vendredi 27 février 2009

[Aletheia n°138] Les «traversées» d'un Jésuite - par Yves Chiron

Aletheia n°138 - 27 février 2009

Les «traversées» d'un Jésuite - par Yves Chiron

Le Père Jean-Yves Calvez, jésuite, né en 1927, a été, surtout un professeur : à partir de 1953, à la Faculté de philosophie de son ordre, à Chantilly ; à l’Institut d’Etudes politiques de Paris entre 1962 et 1997 ; à l’Institut catholique de Paris, au Centre Sèvres, à l’université jésuite de Washington et dans bien d’autres endroits dans le monde.

Son premier livre, paru en 1956, un énorme volume de 700 pages, La Pensée de Karl Marx, a été un best-seller et reste, aujourd’hui encore, une référence. Le P. Calvez est un des spécialistes de ce qu’on appelait jadis la « doctrine sociale de l’Eglise », il a accompagné toutes ses évolutions et son nouveau langage. En 1987, le P. Calvez a été, avec le cardinal Etchegaray et avec l’argentin Mgr Mejia (qui sera créé cardinal en 2001), un de ceux qui ont collaboré, avec Jean-Paul II, à la rédaction de l’encyclique Sollicitudo rei socialis.

Le P. Calvez a été aussi un homme d’appareil, naviguant, avec souplesse, dans les structures complexes de l’ordre religieux le plus centralisé de l’Eglise catholique. De 1967 à 1971, il fut le premier Provincial de France – regroupement des quatre anciennes provinces jésuites de France – , puis Assistant général du Supérieur général des Jésuites, le P. Arrupe, de 1971 à 1983.

Il livre un volume de mémoires sur trente années de vie jésuite (1958-1988)[1] Un ouvrage révélateur d’un esprit, qui a couru et qui court encore dans l’Eglise ; un ouvrage qui apprend beaucoup aussi sur les conflits qui ont opposé la Compagnie de Jésus à deux papes successifs, Paul VI puis Jean-Paul II.

On ne s’attardera pas à une méchanceté à l’égard de Mgr Lefebvre, dès le début du livre. Méchanceté ou rumeur rapportée comme un fait avéré, une calomnie en tout cas. Mgr Lefebvre, alors archevêque de Dakar, aurait manifesté « son allergie à la nomination d’archevêques africains dans les nouvelles capitales – trouvant les prêtres africains trop peu préparés » ; c’est cette « allergie » de Mgr Lefebvre qui aurait incité Jean XXIII à le relever de ses fonctions de délégué apostolique pour l’Afrique francophone (p. 22).

Un historien aussi peu suspect de complaisance à l’égard de Mgr Lefebvre que Jean Chélini a montré le contraire[2]. Sans parler de la gratitude qu’a toujours manifestée le cardinal Thiandoum à l’égard de Mgr Lefebvre qui l’avait ordonné prêtre et l’avait choisi pour lui succéder à Dakar.

Les « temps » teilhardiens

On sera plus attentif à l’idée qui court tout au long du livre : l’histoire, celle de l’Eglise comme celle du monde, est, selon le P. Calvez, une succession de « temps » qui, au final, constituent une ascension, une évolution vers le mieux ; malgré les moments de crises et les apparents échecs.

Teilhard de Chardin, qui n’a jamais été professeur dans les scolasticats ou facultés jésuites, a néanmoins influencé considérablement deux ou trois générations de jésuites par ses écrits (même diffusés clandestinement). Chez le P. Calvez, l’influence des écrits de Teilhard de Chardin, lus pendant les années de formation, a été décisive.

Tout au long de son livre, le prisme est celui de l’attention qu’il faut accorder aux « mouvements profonds » des temps successifs et des « adaptations » non moins nécessaires que ces temps exigent. Le temps devient ainsi une sorte d’hypostase qui s’impose aux hommes, qui emporte les plus conscients, les plus réceptifs, les plus ouverts, tandis que les autres essaient d’y résister.

Le P. Calvez, dans ce livre, n’emploie pas les concepts de la pensée teilhardienne, mais il relit sa propre histoire et l’histoire du monde dans un esprit teilhardien.

Les « temps » que repère le P. Calvez dans sa propre vie, temps qui s’accordent avec des moments importants de l’Histoire, rappellent les « temps » que Teilhard repérait dans toute vie et dans l’histoire, ce qu’il appelait aussi des « phases ».

Chez Teilhard de Chardin, la « transformation » et l’ « instabilité radicale in Christum » deviennent des chances :

« Il y a une infinité de vocations et, dans chaque vie, une infinité de phases. […] Il y a pour chacun de nous, un temps pour croître, et un temps pour diminuer. Tantôt c’est l’effort humain constructeur qui domine, tantôt c’est l’annihilation mystique. Ce qu’il importe de voir, c’est que ces saintetés différentes sont les nuances d’un même spectre. Toutes ces attitudes procèdent d’une même orientation intérieure, d’une même loi qui combine le double mouvement de la personnalisation naturelle de l’Homme, et de sa dépersonnalisation surnaturelle in Christo.

[…] Je ne confère aucune ”stabilité divine” à l’ordre naturel. Je dirais plutôt que cet ordre est caractérisé par une instabilité radicale in Christum, tout se trouvant en porte-à-faux, en tendance, sur le Centre actuel du Plérôme. Mais c’est justement par suite de ce porte-à-faux que le Christ a quelque chose d’un démiurge.[3]

À trois reprises, le P. Calvez a eu l’impression de vivre l’émergence de temps nouveaux :

- dans les années d’après-guerre, alors qu’il est jeune jésuite ;

- au concile (où il figure parmi les periti), philosophe et théologien qui commence à être reconnu ;

- en mai 68, alors qu’il dirige la Province jésuite de France depuis un an.

Il évoque ces trois temps sur le même ton enthousiaste, avec des images et des termes très proches :

L’après-guerre

« fin de la guerre, après-guerre bouillonnante ; dans l’Eglise de France : la mission ouvrière, Teilhard de Chardin, ses écrits circulant sous le manteau, la lettre du cardinal Suhard ”Essor ou déclin de l’Eglise ?”, si lue et si méditée. Un sentiment de nouveau, de renouveau, à ce moment là… » (p. 11).

• « c’était une période de grande effervescence. Dans l’Eglise : Suhard, Teilhard, ai-je dit ; également la mission ouvrière… Dans le monde aussi : l’existentialisme ! Sartre et Camus, Camus et Sartre. » (p. 11).

Vatican II

• « Quelle impression d’air plus léger, alors, de rajeunissement, de relecture de l’Evangile même, par les concrétions multiséculaures » (p. 23).

• « Souffle de l’Esprit. La Rome des années du concile, ce fut vraiment une grande Pentecôte, et l’Eglise universelle en acte » (p. 23).

Mai 68

• « Comme une aube de l’humanité. Car on voulait en somme tout recommencer de zéro. Recommencer la société tout à neuf » (p. 28).

• « il y avait bien, au début, la fraîcheur d’une aube, la légèreté de la brise d’un paradis terrestre » (p. 29).

Les « barrages »

A côté de Teilhard de Chardin, et de son « dynamisme ascensionnel », il y a eu l’influence de Hegel, de sa recherche d’un sens de l’histoire. Dans cette vision progressiste de l’histoire, tout ce qui n’est pas en syntonie est perçu comme un obstacle, comme un frein, comme un recul.

Ainsi, le P. Calvez oppose le « sentiment de nouveau, de renouveau », qu’il éprouve dans les années d’après-guerre au « gel » que Pie XII impose dans les années suivantes, aux « barrages » qu’il dresse, dans les dernières années de son pontificat, pour tenter d’endiguer, de retenir le cours de l’Histoire : « le pontificat de Pie XII dans sa dernière étape donne une impression de barrages de toute sorte : barrage à l’esprit, c’est mon sentiment, avec Humani generis et avec des interdictions prononcées contre Fourvière, de Lubac et ses compagnons, interdits d’enseignement, voire de publication : barrage aux initiatives pastorales d’autre part (l’affaire des prêtres-ouvriers, c’est en 1953). Il me reste, très fortes, toutes ces impressions de coups de barre, barrages et blocages. »

Même avec le recul du temps, le P. Calvez ne se détache pas de ses enthousiasmes ou de ses sentiments négatifs. Aujourd’hui encore, il garde la nostalgie de Mai 68 : « cette époque a eu aussi du positif, dans ses débuts surtout, de la fraîcheur ai-je dit, et je me départis difficilement de ce jugement » (p. 79).

C’est toujours à travers le prisme du progrès et de l’ « ouverture » que sont jugés les choses et les hommes ; même quand l’auteur évoque l’histoire tourmentée de la Compagnie de Jésus à partir des années 1965. Il cite longuement le père Arrupe, supérieur général de l’ordre, dont il fut le collaborateur proche pendant si longtemps – et la plume, parfois, peut-on deviner.

Il y aurait une analyse à faire pour comprendre comment les bouleversements extérieurs de nombre de congrégations religieuses, sciemment provoqués par certains ou acceptés par les autres, ont été spirituellement vécus. Ils sont apparus comme des épreuves à accepter pour des lendemains meilleurs dont on était en attente ; sans volonté ou espoir de revenir en arrière. Au contraire, l’interprétation spirituelle des événements légitimait, en quelque sorte, le fait accompli.

On ne citera, à titre d’exemple, qu’un extrait d’un écrit du P. Arrupe, en 1976 : « L’Eglise et la vie religieuse vivent aujourd’hui […] une condition d’exode gigantesque : sortie d’une culture, de conceptions, de sécurités, d’idéologies, d’un ordre social, sortie qui impose des ruptures et des désappropriations parfois violentes et très douloureuses, d’autres fois inconscientes, en vue d’inaugurer quelque chose de nouveau, d’inconnu, qui est en train de s’engendrer comme spontanément et hors du contrôle de l’homme [4]».

Cette vision de la vie de l’Eglise et de la vie religieuse a une tonalité nettement hégélienne.

L’exode est à la fois « individuel et collectif », écrivait le P. Arrupe, Dieu lui donne sens, dans l’attente de « la nouvelle terre promise ».

Dans cette perspective, tout retour en arrière ou même tout retour au centre est perçu comme une erreur. L’intervention décisive du Pape en 1981 – Jean-Paul II a nommé un délégué pontifical pour diriger la Compagnie de Jésus –, est racontée en détail par le P. Calvez, avec force circonlocutions (les « critiques que certains lui avaient faites à l’occasion des nombreux événements des années soixante-dix, la Compagnie ne les méritait au moins pas toutes »). Mais, au final, l’ancien Provincial de France, l’ancien assistant général du P. Arrupe, qui a été au fait de toutes les crises et difficultés de son ordre, n’admet pas la nécessité de l’intervention de Jean-Paul II : « Il demeure quelque mystère de cette intervention pontificale de 1981 ».

Significativement, – mais cela ne figure pas dans le livre – il accepte mal une autre intervention pontificale. Récemment, à l’annonce du décret levant l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, le P. Calvez a estimé : « il y a bien des problèmes dans cet événement ». Cette décision lui reste « en travers de la gorge », c’est sa propre expression[5].


NOTES

[1] Jean-Yves Calvez, Traversées jésuites. Mémoires de France, de Rome, du monde. 1958-1988, Cerf, 140 pages, 15 euros.

[2] Jean Chélini, L’Eglise sous Pie XII, Fayard, t. II, 1989, p. 130-131.

[3] Blondel et Teilhard de Chardin, correspondance commentée par Henri de Lubac, Beauchesne, 1965, p. 34.

[4] P. Arrupe, Ecrits pour évangéliser, cité page 96-97.

[5] Réaction publiée sur le site Croire.com.

jeudi 12 février 2009

[Aletheia n°137] Vatican II peut-il être corrigé? par Yves Chiron

Aletheia n°137 - 11 février 2009

1. Une lettre de M. l’abbé de Cacqueray

Le 24 janvier dernier, Monsieur l’abbé de Cacqueray, supérieur de district de la FSSPX, a adressé une lettre de cinq pages « À Messieurs les doyens, prieurs et directeurs d’école » de la FSSPX en France. Il y rappelle le « processus » souhaité par la Fraternité Saint-Pie X pour, à la fois, « travailler à la résolution de la crise qui ravage l’Église depuis quarante ans » et obtenir un statut canonique qui régularise sa situation.

Dans cette lettre, le Supérieur de district définit la position de la FSSPX comme un refus à la fois du « ralliement » et du « sédévacantisme » : « ne pas s’égarer à gauche ou à droite de la ligne de crêtes »[1].

L’abbé de Cacqueray précise aussi les formes que vont prendre les « discussions doctrinales » qui devraient s’ouvrir et l’objectif que la FSSPX poursuivra en les menant.

Je publie ci-dessous les extraits les plus significatifs de cette lettre[2]

Avec la récente annulation des excommunications de 1988, une étape absolument décisive du combat de la foi s'ouvre devant nous. Il convient de bien la comprendre, afin de bien la vivre, et de garder avec fermeté et souplesse la ligne que nous a transmise en son temps Monseigneur Lefebvre, celle d'une fidélité entière à la foi et à l'Église, «entre le ralliement et la rupture».

Au début de l'année 2001, la Fraternité Saint-Pie X fit connaître publiquement le processus qu'elle proposait pour, dans le même temps, travailler à la résolution de la crise qui ravage l'Église depuis plus de quarante ans et parvenir à une reconnaissance pleine et entière, de la part de Rome, de sa propre structure canonique telle qu'elle avait été enracinée dans l'Église le 10 novembre 1970.

Ce processus comportait trois étapes, à savoir : les deux préalables ; les discussions doctrinales ; la régularisation canonique de notre activité depuis l'illégale suppression de 1975.

[…]

Ces deux préalables étaient donc la liberté de la célébration de la messe traditionnelle pour tout prêtre dans l'Église et le retrait officiel de l’injuste et invalide décret d'excommunication fulminé contre les évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X et leurs deux admirables consécrateurs, Monseigneur Lefebvre et Monseigneur de Castro Mayer.

Ces deux préalables n'ont fait l'objet d'aucune discussion avec la Rome actuelle, d'aucune négociation. Ils ont purement et simplement été demandés par la Fraternité Saint-Pie X comme condition sine qua non à l'ouverture de contacts, La façon dont le Vatican a abordé ces deux points, c'est-à-dire le calendrier de publication des documents romains, leur contenu et leur style, ce qui a été accordé comme ce qui ne l'a pas été, les raisons et motifs invoqués pour accorder ou ne pas accorder, tout cela relève exclusivement de l'initiative et de la responsabilité de la Rome actuelle.

La Fraternité garde donc de nombreuses et légitimes réserves ou critiques sur tel ou tel point de ces documents, sur les arguments employés, sur les présupposés théologiques, liturgiques ou canoniques, sur l'esprit qui peut guider ou expliquer ces textes. Ces réserves ou critiques restent et resteront évidemment toujours vraies. En particulier, il est probable que l'intention de la Rome actuelle n'est pas parfaitement pure et claire en tout cela, qu'il y a une certaine volonté de nous ramener à Vatican II. Nous le savons, nous en tiendrons donc compte dans notre juste appréciation de la situation.

[…]

Les deux préalables, comme il a été dit, ne constituent nullement le processus de confrontation doctrinale et pratique, mais une simple étape préliminaire. Ayant été accordés unilatéralement par la Rome actuelle, sans aucune intervention de la part de la Fraternité Saint-Pie X, qui s'est contentée de les demander, et malgré les défauts que nous avons dits, ils ouvrent la voie à ce processus de confrontation doctrinale et pratique que l'on entend sous le nom de «discussions doctrinales».

Ce terme de «discussions doctrinales» est toutefois compris par quelques-uns tout à fait à rebours de la réalité. On imagine un petit groupe de personnes mandatées par on ne sait qui, chargées d'aller discuter et marchander à Rome auprès de diplomates très habiles et de théologiens spécieux, pour revenir quelques jours plus tard avec un accord en bonne et due forme qui comporterait beaucoup d'avantages matériels pour la Fraternité Saint-Pie X et quelques vagues satisfactions de forme, en échange d'une acceptation du concile Vatican II et d'une promesse de faire plus ou moins silence sur les sujets controversés.

Une telle description n'a strictement rien à voir avec la réalité. Essentiellement, la période qui s'ouvre est celle de la poursuite, et même de l'intensification du combat de la foi tel que la Fraternité Saint-Pie X, et en général toute la Tradition catholique, le mène depuis plus de quarante ans. Simplement, ce contentieux grave, qui touche directement à la foi et au salut éternel des âmes, sera mis sur la place publique, dans une disputatio ouverte que Monseigneur Lefebvre appelait de ses vœux.

[…]

Il s'agit bel et bien, dans cette notion de « discussions doctrinales », de tout ce que la Fraternité Saint-Pie X reproche depuis toujours au concile Vatican II et « à toutes les réformes qui en sont issues », à savoir principalement les erreurs graves sur la collégialité opposées à la constitution divine de l'Église ; les erreurs graves sur la liberté religieuse, opposées au Règne du Christ-Roi ; les erreurs graves sur l'œcuménisme, opposées à l'unité de l'Église ; les erreurs graves sur le dialogue interreligieux, opposées à l'obligation missionnaire donnée à l'Église par le Christ lui-même ; les erreurs sur le caractère de sacrifice propitiatoire de la messe, opposées à la fécondité théologique et spirituelle du sacrifice de l'autel, etc.

Sur ces points fondamentaux, il n'a jamais été question de céder quoi que ce soit de nos légitimes critiques et de notre impossibilité, en conscience, pour des raisons de foi, d'accepter les doctrines erronées qui sont enseignées partout depuis plus de quarante ans. Les discussions doctrinales auront pour but de travailler, selon le mesure de nos moyens, à faire prendre conscience à l'autorité ecclésiastique de ces erreurs graves et à les inciter à les combattre, à les rectifier et à les éliminer.

Ces discussions doctrinales ne pourront être considérées comme abouties que lorsque l'autorité ecclésiastique aura pris des mesures concrètes contre ces erreurs, même si elles ne sont pas encore totalement éliminées du corps de l'Église, et lorsque cette même autorité aura pris des mesures concrètes pour protéger la Fraternité Saint-Pie X, et en général toute la Tradition catholique, d'un risque de contamination par ces erreurs pernicieuses.

C'est pourquoi il ne faut pas imaginer ces discussions doctrinales comme particulièrement courtes et rapides. S'il a fallu quarante ans d'un combat héroïque et indiscontinué pour que la Rome actuelle reconnaisse enfin officiellement que la messe traditionnelle n'était pas interdite et ne pouvait pas l'être, on peut penser que le combat contre les erreurs doctrinales demandera de longs délais, des combats renouvelés, des travaux approfondis, une patience sans faille.

Quelle devra être notre attitude dans la période, si grave au regard de la foi, si cruciale pour l'avenir de l'Église, qui s'ouvre avec le récent document romain ?

Le premier point, le plus important, est évidemment de travailler, avec la grâce de Dieu, à rester fidèles à la Fraternité Saint-Pie X et à l'héritage spirituel que nous a transmis Monseigneur Lefebvre. Les sirènes du ralliement comme du sédévacantisme vont se déchaîner, plus que jamais, autour de nous. Il faudra dans la prière, dans l'humilité, dans la fidélité au devoir d'état, ne pas dévier de la droite ligne, ne pas s'égarer à gauche ou à droite de la ligne de crêtes.

[…]

Notre combat est pour Notre Seigneur Jésus-Christ, pour l'Église, pour le salut des âmes. ll ne s'agit pas de rechercher nos intérêts personnels, pas même au premier chef les intérêts propres de la Fraternité Saint-Pie X, mais bien de travailler pour l'Église, une, sainte, catholique et apostolique. La période est confuse, complexe, difficile, mais c'est celle où la Providence nous appelle à vivre et où elle attend de nous le témoignage de la fidélité à la foi de toujours et à l'Église, à l'Église qui continue à vivre même au milieu de cette crise terrible que son Chef, le Seigneur Christ, saura apaiser et régler quand il le jugera opportun. «Les hommes d'arme batailleront, et Dieu donnera la victoire».

Abbé de Cacqueray

Il y a, de la part de la FSSPX, un excès de langage à parler d’ « annulation » du décret d’excommunication, comme d’une sentence judiciaire qui serait cassée. Il s’agit, dit le texte du décret, d’une rimozione, une « remise » de peine dans le langage juridique civil.

On sera plus attentif à la position de la FSSPX sur le concile Vatican II. Il ne s’agit plus de le rejeter en bloc, de l’ « effacer » complètement, de l’ « oublier », comme le disaient récemment encore certaines autorités de la FSSPX. Il s’agit, désormais, d’inciter le Saint-Siège à « combattre », « rectifier » et « éliminer » les erreurs qu’il contiendrait.

2. Vatican II n’est pas un « super-dogme » disait le cardinal Ratzinger [3]

En mai 1988, concernant les « points enseignés par le concile Vatican II » qui paraissent, à la Fraternité Saint-Pie X « difficilement conciliables avec la tradition », Rome avait demandé, et la Fraternité Saint-Pie X avait admis, « une attitude positive d’étude et de communication avec le Saint-Siège, en évitant toute polémique ».

En 2006, lors de la création de l’Institut du Bon Pasteur, il n’a pas été demandé non plus une adhésion pour ainsi dire littérale aux textes du concile Vatican II. Le communiqué officiel publié alors par l’IBP précisait : « chaque membre fondateur reconnaît personnellement ”respecter le Magistère authentique” du Siège Romain, dans ”une fidélité entière au Magistère infaillible de l'Église” (Statuts II §2). D'un point de vue doctrinal, conformément au discours du pape Benoît XVI à la Curie Romaine le 22 décembre 2005, les membres de l'Institut, autant qu'il est en eux, sont engagés par une ”critique sérieuse et constructive” du Concile Vatican II, pour permettre au Siège Apostolique d'en donner l'interprétation authentique. »

En janvier 2009, par le décret de levée d’excommunication des quatre évêques de la FSSPX, le Saint-Siège reconnaît que « sur les questions encore ouvertes » des discussions (colloqui) sont « nécessaires ». Parmi ces « questions encore ouvertes » figurent, bien sûr, certains textes du concile Vatican II.

Ces vingt dernières années, donc, à trois reprises, sous Jean-Paul II puis sous Benoît XVI, le Saint-Siège a reconnu, dans des actes officiels, que les actes du concile Vatican II ne sont pas une nouvelle table de la Loi.

En 1988 encore, dans une conférence prononcée devant les évêques du Chili et de Colombie, le 13 juillet, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a reconnu qu’ « une obéissance ”en bloc” à Vatican II » n’était pas exigée du Saint-Siège.

Pourtant, ces derniers jours, la Conférence des évêques de France, dans le communiqué publié par son Conseil permanent, pose une exigence : « En aucun cas, le Concile Vatican II ne sera négociable ».

Il y a contradiction.

On doit faire remarquer encore que pas plus que le Saint-Siège n’exige d’accepter le concile Vatican II comme un « bloc », pas plus la Fraternité Saint-Pie X, du moins par la voix de son Supérieur général, Mgr Fellay, ne refuse « en bloc » le concile Vatican II.

« Nous rejetons une partie du concile » a déclaré récemment Mgr Fellay au journal suisse Le Temps. Donc, pas tout le concile.

Le concile n’est pas « un recommencement à partir de zéro »

C’est la nature-même du concile Vatican II qui a provoqué les difficultés passées et actuelles, les querelles d’interprétation passées et actuelles. Concile atypique, à différents points de vue, à la différence des conciles œcuméniques passés, il n’a défini aucun dogme, il n’a prononcé aucune condamnation, il n’a promulgué aucun canon disciplinaire.

Les textes qu’il a promulgués (constitutions, décrets, déclarations) sont certes de nature différente mais appartiennent tous, par leur caractère non dogmatique et non canonique, à un « registre plus modeste ». C’est le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Ratzinger, qui l’a reconnu, il y a vingt ans, dans la conférence déjà citée : « La vérité est que le concile lui-même n’a défini aucun dogme. Il a voulu de manière consciente s’exprimer selon un registre plus modeste, comme un concile simplement pastoral ; cependant, beaucoup l’interprètent comme s’il était un ”super-dogme” qui enlève à tout le reste son importance. »

Vatican II doit être lu et interprété à la lumière des conciles antérieurs, et non l’inverse. Le cardinal Ratzinger le disait lors de la même conférence : « il existe une courte vue qui isole Vatican II et qui a provoqué l’opposition. Nombre d’exposés donnent l’impression que, après Vatican II, tout a changé et que tout ce qui est antérieur ne peut plus avoir de validité, ou, dans le meilleur des cas, il ne doit l’avoir qu’à la lumière de Vatican II. Le deuxième concile du Vatican n’est pas traité comme partie de la totalité de la tradition de l’Eglise, mais directement, comme la fin de la tradition et comme un recommencement complet à partir de zéro. »

Pourtant, cette théorie du « recommencement » a longtemps été soutenue et appliquée par des théologiens et par des évêques. Par exemple, en 1977, le Père Congar, un des théologiens qui furent parmi les plus influents au concile Vatican II, jugeait légitimes « des relectures » et une « re-réception » de Vatican I, concile dogmatique, à la lumière de Vatican II, concile pastoral.

Dans la correspondance qu’il avait eue avec lui sur ce sujet et sur d’autres, Jean Madiran avait soutenu le contraire : « Je tiens au contraire que le devoir catholique est de recevoir Vatican II à la lumière de Vatican I ; et d’une manière générale, d’interpréter le dernier concile dans la ligne, dans le contexte, dans la continuité, dans la cohérence de tous les conciles antérieurs » (Jean Madiran, Le concile en question, DMM, 1985).

Cette position de Jean Madiran en 1977 sera celle du cardinal Ratzinger en 1988 et celle qu’il a explicitée, devenu pape, dans son fameux discours du 22 décembre 2005 sur l’ « herméneutique du concile ». Benoît XVI y affirme que les actes du concile Vatican II ne doivent pas être lus comme une « discontinuité » et une « rupture ».

C’est au Magistère pontifical d’aider les fidèles, et les théologiens, et les évêques, à faire la lecture adéquate des actes du concile Vatican II, en éclairant, complétant, précisant, rectifiant si nécessaire ce qui a été dit et écrit de manière « pastorale » dans les quatre sessions conciliaires entre 1962 et 1965.

Yves CHIRON


[1] Ce « ni…ni… » et l’expression même de « ligne de crêtes », rappellent les expressions employées par Maurras entre 1940 et 1944 pour définir la position de l’Action : refus de soutenir la collaboration idéologique et militaire avec l’Allemagne nazie et refus de la résistance gaulliste comme « un schisme français » qui aboutit à une guerre civile. La « ligne de crête » (au singulier chez Maurras) se résumait en une formule : « la France, la France seule ».

[2] La lettre porte, par erreur, la date du « 24 janvier 2008 ». Ceux qui l’ont reçue auront rectifié d’eux-mêmes.

[3] Le texte qui suit est un article que j’ai publié dans Présent le 7 février 2009. Par exception, je le reproduis ici.