mardi 16 avril 2002

[Aletheia n°28] Mgr Brincard et la franc-maçonnerie - et autres textes

Aletheia n°28 - 16 avril 2002
  • Mgr Brincard et la franc-maçonnerie

  • Les évêques de France et la franc-maçonnerie

  • À propos du RP Vieira

----------

Mgr Brincard : “ Il faut combattre la franc-maçonnerie ”

Mgr Henri Brincard, évêque du Puy-en-Velay, a été interrogé sur la franc-maçonnerie par la radio RCF-Le Puy. Ses réponses s'affichent aussi sur le site internet du diocèse.

Au cours des dernières décennies, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé aux catholiques que l'appartenance à un mouvement maçonnique était contraire à la foi chrétienne. J’aimerais savoir pourquoi toutes ces réserves face à la franc-maçonnerie ?

Votre question est courageuse. Avant d'y répondre, je voudrais faire, en guise de préliminaire, les remarques suivantes :

1) Il arrive que des hommes soient bien meilleurs que les doctrines auxquelles ils adhèrent. Il faut s'en souvenir lorsque nous rencontrons des francs-maçons. En revanche, c'est toujours le contraire qui se produit lorsqu'il s'agit de l'Evangile. L'Evangile est plus grand que celui qui le professe. Nous comprenons dès lors pourquoi la première vertu chrétienne est celle de l'humilité.

2) Au cours d'un dialogue, il convient de rejoindre le cœur profond de son interlocuteur. Dans ce cœur, en effet, il y a des aspirations qu'une fausse doctrine ignorera. C'est encore le cas des francs-maçons.

3) Les origines historiques de la franc-maçonnerie sont obscures. Dans le cadre de notre émission, je ne puis m'attarder sur elles. Pour éclairer mon propos, il suffit de dire que la franc-maçonnerie, telle qu'elle apparaît au début du XVIII e siècle, ne peut revendiquer sérieusement une filiation avec certaines corporations médiévales, par exemple, avec celle des tailleurs de pierres. De telles corporations, en effet, étaient d'inspiration chrétienne. Or les constitutions d'Anderson de 1723, texte de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent plus la moindre référence au Dieu en Jésus-Christ, révélation reçue, gardée et transmise par l'Eglise fondée sur les apôtres envoyés par le Ressuscité prêcher au monde l'Evangile du salut. Un orfèvre en la matière, Jacques Mitterrand - qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme célèbre, François Mitterrand - l'affirme nettement dans un livre où il explique les principes fondamentaux de la franc-maçonnerie.

Et maintenant, j'en viens à la question souvent posée : “Peut-on être catholique et franc-maçon“ Je réponds clairement : non ! La déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, déclaration engageant fortement l'autorité de l’Eglise, est sans ambiguïtés sur ce point. Elle est du 26 novembre 1983, signée par le cardinal Ratzinger, préfet de cette Congrégation, et dit ceci : "On a demandé si le jugement de l'Eglise sur les associations maçonniques était changé étant donne que dans le nouveau Code de droit canonique, il n'en est pas fait mention expresse comme dans le Code antérieur. Cette Congrégation est en mesure de répondre qu'une telle circonstance est due aux critères adoptés dans la rédaction qui a été suivie aussi pour d'autres associations également passées sous silence parce qu'elles sont incluses dans des catégories plus larges. Le jugement négatif de l'Eglise sur les associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Eglise et l'inscription à ces associations reste interdite par l'Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. Les autorités ecclésiastiques locales n'ont pas compétence pour se prononcer sur la nature de ces associations maçonniques par un jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé ci-dessus. Le Souverain Pontife Jean-Paul II, dans l'audience accordée au cardinal Préfet, a approuvé cette déclaration.“

Cette déclaration a été précédée par une autre, non moins claire, cette fois de la conférence épiscopale allemande. Faite en 1981, elle est cependant peu connue. C'est pourquoi j'invite mes auditeurs à la lire dans la Documentation catholique (n° 1807). On y développe longuement l'incompatibilité fondamentale entre la doctrine de la maçonnerie et les enseignements de l'Evangile.

Et qu'en disent les francs-maçons ?

La franc-maçonnerie reconnaît elle-même cette incompatibilité. J'en veux pour preuve ce que dit à ce sujet Paul Gourdeau, ancien Grand Maître du Grand Orient de France. Écoutons son message : "Ce qu'il est aujourd'hui important de comprendre, c'est que le combat qui se livre actuellement conditionne l'avenir, plus encore le devenir de la société. Il repose sur l'équilibre de deux cultures : l'une fondée sur l'Evangile et l'autre sur la tradition historique d'un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d'un Dieu à l'origine de toutes choses ou elle trouve son fondement dans les constructions de l'Homme toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini. De cette bataille perpétuelle recommencée avec vigueur depuis quelque temps, Malraux disait hier que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. C'est à cette affirmation, c'est à ce défi qu'il nous appartient de répondre!“ (Humanisme, n° 193, octobre 1990).

Faire dire à la franc-maçonnerie ce qu'elle n'a jamais pensé, c'est à l'évidence faire preuve d'une naïveté nourrie d'ignorance, c'est confondre sentimentalisme et générosité. Mais Gustave Le Bon ne disait-il pas déjà : "Beaucoup d'hommes sont doués de raison, très peu de bon sens".

Pourtant, certains se revendiquent d'une double appartenance : à l'Eglise et à la franc-maçonnerie ?

Je suis bien conscient que ce que je viens de dire ne plaît pas à tout le monde. Je n'ignore pas non plus qu'un illustre jésuite, le père Riquet - pour ne pas le nommer - a défendu une position différente de celle de l'Eglise. Il l'a même fait connaître dans un livre publié peu de temps avant son décès. À titre personnel, j'ai de l'estime pour le père Riquet. Je rends hommage à son courage pendant la Deuxième guerre mondiale. C'est sans doute, un religieux exemplaire sous beaucoup de rapports. Mais à propos de la franc-maçonnerie, il s'est gravement trompé, probablement abusé par des amitiés nouées en des circonstances difficiles et par une bonne dose de naïveté. À ce propos, il est salutaire de se souvenir que si instruits que nous soyons, nous demeurons fragiles, exposés à de nombreuses erreurs. Un lecteur attentif découvre sans peine que le père Riquet fait preuve de beaucoup de crédulité, par exemple, lorsqu'on affirme que le symbolisme de la franc-maçonnerie peut conduire à la découverte de Jésus-Christ ! En revenant à votre question initiale, je tiens à ajouter que les évêques, et moi le premier, nous sommes la voix de l'Eglise dans la mesure où nous agissons en communion les uns avec les autres autour du "serviteur des serviteurs" qu'est le pape. La déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi est une déclaration qui doit éclairer notre action pastorale.

Après tout ce que vous venez de nous dire, Père évêque, quelle attitude doit-on avoir à l'égard des francs-maçons ?

Ma réponse est celle-ci : la franc-maçonnerie constitue un défi qu'il faut relever sereinement et courageusement. Certes, il ne faut pas exagérer l'influence de la franc-maçonnerie ; il ne faut pas, non plus, la sous-estimer. L'attitude d'un catholique agissant en cohérence avec sa foi doit, me semble-t-il, être la suivante : d'abord la clairvoyance. Cela signifie connaître avec exactitude les véritables objectifs que poursuit la franc-maçonnerie. Ensuite, le désir d'approfondir sans cesse la foi chrétienne. L'ignorance est grand ennemi de la foi. Enfin, la résolution de suivre de plus en plus fidèlement Jésus-Christ. L'exemple est plus convaincant que la parole.

Et voici le mot de la fin : notre vraie force est de prendre appui sur Jésus-Christ Lui seul peut changer les cœurs. C'est pourquoi, autant il faut combattre la franc-maçonnerie en rappelant qu'elle est une forme particulièrement nocive de "gnose", autant il faut poser sur les francs-maçons un regard d'espérance, regard né d'une authentique charité, car "rien n'est impossible à Dieu" !

----------

Les évêques de France et la franc-maçonnerie

. Cette intervention, la plus ferme qu'on ait entendue en France de la part d'un évêque depuis des décennies, peut être perçue comme un certain changement dans l'attitude de l'épiscopat français face à la franc-maçonnerie. D'après diverses sources, la Conférence épiscopale française a abordé à plusieurs reprises ces dernières années, à huis clos, cette question. Les multiples offensives laïcistes de ces dernières années autant que l'attirance de certains catholiques pour la franc-maçonnerie (notamment celle de la GLNF) incitent nombre d'évêques de France à réagir.

L'épiscopat est, sans aucun doute, divisé sur la position à adopter et sur la forme de la réaction. Une déclaration commune en forme de -condamnation solennelle est, semble-t-il, à exclure. En revanche, il est prévu des "initiatives" et des "interventions", personnelles ou collectives, qui prendront des formes diverses.

La rencontre entre les représentants de l'épiscopat français, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur, en février dernier, pour examiner différents problèmes administratifs et juridiques qui se posent dans l'application de la loi de séparation de l’Eglise et de l'Etat de 1905, est à situer, en partie, dans cette perspective.

A côté de cette -initiative", les fortes et claires paroles prononcées par Mgr Brincard prennent place dans les "interventions" qui pourraient se multiplier. Même si elles sont loin d'être l'expression d'une position unanime des évêques de France.

. En mai 2001, un militant catholique, Michel-Constant Verspieren, a publié un ouvrage d'information critique sur la franc-maçonnerie : L’impasse maçonnique (Éditions Faver, 33 rue Jean Jaurès, 59491 Villeneuve d'Ascq, 180 pages, 15,09 euros).

Il a envoyé cet ouvrage à tous les évêques de France. Un peu moins d'un quart d'entre eux (24) ont accusé réception du livre. Cinq évêques, et un cardinal français résidant à Rome, ont envoyé des encouragement immédiats.

----------

À propos du RP Antonio Vieira

Dans la revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé), qui publie son 40e numéro et fête ses dix ans de parution, un rédacteur s'inquiète des orientations qui seraient celles des éditions Ad Solem (2 rue des Voisins, CH - 1205 Genève, www.ad-solem.com). Ces éditions ont publié le dernier livre du cardinal Ratzinger, L’Esprit de la liturgie.

Parmi les autres auteurs publiés par ces éditions, l'éminent rédacteur dominicain jette la suspicion sur “ un livre d'Antonio VIEJA (sic) SJ, maître dans l'art de la conjonction des oppositions ( ... ) qui eut des ennuis avec l'Inquisition pour hérésie judaïsante, livre intitulé Le Salut en clair obscur et recommandé par Yves Chiron dans Présent du 15 janvier 2000, etc. C'est toujours un peu le même monde et les mêmes influences. ”

Pour être plus précis et juste, on peut rappeler que le jésuite Antonio Vieira (1608-1697) n'est pas un obscur auteur jésuite suspect d'hérésie. Ses sermons, dont les éditions Ad Solem livrent une nouvelle traduction et édition, ont été célèbres dans toute l'Europe et traduits en plusieurs langues. En France, pour le seul XIXe siècle, ils connurent deux éditions. Au Portugal, la dernière édition de ses œuvres, parue entre 1951 et 1954, compte 12 volumes.

À lire les quelques lignes citées plus haut, on pourrait croire que le livre publié par les éditions Ad Solem est une illustration de l' “ hérésie judaïsante ” du Révérend Père Vieira. Il n'en est rien. Les trois sermons publiés ici datent d'après sa condamnation par le Saint-Office et sa réhabilitation.

Il est vrai que pour certains écrits aventurés, Vieira fut condamné pour hérésie judaïsante l'Inquisition et qu'il subit ses prisons pendant vingt-sept mois, de 1665 à 1667.

Mais Vieira bénéficia d'une amnistie, fut autorisé par ses supérieurs à prêcher à nouveau et s'établit à Rome. Ses sermons lui valurent alors une renommée internationale. En 1675, pour le mettre à l'abri d'éventuelles suspicions inquisitoriales disproportionnées, le pape Clément X lui accorda un "bref d'exemption envers les Inquisitions d'Espagne et des autres royaumes."

Il restait au RP Vieira plus de vingt ans à vivre. La plus grande partie de son œuvre date de ces décennies. Six ans après l'exemption citée, le brillant prédicateur et théologien choisit de retourner en mission parmi ses chers indiens du Brésil, où il mourra. Non sans avoir préparé, sur ordre de ses supérieurs, l’édition de ses sermons.

mardi 2 avril 2002

[Aletheia n°27] Le “silence” de Pie XII (suite) - La "thèse" du père Murray - Le bienheureux Orione et le modernisme

Aletheia n°27 - 2 avril 2002
•  Le “silence” de Pie XII (suite)
•  La “thèse” du père Murray
•  Le bienheureux Orione et le modernisme
----------
Le “silence” de Pie XII (suite)
Aux publications sur Pie XII déjà citées dans le précédent numéro d’Alètheia, on en ajoutera trois autres  qui viennent de paraître et vont à rebours de la campagne régulièrement réactivée contre le prétendu “ silence ” du Souverain Pontife face à l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale :
.  Andrea Tornielli, vaticaniste au journal italien Il Giornale, publie Pio XII. Il Papa degli ebrei (Edizioni Piemme, Via del Carmine 5, I-15033 Casale Monferrato, 400 pages, 19,63 euros). L’ouvrage, paru avant la sortie du film Amen qui a relancé la polémique, montre, avec une ample documentation, quelle fut la position constante de Pie XII face au national-socialisme, et ce dès l’époque où il était encore nonce apostolique en Allemagne.
Andrea Tornielli expose ensuite, en se référant à la documentation actuellement disponible, quelle fut l’action de Pie XII et de la hiérarchie ecclésiastique en Europe pour essayer de sauver les Juifs persécutés par les nationaux-socialistes.
Après Alexis Curvers qui, en 1964, avait pris la défense de Pie XII, le pape outragé (éditions Robert Laffont, réédition augmentée en 1988 aux éditions Dominique Martin Morin, 53290 Bouère), Paul Rassinier avait publié, en 1965, L’Opération “Vicaire”, aux éditions de La Table Ronde. Ce livre fait l’objet d’une réédition hors commerce (130 pages grand format, 16 euros port compris, à commander à Pierre Guillaume, B.P. 98, 75223 Paris cedex 05).
Paul Rassinier, professeur d’histoire, actif dans la Résistance et interné dans les camp de Buchenwald et de Dora, puis député, militant socialiste et pacifiste, examinait, dans cette perspective,    “ Le rôle de Pie XII devant l’histoire ”.
Sans méconnaître les réponses à donner à ceux qui accusent Pie XII de s’être “ tu ” - et il en rappelait un certain nombre -, Paul Rassinier s’intéressait principalement à “ la théorie de la Paix ” de Pie XII. Selon lui, c’est parce que Pie XII a tenté d’empêcher la guerre puis a essayé de l’arrêter, à plusieurs moments, que certains s’acharnent contre lui.
Rassinier estimait qu’Alexis Curvers, et Dom Claude-Jean Nesmy auteur  de Pour ou contre “ Le vicaire ” (Desclée de Brouwer), sont “ passés à côté du vrai problème historique ” mais que leurs livres n’en constituent pas moins “ deux remarquables plaidoyers philosophiques ” auxquels il renvoyait le lecteur. Je dirai plutôt que la problématique à laquelle s’attachaient Curvers et Nesmy était la principale en cause : Pie XII a-t-il défendu les Juifs pendant la guerre ? Celle développée par Rassinier est connexe.
. Le rabbin David Dalin, historien américain, avait publié, le 26 février 2001, dans The Weekly Standard Magazine, un long article consacré à “ Pie XII et les juifs ”. Cette étude a été traduite par la Documentation Catholique (3 rue Bayard, 75008 Paris, n° 2266, 17 mars 2002, p. 289-296, le numéro : 4,12 euros).
Le rabbin Dalin passe d’abord en revue 9 ouvrages, la plupart américains ou anglais, qui ont paru ces dernières années et qui sont consacrés à l’attitude de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. Faisant référence aussi à d’autres sources, le rabbin Dalin rappelle ensuite, en six points, comment Pie XII, avant d’accéder au Souverain Pontificat, “ a toujours été très critique envers le nazisme ”. Puis, en cinq points, il rappelle les actions et interventions de Pie XII en faveur des Juifs pendant la guerre. Il s’interroge aussi sur le sort des Juifs d’Italie. Enfin, il livre cinq témoignages de personnalités israélites qui, entre 1940 et 1945, ont estimé que “ Pie XII est le plus fervent opposant aux thèses hitlériennes ”.
Un excellent article de synthèse qui se conclut par ce jugement : “ Pie XII fut véritablement et profondément un Juste parmi les Nations. ”
----------
A propos de la “ thèse ” du père Murray
Régulièrement, dans des publications de la Fraternité Saint-Pie X, mais ailleurs aussi, il est fait référence à une “ thèse en droit canonique ”, soutenue à Rome en 1995, par un prêtre du diocèse de New-York, Gerald E. Murray, et qui montrerait “ l’inanité de l’accusation de schisme ” portée contre Mgr Lefebvre suite à la consécration de quatre évêques en 1988, acte qui lui a valu d’être excommunié.
Sans me prononcer en aucune manière sur cette excommunication et sa validité canonique, il faut néanmoins remarquer et préciser :
- la “ thèse en droit canonique ” n’en est pas une. En 1995, le père Murray n’a pas soutenu une thèse de doctorat mais un mémoire de licence de droit canonique, qui compte 73 pages, en anglais. Une licence en droit canonique n’est pas un doctorat en droit canonique. Ce n’est pas rien mais ce n’est pas du même niveau.
- qui, en France, a lu ce travail universitaire ? On en parle de seconde main, à partir de citations faites par autrui, en l’occurrence la revue américaine The Latin Mass. Il est vrai que ce mémoire est resté inédit, mais il n’est pas impossible de se le procurer. Si le père Murray concluait effectivement : “ The examination of the circumstances in which Archbishop Lefebvre performed the episcopal consecrations in the light of canons 1321, 1323 and 1324 raises at the very least a significant doubt, if not a reasonably held certainty, against the validity of the declaration of excommunication pronounced by the Congregation for Bishops ” (p. 71) ; il estimait aussi que l’argument de nécessité mis en avant par Mgr Lefebvre était “ objectively groundless ” (p. 67).
- enfin, quand on fait référence à la “ thèse ” du père Murray, il faut faire référence aussi à la rétractation que le même auteur a fait des conclusions de son mémoire de licence. Cette rétractation est parue dès 1996 dans la revue The Latin Mass et elle a été traduite et publiée en français par la revue Sedes Sapientiae (53340 Chémeré-le-Roi, n° 59, printemps 1997, p. 41-46). Il écrivait notamment :      “ Un canoniste m’a fait remarquer que tout violateur d’une loi canonique essaie de justifier ses actions en se fondant sur la nécessité. Mais, pour qu’un tel appel ait valeur au regard de la loi, il doit y avoir dans la réalité quelque fondement qui appuie la revendication de nécessité. De fait, si, pour un acte donné, il n’y a absolument aucune nécessité de violer la loi, alors il est illégitime de faire appel à une prétendue nécessité. (...) Dans mon mémoire, je niais l’existence d’une nécessité réelle de consacrer des évêques, étant donné l’offre du Pape - acceptée tout d’abord par Mgr Lefebvre - d’élever à l’épiscopat un des membres de sa fraternité. Toutefois, je pensais que Mgr Lefebvre pouvait légitimement en appeler au canon 1324, qui l’exemptait de l’excommunication, pour le motif qu’une estimation erronée sur l’état de nécessité lui permettait d’agir contre la loi. Maintenant, dans ce cas précis, je ne pense plus qu’un appel au canon 1324 tombe sous l’intention visée par la loi. ”
Que cette rétractation soit le résultat des réflexions d’un jeune licencié en droit canonique qui, honnêtement, a approfondi sa réflexion ou soit le résultat de sollicitations pressantes qui lui auraient été faites à Rome, où il étudiait encore en 1996, elle appartient désormais à l’histoire au même titre que son mémoire de licence.
----------
Don Orione et le modernisme
Le bienheureux Luigi Orione (1872-1940) est bien connu pour son apostolat en faveur de la jeunesse et des pauvres et par la fondation d’une congrégation religieuse, la Piccola Opera della Divina Provvidenza, qui compte aujourd’hui plus de 200 maisons, dans le monde entier, et plus de 1.000 membres.
Le but fixé par Don Orione à sa congrégation était : “ Faire connaître et aimer Jésus-Christ, l’Eglise et le Pape ”. Un ouvrage collectif qui vient de paraître en Italie montre que, dans la tourmente du modernisme, le bienheureux Orione a été exactement fidèle à ce programme : Don Orione negli anni del modernismo ((Jaca Book, Via V. Gioberti 7, I-20123 Milan, 373 pages, 23 euros).
L’ouvrage comprend six parties. Après une présentation du modernisme et de l’antimodernisme durant le pontificat de saint Pie X, les rapports de  Don Orione avec plusieurs des protagonistes de ce combat sont présentés par le père Flavio Peloso, postulateur de la cause du bienheureux Orione et responsable des archives de sa congrégation. Puis des chapitres particuliers sont consacrés aux relations entretenues par le bienheureux Orione avec trois figures éminentes du modernisme : le père Semeria, Ernesto Buonaiuti et Don Casciola. Enfin, 23 documents, dont certains sont inédits, sont publiés : lettres de Don Orione au cardinal Merry del Val et à divers correspondants, lettres adressées à Don Orione par le père Semeria, Buonaiuti et Don Casciola, d’autres documents encore.
De ces études et documents, il ressort que le bienheureux Orione combattit activement le modernisme : quand il était en Calabre, il mit en garde le Saint-Siège contre une association (l’Associazione Nazionale del Mezzogiorno d’Italia) dirigée par des modernistes milanais et qui représente, écrit-il, “ un grave péril pour l’Eglise ” (p. 76-77). Il y eut d’autres courriers adressés à la Secrétairerie d’Etat.
Son jugement historique sur le modernisme était sans ambiguïté : “ si le modernisme et le semi-modernisme continuent, cela conduira, plus ou moins tard, au protestantisme ou à un schisme dans l’Eglise qui sera le plus terrible que le monde ait jamais vu ” (lettre du 26 juin 1913, citée page 81).
Cet antimodernisme actif n’était pas un choix intellectuel, un engagement né d’une confrontation livresque avec le modernisme, mais le résultat d’un engagement spirituel profond : la défense de la Papauté comme centre de l’Eglise et la nécessaire soumission envers elle. Il a voulu, dès l’origine (1903), que les religieux de sa congrégation prêtent un quatrième voeu de “ fidélité spéciale au Pape. ”
Dans le même temps, don Orione a entretenu des liens d’amitié et de charité avec plusieurs figures éminentes du modernisme. Il le faisait avec le plein assentiment de Pie X. Comme en témoignera un des protagonistes, Tommaso Gallarati Scotti : “ en Don Orione, le Pape avait une pleine confiance lui laissant toute liberté dans ses rapports avec ces armes tourmentées ” (cité page 284). Il en sera de même sous le pontificat de Pie XI, le pape demandant expressément à Don Orione d’entrer en relations avec Buonaiuti, excommunié, pour, bien sûr, tenter de le ramener dans la communion de l’Eglise (page 228-229). Flavio Peloso cite des correspondances inédites entre les deux hommes qui montrent quelle confiance s’était établie entre eux dans les années 1930.
 L’attitude du bienheureux Orione dans la crise moderniste est en consonance parfaite avec celle de saint Pie X1. Elles relèvent d’une même conception de l’Eglise,  bien résumée par le père Flavio Peloso au terme de son étude : “ Elle est “magistra” inflexible jusqu’à la dureté dans la garde de la vérité qui lui a été confiée et, en même temps, elle est “mater” confiante qui n’abandonne pas ses propres fils à travers l’action de ses autres fils ” (p. 265).
----------
Avis de gérance : Sans la générosité de certains lecteurs, Alètheia, qui paraît depuis près de trois ans, n’existerait plus. En effet, le principe de la gratuité de l’envoi a un revers : un nombre croissant de personnes s’y intéressent, d’autant plus que des publications, françaises ou étrangères, signalent son existence et son adresse.
Le fichier des lecteurs d’une publication de ce genre, indépendante, gratuite, solitaire et modeste de format comme de ton, ne peut s’accroître indéfiniment à l’aveugle. Ceux des lecteurs qui, depuis un an,  n’ont pas manifesté leur souhait de continuer à recevoir Alètheia, seront rayés du fichier des envois avant le prochain numéro. Manifester son souhait de continuer à recevoir Alètheia ne signifie pas forcément verser son obole - le principe de la gratuité est irréformable - ni encore moins manifester son accord avec tout ce qui s’y écrit.