lundi 28 avril 2008

[Aletheia n°124] Quatre anniversaires et un Non possumus - par Yves Chiron

Il y a cinquante ans, en 1958, s’achevait le pontificat de Pie XII et commençait celui de Jean XXIII, pontificat de transition, de rupture (dans la méthode) et de continuité (dans le fond) ; Jean XXIII n’était pas un libéral.

Il y a quarante ans, en 1968, la France connaissait un psychodrame estudiantin puis social qui ouvrait la voie à une mutation radicale des esprits, des mentalités et des comportements tandis que, dans l’été suivant, Paul VI s’attachait, selon son expression, à « réaffirmer, confirmer les points capitaux de la foi de l’Eglise », en proclamant un Credo du peuple de Dieu de forme très traditionnelle et que, par l’encyclique Humanæ vitæ, il n’hésitait pas à « heurter de plein fouet ”la conscience collective de l’humanité” en son état actuel d’aveuglement et d’autosuffisance. » (selon l’expression de Jean Madiran).

Il y a trente ans, en 1978, s’achevait le pontificat de Paul VI, pape du dialogue, de l’achèvement du concile Vatican II et de sa mise en application, et commençait celui de Jean-Paul II, pape anti-moderne, qui emprunta, lui aussi, la voie du dialogue et commença l’œuvre de dépassement qui caractérise le pontificat de son successeur.

Il y a vingt ans, en 1988, Mgr Lefebvre consacrait, sans mandat pontifical, quatre évêques. Il le faisait, en arguant de « l’état de nécessité » : dans une Eglise battue par la tempête (l’image est de Paul VI, reprise par Benoît XVI), il jugeait nécessaire une « opération-survie » pour assurer la continuité de son œuvre, toute dédiée à préserver le sacerdoce et la messe traditionnelle.

Vingt ans après cette rupture du fondateur de la FSSPX, les circonstances ont changé. L’ « état de nécessité » est-il toujours le même ? Benoît XVI, dans un discours très important, a plaidé pour « une juste interprétation du concile » et a rejeté l’ « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » qui s’est répandue jusque dans la théologie (Discours à la Curie, le 22.12.2005). Puis, il a restauré solennellement le droit d’existence de la messe traditionnelle (motu proprio du 7.7.2007).

Ces deux actes majeurs du pontificat de Benoît XVI ne paraissent pas suffisants au Supérieur général de la FSSPX pour permettre une réconciliation avec Rome. Le 14 avril dernier, Mgr Fellay a fait connaître les raisons pour lesquelles la FSSPX « ne peut pas “signer d’accord“ ». Il l’a dit, non dans un document officiel ou une déclaration solennelle, mais dans une « Lettre aux amis et bienfaiteurs » publiée régulièrement (c’est la 72e). Le Monde, dans un article d’Henri Tincq, et La Croix, dans un article de Jean-Marie Guénois, parus le même jour, qualifient en des termes identiques la position de Mgr Fellay : « une fin de non-recevoir ». Henri Tincq est plus violent, comme d’habitude, en parlant de « déclaration de guerre contre le pape et Rome ».

L’erreur d’interprétation est flagrante : il ne s’agit pas d’une « déclaration de guerre », ou d’une « nouvelle étape dans le contentieux », comme l’écrit Jean-Marie Guénois, mais d’une position d’attente. Sans ajouter d’autres commentaires à la position exprimée par Mgr Fellay, je crois utile de faire connaître l’analyse qu’en a faite l’abbé Guillaume de Tanoüarn, un des fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur.


L’analyse de M. l’abbé Guillaume de Tanoüarn :


J'ai écrit que la FSSPX ne devait pas se presser de signer. Signer pour signer n'a pas de sens. Signer quoi ? Pour aller où ? Il faut pouvoir être fier de ce que l'on signe avec le Père commun des fidèles (comme je l'ai été et le suis moi même), ou alors cette signature n'est qu'un chiffon de papier, qui vous met en danger. Signer un chiffon de papier qui engendrerait la division et l'auto-destruction de la FSSPX, cela ne constitue en rien une solution. Par ailleurs, pour être capable de signer un véritable accord, il faut savoir et faire savoir où l'on va. Et pas se référer à des événements qui ont quinze ans. Pas reprendre en boucle un discours que l'on n'a pas revu (ou retravaillé) depuis quinze ans. Comme si rien n'avait changé.


Lorsqu'on entend, venant de la FSSPX ou de ses amis (dont je fais partie) : le moment n'est pas encore venu de signer, cette expression peut être prise en deux sens.


Soit : il n'est pas temps de signer, parce que Rome n'est pas allé assez loin dans la Restauration. Et je pense que ce motif est lâche et qu'il conduit à reporter le souci de l'unité de l'Eglise après la parousie. il y aura forcément toujours une raison d'ici là pour dire que cela va mal et rester dehors.


Soit encore, en un sens tout différent : il n'est pas temps de signer parce que la FSSPX n'a ni l'unité interne ni la force nécessaire pour affronter immédiatement une telle mutation. En signant trop vite (quoi ? pour aller où ?) elle risque d'exploser en vol, pour le plus grand malheur de toute la chrétienté. Le combat est difficile. Les épiscopats ne souhaitent pas forcément pratiquer la vertu d'accueil. Un bon accord est un accord qui se signe en force. Il faut que la FSSPX résolve d'abord des difficultés internes. Elle doit le faire petit à petit, en soutenant résolument, au jour le jour, tout ce qui, dans l'action providentielle de Benoît XVI, demande à être soutenu.


[…]


la FSSPX doit s'engager pour l'Eglise et pas seulement en lançant des campagnes du Rosaire, mais en faisant tout ce qui est en elle, en s'exposant comme s'exposait Mgr Lefebvre, en soutenant le pape, dont certains textes sur l'œcuménisme aux Etats-Unis sont simplement magnifiques, dont certains textes sur la liberté religieuse sont très éclairants.


(Le Forum catholique, 25 avril 2008).

dimanche 6 avril 2008

[Aletheia n°123] Rapprochements et éloignements - par Yves Chiron

Si aucune information ne filtre sur les discussions éventuellement en cours entre le Saint-Siège et la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, on constate, à la périphérie de celle-ci, des mouvements divergents.
• La Transalpine Congregation of the Most Hooly Redeemer, communauté plus communément appelée « Rédemptoristes Transalpins », a été fondée par le Père Michael Sim (Michael Mary de son nom de religion). Il l’a créée après qu’il a été, en 1988, exclu de sa congrégation d’origine, la Congrégation du Très Saint Rédempteur (C.SS.R.), pour son opposition aux réformes que celle-ci avait connues et à cause de sa fidélité à la messe traditionnelle. La maison-mère des Rédemptoristes Transalpins est installée sur Papa Stonsay, une des îles de l’archipel des Orcades, au nord de l’Ecosse.
Les Rédemptoristes Transalpins ont figuré, depuis leur fondation, parmi les « ordres religieux amis » avec lesquels la FSSPX entretenait des relations étroites. Ses religieux recevaient une partie de leur formation dans les séminaires de la FSSPX et recevaient les ordinations de la main des évêques de la FSSPX. Le 19 janvier dernier encore, des prêtres des Rédemptoristes Transalpins participaient, au côté de Mgr Fellay, aux cérémonies de bénédiction de la nouvelle église de la FSSPX à Gateshead, près de Newcastle.
Le 8 février dernier, le P. Michael Mary, vicaire général (c’est-à-dire supérieur) des Rédemptoristes Transalpins, a annoncé, par un communiqué, que sa congrégation entendait « obéir avec soumission à la nouvelle Prière pour les Juifs telle que l’a ordonnée Sa Sainteté Benoît XVI le 4 février 2008 ».
Un mois plus tard, le 9 mars, il annonçait qu’il avait la volonté de retrouver une pleine communion avec le Pape et qu’il était prêt à engager des discussions avec le Saint-Siège en vue de régulariser la situation de sa communauté avec le Saint-Siège : « Nous sommes en train de travailler à une réconciliation [we are set upon working towards reunion]. Si nous restons dans une ”communion imparfaite” nous deviendrions éventuellement une organisation complètement séparée. […] Nous avons été des hommes de conscience exclus par nos frères catholiques et nos supérieurs les plus élevés parce que nous étions cramponnés à la ”Foi de nos Pères” et à la Sainte Messe ”malgré le feu et l’épée”. Dans cette époque troublée, nous avons continué et nous avons joyeusement payé le prix pour cela. Mais maintenant Pierre a parlé. Il a parlé à tous et il a parlé pour nous. Le Vicaire du Christ veut faire savoir que l’ancienne Messe n’a jamais été abrogée. Il demande que l’on nous autorise à la célébrer librement. Il nous dit : ”notre cœur est ouvert pour vous…” Oui je veux aller vers lui et parler avec lui par l’intermédiaire de ses représentants. C’est le Pasteur. C’est le gardien du Troupeau. C’est notre Père commun : nous sommes ses enfants. »
Le P. Michael Mary reconnaît : « Oui, il y a encore des problèmes sur l’œcuménisme et la collégialité, mais les problèmes ne sont pas nouveaux dans l’Eglise et nous pourrons les traiter si nous avons la Messe. »
• La Fraternité Sacerdotale Saint-Josaphat (SSJK), fondée en septembre 2000, est un autre des « ordres religieux amis » de la FSSPX. Elle regroupe des prêtres catholiques ukrainiens de rite oriental. Le 27 novembre 2003, Mgr Tissier de Mallerais a procédé, à Varsovie, à l’ordination sacerdotale du P. Valodymir Voznyuk. Le 10 février 2004, le cardinal Husar, archevêque majeur de Kiev, a excommunié le Père Kovpak, supérieur de la SSJK, à cause des liens de sa communauté avec la FSSPX. Le P. Kovpak a fait appel au Tribunal de la Rote romaine qui a déclaré nulle l’excommunication. Suite à de nouvelles ordinations, qui ont eu lieu le 22 novembre 2006, une nouvelle sentence d’excommunication a été prise contre le P. Kovpak. Le 16 octobre 2007, Mgr Fellay a procédé à nouveau à des ordinations, portant à dix-huit le nombre des prêtres de la SSJK. Un mois plus tard, le 16 novembre, la Congrégation pour la doctrine de la Foi a confirmé la sentence d’excommunication du P. Kovpak.
Une autre excommunication est intervenue le 23 mars dernier. Elle a été portée par le cardinal Husar contre quatre prêtres gréco-catholiques qui ont été consacrés clandestinement et illicitement évêques : Markian V. Hitiuk, Metodej R. Spirik, Elias A. Dohnal, Samuel R. Oberhauser. Le premier est ukrainien, les deux autres sont tchèques et le dernier est slovaque.
Contrairement à ce qui a été écrit, ici ou là, ces quatre nouveaux « évêques » n’étaient pas, semble-t-il, proches de la FSSPX. Ils se revendiquent de l’OSBM, l’Ordre Basilien de Saint-Josaphat. Malgré la proximité de la dénomination, il n’y a pas de liens entre la SSJK et ce groupe qui se revendique de l’OSBM. Le consécrateur aurait été Mgr Mychaljo Osidach, un évêque gréco-catholique.

Selon des sources bien informées, il s’avère que ces quatre nouveaux « évêques », qui se réclament de l’OSBM, ont été exclus de leur ordre en 2005, décret confirmé par la Congrégation pour les Eglises orientales. Et que le supposé évêque consécrateur est inconnu de la hiérarchie gréco-catholique.



Un livre d’entretiens avec Mgr Fellay
Mgr Fellay a reçu, le 31 juillet dernier à Menzingen, deux journalistes italiens, Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, pour de longs entretiens qui font l’objet, maintenant, d’un livre, en italien.
Le Supérieur de la FSSPX explique, en termes très clairs, qu’ « elle est une réponse d’aujourd’hui à un problème actuel : celui du sacerdoce [1]. » La rénovation du sacerdoce a été « le motif fondamental pour lequel est née la Fraternité ».
Concernant les relations actuelles de la FSSPX avec le Saint-Siège et le nouveau climat créé par l’élection et l’action de Benoît XVI, Mgr Fellay déclare : « Maintenant l’air a un peu changé. Mais il est nécessaire d’accomplir un pas supplémentaire : s’il y a un problème, il y a une cause. » (p. 20). Le Motu proprio sur la messe traditionnelle a été « un jour très important pour l’Eglise » (p. 48).
Selon Mgr Fellay, ceux qui s’opposent à la « réhabilitation » de la FSSPX sont « les épiscopats français, allemand, hollandais, suisse, avec une bonne partie de l’épiscopat anglais et de celui des Etats-Unis » (p . 45). Mgr Fellay rapporte encore une anecdote significative : il a demandé au Président de la Conférence épiscopale française (le cardinal Ricard, à l’époque) de rendre visite à tous les évêques français. La réponse a été la suivante : « N’allez pas tous les voir : vous perdrez votre temps » (p. 49).

• Alessandro Gnocchi-Mario Palmaro, Rapporto sulla tradizione. A colloquio con il successore di monsignor Lefebvre, Edizioni Cantagalli (Via Massetana Romana 12, Casella postale 155, 53100 Siena), 96 pages, 12,50 euros.


[1] Permettra-t-on une remarque de bas de page ? Mgr Fellay affirme : « Depuis une quarantaine d’années […] on parle de l’épiscopat, on parle du laïcat, on ne parle pas du sacerdoce. Même dans Lumen Gentium, la Constitution conciliaire sur l’Eglise, on ne parle pas de ce thème, il n’y a pas un chapitre pour les prêtres. On a quasiment l’impression que les prêtres ne sont plus nécessaires pour l’Eglise » (p. 11). Sans faire référence à la Lettre aux prêtres que Jean-Paul II a publiée, chaque année, le Jeudi Saint, on doit rappeler, tout de même, qu’au cours du concile Vatican II ont été élaborés et promulgués un important décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, et un autre sur la formation des prêtres, Optatam totius Ecclesiae renovationem.