samedi 13 août 2005

[Aletheia n°79] document: "Lettre d'un catholique français perplexe au Saint Père"

Aletheia n°79 - 13 août 2005

Document :

Lettre d'un catholique français perplexe au Saint Père

Très Saint Père,

Lors du congrès Eucharistique de Bari, vous avez voulu redonner de l'éclat, de la valeur et de la spiritualité au Jour du Seigneur, en insistant notamment sur l'assistance à la Sainte Messe, appelée aussi Célébration ou Eucharistie.

Le dimanche 19 juin, à l'occasion d'une Célébration dominicale offerte pour l'anniversaire de la mort d'un membre de ma famille, je me suis rendu dans une paroisse de la banlieue parisienne. Toute cette Célébration fut faite en langue vernaculaire. Dans le livre, mis à la disposition des fidèles, les mots “ Récit de l'institution ” sont écrits en marge des textes de la Consécration. Les hosties, destinées à la communion des fidèles, étaient mises dans un ciboire en bois. Ce dimanche-là, ai-je reçu le Corps de Christ (Messe catholique) ou une simple hostie (cène protestante)? J'en frémis encore. Vous comprendrez, Très Saint Père, que le dimanche suivant, je sois revenu dans la chapelle où est célébrée la Sainte Messe, selon le rite tridentin par des prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X.

À la sortie de cette Célébration du 19 juin, mes nièces m'ont présenté quelques jeunes avec lesquels j'ai parlé des JMJ de Cologne, journées inoubliables qui réconfortent et rendent heureux. Pour ces jeunes, le Saint Père, Jean-Paul II, est vraiment un saint. Je les comprends. Mais moi, leur oncle, je ne puis oublier que votre prédécesseur est le pape qui a embrassé le Coran, ce qui pour un musulman représente un acte de soumission à la volonté du Coran. Comment est-il possible de croire un livre qui demande de lapider une femme adultère, alors que dans nos Saints Evangiles Notre Seigneur dit à cette même femme, en lui pardonnant : “ Va et ne pêches plus ”. En 1985, au Maroc, le Saint Père a dit à la jeunesse musulmane de ce pays : “ Nous croyons au même Dieu ”. Mais l'Islam nie la Trinité et nous traite d'idolâtres. En 2000, en Terre Sainte au bord du Jourdain, il s'est écrié : “ Puisse St Jean baptiste protéger l'islam ! ”. Quelle horreur ! Auparavant en 1980, à Mayence, il leur a dit aussi cette phrase : “ Vivez votre foi, même en terre étrangère ”. Je ne comprends plus. Les paroles de Notre Seigneur : “ Allez enseigner toutes les Nations, baptisez-les … ” seraient-elles devenues caduques ? Très Saint Père, je ne comprends plus. Santo subito? Je suis perplexe.

Que dois-je dire à mes nièces et à leurs amis des JMJ qui seront tous heureux de vous retrouver à Cologne ? Très Saint Père, s'il vous plaît, dites-leur que le prêtre est un autre Christ, qui, lorsqu'il prononce les paroles de la Consécration le calice en main, se trouve lui aussi au Calvaire au moment où Notre Sauveur s'écrie : “ Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ” et rend son âme à son Père.

Un autre sujet me trouble également. J'ai cru comprendre que lorsque vous serez à Cologne, vous iriez à la synagogue de cette ville. C'est une très bonne initiative. Mais quelles paroles direz-vousÊ? Le plus illustre de vos prédécesseurs, le premier Pape, saint Pierre, l'Apôtre et le Martyr, a prononcé deux admirables homélies que nous a retranscrites saint Luc dans les Actes des Apôtres : l'une au Chap. 2, V, 14-36, le jour de la Pentecôte et la seconde au Chap. 3, V, 12-36, quelques heures plus tard, dans le Temple même de Jérusalem.

Très Saint Père, reprenez cette homélie à Cologne et je ne serai plus perplexe. Je comprendrai alors que la Tradition Apostolique peut revenir. Les Israélites ne sont pas nos “ grands frères ”, car le devoir du “ grand frère ” serait alors de prendre la main du “ petit frère ” et de le conduire à la synagogue d’où Notre Seigneur nous a précisément sortis.

Très Saint Père, je ne comprends plus ! Je continuerai donc à fréquenter les prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X en suivant la Sainte Messe avec le missel que m'ont offert en 1948 mes parents, ouvriers agricoles. Il me faut rester fidèle à ce que j'ai reçu.

Comme vous l'avez dit le bateau prend eau. Dans ce cas, n'est-ce pas au capitaine de redresser la barre, Très Saint Père ? Chaque jour, avec mon épouse, nous prions pour que le Saint-Esprit inspire au successeur de Pierre ce qu'il faut pour tenir la barre et rester ferme dans la Foi, reçue des Apôtres.

Tonton Jean

(C'est ainsi que m'appellent mes nièces)

Ce texte est extrait du numéro d’août 2005 de la revue Credo (11 rue du Bel-air, 95300 Ennery). Cette revue est l’organe de l’association du même nom, fondée en 1977 par l’écrivain Michel de Saint-Pierre et liée aujourd’hui à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.

Cette adresse respectueuse à Benoît XVI est celle d’un simple fidèle – l’Association est présidée par Jean Bojo. Plus que des démonstrations théologiques qui, paradoxalement, courent le risque de la simplification, de la caricature et, même de l’omission, cette interpellation a la saveur de l’authenticité et de la simplicité. Elle exprime le trouble, le scandale-même, qu’ont pu éprouver des fidèles, dans le monde entier, suite à certains gestes, certaines initiatives, certaines paroles de Jean-Paul II[1].

Depuis qu’il a été élu au Souverain Pontificat, Benoît XVI n’a pas manqué de recevoir des lettres de fidèles, de France et d’ailleurs, attachés à la Tradition, et des suppliques et pétitions d’associations, lui demandant des rectifications et des éclaircissements doctrinaux et une liberté entière pour le rite traditionnel de la messe. À l’inverse, une campagne médiatique s’est développée, surtout ces derniers temps à l’approche des JMJ organisées à Cologne, pour mettre en cause son “ traditionalisme en matière de mœurs et la lenteur des progrès sur l’œcuménisme ” (Le Figaro, 11 août 2005).

Les allocutions et sermons que le Pape Benoît XVI va prononcer aux JMJ de Cologne sont attendus par les uns et par les autres. Chacun y cherchera réponse à ses questions ou à ses interpellations, contradictoires, et, pour certains, à ses sommations. Les JMJ de Cologne seront un “ test ” disent déjà certains.

L’adresse du “ catholique français perplexe ”, que nous avons reproduite plus haut, est modeste et respectueuse. Elle est patiente aussi, nous semble-t-il.

Dans l’Eglise, les rectifications et restaurations se font rarement d’un seul coup. Benoît XVI ne répondra sans doute pas aux attentes des uns et des autres exactement de la façon dont ils le souhaitent. Un Pasteur en charge de l’Eglise universelle a forcément une vue universelle des besoins du Peuple de Dieu. Il a aussi une vision surnaturelle de l’Eglise, il sait, comme ses prédécesseurs, que l’Eglise ne se dirige pas comme une commune ou comme un pays, à coup de règlements, d’ordonnances et de lois qui peuvent annuler les précédentes. Il n’en reste pas moins que les fidèles peuvent être attentifs à certains signes, certaines décisions.

Les catholiques attachés à la Tradition auront peut-être été attentifs au fait qu’un des premiers évêques nommés en France a été M. l’abbé Raymond Centène, nommé évêque de Vannes. L’abbé Centène a été membre du comité de rédaction de Kephas dès son premier numéro et il y a publié plusieurs articles. Kephas est la revue dirigée par M. l’abbé Le Pivain, prêtre de la Fraternité Saint-Pierre (même si la revue ne dépend pas de la Fraternité Saint-Pierre) ; elle s’est voulue dans la continuité de la Pensée Catholique du regretté abbé Lefèvre.

Autre événement, sur lequel je me garderai bien d’entrer en conjecture : le 29 août prochain, Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, sera reçu en audience par Benoît XVI. Avant même l’élection du cardinal Ratzinger au Souverain Pontificat, dans les jours qui avaient précédé le conclave, des contacts, téléphoniques, avaient renoué les liens entre le futur pape et la FSSPX.

Cette audience accordée à Mgr Fellay est-elle une étape dans de nouvelles négociations entre le Saint-Siège et la FSSPX ? Sans répondre à cette question, on peut indiquer quelles sont les analyses et les demandes que le Supérieur général de la FSSPX va présenter au Saint-Père. Le 16 juillet dernier, il a accordé un long entretien au bulletin D.I.C.I.[2]. On y lit notamment les propos suivants :

Si l’on peut dire qu’avant son accession au souverain pontificat l’Eglise était en chute libre, Benoît XVI ouvrira un parachute, et il y aura un certain coup de frein. Un coup de frein qui pourra être plus ou moins important selon que le parachute sera plus ou moins vaste. Mais la direction reste la même. Faut-il espérer plus que ce coup de frein ? Les promesses de N.S. valent pour toujours. Et le Bon Dieu se sert de tout pour faire avancer son Eglise là où il veut.

Permettez-moi de vous donner un avis personnel : si Benoît XVI est mis au pied du mur, dans une situation de crise, face à une réaction très violente des progressistes, ou bien devant une crise politique, des persécutions, je pense - en observant comment il a agi et réagi jusqu’ici - qu’il fera le bon choix.

Voici quelques faits :

- À sa nomination à l’évêché de Munich, en 1977, alors qu’il n’a été jusqu’à présent que professeur de théologie, il rentre dans le concret et il est obligé d’interdire à un de ses amis d’occuper la chaire de théologie de la Faculté. Ce qui va lui valoir l’opposition de ses anciens amis.

- En France, en 1983, il rappelle que le catéchisme est le catéchisme romain c’est-à-dire celui du concile de Trente. Et il affrontera l’ire des évêques de France.

- On sait que le cardinal Ratzinger était opposé à la rencontre interreligieuse d’Assise, en 1986, et qu’il n’y est pas allé. La seconde fois, en 2002, toujours opposé, il a été contraint de s’y rendre. Et il donnera plusieurs fois sa démission comme préfet de la Congrégation de la foi à cause de désaccords avec le pape, notamment sur Assise.

- La Charte de Cologne, en 1989, signée par 500 théologiens contre le magistère romain, rassemblait la grande majorité des forces intellectuelles catholiques de l’époque. Ils manifestaient ouvertement leur hostilité à Rome et au magistère. Le cardinal produisit alors des écrits sur la nouvelle théologie. Dans une description très fine et réaliste, il faisait apparaître l’étendue de la gravité. Malheureusement les remèdes proposés étaient très en deçà du diagnostic, quasiment nuls. […]

DICI : Si vous étiez reçu par le pape, que lui demanderiez-vous ?

Mgr Fellay : Je lui demanderais la liberté de la messe pour tous et dans le monde entier. Dans notre situation personnelle, il s’agira également de rétracter ce décret d’excommunication relatif aux sacres. Ce sont les deux préalables que nous ne pouvons dissocier d’une discussion doctrinale ultérieure. On sait bien que tout ne se limite pas à la messe, mais il faut commencer par du concret ; il faut commencer par un début. Ce serait une brèche très profonde et efficace dans le système progressiste ; cela amènerait graduellement un changement d’atmosphère et d’esprit dans l’Eglise.

Un chef de dicastère à Rome, en voyant nos processions lors de l’Année Sainte, en 2000, s’est exclamé : “ Mais ils sont catholiques, nous sommes obligés de faire quelque chose pour eux ”. Il y a encore des évêques, des cardinaux qui sont catholiques, mais le mal est tellement répandu que Rome n’ose plus prendre le bistouri. […] Car Ecône n’est pas contre Rome, comme le disent les journalistes. Nous partageons avec le pape Benoît XVI le même constat sur la situation dramatique de l’Eglise. Et comment ne pas être d’accord sur ce constat lorsqu’on voit la chute des vocations : à Dublin en Irlande, l’an dernier, il n’y aurait eu aucune entrée de séminaristes ! Chez les jésuites il y a un an ou deux, on a compté seulement sept professions perpétuelles pour toute la congrégation ! Mais Rome ne remonte pas à la cause des effets que tout le monde constate, parce que cela équivaudrait à une remise en cause du concile. Il faut que Rome retrouve sa Tradition. Bien sûr, ce n’est pas nous qui convertissons, c’est Dieu ; mais nous pouvons apporter notre petite pierre à la restauration, nous devons faire tout ce que nous pouvons. Il faut faire comprendre que la Tradition n’est pas un état archéologique : c’est l’état normal de l’Eglise aujourd’hui encore. […] L’Eglise dont le cardinal Ratzinger a reconnu qu’elle prenait “ l’eau de toutes parts ” a besoin de se tourner vers sa Tradition oubliée. Nous en vivons et en jouissons pleinement. Nous donnons la preuve que la Tradition n’est pas dépassée, mais au contraire adaptée au temps présent, parce qu’elle est universelle, parce qu’elle se situe dans la ligne ininterrompue des principes éternels. Et parce que Dieu ne change pas.

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NOTES

[1] En son temps, suite au discours de Jean-Paul II à la jeunesse musulmane dans le stade de Casablanca (1985) et suite à la première “ Journée mondiale de prière pour la paix” (27 octobre 1986) – ce que certains ont appelé le “ scandale d’Assise ” –, Dom Gérard, le Rév. Père Abbé du Monastère Sainte-Madeleine du Barroux, faisait paraître, le 15 février 1987, une brochure de huit pages : Peut-on dire “ Nous avons le même Dieu que les Musulmans ? ” ; belles pages d’interrogations, de réponses et de réconfort pour les “ catholiques troublés dans leur foi ”.

[2] D.I.C.I.-Presse, Etoile du Matin, 57230 Eguelshardt, le numéro 2 €.