’hui grandit sans cesse. »
Face à sa propre souffrance, le chrétien doit entrer dans une démarche d’acceptation et, face à la souffrance des autres, entrer dans une démarche de consolation, au sens étymologique latin (con-solatio) : « un être-avec dans la solitude, qui alors n’est plus solitude » dit bellement le pape (§ 38).
Le témoignage des martyrs est une autre forme d’espérance chrétienne : le don de soi-même est justifié par la « promesse » qui dépasse l’horizon terrestre. À l’exemple de Dieu, Vérité et amour, qui « a voulu souffrir pour nous et avec nous », le croyant peut être amené à placer « la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession ».
Dans une dernière partie, Benoît XVI traite des fins dernières (le Christ comme Juge, le Purgatoire, l’Enfer), qui ont tant disparu de la prédication catholique. Je ne prétendrai pas résumer ici l’enseignement du Pape sur le sujet. Je citerai simplement ce fort passage : « Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n’exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. […] À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé. »

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Notes de lecture - par Yves Chiron
Max Barret, Mgr Lefebvre tout simplement…, La Taillanderie (384 rue des Frères-Lumière, 01400 Châtillon-sur-Chalaronne), 144 pages, 10 euros.
Le chauffeur de Jacques Chirac, Jean-Claude Laumond, a publié ses souvenirs sous le titre Vingt-cinq ans avec Lui (Ramsay, 2001). Après un quart de siècle au service du futur Président de la République, il avait été remercié de son poste en 1997 et il réglait ses comptes dans un livre où alternaient « petite et grande histoire, galipette et galéjades, vie privée et vie publique ».
Max Barret a été, sur une durée à peu près équivalente, avec d’autres, le chauffeur de Mgr Lefebvre. Il publie, lui aussi, les souvenirs, intimes, qu’il garde du fondateur d’Ecône. Loin du règlement de comptes, son livre relève plutôt de l’hagiographie, ou plutôt de ces fioretti qui, mis bout à bout, ne font pas un portrait mais qui ajoutent des touches d’humanité aux livres historiques déjà existants.
De nombreuses photographies et la reproduction de lettres manuscrites de Mgr Lefebvre viennent marquer du signe de l’authenticité ces souvenirs sans prétention et déférents.
L’évocation du P. Eugène de Villeurbanne, le courageux fondateur des « Capucins de tradition », ajoute à l’intérêt du livre.
 

Joachim Bouflet, Ces dix jours qui ont fait Medj’, Editions CLD (31 rue Mirabeau, 37000 Tours), 347 pages, 21 euros.
Joachim Bouflet, qui est un bon spécialiste des phénomènes extraordinaires de la vie mystique, consacre aux origines de Medjugorje un livre pointilleux et ravageur. Il établit, d’après des sources diverses, ce qui s’est vraiment passé à Medjugorje entre le mercredi 24 juin 1981, jour de la première manifestation supposée surnaturelle, et le vendredi 3 juillet 1981, jour annoncé, à l’époque, comme étant celui de la dernière apparition.
Pourquoi les supposées apparitions ont-elle duré ensuite, et jusqu’à aujourd’hui ? Pourquoi aussi, des six voyants du 1er jour, deux n’ont plus « vu » ensuite, tandis que deux autres n’ont « vu » qu’à partir du 2e jour ?
On sera d’accord avec le jugement final de l’auteur :
…les adolescents et l’enfant ont-ils vraiment vu quelque chose ? Et, dans l’affirmative, qu’ont-ils vu ? Etait-ce réellement la Vierge Marie ? Au terme d’enquêtes rigoureuses, les évêques successifs de Mostar ont exclu cette éventualité. Il est vrai qu’ils ont eu à se prononcer sur un ensemble qui dépasse largement ces dix jours puisque, contre toute vraisemblance, la Vierge Marie aurait continué d’apparaître après avoir annoncé la fin des apparitions pour le 3 juillet et, qu’à partir de cette date, les événements ont basculé dans un registre visionnaire fort suspect auquel tous les voyants ont adhéré ; ces apparitions après les apparitions orchestrées par les Franciscains de Medjugorje, sont émaillées d’invraisemblances et de mensonges qui rendent difficilement crédible l’hypothèse d’une authentique mariophanie dans les dix premiers jours, encore qu’il puisse s’agir de réelles apparitions mariales parasitées dès le début par un (une, des) faux voyants et totalement déviés par la suite. Peut-être sommes-nous là en présence d’un véritable gâchis imputable surtout à des intérêts personnels très terre à terre…

dimanche 14 octobre 2007

[Aletheia n°115] Un évêque français contre la Franc-Maçonnerie

Aletheia n°115 - 13 octobre 2007
UN ÉVÊQUE FRANÇAIS CONTRE LA FRANC-MAÇONNERIE - par Yves Chiron
Il y a longtemps, plusieurs décennies au moins, un siècle peut-être, qu’un évêque diocésain français n’avait pas publié un livre pour mettre en garde les fidèles contre la franc-maçonnerie. Ce n’est pas que tous les évêques français aient été silencieux sur la franc-maçonnerie, mais, depuis la fin du pontificat de Pie XII, leurs interventions sur le sujet ont été rarissimes. Les initiatives qui penchaient vers la sympathie, voire la complaisance (rappelons les noms de Mgr Pézeril et de Mgr Thomas), ont été davantage médiatisées que les déclarations qui mettaient en garde.
Dans les dernières années, il y a eu, en France, deux interventions épiscopales pour rappeler, de façon argumentée, la condamnation de la franc-maçonnerie par l’Eglise : en 2002, Mgr Brincard, évêque du Puy, dans un long entretien à une radio chrétienne locale[1] et, en 2004, Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, dans un autre entretien, à la revue La Nef, entretien qui concluait un intéressant dossier sur le sujet[2]. Précisons que c’est Mgr Rey qui avait demandé à la revue de consacrer un dossier spécial sur le sujet.
Mgr Rey y revient dans un livre lumineux : Peut-on être chrétien et franc-maçon?[3] L’ouvrage est composé de six chapitres argumentés et de cinq annexes utiles.
Les six chapitres:
  • Comment définir la franc-maçonnerie?
  • Quelle est la position de l’Eglise catholique?
  • Sur quoi porte cette hostilité de l’Eglise catholique envers la franc-maçonnerie?
  • Sur quoi porte la condamnation de l’Eglise catholique?
  • Quelles sont les conséquences théologiques de cette opposition?
  • Influence de la franc-maçonnerie dans la société française?
Ces multiples approches sous forme d’interrogations ne doivent pas tromper sur la clarté du propos. La position de Mgr Rey est sans ambiguïté et elle est d’autant plus fortement affirmée qu’elle ne lui est pas propre mais celle de l’Eglise catholique : « La position de l’Eglise est donc constante depuis la naissance de la franc-maçonnerie. On ne peut être en même temps catholique et franc-maçon » (p. 11).
Cette incompatibilité fondamentale tient à l’essence même de la doctrine maçonnique. Mgr Rey rappelle : « La franc-maçonnerie anglo-saxonne confesse sa foi en Dieu, ”Grand Architecte de l’univers”. Cependant les Constitutions d’Anderson de 1723, texte de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent pas la moindre référence à Dieu en Jésus-Christ, ne mentionnent jamais la Sainte Trinité, le péché, le salut, la résurrection, la venue de l’Esprit-Saint… » (p. 6).
L’esprit apparent de tolérance de la franc-maçonnerie et le spiritualisme de ses rites ne doivent pas faire illusion. L’Église ne peut être d’accord ni avec son affirmation d’un ésotérisme (« le sens caché de l’univers » serait révélé à travers un enseignement secret), ni avec son relativisme qui aboutit à ce que « les religions se retrouvent sur le même plan, comme autant de tentatives concurrentes pour exprimer la vérité sur Dieu qui, en soi, est inatteignable et insaisissable » (p. 23), ni avec son naturalisme (p. 27).

Mgr Rey, après ces rappels doctrinaux – d’autres aspects encore sont développés –, reproduit quatre documents du Magistère.
Le premier est la Déclaration sur l’incompatibilité entre l’appartenance à l’Eglise et la franc-maçonnerie publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi le 26 novembre 1983.
Le second est la longue Déclaration de l’Episcopat allemand sur l’Eglise et la franc-maçonnerie, publiée le 12 mai 1980. Rappelons que cet exposé développé sur les « Raisons de l’incompatibilité » a été fait après des entretiens approfondis entre des représentants officiels de l’Eglise catholique et les Grandes Loges Unies d’Allemagne qui ont eu lieu entre 1974 et 1980.
Le troisième document reproduit est plus inattendu : il s’agit de la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, le 21 novembre 2002. La Note ne comprend pas de condamnation explicite de la franc-maçonnerie. Mais Mgr Rey avait expliqué : « L’attrait en faveur de la franc-maçonnerie souligne certaines carences pastorales de l’Eglise ». Un des meilleurs moyens de lutter contre la franc-maçonnerie est d’ « investir le champ politique ». La Note de 2002 fixe des orientations utiles, mais certainement pas exhaustives, et rappelle les principes de la doctrine catholique.
Enfin, le quatrième document est un extrait de Fides et Ratio, l’encyclique sur les rapports entre la foi et la raison publiée en 1998 par Jean-Paul II. Dans son étude, Mgr Rey avait montré le lien entre certaines déficiences quant à la conception même de la foi et l’attrait de la franc-maçonnerie : « le divorce entre la foi et la raison, dénoncé par le pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique Fides et ratio déporte insidieusement la foi vers un certain piétisme, un sentimentalisme religieux. Livrée à elle-même, la raison n’est plus finalisée par la recherche de la Vérité. Elle se trouve à la merci des idéologies ou des constructions subjectives. L’engagement du chrétien dans la franc-maçonnerie relève, dans bien des cas, d’une méconnaissance de ce lien organique entre foi et raison » (p. 31).

On manquerait à l’honnêteté, si on ne signalait pas l’une ou l’autre expression qui laisse insatisfait ou dubitatif. Ainsi quand Mgr Rey affirme : « les chrétiens ont à défendre le principe et la vertu d’une ”laïcité ouverte” » (p. 35). Ou encore quand il parle, pour les chrétiens, d’une « vision d’humanité basée sur l’être humain » (p. 37) ; la tradition théologique et spirituelle dirait plutôt, me semble-t-il, « une vision d’humanité basée sur la révélation de Dieu en Jésus-Christ ».
Mais ces remarques de détail n’enlèvent rien à l’intérêt et à la clarté de cette parole courageuse d’évêque. On sera attentif à l’accueil que lui réserveront non les grands médias, souvent silencieusement complices sur ce genre de sujet, mais la presse catholique, à commencer par La Croix et La Documentation catholique. Oseront-ils parler de ce livre?
En marge de cet ouvrage, finissons par une anecdote authentique que la discrétion oblige à tenir anonyme. Il y a six ans, peu après la prise de possession de son diocèse – une ville prestigieuse de la région parisienne – le nouvel évêque a été abordé par le vénérable de la loge locale qui lui a demandé quand il comptait solliciter son admission dans la franc-maçonnerie… Le nouvel évêque a refusé l’invitation.
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Vient de paraître
Yves Chiron : Enquête sur les apparitions de la Vierge
Tempus, octobre 2007, 427 pages, 10 euros.
Publié en 1995 aux éditions Perrin, cet ouvrage reparaît en collection de poche, dans une version augmentée et corrigée. Avec notamment des mises à jour et des compléments sur La Salette, Lourdes, Fatima et Medjugorje.
Introduction
1. QU'EST-CE QU'UNE APPARITION?
Vision ou apparition? - Apparitions et Révélation - Structures des apparitions - Le lieu - Le moment - Le bénéficiaire - Le signe annonciateur - Le vocable - Le signe d'authentification - La source - Les guérisons et les pèlerins - Critères d'authenticité.
2. LA VIERGE DES MIRACLES
Quelle est la plus ancienne apparition mariale? - Fondation de sanctuaires - Fondation et protection d'ordres religieux - Miracles de protection et de guérison - Notre-Dame-des-Victoires.
3. APPARITIONS EN TERRE DE MISSION
Amérique - Afrique - Asie, Océanie.
4. FACE AU PROTESTANTISME
Apparitions préventives - En Europe de l'Est - En France - Louis XIII et la Vierge Marie - Notre-Dame-de-l'Osier - Du Luberon à la Bretagne.
5. CONTRE L'INCRÉDULITÉ
Le Laus ou le jansénisme vaincu - La Vierge Marie face aux Lumières - La Vierge Marie face à la Révolution - Après la tourmente.
6. DE PARIS À BANNEUX (1830-1933)
Paris - La Salette - Cerreto - Porzus - Lourdes - Philippsdorf - Pontmain- Saint-Bauzille - Pellevoisin - Gietrzwalde - Knock - Fatima - Beauraing – Banneux.
7. LA VIERGE CONTRE LE COMMUNISME ET LE NAZISME
Fatima et le communisme - L'Ile-Bouchard (1947) - Expansion du communisme - Face au nazisme.
8. FAUSSES APPARITIONS
De type apocalyptique - De type mimétique - Par illusion - De type sectaire.
9. APPARITIONS CONTROVERSÉES
Tilly - Kerizinen - Garabandal - San Damiano – Medjugorje.
10. SECRETS ET CHATIMENTS
Les secrets « privés » - Secrets destinés à être rendus publics - Châtiments - La Vierge Marie et la fin des temps.
Bibliographie
Index des lieux cités
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Du même auteur
MEDJUGORJE (1981-2006) - “ Constat de non supernaturalitate ”
Éditions Nivoit, 2006, 90 pages, 10 euros.
Avant-Propos
Journal de Medjugorje par Yves Chiron.
Medjugorje, conférence de Mgr Ratko Peric.
Documents:
Entretien avec Mgr Ratko Peric (1997).
Déclaration de Mgr Ratko Peric (1997).
À propos de Medjugorje par Mgr Henri Brincard (2000).
Bibliographie critique
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Commande Envoyer ses nom, prénom, adresse complète en précisant le titre de l'ouvrage commandé et le nombre d'exemplaires.
  • Enquête sur les apparitions de la Vierge au prix de 10 euros l’exemplaire - franco de port.
  • Medjugorje (1981-2006). ”Constat de non supernaturalitate” au prix de 10 euros l’exemplaire franco de port. 
À adresser avec le règlement à l’ordre de l’ «Association Nivoit».
Éditions Nivoit 5, rue du Berry 36250 NIHERNE
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[1] Entretien reproduit intégralement dans Aletheia, n° 28, 16 avril 2002.
[2] La Nef (2 cour des Coulons, 78810 Feucherolles), n° 155, décembre 2004. Cf. Aletheia n° 67, 12 décembre 2004.
[3] Mgr Dominique Rey, Peut-on être chrétien et franc-maçon?, Éditions Salvator (103 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris), 78 pages, 9,50 euros.

lundi 1 octobre 2007

[Aletheia n°114] Le Magistère - par Yves chiron

Aletheia n° 114 - 1er octobre 2007
LE MAGISTERE - par Yves Chiron
Une action du Magistère
Le P. Peter C. Phan, d’origine vietnamienne, prêtre du diocèse de Dallas et président de la Catholic Theological Society of America, fait l’objet  de deux procédures ecclésiastiques à propos d’un de ses livres, Being religious interreligiously (« Etre religieux de manière interreligieuse »), livre paru en 2004.
En juillet 2005, la Congrégation pour la Doctrine de la foi lui a adressé une lettre contenant dix-neuf observations sur son livre. La Congrégation estime que ce livre du P. Phan est « ouvertement en désaccord avec presque tous les enseignements de la déclaration Dominus Iesus » qui avait réaffirmé que le Christ est l’unique sauveur de tous les hommes et que l’Eglise est nécessaire pour le salut. La Congrégation a demandé au théologien de corriger ses erreurs dans un article et de ne plus réimprimer son livre.
Les réponses jugées dilatoires de l’intéressé ont amené, en mai 2007, la Commission doctrinale des évêques des Etats-Unis à intervenir (sur la demande du Saint-Siège). Une liste d’objections, qui tient en trois pages, lui a été transmise et on lui a demandé d’y répondre avant le 1er septembre.
Le P. Phan est le quatrième théologien mis en cause pour ses écrits en contradiction avec la déclaration Dominus Iesus, parue en 2000. Avant lui, trois théologiens jésuites ont fait successivement l’objet d’une notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi  sur le même sujet : Jacques Dupuis, en 2001, Roger Haight en 2004 et Jon Sobrino en 2006.
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Documenta de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui a succédé en décembre 1965 à la Congrégation du Saint-Office, a pour fonction « de promouvoir et de garantir la doctrine de la foi et des mœurs dans le monde catholique tout entier ».
Depuis sa création, quatre Préfets seulement se sont succédé à sa tête :
- le cardinal Alfredo Ottaviani jusqu’en 1968,
- le cardinal Franjo Seper, de 1968 à 1981,
- le cardinal Joseph Ratzinger, de 1981 à 2005,
- le cardinal William Levada depuis le 13 mai 2005.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi exerce sa mission de service de la foi en publiant des Instructions, des Notifications, des Décrets, des Déclarations, des Réponses, des Lettres et des Normes.
Un recueil  exhaustif de tous les documents publiés par la Congrégation depuis sa création a été publié[1]. Le volume, de 665 pages, rassemble, dans leur texte original (latin, italien, français, anglais ou allemand) et dans l’ordre chronologique, les 105 documents promulgués entre le 18 mars 1966 (« Instruction sur les mariages mixtes ») et le 11 février 2005 (« Note sur le ministre du sacrement de l’onction des malades »).
Un index des noms cités et surtout un très riche index analytique permettent de se reporter utilement aux interventions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ainsi, pour nous en tenir à quelques exemples, la doctrine de l’Eucharistie a été traitée dans une trentaine de documents ;  les associations maçonniques ont fait, à deux reprises (1981 et 1983), l’objet d’une « Déclaration » ; l’admission des femmes au sacerdoce ministériel a fait l’objet d’une « Déclaration » (en 1976) et d’une « Réponse » (en 1995).
Il serait souhaitable que ce recueil, commode et exhaustif, soit traduit en français.
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• Trois livres sur le Magistère.
« La fonction du Magistère n’est pas quelque chose d’extrinsèque à la vérité chrétienne et à la foi, mais elle est un élément constitutif de la mission prophétique de l’Eglise » dit le cardinal Levada, actuel Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. L’Eglise est Mater et Magistra, selon le titre de l’encyclique de Jean XXIII, « Mère et Maîtresse de vérité ».
Sur la nature du Magistère et sur son mode d’exercice, les opinions les plus diverses non seulement ont cours, mais sont enseignées avec une autorité (toute privée) par des théologiens et des clercs. Depuis les années 1970, on est arrivé à ce paradoxe que les théologiens qui revendiquent la plus grande indépendance et la plus grande liberté dans l’Eglise ont été rejoints dans leur conception minimaliste et réductrice du Magistère par des clercs et théologiens sédévacantistes ou « guérardiens » qui limitent l’assistance divine aux seuls jugements solennels et infaillibles du Magistère.
Trois livres permettent d’éclairer la question. Sans prétendre en proposer une analyse critique, je me contente de les signaler :
- abbé Bernard Lucien, Les degrés d’autorité du Magistère[2].
- sous la direction de l’abbé Bruno Le Pivain, L’Eglise, servante de la vérité. Regards sur le Magistère[3].
- Mgr Gherardini, Contemplando la Chiesa[4].
Mgr Gherardini fut longtemps professeur d’ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran. Il est membre émérite de l’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin et directeur de la revue Divinitas. Son essai est un traité sur l’Eglise en cinq approches : Connaître l’Eglise, Ecouter l’Eglise, Prier avec l’Eglise, Aimer l’Eglise, Confesser l’Eglise (« Je crois à l’Eglise » et non « Je crois l’Eglise », souligne l’auteur).
Il aborde la doctrine du Magistère dans la partie « Ecouter l’Eglise », une écoute qui doit être « attentive » et « religieuse » (au sens que donne saint Thomas d’Aquin à ce mot lorsqu’il parle de la vertu de religion comme acte qui réalise sa propre définition).
L’autorité du Magistère, explique aussi Mgr Gherardini, n’est pas une autorité née de l’Eglise, mais « dans l’Eglise » (« nella Chiesa » et non « dalla Chiesa »), par la puissance du Saint-Esprit. Une participation à l’infaillibilité du Christ qui est la Vérité. L’assentiment de la foi n’est pas dû à toutes les paroles et écrits des Souverains Pontifes, mais dans leur Magistère ordinaire il peut y avoir, hormis l’enseignement « ex cathedra «  un enseignement « qui oblige ».
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[1] Congregatio pro Doctrina Fidei, Documenta inde a concilio Vaticano secundo expleto edita (1966-2005), Libreria Editrice Vaticana, 665 pages, 40 euros.
[2] Abbé Bernard Lucien, Les degrés d’autorité du Magistère, La Nef (2 cour des Coulons, 78810 Feucherolles), mars 2007, 232 pages, 22 euros.
[3] L’Eglise, servante de la vérité. Regards sur le Magistère, essais réunis sous la direction de Bruno Le Pivain, Editions Ad Solem (2 rue des Voisins, CH – 1205 Genève), octobre 2006, 413 pages, 37 euros.
[4] Il s’agit d’un numéro spécial de la revue Divinitas (Palazzo dei Canonici, 00120 Vaticano), février 2007, un numéro triple de 339 pages, 20 euros.

mercredi 19 septembre 2007

[Aletheia n°113] Notre nouvel archevêque Mgr Armand Maillard - par Yves Chiron

Aletheia n°113 - 19 septembre 2007
Notre nouvel archevêque Mgr Armand Maillard - par Yves Chiron

Le 11 septembre dernier, Benoît XVI a nommé Mgr Armand Maillard archevêque de Bourges. Il remplace Mgr Hubert Barbier, démissionnaire pour raison d’âge.
Mgr Maillard était, depuis 1996, évêque de Laval (Mayenne). Né en 1943 dans les Vosges, il a gardé de ses origines rurales, une simplicité et un abord facile qui ont permis son intégration rapide dans ce diocèse rural. Les Mayennais l’appelaient « le père Maillard », non pas en vertu de la mode datant des années 70 qui fait appeler « père » tout prêtre ou évêque, mais par une familiarité affectueuse qui leur faisait reconnaître en ce rural un des leurs, convive sans manière, à la conversation sans affectation.
Licencié en allemand à l’université de Nancy, licencié en théologie à la Faculté (d’Etat) de Strasbourg, il avait engagé une thèse de doctorat (qui n’a pas été poursuivie et soutenue) sur la notion de post-chrétienté chez Emmanuel Mounier.
Ordonné prêtre en juin 1970, il a accompli la première partie de sa carrière ecclésiastique dans son diocèse natal de Saint-Dié où, vicaire épiscopal de Mgr Guillaume, il a été promu, sans s’y attendre, évêque de Laval en août 1996.
À Laval, il restera, notamment, comme l’évêque qui, en 1997, – faute de prêtres en nombre suffisant mais aussi, on l’oublie trop souvent, fauter de fidèles en nombre suffisant – a dû réduire le nombre des paroisses de son diocèse : elles sont passées d’une centaine à 31 ! [1]
En onze d’épiscopat, il aura ordonné 4 prêtres [2].
Il restera aussi comme l’évêque de l’ « affaire de Niafles », affaire qui n’a aucun lien avec sa promotion à l’archevêché de Bourges. On ne reviendra pas sur cette affaire où les passions partisanes n’ont pas été absentes. Par exemple, il a été dit que depuis la mort du curé de Niafles, il n’y avait plus « aucune messe traditionnelle autorisée par l’évêque dans le diocèse ». Ce qui est faux, puisque les religieux de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, établis à Chémeré-le-Roi, célèbrent chaque dimanche une messe traditionnelle « autorisée ».
On retiendra simplement la triple conclusion bienheureuse de cette « affaire de Niafles », conclusion que la promulgation du Motu proprio de Benoît XVI a grandement facilitée :

  • aux Cordeliers, paroisse située au centre ville de Laval, une messe « dans la forme ancienne du missel de 1962 » est célébrée chaque dimanche. Il est à signaler que dans cette église, depuis la réorganisation paroissiale évoquée, il n’y avait plus de messe.


  • Dans le sud du diocèse, alternativement (un mois sur deux) à la Selle-Craonnais et à la Roë, une autre messe « dans la forme ancienne du missel de 1962 » est célébrée le dimanche.


  • Mgr Maillard a célébré lui-même la messe selon le rite traditionnel le 2 septembre 2007, en l’église des Cordeliers.

Ainsi, par une coïncidence notable, Mgr Maillard aura été, sauf erreur de notre part, le premier évêque de France, depuis le motu proprio de Benoît XVI, à donner l’exemple de la célébration selon le rite ancien (rite qu’il n’avait jamais célébré puisque ordonné en juin 1970) et la double autorisation qu’il a accordée le 8 septembre dernier aura été le dernier acte important de son épiscopat à Laval.
L’archidiocèse de Bourges
Le diocèse dont Mgr Maillard va prendre possession canoniquement le 14 octobre prochain est vaste. Il couvre deux départements : le Cher et l’Indre. C’était, sous l’Ancien Régime, le plus grand diocèse du royaume. Il a compté, au XVIIIe siècle, jusqu’à 800 paroisses.
Comme dans la Mayenne, exode rural et déchristianisation ont progressé en même temps au XIXe et au XXe siècle. En 1970, le diocèse de Bourges comptait 537 communes et 507 paroisses. Aujourd’hui, on ne compte plus que 64 paroisses et 137 prêtres (dont 22 en retraite et 28 en « ministère de disponibilité »).
Le paradoxe est que diocèse est riche en communautés traditionnelles :

  • il y a, bien sûr, la célèbre abbaye bénédictine de Fontgombault, fondée en 1091, restaurée par Solesmes en 1948, abbaye-mère de Randol (Puy-de-Dôme), de Triors (Drôme), de Gaussan (Aude), de Clear Creek (U.S.A.), ce qui atteste suffisamment de sa vitalité. La messe traditionnelle y est célébrée tous les jours de la semaine et tous les dimanches[3].


  • comment ne pas y ajouter, les Petites Sœurs Disciples de l’Agneau, au Blanc ? Seule communauté religieuse de France qui accueille des religieuses trisomiques, elle a été fondée en 1985 avec les encouragements du professeur Lejeune. Soutenue aujourd’hui par la fondation Jérôme Lejeune, cette communauté admirable a trouvé dans l’abbaye de Fontgombault un soutien spirituel indéfectible.


  • comment ne pas compter aussi dans ce diocèse les communautés fondées par la Fraternité Saint-Pie X ou soutenues par la Fraterniré Saint-Pie X dans le diocèse ? Il y en a rien moins que quatre :


  • l’Ecole Saint-Michel, à Niherne, de la sixième à la terminale, 150 élèves en moyenne. Une ou deux messes le dimanche dans la chapelle de l’Ecole et une messe à La Chapelle d’Angillon tous les dimanches.


  • le noviciat Notre-Dame de Compassion à Ruffec-le-Château, noviciat des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X où une messe traditionnelle est célébrée tous les jours.


  • l’abbaye saint-Michel, à Saint-Michel-en-Brenne, maison-mère des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X où une messe traditionnelle est célébrée tous les dimanches.


  • la Fraternité de la Transfiguration, à Mérigny, où deux messes traditionnelles sont célébrées chaque dimanche (plus d’autres messes dans des églises environnantes).

Mgr Maillard, dans un diocèse qui compte un prêtre pour 6.000 habitants,  saura-t-il entrer en relations avec ces communautés et faire appel à elles ?
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[1] Ordonnance et décret de Mgr Armand Maillard, évêque de Laval, créant des paroisses nouvelles, Evêché de Laval, 1997.
[2] Jean-Christophe Gruau, Laval infos, octobre 2007 (à paraître).
[3] L’autre messe traditionnelle « autorisée » dans le diocèse a lieu, un dimanche sur deux, à la Chapelle des Sœurs de Marie Immaculée à Bourges.

jeudi 19 juillet 2007

[Aletheia n°112] Avec la messe en latin on peut apaiser l'Eglise - par Dom Antoine Forgeot, Dom Louis-Marie et Christophe Geffroy

Aletheia n°112 - 19 juillet 2007
Le Motu proprio du 7 juillet 2007 a suscité de l’« émerveillement » (Jean Madiran), de la gratitude, mais aussi de l’ingratitude, de l’irritation, voire de l’insolence. Ce texte libérateur, qui est aussi un acte de justice, a suscité d’innombrables réactions et réflexions. On trouve une très large revue de presse, française et étrangère – articles reproduits intégralement et sans commentaire – sur le site internet QIEN.
Parce qu’il n’est pas une page de combat, je reproduis ici un manifeste sage qui lit, justement, le Motu proprio comme un appel à la paix liturgique.
Y.C.




AVEC LA MESSE EN LATIN ON PEUT APAISER L’ÉGLISE
par Dom Antoine Forgeot, Dom Louis-Marie et Christophe Geffroy
Pourquoi Benoît XVI a-t-il publié un Motu proprio libéralisant l'usage du missel tridentin ? Il en donne lui-même la raison dans sa lettre aux évêques : « Il s'agit de parvenir à une réconciliation interne au sein de l'Église. » Ce faisant, il ne vise pas prioritairement les prêtres et fidèles qui ont suivi Mgr Lefebvre dans sa rupture avec le Siège romain en 1988. Il vise plus généralement la paix liturgique et il incite aussi à célébrer fidèlement selon les prescriptions le nouveau missel.
Il serait en effet absurde de se voiler la face comme s'il n'y avait eu aucun problème liturgique depuis la réforme de 1970, comme si les fidèles attachés aux anciennes formes liturgiques n'étaient que de vieux retardataires incapables de s'adapter à une liturgie plus moderne. Si tel avait été le cas, il n'y aurait pas autant de jeunes attachés à cette liturgie ancienne réputée incompréhensible, mais qui, transmettant ce qui est avant tout un mystère, parle le langage de l'âme accessible même à ceux qui ignorent le latin. Pour Benoît XVI, il n'y a ni « rupture » ni « contradiction » entre les deux missels : « L'histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture », écrit-il dans sa lettre aux évêques.
C'est contre l'esprit de la « table rase », contraire à la notion même de tradition si chère à l'Église, que s'élève le Pape. Et c'est précisément parce qu'il n'y a pas de rupture que Benoît XVI peut affirmer en toute crédibilité que la permanence de l'ancien missel ne signifie en aucune façon une quelconque remise en cause de l'autorité du concile Vatican II et de la réforme liturgique du pape Paul VI. Nous pouvons témoigner que l'immense majorité des prêtres et fidèles qui sont attachés à l'ancien missel en pleine communion avec l'Église - particulièrement chez les jeunes qui n'ont connu ni Vatican II ni la réforme de 1970 -, reconnaissent sans l'ombre d'un doute cette autorité.
Dans sa lettre aux évêques, le Saint-Père répond à une autre crainte exprimée par les évêques consultés : « Qu'une plus large possibilité d'utiliser le missel de 1962 puisse porter à des désordres, voire à des fractures dans les communautés paroissiales. » Benoît XVI ne juge pas cette crainte fondée. L'expérience montre que dans tous les diocèses où le Motu proprio Ecclesia Dei de 1988 a été appliqué « généreusement » comme Jean-Paul II le demandait, il n'y a eu ni désordres ni divisions. Et plus l'accueil a été généreux, plus l'intégration dans la vie du diocèse a été facile. Des cas de dissension se sont manifestés là où la demande des fidèles a été ignorée.
Sans doute ce nouveau Motu proprio - acte dont on mesurera l'importance dans quelques années - occasionnera-t-il ici ou là d'inévitables tensions. Il n'en demeure pas moins fondamentalement un appel pressant à la paix, à la reconnaissance de l'autre dans ses différences légitimes.
Là encore, le Pape nous y invite fortement : « Les deux formes d'usage du rite romain peuvent s'enrichir réciproquement. » Certes, le Motu proprio marque une reconnaissance bienvenue pour un missel « jamais abrogé ». Les efforts attendus de communion, néanmoins, ne peuvent être à sens unique. Si les catholiques attachés aux anciennes formes liturgiques sont enfin reconnus comme des membres de l'Église à part entière, ils doivent eux-mêmes chasser tout esprit de chapelle et s'engager sans complexe dans la vie des diocèses.
Pour qu'une paix soit profonde, il faut que chacun fasse, sans arrière-pensées, un pas vers l'autre. La paix liturgique retrouvée, les catholiques pourront mieux unir leurs efforts pour ce qui est la priorité première de l'Église aujourd'hui : la nouvelle évangélisation.
Toucher les cœurs de ces foules immenses qui ignorent combien Dieu les aime - et l'expérience montre que la liturgie traditionnelle a une dimension missionnaire auprès de certaines âmes.
Dans cette tâche immense, les deux formes liturgiques du rite romain ont chacune un rôle conformément à la parole du Christ : « Il y a des demeures nombreuses dans la maison de mon Père » (Jean, 14, 2).
Le 13 juillet 2007
T.R.P. Dom Antoine Forgeot, Abbaye Notre-Dame, Fontgombault
T.R.P. Dom Louis-Marie, Abbaye Sainte-Madeleine, Le Barroux
Christophe Geffroy, Directeur du mensuel La Nef.





Les Confessions didactiques de Jean Madiran
Chaque nouveau livre de Jean Madiran est un événement. La grande presse continue à ignorer Madiran, et ce, non par inadvertance. La presse catholique, à de rares exceptions près, croirait déroger à quelque oukase non écrit en publiant une recension de ses ouvrages. Les évêques – mais point tous – le méprisent sans le lire et commettent ainsi une injustice.
C’est un des mystères du monde chrétien d’aujourd’hui que de voir un de ses plus authentiques écrivains vivants être quasiment ignoré du plus grand nombre, et même ignoré de ceux qui lisent la presse catholique et de ceux qui fréquentent les librairies catholiques, sans parler des universités catholiques, séminaires et noviciats.
Qu’est-ce qu’un écrivain chrétien ? Vaste question. Dans son dernier livre, Jean Madiran, donne une réponse indirecte : écrire « à la lumière de la pensée et de la prière de l’Eglise ». De manière plus spécifique, Madiran a œuvré à « une interprétation catholique de la pensée maurrassienne ». Les deux qualificatifs sont-ils contradictoires ? Il faut n’avoir rien lu de Maurras pour le croire. Ceux qui considèrent Maurras comme un extrémiste et un antisémite ne l’ont pas lu ou pas compris. Ceux qui considèrent Madiran comme un « maurrassien » tout court, ne l’ont pas lu ou ne l’ont pas compris ; en outre, ils oublient l’autre maître revendiqué par Madiran : Henri Charlier.
En mars dernier, à Villepreux, pour le 25e anniversaire du quotidien Présent qu’il a fondé, Jean Madiran a prononcé un « Discours » qui est publié ici dans sa version écrite. Après avoir évoqué longuement son enracinement – dans l’ordre chronologique de sa vie : Maurras, saint Thomas d’Aquin, Henri et André Charlier –, Madiran conclut : « C’est lui qui fait de nous des réfractaires refusant toute allégeance aux idéologies, aux institutions et aux pratiques qui viennent quotidiennement dénaturer la vie des familles, la vie des métiers, la vie intellectuelle, la vie religieuse. C’est là le combat de chaque jour. »
Ce combat contre la « dénaturation » passe par une bienveillance que l’on peut ignorer si l’on n’est pas un lecteur habituel de Madiran.
La deuxième partie du livre est constituée par une interview, parue en 2005, reprise ici dans un texte revu et complété. Hormis des pages, qui ne sont pas anecdotiques, sur ses goûts, les années de son enfance, sa formation, les années 40, Madiran rappelle que « la bataille intellectuelle » qu’il a menée et qu’il mène encore – quarante ans d’Itinéraires (mars 1956-juin 1996) et vingt-cinq ans de Présent, jusqu’à aujourd’hui – est aussi et d’abord un « combat spirituel » contre l’apostasie. Cette apostasie, que les historiens et les sociologues préfèrent appeler la « déchristianisation » et les politiciens « laïcisation », a conduit « au nihilisme officiel et à la déstructuration générale ».
La troisième partie du livre, la plus courte, est constituée de « la parabole du pommier » (dans sa version définitive). Aux lecteurs qui ne la connaîtraient pas, on la résumera, rapidement et imparfaitement, en en citant un extrait : « Là où nous sommes, à la mesure de nos moyens et selon les circonstances, nous avons à produire des œuvres. La foi sans les œuvres ne suffit pas au salut. »
Yves CHIRON
Les vingt-cinq ans de “Présent“. Confessions didactiques, éditions Via Romana, juin 2007, XLVII pages.
Bon de commande
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samedi 7 juillet 2007

[Aletheia n°111] Benoit XVI poursuit la "réforme de la réforme" - par Yves Chiron

Aletheia n°111 - 7 juillet 2007

BENOÎT XVI POURSUIT LA «RÉFORME DE LA RÉFORME» - par Yves Chiron
Le Motu proprio Summorum pontificum qui paraît ce jour, était attendu depuis plus d’un an. Il en avait même été question dès le lendemain de la rencontre entre Mgr Fellay, Supérieur général de la FSSPX, et Benoît XVI, en août 2005.
Le Motu proprio est bref et directif, composé de douze articles qui disent en substance :
• le Missel promulgué par Paul VI est « l’expression ordinaire » du rite latin, tandis que le Missel promulgué par saint Pie V (dans son édition de 1962) en est « l’expression extraordinaire ».
•  tout prêtre peut célébrer selon le rite traditionnel, sans qu’il ait « besoin d’aucune autorisation ».
• tout « groupe stable de fidèles » attachés au rite traditionnel [il n’est question d’aucun nombre minimum dans le document] peut en faire la demande au curé de la paroisse.
• si ce groupe de fidèles « n’obtient pas du curé ce qu’ils lui ont demandé, ils en informeront l’Evêque diocésain », celui-ci « est instamment prié d’exaucer leur désir » [souligné par nous].
• les autres sacrements (baptême, mariage, pénitence, onction des malades pour les prêtres, et confirmation pour les évêques) peuvent être célébrés aussi selon le rite traditionnel.
• ces normes remplacent celles précédemment établies (indult de 1984 et motu proprio de 1988) et devront être observées « à compter du 14 septembre de cette année, nonobstant toutes choses contraires ».
Dans la phase préparatoire de ce Motu proprio, trois épiscopats principalement – français, anglais et allemands –, par la voix de représentants autorisés, ont dit leur crainte ou leur refus d’une telle libéralisation de la messe traditionnelle. Dans quelle mesure leurs réactions ont-elles infléchi le Motu proprio qui était en préparation ? C’est, pour le moment, impossible à déterminer de manière précise. En revanche, on peut considérer que ce sont ces réactions qui ont incité Benoît XVI  à rédiger une lettre aux évêques pour accompagner, expliquer et justifier le Motu proprio.
Ces réactions n’ont pas dû surprendre Benoît XVI, lui qui écrivait il y a quatre ans à propos d’une autorisation inconditionnelle de la messe traditionnelle : « Trop forte est encore chez beaucoup de catholiques – endoctrinés depuis des années – l’aversion pour la liturgie traditionnelle, qu’ils qualifient de manière méprisante de “pré-conciliaire”, et aussi, d’un autre côté, beaucoup d’évêques montreraient une opposition déterminée à une autorisation générale.[1] »
La Lette aux évêques qui accompagne le Motu proprio et le commente est d’un ton très personnel. Benoît XVI rappelle que le Missel traditionnel « n’a jamais été juridiquement abrogé » et qu’ « en principe, il est toujours resté autorisé ». On remarquera le « en principe » qui est un discret hommage à la vérité historique.
Au risque de me répéter, il faut rappeler que ce Motu proprio n’est qu’une étape du grand œuvre de Benoît XVI en matière liturgique. Il y a plus d’un an, j’écrivais ici : « Les traditionalistes qui croient que Benoît XVI pourrait être le Pape qui restaurera, dans toute l’Eglise, la messe traditionnelle, se trompent. Benoît XVI, sans mépriser l’ancien rite, est déterminé, sans doute, à favoriser plus largement son usage. Mais aussi, il estime, en historien et en théologien, que l’évolution de la liturgie, multiséculaire, doit se poursuivre, dans le sens d’une rectification du rite nouveau, et même par l’intégration de l’ancien et du nouveau. »
Le Motu proprio rendu public aujourd’hui ne dément pas cette analyse.
Dans l’immédiat, l’Eglise admet deux formes du rite romain : le rite romain sous sa « forme ordinaire » (celui issu de la réforme liturgique post-conciliaire) et le rite romain sous « une forme extraordinaire », le rite d’avant la réforme. À long terme, Benoît XVI croit possible et souhaitable une unification des deux formes.
Il l’écrivait, il y a quatre ans, au  Professeur Barth dans la lettre déjà citée :  « je crois que dans l’avenir l’Eglise romaine devra avoir à nouveau un seul rite ; l’existence de deux rites officiels est dans la pratique difficilement “gérable” pour les évêques et les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé dans la tradition du rite ancien; il pourrait intégrer quelques nouveaux éléments, qui ont fait leurs preuves, comme de nouvelles Fêtes, quelques nouvelles Préfaces dans la messe, un Lectionnaire élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop - une Oratio fidelium, c’est-à-dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus de l’Offertoire, où jadis il avait sa place.[2] »
Dans la Lettre aux évêques qui accompagnent le Motu proprio, le propos est moins direct mais l’intention reste la même :
• « les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement : dans l’ancien Missel pourront être et devront insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles préfaces ».
• « dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a été souvent fait jusqu’à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien. »
• aucun prêtre ne peut « par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. »
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« SUBSISTIT IN » - UNE RÉPONSE À LA FSSPX
De sources bien informées (protestante puis épiscopale), on apprend que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi va publier, de façon imminente, une Déclaration sur l’expression « subsistit in ».Rien n’a transpiré dans la presse jusqu’ici, mais il nous a été dit que cette Déclaration, qui devait être publiée ce samedi, en même temps que le Motu proprio, a finalement été reportée au mardi 10 juillet. Ce numéro d’Aletheia sera déjà parvenu à ses destinataires lorsque le document sera rendu public. Si la Déclaration ne paraît pas à la date indiquée, c’est que les sources indiquées étaient imprécisément informées.
Sans donc en connaître encore le contenu exact, on voit d’emblée son importance. La querelle, ou l’interprétation si l’on veut, du « subsistit in » est un des points majeurs de la critique traditionaliste du concile Vatican II.
C’est dans la constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen Gentium (1964), que l’expression se rencontre : « Cette Eglise [« l’unique Eglise du Christ”] comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Eglise catholique qu’elle se trouve [subsistit in, dit le texte latin], gouvernée par le Successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures, éléments qui, appartenant proprement par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique » (LG, n° 8).
Pour la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X et les communautés qui sont proches d’elle, cette proposition « entendue dans le sens que l’Eglise du Christ sur terre n’est pas identique à l’Eglise catholique, mais qu’elle s’étend en dehors d’elle, même de manière imparfaite, est fausse, hérétique ou proche de l’hérésie.[3] »
Inversement, des théologiens progressistes se sont réjouis de cette expression « subsistit in ».
Le P. Gregory Baum y voyait l’affirmation qu’ « il n’y a aucune identité absolue »[4] entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique.
Le P. Leonardo Boff, s’appuyant lui aussi sur l’expression subsistit in, a estimé que l’Eglise catholique « ne peut prétendre être la seule à s’identifier à l’Eglise du Christ, parce que celle-ci peut exister également dans d’autres Eglises chrétiennes »[5].
Durant le pontificat de Jean-Paul II, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sous l’autorité du cardinal Ratzinger, a réfuté, à deux reprises déjà, ces fausses interprétations du subsistit in :
• Le 11 mars 1985, dans une Notification contre le livre du P. Leonardo Boff, Eglise : charisme et pouvoir, la Congrégation a estimé que celui-ci soutient « une thèse exactement contraire à la signification authentique du texte conciliaire ».
La Notification a précisé alors le sens à donner à l’expression : « Le Concile avait, à l’inverse, choisi le mot ”subsistit” précisément pour mettre en lumière qu’il existe une seule ”subsistance” de la véritable Eglise, alors qu’en dehors de son ensemble visible existent seulement des ”elementa Ecclesiæ” qui – étant des éléments de la même Eglise – tendent et conduisent vers l’Eglise catholique (LG 8).
• Une deuxième fois, dans la Déclaration Dominus Iesus, en date du 6 août 2000, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a réaffirmé que « l’Eglise du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Eglise catholique », en précisant : « Contraire à la signification authentique du texte conciliaire est donc l’interprétation qui tire de la formule subsistit in la thèse que l’unique Eglise du Christ pourrait aussi subsister dans des Eglises et Communautés ecclésiales non catholiques. »
En consacrant une Déclaration spécifique à cette expression controversée, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi va donc, pour la troisième fois, apporter des éclaircissements et des rectifications à propos d’une expression qui a donné lieu à des interprétations fausses.
Une Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur la liberté religieuse, autre expression controversée, serait en préparation.
Benoît XVI continue donc à œuvrer pour une juste compréhension des textes conciliaires.Son herméneutique de la continuité ne s’adresse pas exclusivement aux traditionalistes, mais dans le contexte du Motu proprio cette Déclaration attendue sur le subsistit in serait incontestablement un signe adressé à la FSSPX.
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Thomas Grimaux - Les Communautés traditionnelles en France
Le cardinal Castrillon Hoyos, qui préface ce livre, le présente ainsi : « Il veut faire connaître à nos contemporains qui sont ces communautés catholiques qui vivent selon des règles de vie précises, suivent des pratiques religieuses qui ont fait leur preuve durant des siècles, et célèbrent l’ancienne liturgie romaine comme elle était en vigueur partout jusqu’il y a quarante ans. »
Sont présentées ainsi, par des notices développées et de très nombreuses et magnifiques photographies, les 17 communautés traditionnelles françaises qui sont en communion ave le Saint-Siège : cinq communautés féminines (les Victimes du Sacré-Cœur à Marseille, les Dominicaines de Pontcalec, les Bénédictines de Jouques et du Barroux, les Chanoinesses de la Mère de Dieu), cinq communautés masculines contemplatives (les Bénédictins de Fontgombault, de Randol, de Triors, de Gaussan et du Barroux), trois communautés religieuses apostoliques (Sainte-Croix de Riaumont, les Chanoines réguliers de la Mère de Dieu et la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier) et quatre communautés de prêtres séculiers (la Fraternité Saint-Pierre, l’Institut du Christ Roi, et les tout jeunes Société des Missionnaires de Toulon et Institut du Bon Pasteur).
Même en se limitant aux communautés en communion avec le Saint-Siège, ne manque-t-il pas la très discrète Société des Prêtres Auxiliaires de l’abbé Barthe ?
En tout cas, un beau livre, utile, qui montre la diversité des charismes chez les catholiques de Tradition.

Un album de 168 pages, avec 200 photos, à commander à La Nef (2 cour des Coulons, 78810 Feucherolles), 39 euros franco de port.
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[1] Lettre du cardinal Ratzinger au Professeur Barth, le 23 juin 2003, publiée dans Aletheia n° 89, le 19 février 2006.
[2] Idem.
[3] R.P. Pierre-Marie, « L’Unité de l’Eglise » in La Tentation de l’œcuménisme, Actes du IIIe Congrès théologique de Si Si No No (avril 1998), Publications du Courrier de Rome, 1999, p. 45.
[4] P. Gregory Baum, Concilium, n° 4, avril 1965, p. 67. Gregory Baum, canadien, religieux augustin, fondateur de la revue The Ecumenist en 1962, a été expert (peritus) auprès du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens pendant le concile Vatican II. Il a renoncé au sacerdoce en 1986 et s’est marié.
[5] P. Leonardo Boff, Eglise : charisme et pouvoir, Editions Lieu Commun, 1985, p. 138. Le P. Leonardo Boff, brésilien, religieux franciscain, a été un des chefs de file de la « théologie de la libération » dans les années 1970-1980. Il a renoncé au sacerdoce en 1992 et s’est marié.