Aletheia n°144 - 10 juillet 2009
La première encyclique de Benoît XVI consacrée aux questions sociales, attendue depuis plus de deux ans, a été promulguée le 29 juin dernier et publiée peu de jours après. Intitulée Caritas in veritate, l’encyclique surprend d’abord par sa longueur. Elle compte beaucoup plus de pages que les encycliques sociales qui l’ont précédée.
Si l’on s’en tient aux encycliques considérées comme les plus importantes dans ce domaine, du moins celles auxquelles Benoît XVI fait référence, on peut établir la comparaison suivante :
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Léon XIII, Rerum novarum (1891) : env. 84.000 signes (ou caractères).
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Pie XI, Quadragesimo anno (1931) : env. 145.000 signes.
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Paul VI, Populorum Progressio (1967) : env. 72.000 signes.
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Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis (1987) : env. 145.000 signes.
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Benoît XVI, Caritas in veritate (2009) : env. 210.000 signes.
Dans l’encyclique de Benoît XVI, les sujets traités sont plus nombreux que dans les précédentes encycliques sociales. Des sujets nouveaux ou peu abordés précédemment font l’objet de longs développements : la mondialisation ou la nécessité d’imposer des règles à la financiarisation de l’économie. Mais Caritas in veritate, par son ampleur, par son caractère plus doctrinal et plus théorique que pratique, par sa densité, n’est certainement pas une encyclique qui pourra être lue intégralement par l’homme de la rue ni même accessible facilement au fidèle de bonne volonté.
La charité dans la vérité
Composite – le plan même de l’encyclique se ressent des rédactions successives et des rédacteurs divers qui ont collaboré à sa préparation –, cette encyclique trouve sa touche la plus personnelle, la plus ratzingérienne, dans les premières pages. Benoît XVI montre les liens étroits qui doivent exister entre la charité et la vérité[1] : « Ce n’est que dans la vérité que la charité resplendit et qu’elle peut être vécue avec authenticité ».
La charité peut connaître des « dévoiements », des « pertes de sens ». « Sans vérité, la charité bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion contingente des êtres humains : il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu’à signifier son contraire. La vérité libère la charité des étroitesses de l’émotivité […] ».
Sans qu’aucune personnalité ne soit nommée ni aucune organisation citée, on relèvera cette critique qui vise un certain humanitarisme chrétien : « Un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale ».
L’autre principe essentiel de l’encyclique est le rappel que « l’adhésion aux valeurs du Christianisme est un élément non seulement utile, mais indispensable pour la construction d’une bonne société et d’un véritable développement humain intégral ». Plus loin, Benoît XVI plaidera pour le « droit de cité », au sens littéral, de la religion chrétienne. « L’exclusion de la religion du domaine public » empêche les véritables progrès de la société. Le Pape rappelle son discours de Sydney aux jeunes, en 2008 : « Quand Dieu est éclipsé, notre capacité de reconnaître l’ordre naturel, le but et le ”bien” commence à s’évanouir. »
L’économie doit être morale
Dans cette encyclique, comme l’a remarqué Denis Sureau, « Benoît XVI récuse le libéralisme sans pourtant jamais le nommer (pas plus qu’il ne nomme d’ailleurs le capitalisme, le socialisme et le communisme) »[2]. Le Pape conteste l’ « autonomie de l’économie ». Soustraire les questions économiques et financières à la sphère morale « conduit l’homme à abuser de l’instrument économique y compris de façon destructrice. À la longue, ces convictions ont conduit à des systèmes économiques, sociaux et politiques qui ont foulé aux pieds la liberté de la personne et des corps sociaux et qui, précisément pour cette raison, n’ont pas été en mesure d’assurer la justice qu’ils promettaient ». Hors, insiste Benoît XVI, « toute décision économique a une conséquence de caractère moral » ; l’activité économique « doit viser la recherche du bien commun ».
L’encyclique de Benoît XVI, qui se situe avec insistance dans la continuité de l’enseignement social de Paul VI (cité 78 fois), relie trois des enseignements importants de ce pape : Populorum progressio (1967), Humanae vitae (1968) et Evangelii nuntiandi (1975). Le progrès social, moral et économique des peuples va de pair avec la défense de la vie et l’évangélisation. Comme l’écrit le cardinal Barbarin en présentant l’encyclique : « C’est dans la recherche de la vérité que les hommes trouveront le moteur et le fil conducteur de leur action. Le progrès et le développement auxquels la société travaille, supposent une connaissance profonde de ”l’homme tout entier” et de la création. Il est clair qu’on doit agir avec cohérence et qu’on ne peut dissocier l’éthique sociale de celle de la vie, ou l’écologie humaine du respect de la création. »
L’unification de l’humanité est-elle possible ?
Une des convictions de cette encyclique est l’idée que « l’humanité » est « en voie d’unification ». L’idée n’est pas nouvelle, l’utopie d’un gouvernement mondial a été soutenue par de nombreux auteurs, hommes politiques et hommes d’influence. Loin de rejeter cette perspective, Benoît XVI pense que les Chrétiens et l’Eglise doivent « favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du processus d’intégration planétaire » (§ 42). Le Pape croit que l’interdépendance et l’interactivité, qui sont une des caractéristiques du monde d’aujourd’hui, peuvent devenir « une communion véritable » (§ 53). Il pense que des institutions temporelles peuvent la favoriser. Il émet un vœu : « il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale » (§ 67).
Le Pape, qui ne ménage pas ses critiques à l’encontre de la mondialisation telle qu’elle est aujourd’hui, n’en conteste pas le but. Sa vision optimiste et évolutionniste de l’avenir de l’humanité le conduit à un choix politique : le mondialisme
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[1] Le pape, dans la première partie de son encyclique, emploie le plus souvent le mot « charité » (carità) et parfois le mot « amour » (amore). La traduction officielle en français diffusée par le site officiel du Vatican n’a pas toujours respecté le texte original italien, employant souvent le mot « amour » pour traduire carità. Dans les citations faites ici, je me suis référé au texte italien.
[2] Chrétiens dans la Cité (17 rue Manessier, 94130 Nogent-sur-Marne), n° 226, juillet-août 2009.