lundi 4 décembre 2006

[Aletheia n°101] L’Eglise catholique et le Téléthon

Aletheia n°101 - 4 décembre 2006

L’Eglise catholique et le Téléthon

Comme chaque année, pour la 20e fois, l’AFM (Association française contre la myopathie) organise les 8 et 9 décembre prochains un Téléthon, grande manifestation de charity business à l’américaine où la télévision va relayer d’innombrables initiatives locales pour récolter de l’argent en faveur des enfants myopathes et de la recherche sur la myopathie.

L’Eglise s’est souvent associée, dans le passé et aujourd’hui encore, à ces manifestations, prêtant des églises pour des concerts, des locaux paroissiaux pour d’autres initiatives, incitant ses fidèles à faire un don au Téléthon ou à devenir bénévoles d’un jour pour cette « grande cause ».

Cette année pourtant, plusieurs évêques ont exprimé leurs inquiétudes ou leur désaccord avec certaines méthodes et certaines finalités de la recherche médicale menée avec l’argent du Téléthon. Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, a dit que les « catholiques ne pouvaient pas donner un chèque en blanc » au Téléthon.

En 2004, la Cour des Comptes avait publié un rapport qui épinglait les frais de fonctionnement trop élevés de l’AFM. Mais au-delà des questions financières, ce sont des objections morales et doctrinales qui doivent être faites. C’est la question de l’embryon qui est au cœur de la controverse actuelle et aussi la question de la place de l’Eglise dans la Cité.

Je reproduis ici quatre documents qui, chacun à leur manière, éclairent la question.

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Une interview du cardinal Barbarin

Le samedi 2 décembre, le cardinal Barbarin était interrogé, en direct, sur Europe 1 sur le récent voyage de Benoît XVI en Turquie puis sur les objections de l’Eglise au Téléthon. Après avoir rappelé que l’origine du Téléthon a été la mobilisation des familles d’enfants myopathes, et tout en faisant l’éloge des élans de générosité et de solidarité qui se manifeste en ces journées de collecte financière, l’archevêque de Lyon a dénoncé les dérives de certaines recherches financées par l’argent du Téléthon.

Il a aussi fortement réaffirmé le droit pour l’Eglise de faire entendre sa voix. Le président du Comité National d’Ethique, Didier Sicard, avait affirmé la veille : « Elle [l’Eglise] a pleinement le droit, tout à fait respectable, de considérer l’embryon humain comme sacré. Mais elle n’a pas le droit d’en faire une manifestation publique. » (Le Monde, 1er décembre 2006).

Je reproduis ici, sans retouches, les propos tenus l’archevêque de Lyon à ce sujet :

La recherche sur les embryons… Arrêtez ces choses-là. Ce n’est pas parce qu’elles sont légales qu’elles sont bonnes. « On a la loi pour nous » dit-on. Nous, on dit : « Non ». Les catholiques disent cela depuis toujours. Ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral. Pour nous, l’embryon humain n’est pas une chose. Un embryon, on ne peut pas le produire, on ne peut pas le détruire, on ne peut pas l’utiliser, on ne peut pas le trier. Non, non et non. Même si la loi le permet, il faut arrêter de faire çà. Il y a beaucoup de donateurs qui le pensent. Cela met beaucoup de donateurs dans une situation intérieure difficile.

Je dis très haut et très fort que je veux soutenir les familles. À l’origine du Téléthon, il y a quand même les familles qui se sont mobilisées contre ce qu’il ne faut pas considérer comme une fatalité. Ils veulent que leurs enfants vivent. Nous, on veut les soigner, les guérir. Se battre pour le soin et se battre pour la guérison, ce n’est pas tout à fait pareil que se mettre à trier les embryons, à les utiliser et à les détruire comme si c’étaient des choses.

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Un communiqué du Dr Jean-Pierre Dickès, président de l'Association Catholique des Infirmières et Médecins

Le 30 novembre 2006, l’A.C.I.M. (Association Catholique des Infirmières et Médecins), qui entend être fidèle à l’enseignement de l’Eglise en matière de morale, a publié un communiqué qui attire d’autant plus l’attention que son président, le Dr Dickès, parle, sur ce sujet, non seulement en tant que médecin et en tant que catholique, mais aussi comme père et grand-père d’enfants myopathes.

J'écris à la fois en tant que médecin et père d'un enfant myopathe décédé maintenant il y a 8 ans à l'âge de 18 ans et grand-père d'un petit myopathe. Lors de la découverte de la maladie de notre fils, il me fut déclaré que par génie génétique un traitement allait être trouvé dans les deux ans. 25 ans plus tard cet objectif n'a pas été réalisé. Il s'est fait rapidement une dérive dans le cadre du Généthon (alimenté par le Téléthon), dont le but est de tamiser les embryons par le diagnostic pré-implantatoire (DPI), et d'affûter des armes pour le diagnostic préalable in utero (DPN) afin de pratiquer des avortements parfois même la veille de l'accouchement de l'enfant.

Si bien qu'en pratique nos malheureux enfants servent de canard d'appel pour obtenir de l'argent servant à éliminer d'autres myopathes.

Par ailleurs le Généthon s'échine à trouver des moyens de traitement par les cellules souches embryonnaires qui à ce jour n'ont jamais guéri personne, ne donneront des résultats que dans 10 ou 20 ans, s'ils en donnent. Pendant ce temps, nos enfants meurent. Or parallèlement "en aval" des succès thérapeutiques nombreux ont été obtenus. Le plus récent est du 15 novembre dernier (Le Figaro du 17 nov.). Une équipe de Milan a guéri des chiens myopathes avec des cellules souches dites adultes récupérées sur le chien même (allogreffe) ou sur d'autre chiens (hétérogreffes).

Une fois de plus l'AFM se trompe de chemin et trompe l'opinion publique.

Ajoutons que Le Dr Dickès vient de faire paraître avec sa fille, Godeleine Lafargue, docteur en philosophie, un livre intitulé : L’Homme artificiel. Essai sur le moralement correct (Editions de Paris, 304 pages, 29 euros). Ou comment l’évolution des mœurs, des idées et des lois aboutit à un renversement qui est une transgression : « un enfant quand je veux » (contraception), « un enfant si je veux » (avortement), « un enfant comme je veux » (sélection eugéniste). Une partie de la recherche financée par le Téléthon relève de l’eugénisme.

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Une dépêche de l’agence Zénit

[L’Institut de Bioéthique européen, installé à Bruxelles, confirme ce que dit le Dr Dickès : la recherche sur les embryons n’a jamais débouché sur une application thérapeutique. D’autres voies sont possibles.]

ROME, Lundi 27 novembre 2006 (ZENIT.org) – Contrairement aux idées reçues, il apparaît que les cellules souches adultes présentent un énorme potentiel thérapeutique, ce qui ne semble pas le cas des cellules souches embryonnaires, souligne le centre de Bioéthique européen, à Bruxelles (http://www.ieb-eib.org).

Dans son principe, rappelle la même source, la thérapie régénératrice repose sur l’utilisation de cellules souches, mères de tous les types cellulaires de l’organisme. Tandis que le potentiel thérapeutique des cellules souches embryonnaires apparaît toujours plus incertain, en raison d’insurmontables obstacles biologiques, les cellules souches adultes commencent à montrer des capacités étonnantes de réparation des tissus malades, à la fois dans les modèles animaux et les premiers essais cliniques.

C’est pourquoi l’Institut affirme : « Il est d’autant plus important de tenir compte des résultats récents obtenus dans ce domaine que, début décembre, le 7eme programme cadre de recherche européen doit être adopté définitivement en seconde lecture. Il est souhaitable qu’une politique publique de financement de la recherche biomédicale tienne compte des données actuelles de la science ».

Ainsi, ajoute l’Institut de Bruxelles, le Parlement européen et le Conseil des ministres ont l’opportunité de « promouvoir le développement d’une recherche évitant toute transgression sur le plan éthique, tout en offrant des perspectives réalistes sur le plan médical ».

Malgré les sommes colossales investies, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a débouché sur aucune application thérapeutique, constate l’Institut qui explique la raison de ce résultat : l’obstacle majeur à toute application clinique réside dans l’effet tumorigène des cellules souches embryonnaires injectées.

Les cellules souches adultes, en revanche, affirme l’Institut européen de bioéthique, ne présentent pas cet inconvénient : « Elles peuvent être directement prélevées à partir du tissu adipeux du patient, de sa moelle osseuse ou provenir d’une banque de sang de cordon ombilical. Actuellement, des thérapies régénératrices utilisent ce type de cellules avec succès. Le recours à cette technique a déjà permis de "réparer" des lésions cardiaques, des foies atteints de cirrhose ou de soigner des lésions graves de la moelle osseuse ».

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Abus de confiance ?

[Article paru dans l’hebdomadaire France Catholique, n°3045, le 3 novembre 2006.]

Les bénévoles qui donneront généreusement de leur temps pour le Téléthon, les téléspectateurs de France Télévision et les donateurs de l'AFM ne sont pas conscients des dérives éthiques qui ternissent l'événement. Mais que peut-on leur dire qui ne produise pas un effet désastreux sur les consciences ?

Avec trente heures de direct télévisé pour la première fois, le Téléthon 2006 n'entend pas rater son vingtième anniversaire, les 8 et 9 décembre prochains. Le marathon emblématique de la générosité cathodique tient, par-delà les modes, grâce à l'énergie de ses organisateurs.

L'association française contre la myopathie (AFM) a été lancée par des parents éprouvés et combatifs dont les enfants étaient frappés par la terrible maladie. Ils ont importé le Téléthon des Etats-Unis à l'initiative de Pierre Birambeau. Cette expérience typique de la charité-business américaine, transposée avec le partenariat de France 2 en 1986, est un succès immédiat. Les enfants dans leurs fauteuils roulants émeuvent les téléspectateurs qui ouvrent largement leur cœur… Les "stars" qui les présentent font le reste : les promesses de don pleuvent, et grimpent chaque année. 104 millions d'euros ont été récoltés lors de la dernière édition. Une somme qui fait de l'AFM le partenaire incontournable de la recherche française. Cette puissance fait grincer des dents, pas seulement par jalousie.

L'AFM pèse dans le sens des recherches qu'elle préconise, et certains se demandent si cette influence est saine. D'autres ont relevé l'étonnant concept de "bénévole rémunéré" qui conduit la présidente de l'association à percevoir un salaire mensuel de 5.900 euros. Interrogée par Le Point en août 2005, Laurence Tiennot-Herment, justifiait cette rémunération par son travail : "Qui fait les déplacements dans les ministères, qui assure le lobbying, qui maintient le dialogue avec le conseil scientifique ?"

Car l'association ne se contente pas de lever et distribuer des fonds, elle fait pression sur les décideurs. Lors du vote par le Sénat des dernières lois bioéthiques, son président faisait parvenir à tous les parlementaires les résultats de la consultation d'un "panel de patients". Ce dernier réclamait l'expérimentation sur l'embryon et le clonage à visée thérapeutique.

L'AFM plaide pour que soient levées les barrières éthiques qui lui paraissent entraver les progrès de la science. Elle est devenue un lobby scientiste performant. Elle héberge depuis deux ans dans son Généthon le professeur Marc Peschanscki. Ami du professeur Hwang jusqu'à la disgrâce du fraudeur Coréen du clonage, c'est l'un des chercheurs français les plus en pointe en matière… de transgression.

Il a obtenu, en juin 2006, les premières autorisations de recherche sur l'embryon humain et codirige la première équipe qui tentera d'obtenir des lignées de cellules embryonnaires en France, légalement.

Comment expliquer pareille dérive ? Si la souffrance a produit une magnifique énergie chez les dirigeants de l'AFM, elle semble aussi avoir anesthésié leur conscience, à moins que l'argent ne leur ait fait tourner la tête. Depuis plus de dix ans le Téléthon présente comme des succès de la science ses "bébéthons" issus du diagnostic préimplantatoire. Sur le site Internet de l'AFM, une mère de famille qui a perdu ses deux aînés de la maladie parle de la naissance de ses trois petites filles valides comme d'une "victoire sur la malchance et sur la mort" sans évoquer le tri embryonnaire dont ont été victimes les frères ou sœurs écartés. Que répondre ?

Pour les observateurs conscients que le respect de l'embryon est un enjeu de civilisation, c'est un crève-cœur de devoir mettre en garde contre le Téléthon : n'a-t-il pas mobilisé les Français en faveur des personnes handicapées et amélioré le sort de beaucoup par des aides que personne n'aurait pu financer ? C'est conscient du gâchis, que l'Alliance pour les Droits de la Vie a lancé, il y a trois ans un "Comité pour sauver l'éthique du Téléthon" qui regroupe des personnes malades refusant les transgressions éthiques à prétexte thérapeutique. De son côté, la Fondation Jérôme Lejeune continue d'alerter avec précision sur les dérives de l'AFM. De nombreuses institutions chrétiennes – écoles et même paroisses – ont cru qu'elles pouvaient s'investir en toute confiance dans l'événement. Cette année, pour la première fois, un diocèse, celui du Var, publie une mise en garde radicale : « il n’est plus possible de participer au Téléthon ».